La RESP publie dans ce numéro une tribune qui porte sur la mesure des disparités ethno-raciales de santé [1]. Le sujet est particulièrement d’actualité dans le cadre de la pandémie de COVID-19 et la surmortalité qu’elle engendre, surreprésentant les minorités ethniques dans de nombreux pays, et surreprésentant les personnes nées à l’étranger en France. Cette question n’est pas qu’un pur sujet descriptif, car des interventions de prévention, ciblées par exemple auprès de certaines communautés, sont susceptibles de limiter les conséquences tragiques de cette crise sans précédent récent. Et les données sont nécessaires pour démêler les enjeux spécifiquement liés aux caractéristiques ethno-raciales (migratoires, culturelles, liées à des discriminations, génétiques…), des enjeux entremêlés liés aux caractéristiques socio-économiques (conditions de travail, logements surpeuplés, contexte résidentiel…) [2].
Le débat est ancien et récurent de savoir s’il faut se donner les moyens d’une mesure plus systématique et objectivée des disparités ethno-raciales de santé, pour pouvoir identifier efficacement les mesures permettant de les limiter. Nous avons jugé utile de revenir sur certains points saillants des enjeux statistiques et éthiques qu’il soulève.
Sur un plan purement statistique, pour évaluer les disparités ethno-raciales en France les difficultés sont nombreuses et connues. On sait par exemple qu’il est difficile d’éviter le biais numérateur/dénominateur pour calculer des taux de mortalité, mesure phare en épidémiologie. En prenant comme numérateur le nombre de décès par pays de naissance (le proxy des catégories ethno-raciales le plus aisé à recueillir et objectivable) déclarés à l’état civil, et comme dénominateur les populations selon le pays de naissance déclarées au recensement du vivant de ces personnes, il existe des sources de biais spécifiques. Le plus connu est le retour en fin de vie dans leur pays de naissance, des personnes nées à l’étranger, mais il est également probable que ces informations soient déclarées différemment à l’état civil et au recensement, comme cela a déjà été identifié pour la Profession et Catégorie Socioprofessionnelle [3]. En retenant des catégories moins objectivées et/ou autodéclarées, au-delà du fait que les concepts créés font eux-mêmes l’objet de débats [4], ces biais sont susceptibles d’être plus marqués encore. Les limites de ces approches plaident pour un recours aux approches chaînées, dans le cadre d’analyses longitudinales. Sur ce plan, aussi bien pour mesurer les disparités ethno-raciales que les disparités socio-économiques de santé, le système statistique français souffre du cloisonnement des données, avec d’un côté celles produites par l’Insee et de l’autre celles produites par le secteur de la santé. De plus, les réglementations encadrant ces données ne sont pas harmonisées, et les organismes chargées de les appliquer ne sont pas coordonnés, avec d’un côté le Comité du secret statistique et de l’autre le Comité éthique et scientifique pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé (CESREES). Les lois et réorganisations récentes, comme la loi pour une République numérique de 2018, ou le titre III de la loi santé de 2019, ne sont pas parvenues à faire évoluer cette situation inextricable pour les chercheurs.
Sur le plan éthique, il est juste de rappeler, comme le fait cette tribune, que ces statistiques ont un statut particulier. La centralisation systématique d’informations définissant des catégories ethniques, raciales, ou religieuses sur les personnes, qui garantiraient la production de résultats rapides et avec la meilleure puissance statistique, représente un danger dans un pays comme la France, au regard du risque de divulgation et d’utilisation à des fins de politiques discriminatoires. Par ailleurs, même sans accéder aux données individuelles, ces statistiques sont particulièrement susceptibles d’être aussi bien utilisées pour dénoncer des inégalités et trouver des moyens de les réduire, que pour stigmatiser des populations ou les considérer comme responsables d’une situation sanitaire. Sans les rendre impossibles, il est donc nécessaire d’encadrer la constitution et l’utilisation de fichiers contenant ces données, aussi bien sur les plans de la sécurité informatique que des garanties portant sur la pertinence et la gouvernance des traitements réalisés.
Sur ces sujets aussi bien technico-scientifiques que juridico-éthiques, les chercheurs sont souvent démunis, et les infrastructures d’accompagnement et de support sont insuffisamment développées, leur donnant le sentiment que les exigences attendues constituent une forme de barrière infranchissable, une impossibilité d’avancer. Pour traiter de façon réactive ces enjeux de connaissance particulièrement importants pour la santé publique et scientifiquement délicats, il semble donc urgent de décloisonner la statistique publique et les données de santé.
Déclaration de liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
- 1.Melchior M., Desgrées du Lou A., Gosselin A., Geetanjali D., Carabali M., Merckx J., et al. A quand une prise en compte des disparités ethno-raciales vis-à-vis de l’infection à COVID-19 en France? Rev Epidemiol Sante Publique. 2021 doi: 10.1016/j.respe.2021.01.006. [In press] [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 2.Gross C.P., Essien U.R., Pasha S., Gross J.R., Wang S., Nunez-Smith M. Racial and Ethnic Disparities in Population Level Covid-19 Mortality. MedRxiv. 2020 doi: 10.1007/s11606-020-06081-w. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 3.Rey G., Rican S., Luce D., Menvielle G., Jougla E. Measuring social inequalities in cause-specific mortality in France: comparison between linked and unlinked approaches. Rev Dépidémiologie Santé Publique. 2013;61(3):221–231. doi: 10.1016/j.respe.2012.11.004. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 4.Aspinall P.J. BAME (black, Asian and minority ethnic): the ‘new normal’ in collective terminology. J Epidemiol Community Health. 2021;75(2):107. doi: 10.1136/jech-2020-215504. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
