Abstract
Since 2001, several indicators of religiosity in Quebec show a loss of the dominant configuration of cultural Catholicism since the 1960s. The arrival of new generations is one of the causes of this transformation. A new regime of religiosity is at stake, of which the rise of the non-religious is one of the visible manifestations. But this is only one pole. At the other end of the spectrum are also strongly committed and churchgoers Catholics, with an assumed and asserted religious identity. The life stories of these new “virtuosos”, collected as part of a research project on cultural Catholicism in Quebec, reveal the contours of this reshaping and its narrative framework. By describing and analyzing it, this article seeks to grasp what this figure of the virtuoso tells us about contemporary Quebec Catholicism. In this context, a new form of Catholic religiosity centered on feeling is emerging.
Keywords: Catholicism, Cultural Catholicism, Life history, Quebec, Religiosity, Sociology of religions, Religious virtuoso
Résumé
Depuis 2001, plusieurs indicateurs de la religiosité au Québec montrent un essoufflement de la configuration dominante que constitue depuis les années 1960 le catholicisme culturel. L’entrée en scène de nouvelles générations est à placer au nombre des causes de cette transformation. S’y joue la mise en place d’un nouveau régime de religiosité, dont la montée des sans-religions est l’une des manifestations visibles. Mais il ne s’agit là que d’un pôle. À l’autre bout du spectre se retrouvent également des catholiques fortement engagés, à l’identité religieuse assumée et revendiquée. Recueillis dans le cadre d’une recherche portant sur le catholicisme culturel au Québec, les récits de vie de ces nouveaux « virtuoses » donnent à voir comment opère cette recomposition et quelle en est la trame narrative. En la décrivant et en l’analysant, le présent article cherche à saisir ce que cette figure du virtuose nous apprend du catholicisme québécois contemporain.
Mots-clés: Catholicisme, catholicisme culturel, histoire de vie, Québec, religiosité, sociologie des religions, virtuose
Introduction
La transformation du rapport des Québécois à la religion au cours des dernières décennies a surtout été comprise en termes de recul et d’effritement, comme s’il n’y avait qu’un seul mouvement, unidirectionnel, vers une sortie de la religion. Bien que les principaux indicateurs de religiosités tendent à confirmer ce scénario, la réalité s’avère néanmoins plus complexe. S’il y a désaffiliation, affaiblissement, délitement comme le disent certains, il y a également déplacement, reconfiguration, dynamisme paradoxal, voire redéfinition. C’est à tout le moins ce que nous invitent à explorer les données amassées dans le cadre d’un projet de recherche portant sur la fin de la religion culturelle au Québec que nous menons avec Sarah Wilkins-Laflamme ; projet par lequel nous souhaitons mieux comprendre la transition religieuse des Québécois quant à leur rapport général à la religion, notamment au catholicisme.
Les récits de vie que nous avons recueillis à cette occasion nous ont placés face à une figure inattendue : se sont présentés librement en entrevue des catholiques pratiquants affirmés, majoritairement jeunes, engagés de manière relativement radicale dans un parcours spirituel personnel laïque, souvent membres de congrégations ou de groupes affinitaires. En soi, ce profil n’est pas nouveau. Il n’est pas sans rappeler l’effervescence du mouvement charismatique catholique des années 1970 au Québec (Zylberberg et Montminy, 1981). Par contre, la surreprésentation de ce « type » dans notre échantillon, soit près de 25 % des participants à notre enquête, nous a particulièrement interpellée. Il importe de rappeler que le taux d’assistance à la messe dominicale ne dépasse guère les 5% de la population québécoise, et ce, pour toutes les régions de la province de Québec. L’intérêt de ces jeunes catholiques affirmés pour notre étude a été si grand que nous avons dû, d’une certaine manière, recadrer nos méthodes de recrutement. Ces répondants tenaient à témoigner de leur parcours auprès de sociologues universitaires. Ils souhaitaient rapporter leur expérience et la rendre visible. Ils voulaient ainsi donner à voir le catholicisme dont ils sont les porteurs et, en quelque sorte, les hérauts, en dissonance avec les propos plutôt stéréotypés que l’on peut entendre dans les médias et dans l’espace public. Que des individus fortement engagés dans le catholicisme québécois participent avec un tel engouement à une recherche strictement sociologique aurait été improbable il y a quelques années encore. Leur forte participation ne tient ni au hasard ni à des méthodes de recrutement qui auraient été particulièrement efficaces. La manière dont ils ont investi notre enquête est, selon nous, un indicateur de la transformation de la religiosité et une invitation à mieux saisir les mutations dont elle témoigne.
Notre analyse suggère de voir dans ce profil de répondant une figure contemporaine du « virtuose » religieux, c’est-à-dire des individus pour qui l’investissement religieux personnel se veut d’une importance capitale, déterminant l’ensemble de leur vision de la vie. Il s’agit d’une notion utilisée par le sociologue Max Weber, qui faisait un parallèle entre la virtuosité musicale et celle des gens qui consacrent une part significative de leur vie à la pratique d’une religion. Se reconnaissant comme porteur d’un charisme (ou d’un don, voire d’une grâce) ou ayant été reconnu comme tel, la religiosité du virtuose se veut généralement plus radicale et plus inquiète que celle des fidèles lamba, tenant sa valeur dans sa différenciation d’avec la masse des croyants; d’où leur intérêt à en témoigner. L’intention première de cet article est précisément de rendre compte de cette figure en la définissant, tant sur les plans empiriques – en retournant à notre matériau – que sur le plan théorique – en référant aux perspectives wébériennes (2e partie de ce texte). Préalablement, il nous faut l’inscrire au sein d’une problématisation plus large : de quel contexte socioreligieux québécois cette figure émerge-t-elle (1ère partie) ? Enfin (3e partie), nous tenterons de mieux comprendre cette nouvelle posture fervente et ce qu’elle relate de la transformation récente du catholicisme québécois? Que donne-t-elle à voir de la recomposition qui s’opère ? Qu’apprend-on du catholicisme québécois par l’analyse des récits de vie de ces nouveaux « virtuoses » ?
Problématisation, perspective théorique et précisions méthodologiques
Depuis 2001, plusieurs indicateurs de la religiosité au Québec montrent un essoufflement de la configuration dominante que constitue, depuis les années 1960, le catholicisme culturel. La chute des taux de baptêmes de près de 30 % en 10 ans (2009-2019) (Meunier et Legault-Leclair, 2020), la baisse de l’appartenance catholique surtout chez les plus jeunes (Theissen et Wilkins-Laflamme, 2020), les volontés laïcistes toujours affirmées (Laniel, 2016), l’arrivée en scène de nouvelles générations ayant reçu peu ou prou une socialisation religieuse sont à placer au nombre des causes de cette rapide mutation (Perreault, 2011 ; 2020). S’y joue une transformation en profondeur des rapports religion et culture (Lefebvre, Béraud et Meunier, 2015) et, sans doute, en sous-main, la mise en place d’un nouveau régime de religiosité (Meunier et Wilkins-Laflamme, 2011).
Au regard de travaux théoriques et d’études empiriques provenant de plusieurs pays occidentaux (Portier et Willaime, 2021 ; Willaime, 2008 ; Pelletier, 2019 ; Dillon, 1999 et 2018 ; Bérault et al., 2012 ; Bibby et Reid, 2016), nous pouvons retenir trois grands vecteurs de transformation des catholicités. D’abord, une mobilité accrue, tendant à établir une polarisation des groupes et des générations autour de la question du religieux (Wilkins-Laflamme, 2014). Pour le dire simplement, les « sans religion » s’affirment davantage dans l’espace public en étant de plus en plus nombreux et les religieux, s’ils sont de moins en moins nombreux, paraissent plus affirmés dans leurs convictions et davantage mobilisés (Bibby, 2017). Ensuite, comme second vecteur, une métamorphose de la structure de la religiosité, marquée par une individualisation de plus en plus poussée (Gauthier et Perreault, 2008 ; Stoltz et al., 2015 ; Gauthier, 2020). Enfin, on remarque une mobilisation portée par un réinvestissement politique et social du catholicisme (Béraud et Portier, 2015 ; Raison de Cleuziou, 2019), autour de débats de société comme le mariage pour tous en France, pour ne prendre que cet exemple.
Au nombre des hypothèses que suggèrent ces vecteurs, retenons ici que le paysage religieux québécois pourrait se caractériser par un clivage de plus en plus accentué entre, d’un côté, une majorité autrefois catholique, mais délaissant aujourd’hui la plupart des formes de religiosités institutionnelles et personnelles ; et, de l’autre côté, des groupes religieux minoritaires (dont le catholicisme ne serait qu’un parmi plusieurs) qui connaîtraient une certaine vitalité en raison de la pratique assidue de leurs membres.
Et cette vitalité ne s’explique pas que par un effet de contraste. Autrement dit, ce n’est pas que le retrait du catholicisme culturel majoritaire qui, seul, laisserait apercevoir un noyau stable d’irréductibles fervents catholiques. La réalité est plus complexe. Nous faisons plutôt l’hypothèse que cette polarisation croissante serait en train de produire une nouvelle forme de religiosité chez les catholiques mobilisés eux-mêmes, particulièrement chez les jeunes (Perreault, 2016).
C’est au carrefour de ces considérations et des premières analyses de notre matériau que s’est dessinée la figure du virtuose. La typologie wébérienne distingue la religiosité de virtuoses et la religiosité de masse en postulant « qualification religieuse inégale » (Weber, 1996, p. 358) entre les humains puisque « les biens de salut religieux ayant la plus grande valeur – les capacités extatiques et visionnaires des chamans, des sorciers, des ascètes et des pneumatiques de toutes sortes – [ne sont] pas à la portée de chacun ; leur possession [est] un charisme qui [peut] être éveillé chez certaines personnes, mais non chez toutes » (Weber, 1996, p. 358-359). C’est bien de cette distinction dont se réclament certains croyants engagés ayant répondu à notre enquête et dont nous cherchons ici à comprendre et situer le profil. La virtuosité est à placer du côté du prophétique, dont la légitimité repose sur le charisme personnel, misant sur l’intériorité et l’inspiration, étant le fait que quelques croyants d’exception (par rapport à leur époque). Elle contraste ainsi avec la religiosité de masse liée à l’institution et au prêtre, dont la légitimité est légale et relève d’un charisme de fonction, misant sur le ritualisme et les savoirs théologiques transmis, espérant s’adresser à tous (Albert, 2013, p. 5).
Ainsi, notre question de recherche est double. D’abord, quelle est cette figure de religiosité que l’on retrouve chez certains de nos répondants? Nous souhaitons la décrire et la comprendre, dans un aller-retour entre la théorie – principalement les aspects analytiques liés au concept wébérien de virtuose – et l’empirie. Ce faisant, nous serons en mesure de « faire parler » notre matériau tout en précisant de quelle « virtuosité » il est question, puisqu’elle sera assurément différente des travaux initiaux, chaque époque et contexte produisant un type qui lui est propre. D’autre part, comment situer cette figure de religiosité dans l’évolution même du catholicisme québécois? Nous voulons ainsi discuter des déplacements, des transformations et des évolutions que cette figure donne à voir.
Sur le plan méthodologique, quelques précisions. Dans son volet qualitatif, la méthode choisie dans le cadre de ce projet fut celle des histoires de vie religieuse qui nous a permis d’élaborer des entretiens en profondeur, capables de reprendre en détail le cheminement religieux et identitaire des interviewés. L’avantage de cette méthode pour étudier le religieux tient, notamment, à sa capacité à donner accès à des réalités complexes, à articuler l’individuel et le collectif, à permettre au répondant de s’investir pleinement par la construction d’un récit signifiant. Ainsi, l’histoire de vie étudiée au prisme d’une problématique sociologique va souvent à l’encontre des représentations de sens commun. La vie de l’acteur social racontée offre une description et une démonstration en profondeur. Le récit de vie permet de mettre à jour « la réalité inapparente ». En ayant accès vécu de l’individu et à sa propre réflexivité, le chercheur peut identifier le décalage entre cette réalité inapparente et la réalité représentée (sur la place et le rôle de la religion, par exemple). On peut alors découvrir des réalités tacites, non pas qu’elles soient nécessairement taboues ou volontairement secrètes, mais qui restent à l’état de sous-entendus.
De 2017 à 2020, nous avons donc complété quarante-huit entretiens de type « récit de vie » d’une longueur moyenne de trois heures, auprès d’individus de 55 ans et moins, se déclarant catholiques ou sans religion, et ce, dans trois régions du Québec : Montréal, Québec et Gatineau. L’échantillon a été jusqu’alors construit progressivement en respectant les quotas sociodémographiques et socioreligieux de manière à obtenir un échantillonnage typique incluant une diversité de parcours théoriquement possibles. Ces trois régions ont été retenues parce qu’elles offraient la possibilité d’atteindre les objectifs d’échantillonnage typique, tout en offrant des avantages pratiques et logistiques de proximité pour les chercheurs.
Parmi ces entretiens, onze ont offert les traits de virtuosité, au sens où nous l’entendons et que nous allons développer dans les prochaines pages. On y retrouve six femmes et cinq hommes. Ils sont majoritairement jeunes : cinq sont dans la vingtaine, quatre dans la trentaine, les deux personnes les plus âgées ont 46 et 50 ans. Quatre habitent la région de Montréal, cinq la région de Québec et deux la région de Gatineau. Une fois les entretiens retranscrits, nous avons procédé à la codification et à l’analyse de contenu en étant attentifs au « récit signifiant » qui était ainsi produit et à sa narration. Les analyses horizontale et thématique nous ont fortement aidés à mieux comprendre les ressorts de la construction religieuse chez le sujet interviewé (Gaudet et Robert, 2018 ; Makamurera, Lacourse et Couturier, 2006).
Le but de l’entretien était de dresser une sorte d’histoire de vie religieuse de l’interviewé Bertaux, 1997). Pour ce faire, nous commencions par lui poser des questions sur la religiosité et le rapport à la religion chez ses grands-parents, puis peu à peu, nous remontions de ses parents et de sa parenté jusqu’à lui (ou elle) vers sa socialisation religieuse et la constitution de son propre rapport au religieux, aux croyances religieuses, à la pratique religieuse et à son rapport vis-à-vis la religion instituée. L’approche par histoire de vie a permis de dégager des temps forts de la construction religieuse et/ou de la déconstruction religieuse du sujet (Gotman, 2013 ; Le Pape, 2005), et ce, au sein d’une trame de vie, de contextes parfois heureux (voyages, première relation amoureuse, premier enfant, premier emploi, etc.), parfois malheureux (maladie d’un parent, mort d’un proche, dépression, maladie, passage à vide, etc.) (Dillon et Wink, 2007 ; Tatum Ammerman, 2014). De plus, le récit était ponctué de mises en contexte historique et social venant éclairer la teneur de l’identité religieuse en train d’être éprouvée et/ou consolidée (Ricoeur, 1991).
L’accession au statut de virtuose religieux chez les catholiques du Québec
En reprenant les perspectives de Weber, nous pouvons identifier cinq caractéristiques de la virtuosité religieuse qui sont autant de « moments » menant à la consolidation du statut de virtuose religieux : une auto-reconnaissance, une formation au sein d’un corps religieux, une institutionnalisation, une appropriation du discours religieuse et une complétude de l’identité de virtuose. En poursuivant notre intention de décrire et de comprendre cette figure de religiosité, nous présenterons ces moments à la fois tels qu’ils sont concevables théoriquement et tel qu’ils sont donnés à voir empiriquement dans notre enquête.
Auto-reconnaissance
Le ou les moments d’auto-reconnaissance de la virtuosité religieuse surviennent rarement seuls. Il est accompagné le plus souvent de la reconnaissance d’un signe extérieur, conçu comme une première confirmation. À vrai dire, ce n’est que timidement que le porteur l’introduit dans son récit de conversion vers la virtuosité religieuse. Il est d’abord une marque, une coïncidence qui accompagnent tantôt sa naissance, tantôt l’une des premières expériences de religiosité. Prenons l’exemple de Jessica, 28 ans, née dans un quartier de banlieue de Québec, relatant que sa naissance est une faveur accordée par la Vierge, insiste-t-elle :
Ce qui est particulier dans mon cas, c’est que je suis enfant unique et mes parents, pour eux, je suis un miracle. Les médecins avaient dit autant à ma mère que mon père, [qu’ils] n’allaient pas pouvoir avoir d’enfant. Ma mère a fait une neuvaine à la Vierge Marie, pis elle est tombée enceinte le mois suivant. Alors pour elle, j’étais un cadeau de la Vierge Marie. Alors. . . ça ! Nombre de fois qu’ils me l’ont dit. . . c’était ancré en moi. Je me suis dit : « Ok. Il y a quelqu’un, quelque part, qui a voulu ma présence, je suis un miracle ».
Simone, jeune mère de famille engagée comme professionnelle en Église, en donne aussi une vibrante illustration :
Une manifestation un peu spéciale là, hum [silence]. [. . .] Ma mère est très, très charismatique, très sensible au signe et tout ça [. . .] Elle m’a dit que quand elle était enceinte de moi, elle avait comme une intuition que j’aurais comme quelque chose à apporter pis que ça serait en lien avec la foi ; que la foi, ça me collerait. Elle avait eu comme une émotion [. . .].
Elle évoque également un second souvenir :
Quand j’avais cinq ans un moment donné, j’ai fait un rêve qui m’a marqué. J’ai rêvé qu’il y avait Jésus qui était à genou, à côté de moi au pied de mon lit. Pis il m’a dit « tu verras ma splendeur ». À 5 ans on ne connaît pas des mots comme « splendeur ». Ma mère était bien excitée d’entendre ce récit-là de moi. Par après, quand je relis ça, il y a toujours un accent chez nous pour mettre la relation au cœur de la foi. C’est plus une relation avec quelqu’un, une rencontre avec quelqu’un plutôt qu’un ensemble de pratiques qui sont déconnectées. C’était vraiment dans le sens de développer une relation à Dieu, à Jésus.
Pour d’autres, comme Rebecca, la reconnaissance de l’exceptionnalité de son parcours tient d’abord dans l’aveu d’un désir. « Personnellement, j’ai toujours eu cette envie, être poussée vers les choses de la foi, un intérêt vif, quelque chose de brûlant en moi qui avait un intérêt pour la foi. C’est juste plus vieille que j’ai réalisé que c’est peut-être parce que l’Esprit-Saint a voulu me guider [. . .] vers le Seigneur et vers ce que j’avais besoin [. . .] ». Les récits empruntant les notions de grâce ou de signe sont d’ailleurs des narratifs de choix pour l’auto-reconnaissance de la virtuosité.
Cette auto-reconnaissance passe donc par l’expérience d’une marque, d’un écart, d’une différence vécue. Si pour les uns cette marque est comprise comme une élection ou un don, elle s’imprimera dans l’adversité, dans l’épreuve, dans les difficultés de la vie pour les autres. C’est le cas de Marie, 38 ans, fonctionnaire de métier, mais en congé de maladie pour cause de dépression profonde. Les premiers signes de l’appel à la virtuosité religieuse ont paradoxalement été confirmés par la reconnaissance de sa malchance, voire de ce qu’elle nomme son « calvaire ». À l’âge de 14 ans, elle perd sa grande sœur en moins de deux mois, au même moment ses parents se séparent et son père se met en ménage avec la meilleure amie de sa mère ; quelques semaines plus tard, son frère aîné entre en institution psychiatrique, ayant été diagnostiqué schizophrène paranoïaque. Deux mois de « calvaire » se passant au sein d’une communauté agricole où tous se connaissent et savent tout des uns et des autres. La honte envahie Marie. Mais curieusement, c’est de la honte que surgit un sentiment de rédemption. « C’était de la honte associée à être différent » qu’elle comprit qu’elle ne pourrait avoir un destin équivalent aux autres.
Ainsi en est-il également pour Patrice, 46 ans, engagé dans un centre chrétien de réflexion et d’action sociales. Son enfance et son adolescence ont été « passablement pénibles et douloureuses », nous raconte-t-il. Un père violent et négligeant, un divorce des parents qui entraîne le placement des enfants en famille d’accueil, une adolescence et un début de vie adulte aux « tendances autodestructrices » : alcool, drogues dures pour endiguer « un mal-être », « une incapacité à mettre un sens à cette douleur ». Dans la tourmente, la main qui sauve de la noyade a été celle du nouveau conjoint de sa mère qu’il présente d’emblée comme « notre saint Joseph à nous ».
Cet homme-là, c’était vraiment, totalement, un homme d’une grande bonté, grande sagesse c’est surréel, d’une certaine façon. On avait notre père, notre père comme on dit tout le temps, notre géniteur, [. . .] un homme violent, [. . .] un bloc de glace dont je n’ai aucun souvenir heureux. . . mais l’arrivée de Pierre change tout. [. . .] Dans l’adolescence, mais je dirais aussi la jeune vingtaine et même jusque dans la trentaine, outre cet homme-là, j’aurais peut-être été trouvé mort dans une ruelle ou encore j’aurais basculé dans la délinquance, dans la criminalité. . . ou le suicide. . . on ne sait jamais. [Il n’y avait pas] d’horizon de sens : c’était vraiment le « no future » [. . .] c’est-à-dire que ce monde-là est foutu. [Alors], j’ai eu l’impression que cet homme-là, comme on le croit dans la théologie catholique, était un des signes vivants de l’amour de Dieu, de la présence de Dieu. . . Il a été un intermédiaire. [. . .] Si Dieu est un père, en tout cas, visiblement Pierre, c’était ça : l’image du père miséricordieux présent en tout temps.
Alors qu’il est « défoncé » et en possession de stupéfiants, il échappe sans raison logique à une arrestation par des policiers. Il dit avoir à ce moment découvert « ouvertement la présence de Dieu » et l’avoir « senti ».
J’ai senti que Dieu m’a sauvé à ce moment-là. Il m’a sauvé de moi-même ! [. . .] Ce moment-là pour moi, ça été un moment de rencontre. . . Il s’est passé quelque chose, comme une espèce de vraie théophanie : Dieu s’est manifesté pour me sauver, pour me dire que l’essentiel était ailleurs, l’essentiel est plus haut, l’essentiel est plus grand [. . .] Ça été vraiment un point tournant, à partir de ce moment-là, ma quête spirituelle va vraiment s’intensifier.
Bien que différente, on retrouve également cette dynamique de reconnaissance par la négative dans le récit d’Hubert. Âgé de 35 ans, il a grandi dans une famille de virtuoses religieux, du moins dans une lignée très pratiquante qui tranche avec son milieu. Il est donc un héritier, sa foi s’inscrivant « tout naturellement » dans le mode de vie familiale. L’auto-reconnaissance viendra du contraste et de la confrontation avec ses pairs. Les railleries et les moqueries vécues à l’école secondaire lui font prendre conscience du caractère exceptionnel de sa situation :
C’est à partir de l’adolescence, donc du secondaire, que j’ai vraiment compris que la façon dont je vivais, la façon dont j’avais été élevé étaient différentes [de celles] des autres. C’est là que j’ai saisi, et de façon assez difficile, la différence qu’il y avait. Au primaire, je comprenais que, mes petits amis, je ne les voyais pas à l’église ; mais ça s’arrêtait là. C’est au secondaire que j’ai saisi – et que d’autres se sont fait le plaisir de me faire saisir – que je n’étais pas pareil, que je ne vivais pas pareil, que je n’avais pas été élevé pareil. . . Donc, le réflexe que j’ai depuis l’âge 13 ans est de le taire. Je ne le dis plus à personne, plus rien là-dessus. Je le cache. Je le garde pour moi, ma famille pis les amis qui sont là-dedans. Ça devient quelque chose de très privé, de très personnel pis je n’en parle pas pis parfois même – et je n’en suis pas très fier – j’allais jusqu’à le nier devant certaines personnes [pour ne] pas être ostracisé. [. . .] Pour moi ça s’est imprimé assez clairement que j’étais différent ou en tout cas ce que je vivais était différemment des autres.
Le moment d’auto-reconnaissance survient aussi, alors que l’on découvre que l’on a l’oreille musicale religieuse, selon l’adage même de Weber 1 ; ne se lassant pas de l’activité religieuse, à proprement parler. Lucia, par exemple, se rappelle ses 10 ans où tous les après-midis d’été se déroulaient à la Légion de Marie, où elle se « tapai[t] toutes les prières, les chapelets, toutes les chansons du mois de Marie », pis, ajoute-t-elle : « j’étais bien là-dedans ». Alexandra nous parle d’un été où, entre amis, ils enfilent « les soirées de prières, les soirées de louanges, l’école de la parole, [les] nuits d’adoration » ou encore, ils partent en moto vers un lieu de pèlerinage pour « se caller des neuvaines ».
De la simple reconnaissance d’une capacité, à celle d’un don, ou d’une grâce, le tout demeure néanmoins à être confirmé. Car nul en cette matière ne peut être l’instituant et l’institué.
Accession et formation au sein d’un corps (Ständ) religieux
Quel qu’en soit le type, nous dit Weber, le virtuose « ne possède la véritable certitude de son salut que lorsque sa disposition de virtuose se confirme constamment à ses propres yeux, alors qu’elle est mise en cause. » (Weber, 1910–1913 : 192) Pour y arriver, le virtuose passe souvent par un Ständ – un corps religieux – qui établit un statut, tout en étant un espace premier de formation, de conversion et de validation. Il s’agit, chez nos répondants, de participer et d’appartenir à une cellule de proximité et d’intimité qui peut être soit familiale, soit affinitaire et, dans tous les cas, composée de personnes jouant un rôle déterminant dans le cheminement du virtuose. Bien qu’en conformité et en correspondance avec l’Église institutionnelle, le corps religieux s’en différencie non pas en regard de divergences doctrinales ou théologiques, mais par le type de relations qui s’y tissent et le rôle qu’il est appelé à jouer. D’une certaine façon, nous pourrions dire de l’Église institutionnelle qu’elle est le lieu de normalité religieuse : elle est « assemblée » et « peuple de Dieu » pour reprendre des définitions ecclésiologiques. Or, le Ständ est l’espace où l’appel à la virtuosité est entendu et reconnu. 2 C’est le lieu et l’occasion d’une première validation et d’une première légitimation. Si cet appel nécessite néanmoins une confirmation institutionnelle et instituante extérieure au groupe – nous y reviendrons –, il n’en demeure pas moins que c’est au sein de ce Ständ que le virtuose acquiert la conviction de son statut particulier. Là se manifestent les grâces et les charismes pour reprendre le langage théologique utilisé ; là sont reconnus et interprétés les signes, quand ce ne sont pas les miracles.
Pour illustrer cette dimension, le cas d’Alexandra est éclairant. Née dans une famille catholique pratiquante, elle a bénéficié d’une socialisation religieuse forte : messe dominicale, engagements familiaux dans certains mouvements pour le couple et la famille, implication dans la paroisse. Ses parents sont des professionnels aujourd’hui à la retraite. Elle a grandi dans une petite ville devenue banlieue de Québec. Si nous pouvons la considérer comme héritière, elle n’hésite pas à parler d’une « renaissance religieuse » lorsqu’elle résume son parcours. Qu’elle soit en quelque sorte une « born again catholique » tient en la traversée de l’épreuve majeure que fut son combat contre un cancer. La maladie s’est révélée être l’occasion d’une profession de foi et d’un engagement renouvelé, personnellement assumé. Dans son récit, elle nous livre un évènement central. En apprenant sa maladie, un collègue d’étude à l’université – qui est aussi un jeune converti – prie pour sa guérison lors de la messe. Avant de prononcer la prière finale et le rite d’envoi, le prêtre célébrant annonce : « Quelqu’un a demandé un charisme de guérison, le Seigneur lui dit d’avoir confiance ». Sous le choc de ce « signe », le jeune homme va à la rencontre du prêtre qui lui conseille de prier avec son amie malade. Sur le chemin du retour, il est confirmé à nouveau dans sa démarche par une inconnue qui l’interpelle dans l’autobus, lui citant un passage des évangiles portant sur la confiance. Insistant pour qu’ils se rencontrent le soir même, le jeune converti raconte l’événement à notre répondante. Les deux décident de prier ensemble :
On se met à prier. Prier en groupe ou à voix haute et tout ça, ce n’était pas du tout dans mes habitudes. [. . .] Là, il m’a dit : « faudrait que tu dises “Seigneur Jésus, j’ai confiance en toi” ». À ce moment-là est venue la question. J’ai dix-neuf ans, j’ai le cancer, j’ai une chimio, est-ce que j’ai vraiment confiance en Dieu ? J’ai toujours dit que je croyais. Mais est-ce que je crois ou je ne crois pas ? Ce n’est pu le temps d’être gris. C’est oui ou c’est non. Je ressentais alors une pression dans cage thoracique liée au cancer. J’ai cru que je ne serais jamais capable de dire « j’ai confiance en toi » et que j’allais mourir là. Quand j’ai fini par dire : « j’ai confiance en toi », la pression est partie. A posteriori, c’était sans doute comme ma mort spirituelle ou intérieure. Je me dis : je ne sais pas si c’est par ça que j’ai guéri ou non physiquement. Peu importe, cet acte de foi m’a guérie dans la foi catholique et la guérison physique passe d’abord par la guérison du cœur.
Par cet ami, par le prêtre, par la paroisse Alexandra accède dès lors à un statut particulier. Ce Ständ sera déterminant dans la suite de son parcours. En s’engageant dans cette communauté, elle y trouvera des amis, elle adhérera à des principes moraux – notamment la chasteté –, elle jouera un rôle et ont lui conférera peu à peu des responsabilités. Pour atteindre et maintenir son statut de virtuose, elle mettra fin à son couple d’alors et consacrera tous ses temps libres à nourrir les amitiés du Ständ et à participer à différentes activités religieuses : louange, adoration, pèlerinage.
Cette validation qu’apporte le Ständ, Mireille (26 ans) l’a aussi vécue. Née d’une famille « catho libérale » selon ses mots, elle a été engagée dès l’enfance dans sa paroisse. Toutefois, c’est bien à l’extérieure de celle-ci, dans une activité de groupe menée par une animatrice scolaire, qu’elle se sentira reconnue et confirmée dans sa quête de virtuosité :
C’est [l’animatrice scolaire] qui m’a amené au [centre d’activités] pour la première fois. C’est un endroit qui offre de l’animation déconfessionnalisée. Fait qu’on est allées là pour une activité. Et ça a été une confirmation. . . [L’activité portait] sur l’estime de soi, pis l’acceptation de soi. Pis on était ressorties de là, moi pis une gang de filles qui étaient venues là, changées complètement. Transformée ? Complètement. Ça été hautement spirituel dans mon cas. [..] Quand ils me disent « T’es un cadeau de la vie ». Moi je pense à Dieu. En sortant de là, je me sentais beaucoup plus sûre de moi. C’est le cadeau de l’assurance qui m’a été fait durant mon secondaire. Pis j’y ai vu un gros motif d’action de grâce. Je me suis dit : « Ah, wow, Seigneur, peut-être que tu attendais ! Peut-être que c’était finalement le bon moment pour faire éclore tout ça ».
Cette confirmation, rendue possible par le groupe et l’accompagnatrice, vient transcender les difficultés des dernières années : l’intimidation, le harcèlement psychologique et les deuils, notamment celui d’un ami qui s’est enlevé la vie. Tout comme pour l’auto-reconnaissance, la reconnaissance par le Ständ joue aussi sur la différence, l’écart, le contraste et le revirement.
Institutionnalisation
Nous l’avons dit précédemment, l’auto-reconnaissance et l’accession à un groupe religieux ne suffisent pas à installer le virtuose dans sa nouvelle identité. Un moment instituant est nécessaire. Dans les histoires de vie analysées, cette institutionnalisation semble se jouer, pour l’essentiel, sur deux plans : 1) que l’institution (Église, communauté particulière. . .) reconnaisse les qualités religieuses et l’exemplarité du virtuose en lui accordant un rôle et des responsabilités ; 2) que le virtuose fasse montre de son exemplarité en prônant – parfois davantage qu’en adoptant – une éthique et une ascèse renforcées. Ces deux stratégies ont une même visée : par sa conformité avec la tradition et l’institution, reconnaître et assurer au virtuose son propre statut.
Cette institutionnalisation a pour préalable, dans plusieurs cas, un engagement personnel assumé, voire la réponse à un appel. Alexandra nous raconte comment, dans une soirée d’adoration réunissant des centaines de jeunes, elle a fait le « saut » :
L’animateur offrait comme la possibilité – en fait il suggérait – à ceux qui se sentaient prêts de mettre Jésus au centre de leur vie, de s’avancer en avant du Saint Sacrement pis de s’agenouiller pis de le dire à Jésus, de lui dire que tu désires le mettre au centre de ta vie. Pis là, il y avait plein de monde qui y allait. . . moi j’étais sur mon banc pis je me disais : « Ben oui, Jésus, je pense que je me sens prête. Je veux te mettre au centre de ma vie. Je suis rendue là. Oui. Tu m’apportes tant de joie depuis que. . . oui ! ». Mais faut-tu vraiment que je me lève ? [rires] C’es-tu vraiment nécessaire ? Mais là, j’avais comme un. . . le Saint Sacrement n’était pas loin. . . Pis j’hésitais sur ma chaise : je me lèves-tu, je me lèves-tu pas. . . pis là je me suis dit : Jésus qui est dans l’hostie, présentement, c’est lui qui là. C’est lui qui a donné sa vie pour moi. Il me demande de me lever. Je ne peux pas rester inactive. Il ne me demande pas grand-chose, en fait. Donc je me suis levée, je suis allée en avant, pis je me suis agenouillée, pis je l’ai dit tout bas, j’ai dit « Jésus, je te mets au centre de ma vie. Je le veux vraiment ». Pis je suis retournée à ma place. Pis là. . . j’ai eu comme une grande paix, là. Comme les doutes, les peurs, toutes sortes de patentes dans ma tête, tout était parti. Je me sentais pris, là, comme un petit enfant dans ses bras. C’était une vraie joie. Une vraie joie.
Ces engagements personnels s’actualiseront ensuite par des rôles et des responsabilités confiés par l’Église ou la communauté particulière. Il peut s’agir tout autant de fonctions liturgiques (lecture, chant, etc.) que de tâches d’organisation (événement, animation de groupes), voire d’emploi rémunéré (service de pastorale). Pour chacun, ces attributions sont comprises comme des marques de confiance et de reconnaissance, lues comme des signes d’un charisme particulier, accueilli comme une grâce. Ce faisant, ils ont une place dans la communauté et leur appartenance au Ständ s’en trouve confirmé.
Que les jeunes virtuoses prônent une éthique de l’exemplarité est une donnée particulièrement intéressante qu’il nous faudrait analyser plus longuement. Il semble que s’y joue ce que Weber lui-même nommait « la confirmation de la certitude de la grâce [qui] prend des formes différentes selon la nature du salut religieux lui-même [. . .et] inclus toujours l’affirmation de la norme religieuse et éthique » (Weber, 1910-1913, 192). Nous pourrions ajouter que cette affirmation de la norme religieuse rend manifestes l’intention et le désir de conformité du virtuose. Le respect des « enseignements de l’Église », pour parler comme nos répondants, semble évoquer tout autant une posture dans l’économie religieuse d’un salut intra-mondain que des règles, des interdits et des pratiques appliqués et vécus de manière efficiente. En somme, désirer avoir une vie exemplaire place dans un état de virtuosité, pour peu que la morale et les principes que l’on promeut soient à contre-courant des injonctions normatives dominantes à l’extérieur du groupe religieux. Ainsi, on comprendra plus aisément la place que prend, dans le discours de nos répondants, la morale sexuelle. Tous y réfèrent, à un moment où l’autre. La chasteté est présentée comme un idéal et y aspirer démontre la validité et la qualité de son engagement religieux. L’importance de cette dimension ne tient pas qu’à une question de doctrine ; elle gagne en pertinence par le contraste que provoque son adhésion dans une culture considérée par plusieurs comme étant hypersexualisée et dans une Église dont le courant principal s’avère plus libéral sur ces questions.
Pour illustrer cette dimension, le récit de David est particulièrement pertinent.
Il y a toujours une grâce associée à notre conversion. Pour moi, cette grâce est la grâce de témoin. [J’ai] du plaisir à parler de ma foi et à parler du Christ à mes amis, au monde. Pis je me souviens, pendant les deux premières années après ma conversion, je parlais du Christ pis ça vibrait à l’intérieur. [. . .] Mais ça, le Seigneur m’a préparé [. . .] depuis probablement ma confirmation. La confirmation c’est le moment de notre vie où on dit oui à rentrer dans la famille de Dieu. Ayant dit ce « oui là », Dieu m’a déjà préparé à ce qu’il voulait pour moi jusqu’à aujourd’hui.
Il entreprend donc de témoigner de sa foi auprès des jeunes et poursuit des engagements en Église : il sera notamment servant de messe à sa paroisse territoriale jusqu’à l’âge de 18 ans. Dans la communauté nouvelle où il chemine avec sa famille, il est présenté comme un modèle : « j’ai tout le temps été [le jeune qui] parle beaucoup, et [qui] dit des belles choses. Je m’exprime bien, fait que j’ai tout le temps été comme un leader. Les gens me regardaient beaucoup, pis la Communauté me mettait beaucoup en avant aussi, j’aidais beaucoup. »
Les quelques moments où il a été sujet de moquerie en raison de son engagement religieux sont pour lui des confirmations : « quand on se fait écœurer au niveau de la foi, c’est qu’on dérange le monde, pis quand on dérange le monde, c’est qu’il y a de quoi de vrai ». Toutes les occasions semblent bonnes pour faire la promotion de la chasteté. À de nombreuses reprises, dit-il, il a fait son « pitch de vente » sur ce sujet : « Avec trois de mes amies du CÉGEP, je sais pas pourquoi, mais on était venu à parler de la chasteté. Et là en 10 minutes, je leur ai expliqué c’était quoi la chasteté, pis comment moi je voyais la chasteté. Les 10 minutes se sont terminées et les filles ont dit : “Ah David, pourquoi il n’y a pas plus de gars comme toi dans le fond.” Pis là j’étais comme : YES, je l’ai eu là ! ».
En dépit de ce discours où s’entremêlent la chasteté dans le propos et la séduction dans la forme, David a un enfant avec une fille hors mariage et de laquelle il se séparera après quelques mois, dans des conditions difficiles et une sérieuse querelle concernant la garde de l’enfant. Il présente ce moment comme l’épreuve la plus importante de sa vie. Dans la communauté, il se sent mis de côté et jugé. Il craint de perdre son statut. En pleine tourmente pour obtenir la garde de son enfant, ses recherches d’emplois sont infructueuses. Il prie : « Ok Seigneur, fait quelque chose, fait de quoi solide. » Il obtient par la suite un premier emploi dans une école primaire d’une communauté religieuse catholique et un second emploi comme agent de pastorale auprès des jeunes, dans la même école. Ce poste est pour lui confirmation institutionnelle de son statut et de son charisme : on lui a accordé cet emploi parce qu’il a été reconnu pour ses engagements, rendus visibles par ses apparitions dans différents reportages de deux chaînes de télévision religieuse.
Dieu prépare bien les choses. Quand on relit les évènements, on voit comment Dieu est bon. Moi je trouve ça phénoménal. [. . .] Dieu prépare la table, ma grâce de conversion, mon plaisir de parler de Dieu, de ce qui fait dans ma vie, juste qu’à mon emploi. [. . .] Toute ma vie Dieu me prépare à me redonner ce que lui, il me donne dans le fond.
Dans une dynamique comparable, bien que dans une tout autre perspective, l’emploi qu’arrivera à décrocher Patrice dans un centre chrétien d’action sociale sera clairement un moment instituant. Pour lui, vivre sa foi est désormais « doublement, triplement quadruplement facile » puisqu’il a « l’immense bonheur, même la grâce » de pouvoir, par son travail « faire la synthèse de tout ce [qu’il est] ». Il va sans dire qu’avec cette « incardination » (i.e. inclusion au sein d’un diocèse ou d’un institut religieux) dans le catholicisme social viennent toute une éthique et une ascèse reposant, dans son cas, sur des engagements sociaux et politiques portés par une lecture dite « progressiste » de l’Évangile.
Appropriation du discours religieux
Les virtuoses sont rarement des polémistes ou des revendicateurs. Ils cherchent plutôt la conformité comme confirmation de la valeur spirituelle de leur discours. Conséquemment, nos répondants formuleront très rarement des critiques à l’égard de l’Église ou de l’institution. Et cela, contrairement à la majorité des Québécois qui, en bons catholiques culturels, ne se gênent pas pour le faire (Roy, 2001 ; Perreault, 2015). Certes, nos virtuoses évoquent dans un flou habile des erreurs de cette Église « humaine », mais s’y arrêtent peu ou prou. On comprend qu’ils ne cherchent pas à réformer l’Église, mais à se réformer personnellement. L’appropriation du discours religieux semble ainsi se jouer non pas par la réflexion, la discussion et la délibération théologiques, mais dans l’intégration pratique et éthique.
Les propos d’Hubert sont à ce sujet éloquents. Ayant aujourd’hui 35 ans, il est né à Montréal et a passé son enfance et la majeure partie de sa vie en banlieue de la métropole. Il est l’aîné d’une famille de 7 enfants. Il présente ses parents comme des catholiques pratiquants. Après un baccalauréat en sciences politiques, il s’établira à Québec pour compléter une maîtrise en philosophie. Il entreprendra des études de doctorat dans une grande ville d’Europe, qu’il abandonnera. De retour au Québec, il complète une formation en pédagogie. Il enseigne aujourd’hui au Cégep qu’il a fréquenté comme étudiant dans la région montréalaise. Intellectuel, on pourrait s’attendre qu’il discute les propositions et enseignements de l’Église, voire qu’il manie avec habileté la rhétorique religieuse. Or, il s’approprie autrement le discours religieux. À la question de l’intervieweuse sur ses croyances religieuses, il répond par la pratique :
Comment je le résumerais ? C’est d’essayer, d’essayer d’être vraiment catholique, c’est-à-dire de pas faire des choix dans ce qu’on veut, ce qu’on veut pas, ce qui nous plaît ou ce qui nous plaît pas, mais d’adhérer entièrement et totalement à l’enseignement de l’Église, c’est-à-dire l’enseignement des papes, etc. De ne pas, justement, se promener et choisir des morceaux que l’on préfère ou de dire cet aspect-là de la morale je l’aime pas, celui-là je l’aime bien. C’est d’essayer de comprendre pourquoi. Ne pas juste dire : « bon, bien, ok il ne faut pas faire ça parce que le prêtre l’a dit », mais bien de comprendre et de voir : « pourquoi on ne peut pas faire ça ? Qu’est-ce que ça veut dire ? » Il faut d’abord donner vraiment un crédit à ça, donner crédit au fait que justement, oui, il y a Dieu, il y a Jésus Christ et que l’Église n’est pas juste une institution humaine, mais d’abord une institution divine, une institution qui parle au nom de Dieu, qui enseigne au nom Dieu, qui interprète ce que Dieu veut.
Il cherche donc une forme d’intégralisme dans un agir exemplaire. Or, aucun de nos répondants, pourtant de véritables observants (au sens où le disait Gabriel Le Bras, 1953-1954), ne recherchent pas « la restauration de l’Église ou de la société », contrairement aux catholiques « contre-révolutionnaires » de France, analysés finement par le politologue Yann Raison du Cleuziou (2019 : 21). Nous serions plutôt ici face à une attitude qui n’est pas étrangère à celle d’un catholicisme exemplaire que décrit par le sociologue Isacco Turina.
Le recours au choix de vie est alors ressenti comme un gage d’authenticité : dès que quelqu’un s’engage âme et corps sans aucun gain matériel, l’hypothèse qu’il soit insincère perd de ses arguments. Le témoignage reçoit sa force du fait que les conséquences de l’adhésion par la vie, et non par la parole, retombent sur le croyant lui-même. [. . .] En prenant une doctrine comme seule règle de vie, le témoin montre que la validité du discours religieux ne s’inscrit pas sur le même plan que d’autres logiques (politique, économique, scientifique. . .) mais prétend à la primauté indivise et à la totalité. (Turnina, 2006 : 128)
C’est bien cette intégrité du parcours qui fait la virtuosité du croyant. Mireille l’affirme sans ambages : certains dogmes et prises de position de l’Église la rebutent, sinon la choquent. Cette opposition n’en est cependant pas moins évangélique, selon elle. Tout au contraire, il s’agirait là d’un chemin de solidarité et de cohérence avec une foi authentique.
Comment tu peux défendre une Église qui prétend traiter les hommes et les femmes de la même façon, mais qui ne le fait pas dans les faits ? C’est pas le premier point de désaccord que j’ai avec le dogme de mon Église. L’Église pis le dogme de l’Église, ce sont deux choses. L’institution, c’est n’est pas toute l’Église. L’Église avec un grand E, c’est tout le monde qui est baptisé, et plus encore à mon sens. Je ne cache pas mon désaccord. [. . .] Je ne pense pas que je vais à l’encontre de Dieu pis de son message en m’insurgeant contre des injustices sexistes. Pis souvent, j’ai l’image de Dieu qui se facepalm un peu. Y a des gens qui meurent, y a des gens qui souffrent, y a des gens qui ont mal. . . pis. . . ça je trouve ça puéril, un peu comme débat, tu comprends ?
Complétude de l’identité de virtuose
Peu des gens interviewés dans le cadre de cette recherche ont acquis la complétude de leur identité de virtuose religieux. Seulement trois d’entre eux connaissent actuellement une pleine institutionnalisation de celle-ci avec l’acquisition d’un statut reconnu au sein de la communauté religieuse, paroissiale ou diocésaine. Il ne s’agit pas ici de responsabilités données à quelques jeunes militants catholiques pour rasséréner leur nouvelle identité, mais d’acquisition d’un véritable statut rémunéré, reconnu et convoité au sein de l’Église ou de groupes religieux prestigieux. Par cette ultime reconnaissance, ils deviennent des « professionnels » de la chose religieuse. Notons qu’aucune de ces personnes interviewées n’a choisi de se faire prêtre, religieux ou religieuse. Elles ont plutôt opté pour devenir des membres laïques, l’un ou l’autre assumant des fonctions nécessaires au maintien et à la croissance du groupe religieux (communication, recherche et développement, organisation communautaire, etc.).
Pour un élu au sein des cercles cléricaux, diocésains ou congrégationnels, il y a cependant plusieurs virtuoses qui pâtissent d’un manque de reconnaissance. Ne pas y accéder peut signaler une sortie à venir ou l’étiolement même de la virtuosité du porteur. Cela peut même parfois être vécu de manière tragique, comme un désaveu de leur propre personne et de leur propre talent. Cela peut être causé par une absence de coordination entre divers paliers institutionnels, comme cette militante adulte, Lucia, qui, après avoir vécu les JMJ, n’a d’autres choix que la messe paroissiale pour assouvir sa ferveur renouvelée. De retour des JMJ, « tu tombes raide après ça. C’est comme un gros gros gros high de que ce qui est possible [. . .]. Quelque part, c’était un début de petit deuil ». Acculée au catholicisme d’une autre époque, sa virtuosité ne trouve pas de lieu de confirmation et tombe dès lors en désuétude. Son ressentiment nourrit corollairement un discours critique de l’Église qui la conduit à décrocher peu à peu. « Coudonc, moi, je vais vivre ça à ma façon, pis l’Église, bien, il arrivera ce qu’il arrivera à l’Église ! » (Voir notamment Mercier, 2020)
La sortie peut prendre un tour plus dramatique, alors qu’au faîte des groupes de formation catholique, certaine comme Marie, craquent devant la charge et l’exigence de la virtuosité et de l’ascèse demandées. Quelques mois après avoir commencé une formation théologique intensive d’un an, elle entre dans un hôpital psychiatrique où on lui diagnostique une sévère dépression. « Je dirais que la maison a encore effondré un peu [. . .]. On dirait juste que [. . .] j’avais le goût d’un brake, là c’était trop intense. » Jamais elle n’y reviendra. Elle se dira, par la suite, non plus « catholique » mais « chrétienne » et. Ces sorties non recherchées de l’espace des virtuoses semblent toucher principalement les femmes d’un certain âge issues de notre corpus. Pour des raisons diverses et qui tiennent sans doute à des questions de pouvoir dans l’Église, on ne souhaite pas ici attribuer l’ultime bien de salut du virtuose qui est sa pleine reconnaissance par un statut rémunéré. Ces femmes, pourtant fer-de-lance de l’Église d’aujourd’hui, deviennent pour ainsi dire des virtuoses sacrifiées sur l’autel de la cléricature (Roy, 1996 ; Woodhead, 2007).
Discussion : ce que la virtuosité religieuse de nos participants nous apprend du catholicisme québécois contemporain
Nous le disions, règle générale, la virtuosité analysée ici passe peu par une ascèse très affirmée. Rares sont ceux qui transforment radicalement leur société. Personne ou presque ne parle d’adoption de règles communes de vie au sens strict ; les changements se veulent d’abord internes, sinon intimes, et modifient peu les pratiques déjà existantes (religieuses ou non). On ne peut aussi dire qu’on préfère pour autant la voie contemplative, la mystique. Toutefois, c’est plutôt l’atteinte d’un sentiment que l’on espère que le contrôle explicite sur une économie du salut. D’ailleurs, aucun des interviewés n’a référé (de près ou de loin) au salut en tant que tel, alors qu’à maintes reprises ils auraient pu en parler. Le perfectionnement de soi qui est visé par leur virtuosité cherche plutôt à établir une bonification de leur état hic et nunc – ici-bas et maintenant. À l’ascèse et à la contemplation qui forment chez Weber le cœur du perfectionnement de soi en vue du salut, faudrait-il ajouter ici une autre voie, celle de l’atteinte d’expériences ? C’est du moins ce que suggère l’analyse de plusieurs histoires de vie religieuse des virtuoses de notre corpus d’entretiens. L’atteinte d’expériences se distinguerait ici de l’atteinte d’état à proprement parler (comme chez le mystique), en ceci qu’on ne cherche pas tant à faire surgir une intuition radicalement neuve qui n’existe pas dans l’« état de nature », mais plutôt à prendre en compte les différents paramètres de la vie psychique dans le présent, et ce, à partir d’une expérience spirituelle (relatée la plupart du temps comme étant forte et centrale) qui renouvelleraient la façon dont est interprétée la vie pour ces individus. L’expérience en question est souvent celle qui rassérène le sentiment de l’existence d’une transcendance – sentiment fugace, précaire et souvent remis en question dans un milieu où le catholicisme « appartiendrait à un monde que nous avons perdu » et « ne ferait plus sens pour la société globale » (Dumons, 2017: 15). À certains égards, chez certains interviewés, il y a là une volonté de perfectionnement de soi qui s’appuie sur une rationalité, qui s’apparente parfois à la démarche d’une thérapeutique, parfois même simplement à une sagesse ritualisée. Cela rejoint directement les travaux de Raymond Lemieux qui, dans son article « Histoire de vie et postmodernité religieuses » proposait que la religiosité des Québécois interviewés passât par l’expérience, celle-ci induisant une sorte de rationalité instrumentale aux croyances : « “c'est ça qui m'est utile” ; “j'en ai expérimenté la valeur ” ; “ça a du bon sens” » (Lemieux, 1992, p. 210). Ces catégories structurales des croyances se reflètent dans les récits de nos interviewés. Leur religiosité « fonctionne », car ils en ont fait l’expérience ; cela les a personnellement aidés, même s’ils ne peuvent vraiment rendre compte de sa vérité, ils peuvent du moins témoigner de son efficience sur leur personnalité.
On comprendra qu’il devient bien complexe, en ce cas, de chercher, comme l’ont fait Weber ou Troeltsch, à vérifier si le perfectionnement de soi des virtuoses s’établit par une logique intra ou extra mondaine. En fait, pour les individus de notre corpus, cette catégorisation ne semble pas pertinente. La façon dont ils rendent compte de leur histoire de vie religieuse suggère plutôt d’autres dimensions qui s’écartent du schéma classique wébérien. Ces dimensions semblent être traduites, de manière inédite, par les catégories « dans la personne » ou « hors de la personne ». La très grande majorité de nos interviewés cherchent à accomplir leur religion (si l’on peut dire) non pas tant hors du monde ou dans le monde, mais à l’intérieur même de leur personne (vue comme déficiente, insuffisante, malade, incapable ou dissipée). Peu d’entre eux cherchent en effet à accomplir hors de leur personne une vie meilleure ou à mieux faire communauté, et ce, malgré leur participation à des groupes d’Église ou malgré leur nostalgie du monde plein de la famille (avant sa débâcle, divorce, mortalité, etc.).
Qu’apprend-on du catholicisme québécois contemporain de cette nouvelle figure du virtuose catholique ? Qu’est-ce que ces parcours personnels d’individus croyants, pratiquants et recherchant la cooptation et la reconnaissance au sein d’une institution de sens, nous apprend de l’Église québécoise actuelle ? Trois attributs complémentaires retiennent notre attention et semblent définir le catholicisme québécois à la lueur de l’examen de ces explorations. Cette nouvelle forme de religiosité (Gauthier, 2017) semble porteuse a) d’un caractère expérientiel et thérapeutique ; b) d’un apolitisme ; c) d’un certain piétisme.
Avant de décrypter la signification de ces trois attributs, il importe de redire que cette analyse du catholicisme québécois n’a rien d’exhaustif. Les aspects institutionnels et sociodémographiques de l’Église, l’importance des communautés nouvelles et des nouvelles initiatives pastorales, la baisse des certains indicateurs de vitalité religieuse, les nouvelles dynamiques communautaires paroissiales induites par l’immigration récente et les transformations pastorales, catéchétiques et sacramentelles qui y sont liées ; bref, tous ces enjeux ne sont pas couverts de front par les propos qui suivront. Notre analyse ne repose ici que sur quelques parcours de vie de personnes fortement impliquées au sein de l’Église d’aujourd’hui ou mues par la religion catholique au Québec. Nous l’avons dit, ces virtuoses ressemblent peu aux membres de communautés religieuses qui consacrent leur vie entière. Rappelons que nous n’avons présenté que des portraits de laïcs. Or, leur type d’engagement n’est pas moins exceptionnel pour autant, surtout lorsqu’on le compare à la religiosité modale des Québécois et Québécoises actuellement. Rappelons que la pratique hebdomadaire tourne autour de 5 à 7 % de la population et touche majoritairement les gens âgés de 70 ans et plus nés au Québec (les personnes issues de l’immigration forment l’autre pan de la pratique en paroisse). Y retrouver une personne de 35 ans et moins née au Québec et n’ayant pas été socialisée au catholicisme via l’école est rarissime. Cette rareté confirme en un sens leur virtuosité religieuse. Leur désir de consacrer une part significative de leur vie à l’exercice des préceptes de la religion catholique et d’y rechercher une certaine perfectibilité spirituelle fait d’eux de véritables spécimens au sein de la culture québécoise sécularisée. Bien que rare, leur virtuosité révèle malgré tout de précieuses indications sur la nature du catholicisme québécois contemporain, du moins dans sa visée actuelle et sa réception auprès d’une certaine population encore intéressée à s’y investir.
De prime abord, le type de virtuosité qu’ils présentent montre à voir la porosité du catholicisme contemporain aux doctrines et pratiques thérapeutisantes centrées sur le ressenti, à partir d’expériences inédites (Rieff 1966 ; Lasch, 1979 ; Riis et Woodhead, 2010 : chapter 6). L’épanouissement personnel est central dans le propos de maints de nos virtuoses. Le soi et son déploiement sont au cœur des pratiques religieuses de ces personnes. La religion n’est pas conçue comme une obligation morale prenant sa source à l’extérieur ou comme une vérité à laquelle il faudrait se soumettre. Le catholicisme devient opérant chez eux s’il est capable de rejoindre leur intériorité et de « faire du bien » à l’âme, à la psyché, voire à la santé générale. Parfois, il guérit une faiblesse, une tare, une blessure. Cette optique thérapeutique semble appréciée par plusieurs et emprunte certaines formes de pratiques que l’on retrouve dans l’évangélisme, centrées sur l’individu (et moins la communauté ou la société). D’une certaine manière, on peut estimer que les discours sur la « nouvelle évangélisation » promulgués par les hiérarchies catholiques du Québec et du Canada, des années 2010 à nos jours, ont conduit progressivement un certain catholicisme à peaufiner ses approches thérapeutiques en matière de religiosité, en misant peu à peu sur une pastorale sur l’individualité, de l’expérience intime du religieux et de l’épanouissement personnel. Ce nouvel attribut du catholicisme contemporain rompt, d’une certaine manière, avec les us et coutumes de la civilisation paroissiale, d’une part, et, d’autre part, avec une conception plus sociale (sinon socialiste chrétienne) de l’Église québécoise (Dumont, 1996). Il participe à une « évangélicalisation » (Willaime, 1992 ; Willaime et Meunier, 2019) du catholicisme et son centrement sur les affects (Hervieu-Léger, 2001 ; Aubourg, 2020). ll renoue néanmoins avec certaines pratiques de piété parfois plus ostentatoires, orientées vers l’émotion en religion (Hervieu-Léger et Champion, 1990). Nous y reviendrons.
Conséquemment, autre trait du catholicisme québécois actuel, celui-ci semble résolument apolitique. Outre une seule personne interviewée, fortement engagée dans un groupe de promotion du christianisme social, tous les autres virtuoses de notre corpus semblent indifférents ou insensibles aux questions politiques et sociales (Bélanger, 1974). Le catholicisme présenté ici étant davantage celui d’une intimité, nul besoin de se commettre sur des questions épineuses relevant du vivre-ensemble. Cet apolitisme n’avalise cependant pas de soi le libéralisme ; il reconnaît implicitement un certain individualisme ambiant (Stolz, Könemann, Purdie et al., 2015). Cette reconnaissance n’est pas affirmée ; rien n’est toutefois véritablement contesté de front – comme si les choses spirituelles et terrestres relevaient de deux mondes étrangers l’un à l’autre. En fait, les récits de vie des virtuoses interrogés montrent à voir que, dans un univers fortement sécularisé, le territoire conquis par la religion est mince et qu’il est un patrimoine à protéger. Autrement dit, la compénétration du spirituel et du temporel ne saurait être complétée dans un même engagement, car c’est le territoire même du religieux qui pourrait être mis à mal. Ce dernier est précaire et tributaire de l’individualité qui s’affirme par lui et en lui. Nous le disions, les virtuoses québécois ne sont pas subjugués par une vérité tout extérieure à eux et à laquelle ils n’auraient qu’à se soumettre, une fois celle-ci reconnue telle. Au contraire, tout semble se passer en eux-mêmes et via les affects. La reconnaissance intime de la vérité est le gage même de cette vérité, ce qui, pour le virtuose, légitime et authentifie le religieux en tant que tel. C’est la sensation et le ressenti même, liés à cette reconnaissance, qui semblent le cœur de la vérité religieuse dans le récit que plusieurs d’entre eux donnent de leur conversion ou leur accession au statut de virtuose. L’institution ecclésiale est ici réduite à un moyen par lequel on accède à une expérience religieuse, et la doctrine religieuse n’est souvent perçue que comme une forme rationalisée, extérieure, voire purement légale. La littérature mystique ou les recueils de prières sont plus prisés que les traités de théologie ou les Encycliques. Ce qui est aimé du Pape François tient davantage à sa personne, qu’à sa doctrine, ou qu’à son type de leadership. Pour reprendre l’expression de J.-P. Albert, « l’attitude théologique commune est moins une fides quaerens intellectum qu’une fides quaerens experientiam » (Albert, 2013, p. 12).
Ainsi, une division semble s’imposer entre les choses du religieux et celle de séculier. Le virtuose ne comprend pas le catholicisme québécois selon ces sphères. La religion semble résider en son intimité : cela est le lieu de sa profondeur ; le politique, les institutions et la société forment les territoires de superficialité, où on s’y perd plutôt que de s’y trouver. Il ne faut pas fuir le monde ni l’investir, il faut rester en soi et au sein de groupe d’église qui protège ce tabernacle, nouvellement acquis chez maints de ces convertis. Les virtuoses du catholicisme québécois contemporain mettent de l’avant des pratiques qui sont souvent très proches d’un certain piétisme. Comme dans le piétisme protestant (J. B. 1968), il est une réaction contre les tendances mondaines d’un catholicisme institutionnel engagé au cœur des réalités sociales et nationales. Il est également une forme religieuse quasi anti-intellectuelle et quasi anti-théologique, notamment en mettant de l’avant l’introspection, l’intimité et l’affectivité comme lieu authentique et véritable de religiosité.
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En conclusion, le catholicisme mis de l’avant par les virtuoses interviewés n’est ni véritablement intransigeant, ni manifestement identitaire. Pour reprendre le concept de notre collègue Jean-Marie Donegani (1993), il s’apparente davantage au type marginaliste, plutôt transigeant qu’intégraliste, plus poreux aux idéologies contemporaines que contestataires.
Cette porosité est d’ailleurs manifeste. Que la virtuosité décrite ici soit toute tournée vers l’individu, comporte des accents thérapeutiques et trouve sa vérité dans l’expérience, témoigne en effet de cette perméabilité aux injonctions de la culture ambiante. Les dynamiques ici exposées ne sont pas si étrangères à celles que nous pourrions retrouver dans différents mouvements de développement personnel (Marquis, 2014), dans les récits des aventuriers hypermodernes (Jauréguiberry & Lachance, 2016), ou dans la prédication des coachs de vie. Ce qui singularise le virtuose face à ces doctrines séculières, c’est son affirmation de la primauté du religieux confessant dans la vie personnelle. Nous l’avons dit, ce sont des catholiques affirmés, décomplexés en un sens, voulant témoigner avec éclat de leur foi et de leur expérience religieuse. Or, cette primauté du religieux dans leur vie s’exprime malgré tout, comme le relate abondamment les récits de vie des virtuoses interrogés, par le ressenti dans l’intimité – deux vecteurs constitutifs de la sécularité libérale, telle qu’on peut la retrouver dans le Québec des années 2020.
L’analyse des virtuoses religieux permet à la fois une actualisation du concept wébérien et une observation privilégiée de la recomposition du catholicisme. Certes, la distinction du virtuose par rapport à la religiosité de masse n’est plus aussi radicale; le Ständ ne prend plus la même forme; et les institutions du religieux ont beaucoup changé depuis les écrits de Weber. Nous l’affirmions dès le départ de notre exploration, la virtuosité ici observée n’est certainement pas celle analysée par le sociologue allemand. Néanmoins, les traits du virtuose et la dynamique d’accès à la virtuosité que le modèle wébérien systématise nous permettent de lire, d’analyser et d’interpréter finement les traits du religieux contemporain. Les sociétés évoluant, il ne sert à rien de rechercher du même. L’enjeu est plutôt de penser, avec Weber, ces évolutions.
Et ce que Weber nous permet d’observer et de penser, c’est précisément la recomposition ou reconfiguration du catholicisme québécois tout autant que le rapport du catholicisme à la culture – thème indémodable s’il en est. L’inculturation du religieux serait-elle plus forte que les diagnostics de « fossé culturel » ou de déconnexion (Roy, 2008) le laissent entendre depuis 40 ans ? Si, de prime abord, le virtuose pouvait être perçu comme le plus à contre-courant de la culture dominante, à l’analyse, c’est bien le constat inverse qui s’impose et dont nous avons rendu compte en ces pages. Comme quoi la virtuosité religieuse, quelle que soit sa teneur, est toujours engendrée, bon gré mal gré, par son époque.
Rappelons que Weber disait ne pas posséder cette « oreille musicale religieuse ». Anectode relatée par Marianne Weber (1989 : 370).
« Le Ständ (“état” ou “corps”) correspond au vocable latin ordo ; il désigne un groupe monopolisant un certain prestige social ou un capital de biens symboliques. Le monachisme, en tant que corps de virtuoses religieux ascétiques, prend place en rapport avec les spécialistes et les non-spécialistes de la religion » (Turcotte, 2012 : 407).
Footnotes
Les auteurs déclarent qu’il n’y a aucun conflit d’intérêt à l’égard de la recherche, les droits d’auteurs et / ou la publication de cet article.
Financement: Les auteurs n’ont pas reçu de soutien financier pour la recherche, les droits d’auteurs et / ou la publication de cet article.
ORCID iD: Jean-Philippe Perreault
https://orcid.org/0000-0003-1145-7850
Contributor Information
E.-Martin Meunier, Université d’Ottawa, Canada.
Jean-Philippe Perreault, Université Laval, Canada.
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