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. 2020 May 20;178(7):690–694. [Article in French] doi: 10.1016/j.amp.2020.05.003

Psychopathologie de crise : chronique des tensions ordinaires en situation sanitaire extraordinaire. Phase 1 : la réorganisation anxieuse

Crisis psychopathology: Chronicle of ordinary tensions in an extraordinary health situation. Phase1: Anxious reorganization

Thomas Gilles 1
PMCID: PMC7237950  PMID: 32836299

Abstract

Les premiers mois de l’année 2020 sont marqués en France par une situation de crise sanitaire exceptionnelle. Dans l’urgence, l’ensemble des acteurs du soin sont appelés à se mobiliser afin de faire face à la crise. Entre l’angoisse liée à la contamination, les incertitudes concernant la menace, le réaménagement de l’outil de travail, la formation de nouvelles équipes et les modifications de la vie personnelle, les équipes hospitalières sont soumises à un effort d’adaptation majeur. Psychiatre exerçant au sein d’un hôpital d’instruction des armées (HIA) réorganisé pour faire face à la crise, nous avons interrompu la majeure partie de notre activité programmée pour nous rapprocher des services susceptibles d’accueillir des patients Covid afin de leur proposer un soutien psychologique. L’objet de ce propos est, après avoir fait l’inventaire des différents facteurs de stress que nous avons observés, de décrire les manifestations psychopathologiques individuelles et collectives constatées lors de cette période si particulière de préparation à la crise. Entre le normal et le pathologique, la mise en mot de cette psychopathologie ordinaire de l’exception nous paraît en effet être un préalable indispensable au maintien d’une distance nécessaire pour être thérapeutique et participer efficacement à la mise en place d’un dispositif de soutien psychologique adapté.

Mots clés: Adaptation, Covid-19, Crise, Psychopathologie, Stress

1. Introduction

Les troubles psychiques liés aux temps de crise sont bien connus des psychiatres militaires. Les guerres sont pourvoyeuses de nombreuses décompensations psychopathologiques dont la description sémiologique s’est affinée avec l’évolution des conflits et des idées. Ainsi, au « syndrome du vent du boulet » des chirurgiens de la Grande Armée a succédé « l’hypnose des batailles » de Millian qui décrivait ainsi, en référence aux théories de Charcot, les états stuporeux observés sur les champs de bataille lors de la Première Guerre mondiale. Lors de la Seconde Guerre mondiale, la littérature principalement anglo-saxonne différenciait le stress de combat (réaction aiguë et transitoire) de la fatigue de combat (épuisement progressif). Au lendemain de la guerre du Vietnam, le concept d’état de stress post-traumatique se diffusait dans la nosologie psychiatrique sous l’influence tout à la fois du lobbying des vétérans et de la diffusion du DSM-III [4]. En France, si le concept de névrose post-traumatique, pour reprendre la terminologie initiale d’Oppenheim, restait bien connu des psychiatres militaires, il était loin de recouvrir l’ensemble des manifestations psychiques observées durant et au décours des différents conflits qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale [5]. Dans les années 1990, la répétition des missions d’interposition entraîne la création d’un syndrome de stress du soldat de l’ONU qui se caractérise par la confrontation répétée à des scènes d’exaction avec un vécu d’impuissance dans un contexte de consignes de non-intervention. La notion de stress comme facteur de déstabilisation se décline alors dans les différents champs de la nosologie psychiatrique pour désigner les manifestations symptomatiques susceptibles d’être observées en missions extérieures (OPEX) [1]. Il s’agit de temps d’engagement courts (de quatre à six mois), avec une perturbation des repères habituels et une exposition permanente à des risques parfois peu prévisibles (ennemis mal identifiés, risque terroriste). Si les décompensations aiguës sont plutôt rares, représentées essentiellement par l’exacerbation et la décompensation d’un trouble anxieux [2], la clinique opérationnelle retient des manifestations cliniques pauci-symptomatiques témoignant de la tension psychologique de crise. Sont ainsi décrites des fluctuations thymiques, un raidissement caractériel à l’origine d’une radicalisation des relations interpersonnelles, une majoration de la consommation d’alcool, de café et de tabac, une exacerbation des demandes et une focalisation sur la mission au détriment des investissements antérieurs. Ces symptômes peuvent se décliner à l’échelon collectif, faisant le lit des rumeurs, des actes d’insubordination et majorant le risque de panique ou de désignation d’un bouc émissaire. Convoqué à l’interface de l’individuel et du collectif, attendu dans un rôle de soutien psychologique et de conseiller du commandement, le psychiatre militaire a le rôle de repérer ces manifestations symptomatiques tout en s’en dégageant.

Comme on peut le voir, ces situations d’OPEX comportent des caractéristiques communes avec la crise sanitaire que traverse actuellement la France. À savoir, une modification rapide de l’environnement professionnel et personnel, la lutte contre un ennemi invisible et mal défini, l’arrêt de toutes les activités programmées pour se concentrer uniquement sur les activités de crise. À l’hôpital comme en OPEX, les psychiatres sont convoqués auprès de leurs confrères somaticiens pour apporter un soutien psychologique. Il peut être difficile dans ce contexte de garder une bonne distance émotionnelle et de ne pas participer à l’embrasement généralisé qui anime l’ensemble du monde hospitalier. L’objectif de cet article est de rendre compte de ce travail de distanciation. À l’échelon du microcosme de la réorganisation d’un hôpital général, nous avons tenté d’identifier les facteurs de stress liés à la crise et les manifestations psychopathologiques qu’ils génèrent tant au niveau individuel et collectif. Il s’agit en quelque sorte de proposer une revisite de la psychopathologie ordinaire en situation extraordinaire à l’échelon hospitalier.

2. Déclaration de guerre et déclinaison du front

Le 16 mars 2020, dans une allocution télévisuelle, le Président de la République française déclare une guerre sanitaire. L’ensemble de la nation doit se mobiliser pour lutter contre la propagation d’un virus potentiellement mortel, le Covid-19, décrit pour la première fois en Chine quelques mois plus tôt. Les Français sont appelés au confinement. L’ensemble des lieux publics sont fermés. Seuls les commerces indispensables sont autorisés à rester ouverts. Les déplacements sont strictement réglementés et des mesures barrières sont prescrites. Les soignants sont sur le front.

En pratique, dans l’hôpital où nous exerçons, cela se traduit par l’arrêt de la plupart des activités programmées, l’augmentation de la capacité d’accueil en lits de réanimation, le réaménagement des urgences avec la définition d’un circuit pour les patients atteints du Covid-19 et la fermeture de certains services. Les personnels ainsi dégagés vont être réaffectés à de nouveaux postes et notamment à la gestion des ailes désignées pour accueillir les patients infectés. D’anciens personnels de l’hôpital sont rappelés et ils sont intégrés avec les volontaires qui se manifestent de tous côtés au sein de nouvelles équipes de travail fraîchement constituées. Les visites à l’intérieur de l’hôpital sont désormais interdites. On s’attend à devoir accueillir de nombreux patients à même de submerger les capacités de soin. Des recommandations sont émises par différentes sociétés savantes et différents comités éthiques afin de guider les médecins dans leur réflexion vis-à-vis des questions de limitation thérapeutique qui risquent de se poser. Les personnels sont formés dans l’urgence aux gestes élémentaires de protection et à la prise en charge des patients en détresse respiratoire. La vague est annoncée comme imminente. La télévision diffuse en permanence des images d’autres pays européens ou d’autres régions saturées par l’afflux de patient. Jour après jour, s’affiche au 20 heures le décompte macabre des victimes du virus. Une longue attente débute dans l’effervescence et l’anticipation anxieuse.

3. Stress et anxiété

Voici en quelques mots une présentation de la réorganisation de l’hôpital dans lequel nous exerçons. Parmi les facteurs de stress à même d’accroître la vulnérabilité psychique des personnels soignants, le premier que nous retiendrons est la perturbation de l’ensemble des repères habituels de la vie personnelle qui va se produire très rapidement après l’annonce présidentielle. Avec la fermeture des écoles et des commerces, chacun doit se réorganiser pour faire face aux problématiques de gardes d’enfants, de suivi des devoirs et de gestion du quotidien. Cet effort d’adaptation se produit dans un contexte où les solutions de repli usuelles sont disqualifiées (risque de contamination des grands-parents). Le sentiment d’urgence est accru du fait de la multiplication dans les jours précédents des mesures sanitaires. À cette période, s’observent dans de nombreux pays des comportements irrationnels comme le stockage massif de denrées alimentaires ou de produits de première nécessité.

Le deuxième que nous retenons est la confrontation à un danger imprécis, ubiquitaire et imminent. En effet, en ce début d’épidémie, les informations concernant le virus sont nombreuses et contradictoires. « Simple grippe » pour certains, taux de létalité imprécis, « inoffensif dans 90 % des cas », les discours et les avis d’experts se multiplient. Ce qui ne trompe pas par contre est le débordement sans précédent des capacités d’accueil sanitaire des différents pays qui y ont été exposés. À chaque fois le même scénario se produit : une explosion de cas graves simultanés. Il devient évident que la phase symptomatique est précédée d’une période asymptomatique de portage du virus. Désormais, chacune de nos interactions sociales devient suspecte.

C’est donc dans un climat de suspicion généralisée que les soignants se préparent à affronter l’épidémie. La crise est annoncée, dans un délai impossible à appréhender, « ce week-end ou le début de semaine prochaine » et elle est prévue pour durer. Des équipes nouvellement formées s’apprêtent à exercer des activités inhabituelles, ce qui majore le stress. Enfin, le port d’équipements de protection contraignants limite les possibilités de faire une pause, partager un moment de convivialité entre collègues, échanger un sourire. Entraver la propagation du virus nécessite d’encadrer et de limiter les liens sociaux, posant la question du réaménagement des relations.

Constituer des équipes, intégrer de nouveaux soignants, former les personnels aux gestes d’hygiène et au port des équipements de protection, réorganiser les plannings, réfléchir sur l’emploi des ressources, préparer les équipes à la gestion des situations de limitation de soin et enfin trouver et mettre en œuvre le matériel nécessite un effort d’organisation intense qui épuise les cadres. Cette tâche est d’autant plus difficile qu’elle se produit dans un contexte de tension des moyens en lien avec une politique sanitaire visant depuis plusieurs années à la diminution du nombre de lits.

Partout se profile l’angoisse du manque : de matériels, de personnels, de médicaments. Pour faire face à la pénurie, des mesures d’exception sont prises. Utilisation de matériels périmés, déstockage de réserves stratégiques ou de matériels réservés à la formation, mesures d’économies des traitements et des équipements de protection individuels, réutilisation de matériels à usage unique, etc. Les changements incessants de consignes déstabilisent des personnels soignants, ce qui accroît leur défiance vis-à-vis de l’autorité. Ce climat favorise la comparaison entre les différents services et la sensibilité aux inégalités dans la répartition des moyens.

L’arrêt des activités programmées vient rompre la routine du quotidien. L’hôpital vit désormais au rythme de l’urgence dans une sorte de sur-adaptation permanente. Cette rupture dans l’organisation temporelle habituelle génère des temps d’attente, une frustration des services moins impliqués dans la gestion de la crise et dont l’activité est mise en stand-by et un risque d’inadéquation des moyens en réponse à une demande impossible à évaluer. Cette désorganisation du quotidien vient faire écho à l’absence de possibilités d’anticipation dans la sphère privée. La prolongation sine die de la durée du confinement, la mondialisation progressive de la crise, l’angoisse du manque qui vient progressivement toucher tous les secteurs d’activité se conjuguent pour réduire l’horizon temporel. La vie de la plupart des soignants pour lesquels les congés ont été suspendus est désormais réduite à une longue journée monotone, partagée entre le travail et le confinement à domicile sans possibilité de prévoir des pauses et des moments d’aération.

L’arrivée des premiers patients vient mettre à l’épreuve ce dispositif. Des personnes venues de tous horizons vont travailler ensemble et se confronter à l’inconnu de la gestion du virus. Si les orientations et les conduites à tenir ont été pensées en avance, la réalité de la confrontation à la maladie vient révéler les failles et les limites du dispositif. Que faire des interrogations des familles, comment communiquer avec elles, comment leur permettre d’accompagner les patients en fin de vie, comment gérer l’angoisse des patients et ce d’autant plus qu’ils ont parfois été transférés d’hôpitaux lointains submergés par une augmentation brutale des cas. Nous nous proposons d’aborder ces questions dans un prochain article plus centré sur la gestion de crise.

4. Manifestations symptomatiques

4.1. Sur le plan individuel

Les manifestations anxieuses favorisées tout à la fois par l’effort d’adaptation et l’insécurité liée à la situation sont au premier plan. Plus que de véritables décompensations, nous observerons une accentuation de traits de personnalité. Ainsi, chez de nombreux soignants, nous constaterons une multiplication des rituels de vérification et des conduites de réassurance sous-tendues par la crainte d’une contamination. Ces conduites pourront avoir un retentissement somatique, à type par exemple de lésions cutanées des mains liées à une utilisation trop répétée du gel hydro-alcoolique.

Dans le domaine des préoccupations anxieuses, les préoccupations somatiques sont au premier plan. Les symptômes physiques fréquemment décrits sont une sensation d’oppression thoracique, une fatigue, une dyspnée d’effort. Ils ne diffèrent pas de ceux habituellement observés dans les syndromes anxieux mais témoignent d’une attention accrue au fonctionnement corporel.

Si, chez certains soignants, l’angoisse apparaît déstabilisante avec une sorte de sidération des capacités de décision, chez d’autres, et notamment chez les cadres, nous avons pu observer un état discrètement euphorique avec agressivité. La multiplication des demandes, l’ampleur de la tâche, les enjeux tant politiques que médiatiques liés à la gestion de la crise, la multiplication des moyens de communication réduisant l’écart entre vie professionnelle et privée et l’urgence perçue de la situation se conjuguent alors pour entretenir cette sub-excitation permanente.

Dans ce contexte, les troubles du sommeil sont fréquents et ce d’autant plus que le confinement réduit les possibilités d’exercice physique alors qu’augmente considérablement la consommation de substances psychotropes, café et tabac en tête. Par ailleurs, la perturbation des rythmes habituels multiplie les moments d’attente propices au grignotage. Dans les différents services, les boîtes de friandises et de chocolats se multiplient.

Les troubles des conduites hétéro-agressifs que nous observons sont rares. On constate plutôt une résolution rapide des conflits interpersonnels larvés sur le mode du rapport de force avant que ne se mette en place un travail de collaboration. D’autres formes de trouble des conduites sont moins visibles. Ainsi, si certaines personnes appliquent scrupuleusement les gestes barrières et veillent à ce qu’ils soient respectés, d’autres, dans une sorte de déni du risque et du danger s’exposent plus ou moins ouvertement au risque d’une contamination rapide. Enfin, nous n’avons pas eu dans notre établissement de problème de vol de masque ou de gel hydro-alcoolique mais cela a pu être rapporté dans d’autres établissements.

4.2. Sur le plan collectif

Nous n’avons pas eu l’occasion de constater les troubles psychiques habituellement décrits dans les situations de catastrophe comme la panique, l’exode ou la désignation de bouc émissaire [3].

Les manifestations symptomatiques collectives se sont plutôt caractérisées par l’impératif de recréer du lien social à travers notamment l’usage intensif des réseaux sociaux. Outre la diffusion de médias (images, clips, maximes) à caractère humoristique, on notait la diffusion de médias témoignant d’une recherche de sens à l’épidémie (vengeance de la vie, complots financiers, interrogations éthiques et sociétales diverses, etc.), mais également d’une recherche de responsabilité (surproduction, malbouffe, impréparation des pouvoirs publics, etc.).

Cette utilisation massive des réseaux sociaux faisait le lit de rumeurs diverses et ce d’autant plus que les outils numériques destinés à l’usage du grand public ont été largement utilisés à des fins professionnelles (création de groupe de discussion), car ils étaient plus accessibles et plus ergonomiques que les outils professionnels dédiés. La multiplication des médias et le mélange entre privé et professionnel ont généré une masse considérable d’informations qu’il était particulièrement difficile de trier et ce d’autant plus que ces médias récréatifs étaient également utilisés dans une perspective informative.

Ainsi, parmi les préoccupations fréquentes sont apparues de nombreuses spéculations concernant la durée de la crise, du confinement et la date de survenue du pic épidémique. Or, une des lacunes de la pensée scientifique expérimentale est sa faible capacité prédictive devant un phénomène nouveau. En effet, les modèles mathématiques s’alimentent de l’observation de la fréquence d’un phénomène et si les caractéristiques de la diffusion d’une épidémie sont connues, encore faut-il savoir un minimum d’information fiable sur le virus (signes cliniques, durée d’incubation, mode de transmission). C’est pourquoi la science face à la nouveauté teste, tâtonne, émet des hypothèses qu’elle valide ou non par l’expérience. Cette démarche scientifique est souvent assez peu accessible au grand public plutôt habitué à fonctionner avec des certitudes. Cette problématique se décline également chez les soignants qui se sont mis très rapidement à la recherche de consensus, d’avis d’expert et de thérapeutiques innovantes. La nécessité d’agir vite a entraîné la publication de résultats très préliminaires et des prescriptions de traitement hors AMM qui ont alimenté de nombreuses controverses dont se sont saisis l’opinion publique et les pouvoirs politiques. Des autorités morales et scientifiques de toutes parts ont alors été sollicitées, multipliant les avis d’expert et les prises de position basées malheureusement plus souvent sur la conviction personnelle que sur les faits scientifiques. Ainsi, dans le domaine du soutien psychologique on a vu paraître de multiples recommandations qui sur un mode prescriptif diffusaient les principes du bon confinement sans qu’à aucun moment on se questionne sur la légitimité de telles recommandations devant l’absolue nouveauté de la situation à l’échelle nationale limitant de fait la compétence des experts consultés… Reconnaissons au moins qu’elles ont permis de rappeler auprès du grand public quelques règles de bon sens tout en témoignant de la prise en compte de la dimension psychologique de la crise par les autorités sanitaires.

Enfin, de nombreuses initiatives de soutien psychologique ou non aux soignants se sont multipliées à l’échelon national, régional ou local créant une certaine redondance dans l’offre de soins et de services (multiplication des numéros d’appels pour les familles, les soignants, les patients d’initiatives, privées, publiques, associatifs, dons divers, dépôts de nourriture, etc.).

5. Distance et mesure

Nous avons été appelés à proposer un soutien psychologique aux services cliniques qui devaient hospitaliser des patients atteints du Covid. L’objectif de ce chapitre n’est pas de présenter les mesures mises en place qui sont probablement similaires à la plupart des initiatives proposées dans de nombreux autres établissements, mais plutôt de présenter la réflexion qui a concouru à leur élaboration.

Avant toute chose, afin de répondre à la demande sans participer à l’emballement émotionnel ambiant, nous avons proposé une phase diagnostic permettant d’identifier les différents services concernés, leur charge de travail et leur vulnérabilité (équipes nouvellement constituées, risque d’exposition répétée à des décès, charge de travail inadaptée, tâche inhabituelle, etc.). Ce diagnostic initial a été réalisé à partir de réunions permettant aux services d’exprimer leur demande mais également par des visites au contact des équipes afin de constater sur place et de visu les problèmes posés. Cette phase a aussi été l’occasion de lister le public concerné par les dispositifs de soutien psychologique (patients, familles, soignants, cadres) tout en faisant l’inventaire des moyens et en adaptant notre activité aux contraintes du confinement.

Suite à cette évaluation ont été proposés différents dispositifs (maraudes, débriefings, groupes de relaxation, numéro d’appel unique de soutien psychologique, etc.). Il s’agissait de proposer une réponse mesurée et graduée, qui soit adaptée aux moyens du service, qui permette la poursuite des activités cliniques régaliennes et qui enfin soit compatible avec un déploiement dans la durée. En effet, devant l’absence de possibilité d’évaluer la durée de la crise, il nous a paru utile de tempérer les ardeurs initiales, canaliser les bonnes volontés et proposer un dispositif souple et évaluable en fonction de la charge de travail. Enfin, nous n’avons pas souhaité émettre de recommandations afin de ne pas participer à la multiplication des injonctions de toutes sortes qui parvenaient tout à la fois à se multiplier et à se contredire en un temps record.

Une fois l’offre de soutien psychologique définie, nous avons réalisé une communication la plus claire et la plus concise possible qui définissait clairement le public concerné et indiquait de manière précise les modalités de contact et de mise en œuvre des soutiens proposés.

Enfin, nous avons mis en place différents indicateurs permettant d’évaluer la manière dont les dispositifs étaient investis par les différents soignants ainsi qu’une réunion hebdomadaire de concertation permettant d’animer le réseau, de réfléchir à l’offre de soin et d’adapter la réponse.

6. Conclusion

Au terme de ce travail écrit au fil de l’eau, nous avons voulu rendre compte de la psychopathologie si singulière de cette crise sanitaire, dans ses dimensions tant individuelles que collectives, à partir de l’exemple de la réorganisation d’un hôpital général. Il s’agit tout à la fois d’apporter un témoignage mais également de souligner différents phénomènes cliniques auxquels le lecteur aura probablement été soumis sans toujours en prendre conscience, pris lui-même dans l’ambiance émotionnelle de la crise. Ce travail de distanciation nous a paru nécessaire pour proposer une réponse graduée et adaptée en se concentrant sur notre cœur de métier, sans céder à la tentation de vouloir endosser le rôle d’expert du soutien psychologique qui nous était proposé. Nous pensons que ce témoignage peut être utile pour anticiper d’autres crises et participer à l’élaboration d’une doctrine. Nous avons pour ambition de le poursuivre dans un deuxième article présenté sur le même modèle qui viendra rendre compte des manifestations cliniques de la période d’usure progressive liée à une crise qui s’installe dans la durée.

Déclaration de liens d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références

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