L’équité en santé ne peut pas être atteinte sans données probantes équitables, qui ne sont toutefois pas bien réparties entre les groupes raciaux et ethniques. Par exemple, sur plus de 20 000 essais cliniques réalisés aux États-Unis entre 2000 et 2020, moins de la moitié ont comparé les résultats entre différents groupes ethniques et raciaux, et le recrutement y était peu représentatif de la composition démographique de la population1. Les lacunes dans la littérature médicale qui en résultent ont pour effet de générer des structures de soins de santé qui privilégient les populations blanches et en défavorisent d’autres.
Dans plusieurs pays à revenu élevé, dont le Canada, le racisme, qui ne date pas d’hier, a infiltré les soins de santé ainsi que la recherche en santé. Parmi les exemples, notons l’étude de Tuskegee sur la syphilis, où 600 hommes noirs ont été mal informés pendant des décennies au sujet des traitements qu’ils recevaient2, et des études canadiennes, où l’on a laissé des enfants autochtones vivant dans les pensionnats souffrir des effets de la malnutrition3. Aujourd’hui encore, la recherche en santé perpétue cette longue histoire de discrimination raciale en sous-déclarant le racisme, la race et l’ethnie.
Le JAMC a contribué à ces inégalités en publiant du contenu qui ne mentionnait pas la race et l’ethnie alors que cette information était cliniquement pertinente. C’est pourquoi nous vous présentons un nouveau guide sur la déclaration de la race et de l’ethnie dans les manuscrits de recherche soumis au JAMC (encadré 1). Dorénavant, nous demanderons aux auteurs qui souhaitent nous soumettre un article de suivre ce guide.
Boîte 1: Guide sur la déclaration de la race et de l’ethnie dans les articles de recherche publiés par leJAMC
Les articles soumis pour publication dans le JAMC doivent respecter les lignes directrices suivantes:
Le JAMC encourage la collecte, l’analyse et la déclaration de données sur la race et l’ethnie des participants et participantes pour fournir des données probantes concernant les effets sur la santé ainsi que les disparités et les inégalités en matière de santé vécus par différents groupes raciaux et ethniques.
Le JAMC préconise la représentation, comme partenaires de l’étude, cochercheurs et coauteurs, de personnes appartenant à des groupes raciaux et ethniques touchés par le domaine de la santé à l’étude, particulièrement lors de recherches sur le racisme, la race et l’ethnie comme déterminants de la santé.
Les auteurs doivent expliquer le but et la pertinence de la collecte, de l’analyse et de la déclaration de données sur la race ou l’ethnie dans leur étude, et ce que ces 2 concepts représentent dans le contexte de la question de recherche.
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Les auteurs doivent déclarer la race et l’ethnie avec les autres données démographiques de la population étudiée.
La race et l’ethnie doivent figurer avec les autres variables recueillies et analysées dans la section Méthodes.
La race et l’ethnie doivent être rapportées avec les autres variables démographiques dans un tableau et résumées au début de la section Résultats.
Comme la race et l’ethnie sont avant tout des constructions sociales, les études qui en font l’analyse doivent s’efforcer d’en explorer aussi les effets en contexte d’autres variables et structures sociodémographiques.
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Dans la section Méthodes, les auteurs doivent décrire la façon dont ont été déterminées la race et l’ethnie des participants et participantes, et par qui (p. ex., « les participants et participantes ont déclaré leur appartenance à une des 12 catégories indiquées dans la version de 2019 de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes…»).
Les auteurs doivent préciser si la race et l’ethnie ont fait l’objet d’une autodéclaration par les participants et participantes ou si elles ont été établies par une tierce personne et, le cas échéant, pourquoi l’autodéclaration n’a pas été utilisée.
Les auteurs doivent indiquer si les choix offerts aux participants et participantes pour l’autodéclaration de la race ou de l’ethnie étaient sous forme de question ouverte ou établis selon des catégories fixes (et énumérer les catégories offertes, le cas échéant), et si les participants et participantes pouvaient indiquer appartenir à plus d’un groupe racial ou ethnique.
Chaque fois que des facteurs externes déterminent ou contraignent les catégories raciales et ethniques (p. ex., législation gouvernementale) ou que les données ont été recueillies dans un autre but que celui de l’étude, les auteurs doivent l’indiquer.
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La race et l’ethnie étant des constructions sociales, elles ne devraient pas être présentées comme substituts indépendants aux variations biologiques ou génétiques ou à l’ascendance génétique.
Les recherches étudiant des hypothèses génétiques exigent une collecte, une analyse et une déclaration de données génétiques.
Même si des prédispositions génétiques ou biologiques à certaines maladies peuvent être liées à des groupes raciaux et ethniques précis, les chercheurs ne doivent pas exclure les participants et participantes autrement admissibles d’autres groupes susceptibles de présenter la maladie, car une telle exclusion pourrait aggraver la sous-détection de ces maladies dans ces groupes.
Les algorithmes fondés sur la race (p. ex., « facteur de correction » de la clairance de la créatinine pour les personnes noires) ne devraient pas être utilisés, car les « outils de correction raciale » simplifient généralement à outrance les analyses, créant ainsi un potentiel d’inégalités et de préjudices.
Exceptionnellement, dans les cas où les caractéristiques génétiques sont liées de très près à la race et l’ethnie (p. ex., l’association entre la pigmentation de la peau et le taux de vitamine D), la justification et la validité de l’utilisation de la race et de l’ethnie comme substituts biologiques doivent être clairement expliquées et démontrées.
Les auteurs doivent décrire comment leur position et leur identité sociales, notamment leur race et leur ethnie ainsi que leur interaction avec d’autres facteurs, peuvent avoir influencé la collecte, l’analyse et l’interprétation des données, et de quelle façon les chercheurs ont composé avec les rapports de force tout au long du processus de recherche.
Dans la section Interprétation, concernant les études axées sur les liens entre les résultats cliniques, la race et l’ethnie, les auteurs doivent discuter de la façon dont leurs résultats illustrent l’intersection de la race et de l’ethnie avec d’autres facteurs démographiques dans le domaine de la santé à l’étude, le rôle qu’y joue le racisme structurel et comment il pourrait être éliminé.
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Les auteurs doivent utiliser un langage approprié, précis et respectueux pour décrire les participants et participantes et éviter d’utiliser une terminologie pouvant stigmatiser les participants et participantes.
Les termes laissant croire à une hiérarchie entre les races (p. ex., « non-Blancs ») doivent être évités pour être remplacés par les termes à privilégier (p. ex., populations « mal desservies » ou « sous-représentées », « groupes historiquement marginalisés ») appropriés au contexte.
Dans les tableaux, la liste des groupes raciaux et ethniques doit se fonder sur une justification empirique plutôt que laisser croire à une hiérarchie (p. ex., « Blanc » ne devrait pas apparaître automatiquement en premier).
Il faut privilégier une désignation des catégories raciales et ethniques aussi précise qu’appropriée au contexte de l’étude plutôt que des catégories collectives (p. ex., « indienne » pourrait être acceptable dans certains contextes de recherche, mais dans d’autres, « pendjabie » ou « malayali » pourrait être plus appropriées; « asiatique » a généralement un sens trop large).
Au besoin et si approprié, il est acceptable de rassembler des groupes raciaux et ethniques pour l’analyse, mais les auteurs doivent expliquer et justifier la façon dont ce rassemblement est effectué et veiller à ce que chaque groupe soit clairement identifié dans chaque catégorie.
Les termes ethniques et raciaux doivent être utilisés sous forme adjectivale plutôt que nominale (p. ex., « les personnes hispaniques » et non « les Hispaniques »).
On doit mettre la majuscule aux noms des groupes raciaux, ethniques et tribaux.
Les auteurs doivent utiliser les noms privilégiés modernes des groupes raciaux et ethniques (p. ex., « Blancs » et non « Caucasiens »).
Les noms de groupes raciaux et ethniques privilégiés pouvant différer et évoluer, les auteurs doivent se laisser guider autant que possible par les préférences des participants et participantes quant à l’identité exprimée.
Pour créer ce nouveau guide, nous nous sommes penchés sur les sources sur lesquelles s’appuient le style éditorial global de présentation du JAMC, dont les Recommandations pour la conduite, la présentation, la rédaction et la publication des travaux de recherche soumis à des revues médicales de l’International Committee of Medical Journal Editors (ICMJE)4 et l’American Medical Association (AMA) Manual of Style5. Nous avons également mené des recherches dans les publications, la littérature grise et sur les sites Web d’autres revues médicales pour en dégager des recommandations concernant la déclaration de la race et de l’ethnie dans les publications médicales. Nous avons combiné les recommandations de ces sources de référence aux résultats d’une réflexion sur nos propres expériences des manuscrits soumis au JAMC pour rédiger des lignes directrices à l’intention des auteurs. Nous avons ensuite raffiné ces lignes directrices en les soumettant à des discussions de groupe avec les rédacteurs du JAMC, pour ensuite soumettre cette version provisoire à une vaste consultation d’experts en recherche et en politiques spécialistes des liens entre la santé, la race et l’ethnie. À la suggestion d’un des experts examinateurs, nous avons également invité le public à commenter cette version sur une période de 3 mois, en 2022, au moyen de publicités diffusées sur notre site Web et dans les numéros imprimés et les réseaux sociaux, ainsi que de courriels aux abonnés du JAMC. Les commentaires reçus, ainsi que nos réponses aux examinateurs (accessibles en anglais à l’annexe 1 ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.230144/tab-related-content]), ont mené à des changements importants dans la formulation, la clarté et les objectifs du guide, présents dans la version définitive.
L’objectif de ce guide est non seulement d’améliorer et de normaliser la déclaration de la race et de l’ethnie dans les articles du JAMC, mais aussi d’élargir la base de données probantes afin que les professionnels de la santé, les responsables des orientations politiques et, plus important encore, les patients sachent que tous y sont inclus, y compris les personnes faisant face des obstacles à l’accès optimal aux soins. Si l’on veut atteindre cet objectif, ce guide doit s’appliquer à toutes les publications soumises au JAMC, et non seulement à celles portant spécifiquement sur la race ou l’ethnie. L’étude de questions liées aux maladies et à leur traitement, ou encore à l’efficacité du système de santé doit toujours tenir compte de la façon dont les données fondées sur la race et l’ethnie sont traitées. Par conséquent, nous recommandons à tous les chercheurs d’acquérir les compétences nécessaires pour évaluer de façon appropriée les liens entre la race, l’ethnie et la santé. C’est pourquoi nous inviterons les auteurs de manuscrits de recherche à décrire, lors de la soumission, de quelle façon leur recherche est représentative de la diversité des groupes raciaux et ethniques touchés par la question de recherche à l’étude et à aller au-delà du cadre de la race et de l’ethnie pour discuter de la façon dont le racisme pourrait se refléter dans leurs résultats. C’est ainsi que notre guide aspire à être antiraciste, anticolonial et anti-oppressif. Bien qu’il ait été conçu en pensant à la section sur la recherche du JAMC, nous appliquerons, lorsque les circonstances s’y prêtent, des principes similaires aux articles des autres sections. Notre approche s’apparente aux mesures prises par les principaux organismes subventionnaires, comme les Instituts de recherche en santé du Canada, pour veiller à assurer une représentation adéquate des sexes et des genres dans la recherche en santé6.
Le JAMC emploiera les définitions de la race et de l’ethnie utilisées par l’Institut canadien d’information sur la santé7, sauf indication contraire. La race est une construction sociale utilisée pour juger et catégoriser les personnes selon des différences perçues dans l’apparence physique de manière à créer et à maintenir des écarts de pouvoir dans les hiérarchies sociales. L’ethnie est un concept multidimensionnel qui fait référence à l’appartenance à une collectivité ou à un groupe culturel. L’ethnie est liée aux caractéristiques sociodémographiques, entre autres la langue, la religion, l’origine géographique, la nationalité, les traditions culturelles, l’ascendance et l’histoire migratoire. Nous avons choisi ces définitions parce qu’elles ont été conçues pour être utilisées dans des études observationnelles avec de larges bases de données, soit le type de recherches publiées le plus couramment par le JAMC. Nous accepterons l’utilisation d’autres définitions de ces constructions dans des publications du JAMC, à condition qu’elles soient expliquées et justifiées.
Notre guide se fonde sur la science. Il met donc l’accent sur la notion que la race et l’ethnie ne sont pas des constructions génétiques ou biologiques, mais plutôt sociales et culturelles, et cherche à éliminer la recherche qui appuierait des pratiques incompatibles avec ce concept (p. ex., l’utilisation d’« outils de correction raciale »). Il tient également compte des dimensions intersectionnelles de la race, de l’ethnie et du racisme, dimensions qui n’existent généralement pas isolément, mais plutôt en interaction avec d’autres variables pour produire et reproduire des inégalités. Qui plus est, le guide met l’accent sur l’autonomie et la capacité d’agir des participants dans la définition de leur propre identité. Il vise à respecter les auteurs et reconnaît les multiples contextes pouvant influencer la conception de la recherche, son analyse et la déclaration de ses résultats. Par exemple, dans le cadre de questions de recherche axées principalement sur des effets à l’échelle d’un groupe ou d’une population, il serait impossible d’analyser les résultats pour tous les groupes raciaux ou ethniques auxquels les participants s’identifient.
Bien que nous considérions que nombre des principes exprimés dans ce guide s’appliqueraient aussi aux recherches parmi les populations autochtones, nous reconnaissons que l’identité autochtone se distingue de façon importante de la race et de l’ethnie. Par conséquent, le JAMC prévoit élaborer un guide distinct pour la déclaration de résultats de recherches en santé avec des participants et participantes autochtones.
Le vocabulaire à utiliser de préférence pour parler des groupes raciaux et ethniques évolue, et nous nous attendons à ce que les concepts sous-tendant notre style éditorial suivent cette évolution. Nous demeurerons attentifs à la façon dont le guide sera utilisé et perçu ainsi qu’à son influence sur le contenu publié par le JAMC. Nous espérons que ce document contribuera de façon significative à une meilleure conception de la recherche en santé et des communications sur le sujet, offrant ainsi de meilleurs renseignements et résultats pour tous.
Supplementary Material
Remerciements
Nous sommes redevables aux examinateurs externes pour leurs précieux commentaires et recommandations nous ayant permis de créer la version définitive de ce guide: Laura Arbour, Jude Mary Cénat, Barbara Hamilton-Hinch, Régine King, Jeffrey Kwong, Saleem Razack, Baiju Shah et Arjumand Siddiqi. Nous souhaitons aussi remercier tous les commentateurs du public pour leur point de vue. Enfin, nous souhaitons exprimer notre gratitude envers les autres membres de l’équipe du JAMC ayant participé à l’élaboration de ce guide: Wendy Carroll, Josephine Etowa, Diane Kelsall, Andreas Laupacis, Andrew McRae, Kirsten Patrick, Savita Rani, Erin Russell et Meredith Weinhold.
Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.230144
Footnotes
Intérêts concurrents: www.cmaj.ca/staff
Références
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- 3.Hyett S, Marjerrison S, Gabel C. Improving health research among Indigenous Peoples in Canada. CMAJ 2018;190:E616–21. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 4.Recommendations for the conduct, reporting, editing, and publication of scholarly work in medical journals. International Committee of Medical Journal Editors; updated May 2022. Accessible ici: https://www.icmje.org/recommendations (consulté le 16 janv. 2023). [PubMed] [Google Scholar]
- 5.Flanagin A, Frey T, Christiansen SL; AMA Manual of Style Committee. Updated guidance on the reporting of race and ethnicity in medical and science journals. JAMA 2021;326:621–7. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 6.Sex and gender in health research. Ottawa: Canadian Institutes of Health Research; modified 2021 June 8. Accessible ici: https://cihr-irsc.gc.ca/e/50833.html (consulté le 16 janv. 2023). [Google Scholar]
- 7.Guidance on the use of standards for race-based and Indigenous identity data collection and health reporting in Canada. Ottawa: Canadian Institute for Health Information; 2022. Accessible ici: https://www.cihi.ca/sites/default/files/document/guidance-and-standards-for-race-based-and-indigenous-identity-data-en.pdf (consulté le 16 janv. 2023). [Google Scholar]
Associated Data
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