Dans le numéro du printemps 2005 de Physiotherapy Canada, j’ai écrit un éditorial sur le « dilemme » de la pratique fondée sur les preuves scientifiques (PFPS),1 lequel a suscité un grand nombre de réponses à réflexion de la part de nos lecteurs, sous forme de tribune libre. Ces lettres m’ont certainement sensibilisée aux difficultés du physiothérapeute qui tente de fonder sa pratique sur les preuves scientifiques lorsqu’il travaille dans les milieux cliniques typiques.2–6 Dans plusieurs de ces lettres les auteurs ont passé des commentaires sur l’impossibilité ou le coût d’accéder à des articles pertinents et à les obtenir quand on n’est pas affilié à une université.2,3,5
En qualité de physiothérapeute universitaire, je ne peux nier le fait que mon accès aux articles de recherche et aux exposés de synthèse m’est certainement plus facile et moins dispendieux que pour mes collègues cliniciens qui ne sont pas des enseignants cliniques affiliés à une université, des membres du corps professoral ou des étudiants diplômés. Néanmoins, il y a un éventail toujours croissant d’options gratuites pour tout physiothérapeute qui souhaite s’adonner à la pratique fondée sur les preuves scientifiques. Afin d’illustrer mon point, permettez-moi d’utiliser un exemple de ma perspective actuelle en qualité de personne atteinte d’aponévrosite plantaire aiguë.
Comme je suis physiothérapeute pédiatrique depuis un bon moment, les conditions musculo-squelettiques qui se retrouvent typiquement chez l’adulte d’âge moyen ne font certainement pas partie de mon expertise clinique. Mais comme j’ai fait du jogging toute ma vie (je m’adonne maintenant à la marche rythmée), il fallait que je découvre le fin fond (ou la plante) de cette condition inflammatoire! J’aimerais vous faire part des démarches* que j’ai effectuées pour accéder aux preuves scientifiques relatives à cette condition en espérant que vous parviendrez à reproduire les étapes de cette démarche lorsque vous traiterez des patients atteints d’un type quelconque de maladie ou de trouble.
ÉTAPES DE LA RECHERCHE DOCUMENTAIRE
1re étape: Google
Google est un moteur de recherche très convivial pour quiconque a un ordinateur: www.google.ca. L’inconvénient de Google est que vous ne trouvez pas seulement des preuves scientifiques dignes de confiance mais de nombreuses annonces publicitaires qui offrent des produits pour traiter le trouble qui vous intéresse, dans ce cas particulier, l’aponévrose plantaire. Dans la première page de ma recherche Google, après avoir saisi « aponévrose plantaire », j’ai pu préciser ma recherche aux sujets suivants qui se sont affichés à l’écran: causes/facteurs de risques, symptômes, essais/diagnostic, traitement et ressources à l’intention des patients ou des professionnels de la santé.
J’ai choisi de jeter d’abord un coup d’œil sur les « symptômes » puis sur les « essais/diagnostic » afin de confirmer mon propre diagnostic. L’une des nombreuses options qui m’étaient offertes étaient le site Web de Mayo Clinic, qui m’a semblé un site de départ de premier ordre: www.mayoclinic.com/health. En me basant sur l’information des symptômes de ce site (dont une douleur aiguë à l’intérieur du bas du talon, une douleur au talon qui est pire au réveil, une douleur au talon qui empire après de longues périodes de marche ou de jogging), j’étais raisonnablement certaine de mon diagnostic.
J’ai fait défiler la première page un peu plus bas pour trouver un article axé sur le patient du réputé Journal of the American Medical Association (JAMA) et le document en format PDF m’a été immédiatement accessible (gratuitement) d’un clic de ma souris.7 J’ai ensuite cliqué sur « traitement » et j’ai trouvé un article très informatif de 11 pages d’e-Medicine sur l’aponévrose plantaire qui avait été mis à jour en avril 2006 et rédigé par deux médecins: http://www.emedicine.com/emerg/topic429.htm. Cet article m’a appris que le taux le plus élevé d’aponévrose plantaire se retrouve chez les femmes de 40 à 60 ans, confirmant encore davantage mon diagnostic.
N’étant pas certaine qu’e-Medicine est approuvé par les collègues, j’ai décidé d’examiner la liste de références de cet article. Sept articles de recherche ou exposés de synthèse relativement récents (1999-2005) étaient cités comme sources de référence, plusieurs extraits de revues scientifiques très prestigieuses, p.ex., Journal of Bone & Joint Surgery, New England Journal of Medicine. Chaque article de la liste de référence était suivi d’une icône de MEDLINE. Par conséquent, j’ai pu accéder aux résumés des sept articles et au texte intégral de trois des articles—gratuitement et sans me servir de ma connexion Internet de l’université.
Un de ces articles était un essai clinique aléatoire comparant les exercices d’étirement ciblant les tissus du mollet ou du tendon d’Achille aux exercices d’étirement du fascia plantaire,9 un autre était un exposé de synthèse fondé sur les preuves scientifiques pour le diagnostic et la thérapie de l’aponévrose plantaire,10 et le troisième était un exposé de synthèse sur le diagnostic et les facteurs thérapeutiques.11 Les deux premiers articles ont été publiés en 2005 et le troisième en 2003; j’étais donc raisonnablement confiante de détenir des renseignements à jour.
2e étape: Google Scholar
Google Scholar est un moteur de recherche gratuit à la disposition de quiconque a un ordinateur. Il vous suffit d’entrer dans Google et de saisir Google Scholar. Vous pouvez aussi y accéder directement en inscrivant l’URL http://scholar.google.com/. J’ai été surprise de constater que Google Scholar était moins utile que Google, c’est-à-dire que les articles que j’avais trouvés sur l’aponévrose plantaire étaient moins récents que ceux que j’avais trouvés à l’aide de la recherche Google. J’ai donc décidé de me rendre « directement à la source » et de voir ce qu’offrait PubMed.
3e étape: PubMed
PubMed est le moteur de recherche gratuit de la National Library of Medicine of the US National Institutes of Health: http://www.ncbi.nlm.nih.gov/sites/entrez?db=pubmed.
J’ai saisi « aponévrose plantaire » et j’ai été un peu surprise de ne trouver que 459 entrées. Puisque les citations de PubMed apparaissent normalement en ordre chronologique, les publications récentes en premier, j’ai décidé de faire une recherche d’articles publiés depuis 2005. Des 70 citations en anglais publiées en 2006 et 2007, huit étaient offertes gratuitement en texte intégral (et sans affiliation universitaire) et des résumés gratuits étaient offerts pour toutes ces citations. Deux de celles-ci, des essais cliniques aléatoires, semblaient intéressantes et pertinentes; j’ai donc téléchargé ces articles en format PDF et je les ai imprimés.12,13
CONCEPTION D’UN PLAN DE TRAITEMENT FONDÉ SUR LES PREUVES SCIENTIFIQUES
Bien que mes collègues en orthopédie m’aient recommandé des exercices d’étirement du mollet, deux des articles auxquels j’avais accédé suggéraient que des exercices d’étirement du fascia plantaire ciblant les tissus étaient supérieurs aux exercices d’étirement du mollet.9,13 Mes collègues avaient aussi recommandé d’insérer des prothèses dans mes chaussures afin de rectifier la « pronation excessive ». J’ai été ravie d’apprendre que, dans l’une des études,14 les prothèses préfabriquées (de série) s’étaient avérées similairement efficaces aux prothèses personnalisées, voire plus efficaces selon une autre étude,15 lorsqu’elles étaient combinées aux exercices d’étirement. Un ECA récent appuie l’utilisation de médicaments anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) dans le cadre d’une démarche de traitement conservatrice pour l’aponévrose plantaire.16
Même si j’ai été incapable de trouver des études qui examinent les effets de la diminution de l’intensité des activités de marche, spécialement le jogging et la marche récréative, sur la résolution des symptômes, la plupart des experts qui ont publié des études à ce sujet croient qu’ils sont des facteurs de déclenchement ou d’aggravation de l’aponévrose plantaire et mes antécédents personnels de jogging et de marche rythmée à raison de 20 à 25 milles par semaine semblaient corroborer ces dires.
Traitements pour lesquels le soutien de recherche est limité
Selon une étude méthodique de Cochrane de 2003 sur les interventions pour l’aponévrose plantaire, les preuves scientifiques étaient soit limitées soit contradictoires concernant l’utilisation des traitements suivants: corticostéroïdes topiques administrés par iontophorèse, thérapie à ondes de choc extra-corporéale de faible énergie, injections de corticostéroïdes et attelles de dorsiflexion pendant la nuit.17 Aucune preuve n’appuyait l’utilisation des ultrasons, la thérapie au laser de faible énergie ou des semelles intérieures magnétiques. Jusqu’à maintenant, on n’a effectué aucun essai pour déterminer les effets de la chirurgie sur la gestion de l’aponévrose plantaire.
Plan de traitement fondé sur les preuves scientifiques
Selon les preuves scientifiques qu’il m’a été donné de consulter lors de la lecture et de l’impression des résumés de recherches approuvés par les collègues et d’une demi-douzaine d’articles en texte intégral à l’accès gratuit, j’ai élaboré le plan de traitement suivant: 1) achat et insertion de prothèses dans les chaussures alliés à de nouvelles chaussures de course; 2) exécution d’exercices d’étirement du fascia plantaire ciblant les tissus, trois fois par jour en séances de dix exercices d’étirement de 10 secondes; 3) consommation de comprimés d’ibuprofène extra-puissant toutes les quatre heures de veille; 4) cessation du jogging jusqu’à la disparition de la douleur; et 5) diminution de la marche rythmée de 20-25 milles par semaine à 10-15 milles/semaine.
Idéalement, j’aurais dû délaisser la marche récréative pour d’autres sports à faible impact ou sans impact comme la randonnée à bicyclette ou la baignade jusqu’à ce que la douleur ait disparu. Cependant, étant donné que l’un des trois éléments de la médecine fondée sur les preuves scientifiques est l’incorporation des valeurs du patient,18 j’ai choisi de poursuivre les activités qui me tiennent le plus à cœur.
RÉSUMÉ ET RECOMMANDATIONS
L’objectif principal de cet éditorial est de démontrer comment un clinicien peut devenir un adepte de la pratique fondée sur les preuves scientifiques sans avoir accès à un système de recherche de bibliothèque universitaire. Bien que mes requêtes et la lecture et la digestion des recherches disponibles m’aient demandé un certain temps, je suis raisonnablement confiante que je peux maintenant devenir une physiothérapeute dont la pratique est fondée sur les preuves scientifiques pour le traitement des personnes atteintes d’aponévrose plantaire. Les techniques pour les exercices d’étirement du fascia plantaire ciblant les tissus sont décrites clairement dans au moins deux des articles auxquels j’avais accès gratuitement. Des photos démontrant la technique d’étirement accompagnaient aussi ces articles.10,13
Selon l’Oxford University Centre for Evidence-Based Medicine,18 la médecine fondée sur les preuves scientifiques (ou la pratique fondée sur les preuves scientifiques, PFPS) comporte la fusion des meilleures preuves de recherche disponibles à l’expertise clinique et aux valeurs pour le patient (qui doivent être intégrées dans les décisions cliniques). Bien que je sois loin d’être « experte clinique » en ce qui a trait à la gestion des troubles musculo-squelettiques chez l’adulte, comme l’aponévrose plantaire, j’ai eu la chance de pouvoir consulter des experts cliniques en matière de troubles cliniques et de combiner ces opinions aux meilleures preuves de recherche et à mes propres valeurs afin de poursuivre la marche récréative plutôt que d’autres types d’activité de loisirs.
L’aponévrose plantaire est une condition clinique relativement fréquente, spécialement pour les physiothérapeutes qui traitent les personnes atteintes de déficiences musculo-squelettiques. Mon but n’était pas d’éduquer les lecteurs sur le diagnostic et le traitement de l’aponévrose plantaire (j’espère y avoir quand même réussi un tout petit peu) mais bien de démontrer à quel point il est facile de devenir un clinicien adepte de la pratique fondée sur les preuves scientifiques sans avoir accès aux capacités de recherches universitaires.
Pour les conditions cliniques fréquentes (même rares) qui se présentent dans votre pratique quotidienne, j’encouragerais les lecteurs qui sont physiothérapeutes praticiens d’observer les étapes suivantes pour effectuer des recherches documentaires en vue d’obtenir les meilleures preuves de recherche disponibles: 1) accédez d’abord à PubMed et saisissez le nom de la maladie ou du trouble pertinent; 2) précisez la recherche en usant de stratégies comme « aponévrose plantaire ET traitement » ou « aponévrose plantaire ET diagnostic »); et 3) passez en revue et imprimez les résumés pertinents et les articles en texte intégral (ces derniers s’affichent en icônes de couleurs orange et vertes à gauche du titre de l’article). En commençant votre recherche par PubMed, vous serez assuré que la plupart des articles suggérés sont approuvés par les collègues.
Comme deuxième option, utilisez Google (ou Google Scholar) pour trouver d’autres renseignements sur la condition, en gardant à l’esprit que vous trouverez de nombreuses ressources qui n’ont pas été approuvées par les collègues mais vous pourrez aussi accéder à des articles spécifiques auxquels vous n’aviez pas accès dans PubMed.
J’invite tous les cliniciens qui essaient ces stratégies à écrire une lettre à la tribune libre et j’aimerais également que vous me fassiez part des succès que vous avez remportés ou des obstacles que vous avez rencontrés. Nous devons à notre profession, et de manière plus importante à nos patients, d’être les chefs de file du monde des soins de santé en démontrant notre capacité d’utiliser les preuves de recherche afin de prendre des décisions éclairées sur les soins que nous dispensons.
Footnotes
Note de la traductrice: La démarche a été effectuée en anglais et la traduction respecte le format de cette démarche.
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