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. 2024 Feb 20;196(6):E206–E208. [Article in French] doi: 10.1503/cmaj.231089-f

Le temps est venu d’améliorer la transparence à l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada

Marc-André Gagnon 1,, Marie-Hélène Bacon 1
PMCID: PMC10890226  PMID: 38378214

Points clés

  • Dans la dernière année, l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada a fait l’objet de critiques pour sa non-divulgation d’information concernant la sécurité des pesticides puisque les données sont considérées comme des renseignements commerciaux confidentiels.

  • Ce degré de secret contraste avec les mesures entreprises par Santé Canada pour améliorer la transparence en lien avec les produits thérapeutiques.

  • La Loi de Vanessa donne aux ministres de la Santé actuel et futurs des pouvoirs discrétionnaires leur permettant de divulguer des renseignements commerciaux confidentiels sur les produits thérapeutiques s’ils ou elles pensent qu’un danger sérieux menace la santé humaine et l’environnement.

  • Le ou la ministre de la Santé devrait se voir conférer les mêmes pouvoirs pour les données sur la sécurité des pesticides.

En 2021, l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de Santé Canada a proposé de doubler la limite maximale de résidus de glyphosate dans certains aliments, comme l’avoine et les haricots1. Cette suggestion, faite à la demande de Bayer–Monsanto2, a soulevé de sérieuses préoccupations quant aux effets sur la santé des herbicides à base de glyphosate dans la nourriture consommée au Canada.

Les herbicides à base de glyphosate, pesticides les plus vendus au Canada, sont utilisés sur plusieurs cultures, comme le soya et le maïs, pour la dessiccation des grains ou l’élimination des mauvaises herbes. Plusieurs études et une métanalyse ont montré les effets néfastes de ces herbicides sur la santé3,4. Par exemple, après sa revue de la littérature scientifique indépendante, le Centre International de Recherche sur le Cancer de l’Organisation mondiale de la Santé a conclu que le glyphosate et les herbicides à base de glyphosate (qui contiennent aussi d’autres produits chimiques) sont génotoxiques et probablement cancérigènes pour les êtres humains, et ont également une association positive avec les lymphomes non Hodgkiniens5. Néanmoins, Santé Canada a approuvé de nouveau les herbicides à base de glyphosate jusqu’en 2032 et a augmenté la limite maximale de résidus audessus de celle imposée par les États-Unis et la Chine. L’ARLA considère que les résidus de glyphosate « ne poseront pas de risques inacceptables pour aucune sous-population »1. Lorsque le groupe de la société civile Vigilance OGM a soumis une demande d’accès à l’information dans le but de consulter les études appuyant ces propos, l’ARLA a envoyé, après un délai de 1 an, 229 pages complètement blanches6. Poussé à être plus transparent, Santé Canada a annoncé la création du Comité consultatif scientifique sur les produits antiparasitaires, composé d’équipes-conseils scientifiques indépendantes. En juillet 2023, le coprésident du comité, Bruce Lanphear, a démissionné parce que le comité était incapable d’accéder à des données sur la sécurité des produits, affirmant qu’il croyait que l’industrie avait une trop grande influence sur la réglementation des pesticides7.

La démission du Dr Lanphear met en lumière les problèmes de la réglementation des pesticides par l’ARLA. Bien que la préparation commerciale d’herbicides à base de glyphosate comprenne des coformulants (p. ex., du suif aminé éthoxylé, des substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques, de l’arsenic, du pétrole) qui sont jusqu’à 1000 fois plus toxiques que le glyphosate utilisé seul, l’ARLA évalue et réglemente seulement le glyphosate comme ingrédient « actif », ce qui est grandement problématique7. De plus, les données et les renseignements des fabricants, essentiels à l’évaluation par l’ARLA de la sécurité des pesticides, sont gardés secrets et considérés comme des « renseignements commerciaux confidentiels » (RCC), donc ne peuvent être vérifiés en dehors de l’ARLA. Par exemple, l’évaluation des dangers toxicologiques du glyphosate lors de sa nouvelle autorisation en 2017 était basée, dans le projet de décision de réévaluation, sur 118 références à des études classifiées fournies par le secteur et non sujettes à une revue scientifique indépendante par les pairs, et 7 références « publiées » sans auteurs, autrices ou endroit de publication8.

L’ARLA de Santé Canada considère l’évaluation des risques des pesticides et leurs données de vente au Canada comme des RCC, et les équipes-conseils scientifiques indépendantes ne peuvent accéder à ces données, malgré la Loi sur l’accès à l’information. Un tel degré de confidentialité contraste avec les mesures importantes entreprises par Santé Canada pour améliorer la transparence des données sur les produits thérapeutiques.

Une culture de données secrètes et de RCC n’a rien de nouveau pour Santé Canada. Pendant des décennies, le ministère a été considéré comme proactif dans la limitation de l’accès à des données de sécurité concernant les produits pharmaceutiques, comme les effets indésirables des médicaments9. En 2004, l’Association canadienne des journalistes a déclaré que Santé Canada était le « ministère le plus impénétrable au pays » et lui a décerné son prix de la « loi du silence » pour « son zèle remarquable envers la suppression de renseignements » et « le camouflage de données essentielles à propos de médicaments dangereux »9. C’est seulement après une campagne médiatique par la Société Radio-Canada sur les risques de certains produits thérapeutiques que Santé Canada a finalement amélioré sa transparence quant à l’information sur les médicaments; une base de données sur les effets négatifs des médicaments a été rendue publique en ligne en 2005.

Santé Canada a aussi essuyé de sérieuses critiques à l’encontre de son manque de transparence par rapport aux données tirées d’essais cliniques qui ont été considérées comme des RCC. Même si les compagnies pharmaceutiques ont soumis toutes leurs données cliniques pour l’approbation des médicaments, elles ont choisi celles à diffuser dans les publications médicales, créant un biais considérable dans les informations sur les médicaments offertes aux médecins prescripteurs et prescriptrices10. En revanche, ces pratiques nuisibles ont été considérablement réduites après l’adoption du projet de loi C-17 en 2014, la Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues — Loi visant à protéger les Canadiens contre les drogues dangereuses, aussi connue sous le nom de Loi de Vanessa11. Après une lente application, les dispositions de transparence de la Loi de Vanessa ont incité les compagnies pharmaceutiques à rendre publics certains renseignements concernant les essais cliniques et autres études de sécurité qu’elles commanditent. La loi a aussi donné aux ministres de la Santé actuel et futurs de nouveaux pouvoirs discrétionnaires pour divulguer les RCC sans aviser la tierce partie qui prétend en être propriétaire ni demander son consentement, notamment si le ou la ministre estime qu’un risque grave de préjudice menaçant la santé humaine pourrait être atténué ou évité (Loi sur les aliments et drogues, article 21.113). Même si aucun risque particulier n’a été relevé, le ou la ministre a le pouvoir de transmettre des RCC à quiconque œuvrant à la protection ou à la promotion de la santé humaine ou de la sécurité publique, pourvu que les RCC ne servent pas à des fins commerciales. Depuis juin 2023, le ou la ministre peut aussi fournir les RCC des compagnies pharmaceutiques pour protéger l’environnement (Loi sur les aliments et drogues, article 21.301), mais il ou elle ne peut pas user de ce pouvoir avec les RCC des compagnies de pesticides.

Les nouveaux pouvoirs discrétionnaires mentionnés plus haut permettent aux ministres de la Santé actuel et futurs de divulguer ces données à la demande des scientifiques11. Ces pouvoirs permettent même la mise en place d’un portail Web par lequel le public peut accéder directement à toutes les données cliniques prises en compte dans l’approbation de nouveaux médicaments, ce qui améliore grandement la transparence pour les produits thérapeutiques11. Toutefois, ces efforts ont été limités à ce type de produit, malgré les nombreux ouvrages scientifiques établissant la relation entre les pesticides et certains problèmes de santé, comme la maladie de Parkinson, des troubles cognitifs, le cancer de la prostate, le myélome multiple et les lymphomes non Hodgkiniens, ainsi que des troubles neuropsychologiques et du développement moteur, des malformations congénitales et la leucémie chez les enfants exposés aux pesticides durant la grossesse4.

Cette culture du secret à l’ARLA de Santé Canada est profondément inquiétante. Les ministres de la Santé devraient user de leurs pouvoirs discrétionnaires pour faire en sorte que les données sur la sécurité des pesticides ne soient plus cachées et considérées comme RCC, comme avec les produits thérapeutiques. En limitant l’accès aux données probantes et en imposant la confidentialité, Santé Canada empêche des débats publics constructifs sur des problèmes scientifiques et de santé importants en lien avec les pesticides, ce qui nourrit le sentiment selon lequel les institutions gouvernementales sont sous l’influence du secteur agrochimique.

Remerciement:

L’auteur et l’autrice remercient Louise Vandelac pour son aide dans la recherche pour cet article.

Voir la version anglaise de l’article ici: www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.231089

Footnotes

Intérêts concurrents: Marie-Hélène Bacon siège au conseil d’administration (poste non rémunéré) de l’organisme sans but lucratif Vigilance OGM. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.

Cet article a été révisé par des pairs.

Collaborateurs: L’auteur et l’autrice ont contribué à la conception du travail, ont rédigé le manuscrit et en ont révisé de façon critique le contenu intellectuel important; il et elle ont donné leur approbation finale pour la version destinée à être publiée et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.

Financement: Cet article a été appuyé par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) (no 254243) et par une subvention Savoir du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) (no 435-2021-0715). Les organismes subventionnaires n’ont joué aucun rôle dans la conception ou la conduite de l’étude ni dans la publication du manuscrit.

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