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. 2024 Jun 30;37(2):97–100. [Article in French]

BRÛLURES DES PIEDS CHEZ LE DIABÉTIQUE : À PROPOS DE 34 CAS

FEET BURNS AND DIABETES MELLITUS : A 34-CASE SERIES

I Blagui 1, A Mokline 1,2,, H Fraj 1,2, AA Messad 1,2
PMCID: PMC11225296  PMID: 38974787

RÉSUMÉ

Le diabète est une pathologie pourvoyeuse de neuropathie périphérique dont la forme clinique la plus fréquente est la polynévrite « en chaussettes » avec perte de la sensibilité des pieds à la douleur, exposant les diabétiques à un risque élevé de brûlure grave des membres inférieurs. Notre étude rétrospective avait pour objectif d’étudier les caractéristiques épidémiologiques, cliniques, thérapeutiques et évolutives des brûlures de pieds survenant chez des patients diabétiques hospitalisés dans le CTB de Tunis, durant une période de 4 ans (2019-2022). Nous avons inclus 34 patients dont 9 avaient des brûlures isolées des pieds. L’âge moyen était de 60 ans (extrêmes : 41-83 ans), avec prédominance masculine (sex-ratio =1,83/1). Un quart des patients (n=9) était sous antidiabétiques oraux (ADO) et la moitié (n=18) souffrait de complications dégénératives. La glycémie à l’admission était supérieure à 10 mmol /L chez 73% des patients. La surface cutanée brûlée moyenne était de 19%. Vingt-deux patients (65%) avaient des brûlures profondes au niveau des pieds dont 5 parmi eux ont eu une incision de décharge pour brûlures profondes et circulaires. Une amputation a été nécessaire chez 15 patients, intéressant les orteils (n=9), une jambe (n=3) et deux jambes (n=3). La durée de séjour en USI a été de 18,31 jours et la mortalité de 20,58%.

Mots-clés: brûlure, pied, diabète, épidémiologie, traitement, prévention

Introduction

La neuropathie diabétique est une complication fréquente du diabète et son incidence augmente avec l’ancienneté du diabète et l’équilibre glycémique.1,2 La polynévrite «en chaussette» avec perte de la sensibilité des pieds à la douleur, est la forme la plus fréquente. Sa prévalence est estimée à 50% chez les diabétiques dont la maladie évolue depuis plus de 20 ans, et/ou chez ceux âgés de plus de 65 ans.3,4 Ceci pourrait expliquer la profondeur des brûlures des pieds par bouillottes et bain maure chez les diabétiques. Leur prise en charge thérapeutique demeure difficile pour 2 raisons : d’une part car la brûlure cutanée représente un facteur de décompensation aiguë du diabète, d’autre part car ce déséquilibre expose le diabétique à des complications (essentiellement infectieuses), retardant la cicatrisation des lésions. Ces brûlures entraînent par conséquent un double préjudice; fonctionnel avec un risque d’amputation et psychologique.5 Le but de notre travail était d’étudier les caractéristiques des brûlures des pieds chez les diabétiques et d’identifier les facteurs de mauvais pronostic.

Patients et méthodes

Étude descriptive et rétrospective incluant les patients diabétiques victimes de brûlures des pieds, hospitalisés dans le service de réanimation des brûlés de Tunis entre janvier 2019 et décembre 2022. Les données épidémiologiques des patients (âge, sexe, antécédents médicaux, ancienneté et complications dégénératives du diabète), les données liées à la brûlure (contexte de survenue, agent causal, étendue des brûlures, profondeur...), ainsi que les données thérapeutiques et évolutives ont été recueillies dans les dossiers médicaux. Les données ont été analysées au moyen du logiciel SPSS version 17.0.

Résultats

Durant la période d’étude, 1 600 patients ont été hospitalisés dont 115 étaient diabétiques (7,2%). Parmi eux, 34 (29,5%) avaient des brûlures de pieds. Il s’agissait de 22 hommes et de 12 femmes, d’un âge moyen de 60 ans (41 à 83 ans - Fig. 1). Les 2/3 des patients (n=23) étaient âgés de moins de 65 ans. Le délai de consultation moyen était de 44h (1h- 15 jours), le délai de prise en charge spécialisée dépassant les 48h dans plus de 30% des cas. Il s’agissait d’un diabète de type 2 chez 22 patients, d’une ancienneté moyenne de 13 ans (2 à 30 ans). Les 2/3 de nos patients (n=23) avaient un diabète évoluant depuis plus de 10 ans. Plus de la moitié des patients étaient au stade de complications dégénératives à type de macro- (39%) ou de microangiopathie (11%). Des antécédents d’hypertension artérielle ont été rapportés chez 15 patients dont un au stade d’insuffisance cardiaque chronique. Un diabète inaugural a été diagnostiqué chez un patient. Les brûlures étaient thermiques dans 80,4% des cas (n=24), et électriques dans 20,6% des cas (n=7). Concernant les brûlures thermiques, il s’agissait des brûlures en rapport avec un bain maure, contact avec une bouillotte ou un chauffage à gaz. Les brûlures étaient secondaires à un accident domestique dans 72% des cas. Le refroidissement initial a été pratiqué dans la moitié des cas. La surface cutanée brûlée moyenne était de 19%. Les brûlures étaient profondes dans 65% des cas. Elles étaient limitées aux pieds dans 26% des cas (n=9). A l’admission, tous les patients avaient un diabète déséquilibré avec une glycémie moyenne de 16,40 mmol/l sans acido- cétose associé, nécessitant le recours à une insulinothérapie en continu, à la seringue électrique. Une glycémie supérieure à 20 mmol/l a été rapportée chez 30% des patients. L’HbA1C n’a été faite que chez 9 patients avec des valeurs entre 7,5% et 16,2%. La prise en charge initiale était basée sur le remplissage vasculaire dans 94% des cas, avec recours aux amines dans 6% des cas. L’intubation endotrachéale a été nécessaire chez 20,58% (n=7) des patients, pour brûlures de la face (n=3) ou pneumonie hypoxémiante (n=4) compliquée de SDRA dans un cas. Dans la majorité des cas, les soins locaux ont été faits par de sulfadiazine argentique en couche épaisse et gaze enduite d’huile de paraffine, jusqu’à la cicatrisation complète. L’excision des tissus nécrotiques a été réalisée chez 15 patients : nécrectomie classique (n=10) ; débridement hydro-chirurgical (n=3), et excision chirurgicale (n=2), et a été récusée chez 7 patients pour des troubles de l’hémostase. Une incision de décharge a été nécessaire chez 5 patients ayant des brûlures profondes circulaires, une amputation ayant été inévitable dans 15 cas (44%): orteils (n=9), jambe (n=3), 2 jambes (n=3). Des complications infectieuses ont été observées chez 13 patients (38%), source de décompensation cardiaque chez 6 patients. Il s’agissait d’infection cutanée (n=12) et d’infection urinaire (n=1). Une complication thrombo–embolique (embolie pulmonaire) a été rapportée chez un patient. La durée moyenne d’hospitalisation était de 18,31 jours (1 à 120) contre 12 jours pour la population générale. La mortalité était de 20,5% (n=8), en rapport avec un état de choc septique dans 5 cas. Dans notre série, 14/34 patients avaient une hyperglycémie à l’admission à 19 mmol/l versus 2 dont la glycémie était inférieure à 7,40 mmol/l. Cette hyperglycémie initiale a été associée à une mortalité élevée (44%).

Fig. 1.

Fig. 1

Répartition des surfaces brûlées selon l’âge

Discussion

Les lésions dégénératives dues au diabète sont des facteurs de risque de survenue de brûlure et d’aggravation de son évolution.5 La gravité de la brûlure est due à son caractère profond, souvent sous-estimé par le patient et son entourage, avec par conséquent un retard de prise en charge en milieu spécialisé. La polyneuropathie diabétique est fréquente, à prédominance sensitive. Sa topographie est habituellement distale, bilatérale et symétrique, souvent «en chaussette», rarement en gant, et exceptionnellement thoraco-abdominale.6 Dans notre série, plus des 2/3 des patients (n=11) avaient un diabète évoluant depuis plus de 10 ans et la moitié était au stade de complications dégénératives. Dans cette population, les brûlures thermiques par bouillottes ou par bains maures sont assez fréquentes avec une incidence variable selon les séries: 27% sur une cohorte de 37 patients publiée en 1987 par Katcher7 et de 54% sur une étude récente publiée en 2022 par Privé et al. sur une cohorte de 30 patients.8 Dans notre série, les brûlures thermiques étaient les plus fréquentes (75%) dont 26% était en rapport avec des bouillottes, bain maure ou chauffage à gaz. Le patient diabétique ayant des brûlures des pieds, est souvent exposé à des complications infectieuses, avec une lourde morbi-mortalité. La brûlure constitue une agression qui perturbe l’équilibre endocrinien avec une hyperproduction d’hormones catabolisantes, hyperglycémiantes (catécholamines, glucocorticoïdes, glucagon) et une sécrétion insuffisante d’hormones anabolisantes (insuline, hormone de croissance) associé ou non à une insulinorésistance. L’hyperglycémie observée impacte négativement le pronostic de brûlé diabétique. Ceci entraînerait un préjudice fonctionnel avec un risque élevé d’amputation, un préjudice psychologique avec un problème de réinsertion socio- professionnelle. Plusieurs études ont montré l’efficacité d’un contrôle strict de la glycémie sur la réduction de la mortalité et de la morbidité des malades. Dans une étude tunisienne menée en 2005 par Messadi et al.,9 il a été rapporté qu’une glycémie >1,4 g/L constitue un facteur de morbidité, notamment infectieuse, et de surmortalité. Il ressort de notre étude qu’une hyperglycémie à l’admission à 19 mmol/L est associée à une mortalité élevée, de l’ordre de 44%. Dans notre série, 38% de nos patients ont présenté une complication infectieuse, essentiellement cutanée (35%), avec nécessité d’une amputation dans 44% des cas. Ceci pourrait être expliqué par un délai de consultation tardif chez la majorité de nos patients. Dans la série de Momeni et al., sur une cohorte de 47 diabétiques ayant des brûlures des pieds, une cellulite a été rapportée dans 63% des cas avec recours à l’amputation dans 8% des cas.10 Dans la population diabétique, la durée d’hospitalisation est nettement supérieure à celle de la population non diabétique. Kimball et al. ont rapporté que la durée d’hospitalisation chez les brûlés diabétiques était de 14,1 +/-10 versus 9,8 +/- 9,3 jours chez les non diabétiques (p<0,01).11 Dans l’étude de Shalom, la durée de séjour était de 17 jours pour les diabétiques versus 8,89 jours pour les non diabétiques.12 Dans notre série, la durée moyenne d’hospitalisation était de 18,32 jours (extrêmes : 1 à 120 jours) contre 12 jours pour la population générale. Nous soulignons à travers ce travail, l’intérêt de l’éducation des patients diabétiques et leur sensibilisation aux brûlures distales particulièrement et à la plaie cutanée de façon plus générale. Cette prévention débute par un contrôle strict de la glycémie associée à une hygiène rigoureuse des pieds.13,14

Conclusion

La brûlure des pieds chez les diabétiques est souvent l’apanage des sujets âgés, de sexe masculin avec un diabète ancien, et est associée à une lourde morbimortalité. L’éducation du diabétique et sa sensibilisation ainsi que celle de son entourage aux règles de sécurité, lors des consultations spécialisés et/ou via les médias, permettrait d’éviter ces brûlures de contact préjudiciables sur le plan fonctionnel et vital. L’amélioration du pronostic des brûlures des pieds chez cette population nécessite une prise en charge thérapeutique précoce et pluridisciplinaire impliquant chirurgiens, plasticiens, réanimateurs et endocrinologues.

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Articles from Annals of Burns and Fire Disasters are provided here courtesy of Euro-Mediterranean Council for Burns and Fire Disasters (MBC)

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