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. 2024 May 24;69(9):717–726. [Article in French] doi: 10.1177/07067437241253631

Evaluation des Troubles Cognitifs Chez des Patients Tunisiens Atteints de Trouble Bipolaire en Rémission : Étude Cas-Témoins: Assessment of Cognitive Impairment in Tunisian Patients With Bipolar Disorder in Remission: A Case-Control Study

Nada Charfi 1,2,, Amal Bouaziz 1,2, Sana Omri 1,2, Imen Gassara 1,2, Rim Feki 1,2, Najeh Smaoui 1,2, Lobna Zouari 1,2, Mohamed Maâlej 1,2, Jihène Ben Thabet 1,2, Manel Maâlej Bouali 1,2
PMCID: PMC11351062  PMID: 38783828

Abrégé

Objectifs

Nos objectifs étaient d’évaluer les troubles cognitifs chez des patients bipolaires en rémission comparativement à des témoins sains et d’étudier leur rapport avec les facteurs cliniques et thérapeutiques.

Méthodes

Il s’agissait d’une étude cas-témoins, menée auprès de patients atteints de trouble bipolaire (TBP) en rémission et de témoins sains appariés. Elle a été réalisée au centre hospitalo-universitaire (CHU) Hédi Chaker de Sfax (Tunisie). L’échelle the Screen for cognitive impairment in psychiatry (SCIP) a été utilisée pour l’évaluation des fonctions cognitives chez les patients et les témoins. Cette échelle se compose des sous-échelles d’apprentissage verbal avec rappel immédiat (VLT-I) et différé (VLT-D), de la mémoire de travail (WMT), de la fluence verbale (VFT) et de la vitesse de traitement de l’information (PST).

Résultats

Nous avons recruté 61 patients et 40 témoins. Comparés aux témoins, les cas avaient des scores totaux du SCIP et de toutes les sous-échelles du SCIP significativement plus bas (p < 0,001 partout) avec des tailles d’effet modérées à élevées. Dans l’analyse multivariée, la présence de caractéristiques psychotiques était corrélée à l’abaissement des scores du SCIP total (p = 0,001), du VLT-I (p = 0,001) et VLT-D (p = 0,007), du WMT (p = 0,002), et du PST (p = 0,008). Le TBP de type 2 était corrélé à l’abaissement du score de VLT-I (p = 0,023). L’âge de début et la durée d’évolution du trouble étaient corrélés négativement au score PST (p < 10−3 et p = 0,007 respectivement). La polarité maniaque prédominante était corrélée à l’abaissement du score VFT (p = 0,007).

Conclusions

Notre étude a montré que les patients bipolaires en rémission présentaient des troubles cognitifs touchant différents domaines cognitifs, significativement plus marqués que chez les témoins. Ces troubles cognitifs semblent être liés à des facteurs cliniques et thérapeutiques considérés eux-mêmes comme des facteurs de mauvais pronostic de la maladie bipolaire.

Mots clés: trouble bipolaire, rémission, troubles cognitifs, facteurs cliniques, traitement

Introduction

Le trouble bipolaire (TBP) est une pathologie chronique de l’humeur qui touche environ 4,4% de la population générale en Tunisie. 1 Cette pathologie se situe en sixième position en termes d’années de vies perdues et/ou vécues avec un handicap. 2 Ce handicap est expliqué, entre autres, par la présence de troubles cognitifs. 3 Toutefois, le déficit cognitif observé dans le TBP n’a pas été autant étudié que celui dans la schizophrénie où le déficit cognitif est considéré comme une caractéristique clinique de cette maladie. Dans le TBP, les troubles cognitifs sont présents dès le premier épisode aigu et semblent persister durant les périodes d’euthymie. 4 D’ailleurs, la persistance des déficits cognitifs entre les épisodes thymiques est désormais reconnue comme un enjeu pronostique dans le TBP. 5 Au cours des phases maniaques et dépressives de la maladie, les patients atteints de TBP présentent des troubles dans divers domaines cognitifs notamment mnésiques, attentionnels et des fonctions exécutives, 6 qui peuvent être attribués aux changements manifestes de l’humeur. 7 Au cours des phases d’euthymie, plusieurs domaines cognitifs seraient aussi touchés, mais les résultats des études à ce propos restent, jusqu’ici, controversés.8,9 D’où l’importance de l’exploration poussée des troubles cognitifs chez les patients bipolaires, à la recherche de phénotypes neurocognitifs plus valides et homogènes ; ce qui permettrait une meilleure compréhension des facteurs cliniques et thérapeutiques qui peuvent influencer la cognition et contribuer à sa variabilité chez de tels patients. Dans la littérature, plusieurs variables cliniques traduisant l’évolution péjorative de la maladie bipolaire ont été associées aux troubles cognitifs en particulier le nombre d’épisodes thymiques maniaques, la durée d’évolution de la maladie, le nombre d’hospitalisations et les caractéristiques psychotiques.10,11 Pour ce qui est du traitement, la plupart des médicaments utilisés pour traiter le TBP semblent avoir un potentiel à aggraver les altérations cognitives en rapport avec la maladie. Dans ce sens, il a été rapporté que les interactions iatrogènes ou médicamenteuses, souvent inhérentes à la polythérapie, peuvent affecter la cognition d’autant plus que les sujets atteints de TBP, reçoivent souvent une combinaison de stabilisateurs de l’humeur, d'antidépresseurs, de benzodiazépines et d’antipsychotiques. 12

Par ailleurs, l’exploration cognitive des patients atteints de TBP en dehors des épisodes aigus reste peu abordée, en particulier en Tunisie. Pourtant, les plaintes relatives aux troubles cognitifs, formulées par les malades eux-mêmes et/ou leur entourage, non seulement au cours des épisodes maniaques et dépressifs mais aussi en phases de rémission clinique, sont fréquentes.

En Tunisie, rares sont les études qui se sont intéressées à l’exploration cognitive des patients atteints de TBP, et encore plus celles centrées sur les périodes de rémission.

Dans ce travail, nous nous sommes proposés d’évaluer les troubles cognitifs chez des patients bipolaires en rémission comparativement à un groupe de témoins sains et d’étudier leur rapport avec les facteurs cliniques et thérapeutiques.

Méthodes

Type et Population de L’étude

Il s’agissait d’une étude de type cas-témoins, menée auprès d’une série de patients suivis pour un TBP de l’humeur et de témoins sains appariés. Elle a été réalisée à l’unité des consultations externes de psychiatrie au centre hospitalo-universitaire (CHU) Hédi Chaker de Sfax (Tunisie), durant la période allant de janvier à décembre 2020. L’étude a concerné les patients qui se sont présentés au cours de la période de l’étude à l’unité des consultations externes dans le cadre du suivi en ambulatoire de leur maladie bipolaire.

Tous les participants ont exprimé un consentement libre et éclairé pour participer à l’étude après leur avoir expliqué ses buts et ses modalités.

Ont été inclus les patients dont l’âge variait entre 18 et 60 ans, atteints de TBP de type 1 ou 2 en référence aux critères diagnostiques du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux dans sa cinquième édition (DSM-5). Ils étaient en phase de rémission clinique depuis au moins trois mois définie par un score au moment de l’évaluation à l’échelle de Hamilton Depression Rating Scale (HRDS-17) 13 inférieur ou égal à sept et un score à l’échelle de Young Mania Rating Scale (YMRS) 14 inférieur ou égal à six.

Le groupe des témoins a été constitué de sujets travaillant au CHU Hédi Chaker de Sfax comme des infirmiers, des ouvriers, des agents de sécurité ou des administrateurs dont l’âge variait entre 18 et 60 ans. Le recrutement a été fait sur les lieux d’exercice professionnel. Les témoins ont été appariés aux cas selon l’âge (p = 0,47), le genre (p = 0,29) et le niveau d’instruction (p = 0,83).

Aussi bien pour les cas que pour les témoins, nous n’avons pas inclus les sujets analphabètes, ou présentant un abus ou une dépendance à l’alcool et/ou à d’autres substances psychoactives (excepté le tabac), ou présentant une déficience intellectuelle, ou présentant une maladie infectieuse ou auto-immune évolutive, ou présentant un ou des antécédent(s) de pathologie(s) neurologique(s) (épilepsie, accident vasculaire cérébral, traumatisme crânien), ou présentant un déficit sensoriel gênant la vision, l’audition ou la communication. De plus, les sujets suivis ou ayant un antécédent d’une pathologie psychiatrique ou plus, ou ayant des antécédents familiaux psychiatriques chez les parents de premier degré, n’ont pas été inclus dans le groupe témoin.

Recueil des Données

Durant la période sus-mentionnée, le recueil des données relatives aux patients a été fait à l’aide d’un hétéro-questionnaire préétabli fait dans le cadre d´un entretien en face à face avec le patient complété par la consultation des dossiers médicaux externes et éventuellement internes en cas d’hospitalisation(s) antérieure(s). Ce questionnaire comprenait des items explorant les caractéristiques sociodémographiques, les antécédents et habitudes du patient et les caractéristiques cliniques et thérapeutiques de la maladie bipolaire.

Pour les témoins, l’hétéro-questionnaire comprenait des items relatifs aux caractéristiques sociodémographiques.

Suite à l’hétéro-questionnaire qui a permis le recueil des données générales, nous avons assuré, aussi bien pour les patients que pour les témoins, l’hétéro-passation de l’échelle psychométrique « The Screen for Cognitive Impairment in Psychiatry » (SCIP) dans sa version arabe littéraire (www.isbd.org) pour l’évaluation des fonctions cognitives. Toutes les études scientifiques qui ont utilisé l’échelle de SCIP ont été faites en occident avec la version du SCIP correspondante.1517 Toutes les versions ont montré de bonnes propriétés psychométriques dans les études de validation sur des sujets sains et malades. Dans notre étude, il nous a paru opportun d’utiliser le SCIP dans sa version arabe littéraire puisqu’il s’agit de la langue officielle des tunisiens et maternelle pour la totalité des cas et des témoins ; ce qui va faciliter la compréhension des consignes pour des sujets ayant un niveau scolaire limité.

Echelle « Screen for cognitive impairment in psychiatry » (SCIP) : Le SCIP est un outil qui permet une évaluation objective du fonctionnement cognitif. 18 Il est conçu pour faciliter l’évaluation objective des déficiences cognitives liées aux troubles psychotiques et aux troubles de l’humeur. 15 C’est un outil de dépistage dont l’administration est relativement simple et ne nécessite pas beaucoup de temps (en moyenne 30 min). Il se compose de cinq sous-échelles permettant d’obtenir cinq scores évaluant les différentes fonctions cognitives: les mémoires verbales à court et à long terme (par la sous-échelle de l’apprentissage verbal ou Verbal Learning Test VLT avec rappel immédiat, VLT-I et rappel différé VLT-D), la mémoire de travail (par la sous-échelle de la mémoire de travail ou Working Memory Test WMT), la fluence verbale (par la sous-échelle de la fluence verbal ou Verbal Fuency Test VFT) et la vitesse de traitement de l’information (par la sous-échelle de la vitesse de traitement de l’information ou Processing Speed Test PST).

Pour les sous-échelles d’apprentissage verbal ou Verbal Learning Test (VLT), une liste de dix mots est lue trois fois par l’investigateur. Le sujet est invité à se rappeler les mots après chaque lecture (apprentissage verbal avec rappel immédiat, VLT-I), puis de nouveau 15 min plus tard (apprentissage verbal avec rappel différé, VLT-D). Le score du VLT-I noté sur 30 et le score du VLT-D noté sur 10, correspondent au nombre de mots restitués lors des tests.

Pour la sous-échelle de la mémoire de travail, l’investigateur va énoncer à chaque fois une séquence de trois consonnes que le sujet devra répéter. Il y a huit essais avec des niveaux de difficulté croissants. Dans les deux premiers essais, on demande au sujet de répéter immédiatement la séquence de consonnes. Dans les six essais restants, le sujet doit répéter la séquence après avoir décompté à partir du nombre donné et après un délai croissant (3, 9 ou 18 secondes). Le score WMT noté sur 24 correspond à la somme des lettres correctement rappelées.

Pour la sous-échelle de fluence verbale (VFT), le sujet doit générer en 30 secondes autant de mots que possible commençant par une lettre donnée, en évitant les chiffres, les noms propres et les suffixes avec une seule racine. Le score VFT correspond à la somme des mots acceptés dans les deux essais. Cette sous-échelle est similaire au Controlled Oral Word Association Test qui permet d’évaluer la fluence phonémique et les fonctions exécutives. 19

Pour la sous-échelle de vitesse de traitement de l’information (PST), le sujet est invité à écrire une série de lettres en code Morse en 30 secondes. Le score PST noté sur 30 correspond au nombre de traductions séquentielles correctes.

Le score total du SCIP correspond à la somme des scores des cinq sous-échelles. Il permet d’évaluer le fonctionnement cognitif global. Plus le score SCIP est élevé, plus le fonctionnement cognitif est meilleur.

Trois formes alternatives de SCIP ont été utilisées pour faciliter les tests répétés, avec une bonne fiabilité, validité et équivalence de formes. 18

Analyse Statistique

La saisie des données et l’analyse statistique ont été réalisées à l’aide du logiciel Statistical Package for Social Sciences (SPSS) dans sa 20ème version. Les variables quantitatives ont été exprimées en moyenne et en écart-type (ET). Les variables qualitatives ont été exprimées sous forme de fréquences. La comparaison des fréquences sur séries indépendantes a été effectuée par le test Khi2 de Pearson, et en cas de non-validité par le test exact bilatéral de Fisher. La comparaison de deux moyennes sur séries indépendantes a été effectuée par le test t de student et la taille de l’effet a été calculée en utilisant la statistique d de Cohen, considérée comme faible autour de 0,2, modérée autour de 0,5 et élevée pour 0,8 ou plus. Pour tous les tests réalisés, le seuil de significativité a été fixé à 5%.

L’analyse multivariée effectuée était de type régression linéaire ascendante. Elle a permis d’étudier les corrélations entre les scores du SCIP (variables dépendantes) et les différentes variables cliniques et thérapeutiques (variables indépendantes) pour ultimement faire des prédictions des facteurs les plus incriminés dans la baisse des scores du SCIP chez les patients étudiés. Les coefficients de régression multiple ß et R², ainsi que les significations statistiques, visent à déterminer les facteurs les plus incriminés dans la baisse des scores du SCIP chez les malades de notre population étude. Nous avons inclus dans le modèle toutes les variables qui étaient significativement corrélées à la baisse des scores du SCIP dans l’analyse bivariée, et celles décrites dans la littérature comme des facteurs associés. Seuls les significativités des coefficients statistiquement différentes de zéro confèrent à une covariable une valeur pronostique. La méthode ascendante a été choisie afin de sélectionner le meilleur modèle où une covariable la plus significativement associée à la variable expliquée a été introduite en premier. Puis à chaque pas, l’impact sur l’explication du pronostic de l’introduction dans le modèle de la covariable suivante a été étudié. Pour les facteurs retenus dans le modèle final, nous avons considéré un seuil de significativité de 5%.

Résultats

Caractéristiques Sociodémographiques, Cliniques et Thérapeutiques des cas et des Témoins

Nous avons colligé 61 cas, qui ont été appariés à 40 témoins sains selon l’âge, le genre et le niveau d’instruction (Tableau 1). Comparés aux cas, les témoins en couple et actifs sur le plan professionnel étaient significativement plus fréquents (p respectifs 0,005 et <103) (Tableau 1).

Tableau 1.

Données sociodémographiques, cliniques et thérapeutiques des cas et des témoins.

Données sociodémographiques, cliniques et thérapeutiques Cas (n = 61) Témoins (n = 40) t p
Age en ans (moyenne ± ET) 41,75 ± 11,6 40,12 ± 11,41 0,718 0,47
Chi deux p
Genre Masculin 37 (60,7%) 20 (50%) 1,116 0,29
Féminin 24 (39,3%) 20 (50%)
Statut marital En couple 27 (44,3)% 29 (72,5%) 7,798 0,005
Seul(e) 34 (55,7%) 11 (27,5%)
Statut professionnel Actif 23 (37,7%) 40 (100%) 39,948 <10 3
Non actif 38 (62,3%) 0 (0%)
Niveau d’instruction Primaire 24 (39,3%) 14 (35%) 0,358 0,83
Secondaire 30 (49,2%) 20 (50%)
Supérieur 7 (11,5%) 6 (15%)
Age de début du TBP en années (moyenne ± ET) 31,86 ± 10,34 - - -
Durée d’évolution du trouble en années (moyenne ± ET) 9,75 ± 7,93 - - -
Type du TBP Type 1 47 (77%) - - -
Type 2 14 (23%)
Nombre d’hospitalisations (moyenne ± ET) 2,22 ± 2,16 - - -
Polarité prédominante Maniaque 45 (73,7%) - - -
Dépressive 16 (26,2%)
Traitements Antipsychotique 47 (77%)
 Classique 32 (52,5%)
 Atypique 29 (47,5) - - -
Thymorégulateur 48 (78,7%)
Benzodiazépine 17 (27,9%)

ET : Ecart-Type; n : effectif; t : t exacte; TBP : trouble bipolaire.

Les caractéristiques cliniques et thérapeutiques des cas sont présentées dans le Tableau 1.

Comparaison des Fonctions Cognitives des cas et des Témoins

Comparés aux témoins, les cas avaient des scores totaux du SCIP significativement plus bas (p < 0,001), témoignant d’un fonctionnement cognitif global moindre avec une taille d’effet élevée (Tableau 2).

Tableau 2.

Comparaison des scores du SCIP entre les cas et les témoins.

Scores du SCIP Cas (n = 61) Témoins (n = 40) t d
Moyenne ± ET Moyenne ± ET
SCIP total 49,88 ± 11,67 74,65 ± 7,6 −12,908* 2,57
VLT-I 18,03 ± 15,5 23,95 ± 2,95 −8,026* 0,64
WMT 15,5 ± 3,35 20,9 ± 2,76 −8,454* 1,76
VFT 5,7 ± 2,89 9,62 ± 2,72 −6,759* 1,39
VLT-D 4,55 ± 2,42 7,82 ± 1,25 −8,859* 1,78
PST 5,73 ± 2,54 11,87 ± 2,43 −12,052* 2,47

ET : Ecart-Type; n : effectif; PST : Processing speed test; SCIP : Screen for Cognitive Impairment in Psychiatry; VFT : Verbal fluency test; VLT-I : Verbal learning test- immediat; VLT-D : Verbal learning test-delayed; WMT : Woking memory test.

t : t exacte, * : p < 0,001, d : d de cohen.

Les cas avaient aussi des scores VLT-I, VLT-D, WMT, VFT et PST significativement plus bas que ceux des témoins (p < 0,001 partout), indiquant des performances moindres au niveau de la mémoire verbale à court et à long terme, de la mémoire de travail, de la fluence verbale et de la vitesse de traitement de l’information avec des tailles d’effet modérées à élevées (Tableau 2).

Corrélations Entre les Scores du SCIP et les Facteurs Cliniques et Thérapeutiques

Les cas ayant au moins un antécédent d’épisode thymique avec caractéristiques psychotiques avaient des scores du SCIP total, VLT-I, VLT-D, VFT et PST significativement plus bas (p respectivement : < 103 ; 0,012 ; 0,002 ; 0,012 ; 0,003 ; 0,036) (Tableau 3).

Tableau 3.

Corrélations entre les scores du SCIP et les caractéristiques cliniques et thérapeutiques.

SCIP total (M) p Score VLT-I (M) p Score WMT (M) p Score VFT (M) p Score VLT-D (M) p Score PST (M) p
Age de début du trouble ≤40ans 51,11 0,2 18,32 0,43 15,79 0,31 5,81 0,75 4,55 0,99 6,16 0,043
>40ans 46,94 17,33 14,83 5,55 4,55 4,72
Durée d’évolution du trouble ≤5ans 52,31 0,22 19,22 0,11 15,95 0,44 5, 36 0,45 4,9 0,4 6,36 0,15
>5ans 48,51 17,35 15,25 5,94 4,35 5,38
Type du TBP Type 1 48,42 0,07 18 0,91 14,95 0,017 5,21 0,008 4,34 0,2 5,53 0,25
Type 2 54,78 18,14 17,35 7,5 5,28 6,42
Polarité thymique prédominante Maniaque 48,2 0,05 17,88 0,67 15,02 0,05 5,15 0,007 4,31 0,18 5,42 0,10
Dépressive 54,62 18,43 16,87 7,37 5,25 6,62
Présence de caractéristiques psychotiques Oui 45,89 <10−3 16,89 0,012 14,48 0,002 5 0,012 3,83 0,003 5,18 0,036
Non 56,04 19,79 17,08 6,8 5,66 6,58
Nombre d’hospitalisations ≤2 51,12 0,23 18,41 0,34 15,82 0,28 5,68 0,83 4,73 0,42 6 0,25
>2 47,35 17,25 14,85 5,85 4,2 5,2
Prise d’antipsychotique Oui 49,19 0,4 17,89 0,65 15,14 0,12 5,59 0,48 4,38 0,3 5,76 0,87
Non 52,12 18,5 16,71 6,21 5,14 5,64
Prise d’antipsychotique classique Oui 47,43 0,08 17,43 0,27 14,78 0,07 5,37 0,3 4,21 0,25 5,03 0,02
Non 52,58 18,68 16,31 6,13 4,93 6,51
Prise d’antipsychotique atypique Oui 49,51 0,81 17,75 0,65 15,24 0,55 5,72 0,97 4,31 0,45 6,17 0,20
Non 50,21 18,28 15,75 5,75 4,78 5,34

M : Moyenne; PST : Processing speed test; SCIP : Screen for Cognitive Impairment in Psychiatry; TBP : trouble bipolaire; VFT : Verbal fluency test; VLT-D : Verbal learning test-delayed; VLT-I : Verbal learning test- immediat; WMT : Woking memory test.

Le score VFT était significativement plus bas chez les cas atteints d’un TBP type 1 (p = 0,008) et avec une polarité maniaque prédominante (p = 0,007) (Tableau 3).

Le score PST était significativement plus bas chez les cas ayant débuté le TBP après l’âge de 40 ans (p = 0,043) (Tableau 3).

Nous n’avons pas trouvé de corrélations significatives entre les scores du SCIP et la durée d’évolution du TBP et le nombre d’hospitalisations antérieures (Tableau 3).

Le score PST était significativement plus bas chez les cas qui étaient sous antipsychotiques classiques (p = 0,02).

Les corrélations entre le score total et les sous-scores du SCIP, et les autres données cliniques et thérapeutiques sont présentées dans le Tableau 3.

Facteurs Corrélés aux Scores du SCIP Chez les cas

Dans l’analyse multivariée à l’aide d’une régression linéaire multiple, la variable dépendante était l’un des scores du SCIP et les variables indépendantes incluses étaient l’âge de début du TBP, la durée d’évolution de la maladie, le type du TBP (type 1 versus type 2), la polarité thymique prédominante (dépressive versus maniaque), la présence de caractéristiques psychotiques (oui versus non), le nombre d’hospitalisations et la prise d’antipsychotique (oui versus non). Dans le modèle final retenu pour chacun des scores du SCIP total, VLT-I, WMT, VFT, VLT-D et PST, les coefficients de détermination (R2) étaient de 0,266 ; 0,179 ; 0,145 ; 0,199 ; 0,249 et 0,298 respectivement.

La présence de caractéristiques psychotiques ressortait comme un facteur corrélé à l’abaissement des scores du SCIP total (p = 0,001), de VLT-I (p = 0,001), de VLT-D (p = 0,007), de WMT (p = 0,002) et de PST (p = 0,008). Le TBP type 2 ressortait comme un facteur corrélé à l’abaissement du score de VLT-I (p = 0,023). L’âge de début et la durée d’évolution du TBP étaient corrélés négativement au score PST (p < 10−3 et égal 0,007 respectivement). La polarité maniaque prédominante était corrélée à l’abaissement du score VFT (p = 0,007) (Tableau 4).

Tableau 4.

Régression linéaire multiple dans le groupe des cas.

Scores du SCIP Présence de symptômes psychotiques
ß p
SCIP total −0,386 0,001
VLT-I −0,576 0,001
WMT −0,381 0,002
VLT-D −0,322 0,007
PST −0,306 0,008
Age de début du TBP
PST −0,435 <10-3
TBP type 2
VLT-I −0,376 0,023
Durée d’évolution du TBP
PST −0,319 0,007
Polarité thymique prédominante
VFT −0,329 0,007

PST : Processing speed test; SCIP : Screen for Cognitive Impairment in Psychiatry; TBP : trouble bipolaire; VFT : Verbal fluency test; VLT-D : Verbal learning test delayed; VLT-I : Verbal learning test- immediat; WMT : Woking memory test; ß : Coefficients standardisés.

Discussion

Dans notre étude, nous avons utilisé l’échelle de SCIP afin de faire une évaluation objective des troubles cognitifs dans le TBP en rémission. Des échelles différentes ont été utilisées dans des études sur le même thème, notamment le Cognitive Complaints in Bipolar Disorder Rating Assessment (COBRA) pour une évaluation cognitive plutôt subjective 20 et le self assessment of social cognition impairments (ACSo) pour une évaluation spécifique de la cognition sociale. 21

Dans une étude d’évaluation des plaintes cognitives subjectives chez des patients atteints de schizophrénie à l’aide du Subjective Scale To Investigate Cognition in Schizophrenia, les auteurs ont trouvé qu’excepté la mémoire de travail, les plaintes cognitives exprimées par les patients ne reflétaient pas les performances cognitives objectives notamment la mémoire explicite, l’attention, et les fonctions exécutives. Ceci suggère le manque d’insight neurcognitif chez de tels patients et souligne l’importance de l’évaluation cognitive objective à l’aide de tests neuropsychologiques puisque l’auto-évaluation cognitive peut ne pas être exacte. 22 En outre, dans une revue systématique de la littérature qui s’est intéressée aux plaintes cognitives subjectives dans des populations trans-diagnostiques (schizophrénie, trouble bipolaire et trouble dépressif, troubles du spectre de l’autisme, trouble du déficit de l’attention hyperactivité), les auteurs ont conclu que ces plaintes sont fréquentes dans toutes ces pathologies psychiatriques. Cependant, il n’y a pas de relation significative entre la mesure cognitive objective et les plaintes subjectives. 23 Bien que les plaintes cognitives subjectives ne soient pas corrélées aux mesures cognitives objectives, elles ont une grande valeur clinique. Elles traduisent la souffrance, les difficultés comportementales et les problèmes vécues par ces patients dans la vie quotidienne.

Dans la présente étude, nous avons trouvé que les patients bipolaires en rémission avaient des scores totaux du SCIP significativement plus bas que les témoins (p < 0,001), témoignant d’un fonctionnement cognitif plus altéré avec une taille d’effet élevée. Ce résultat rejoint ceux rapportés dans la littérature. Dans l’étude cas-témoins de Esan et al., qui a consisté à comparer le fonctionnement cognitif de 76 patients bipolaires en rémission, 130 patients schizophrènes en rémission et 100 sujets sains appariés selon l’âge et le genre, et moyennant l’échelle SCIP, le résultat était comparable au nôtre (moyenne du SCIP total était de 61,82 ± 13,78 pour le groupe des patients bipolaires versus 71,51 ± 16,01 pour le groupe des témoins avec une différence statistiquement significative). 24 De même, Luo et al., dans leur étude qui a porté sur 42 patients bipolaires en phase dépressive, 50 patients bipolaires en rémission et 60 sujets sains, et en se basant sur d’autres tests neuropsychologiques pour l’évaluation cognitive, ont rapporté que les patients bipolaires en rémission avaient un niveau de fonctionnement cognitif inférieur à celui des sujets sains. 25 Ces résultats suggèrent que le déficit cognitif demeure significatif chez les patients bipolaires en phase d’euthymie et qu’il semble constituer l’une des caractéristiques essentielles de la maladie, qui persiste même en l’absence de symptômes thymiques patents.

Cependant, dans une étude prospective cas-témoins menée à Copenhaghe entre 2014 et 2017, et qui a porté sur 86 patients bipolaires et 44 sujets sains évalués par le SCIP et par d’autres tests neurocognitifs, aucune différence significative n’a été trouvée entre le fonctionnement cognitif des sujets sains et des patients bipolaires en rémission et après un an de suivi. 26 En fait, la comparaison des résultats devrait tenir compte des différences méthodologiques et de certains facteurs de confusion comme le niveau intellectuel et les caractéristiques cliniques comme celles psychotiques.

Notre étude a montré aussi que les troubles cognitifs chez les patients bipolaires en rémission touchaient tous les domaines cognitifs évalués par le SCIP, notamment la mémoire à court et à long terme, la mémoire de travail, la fluence verbale et la vitesse de traitement de l’information avec des tailles d’effet modérées à élevées. Cela implique que les patients bipolaires en phase inter-critique, peuvent avoir des difficultés à communiquer efficacement, à traiter et à intégrer les informations, à penser de manière flexible, à s’autoréguler, à répondre correctement aux autres et à inhiber certaines réponses.

Nos résultats ont été globalement concordants avec ceux d’autres méta-analyses occidentales qui se sont penchées sur le sujet.8,27 De même, dans l’étude de type cas-témoin d’Esan et al., tous les domaines cognitifs du SCIP étaient plus altérés chez les patients bipolaires en rémission que chez les témoins sains excepté ceux du WMT et de VFT. 24

Ces troubles cognitifs sont également fréquemment retrouvés chez les apparentés sains de premier degré des patients bipolaires, particulièrement le défaut de capacité d’inhibition. 28 Ceci donne à penser que l’atteinte des fonctions cognitives constitue un endophénotype cognitif, lié à une vulnérabilité génétique et permettant ainsi de repérer précocement les sujets à risque de TBP.

Dans une étude comparative des troubles cognitives dans la schizophrénie et le TBP moyennant le SCIP, il a été montré que les deux pathologies étaient associées à des performances cognitives significativement plus altérées que chez les témoins sains. Cependant, en comparant les deux groupes de patients, il y avait des différences, petites à modérées, aux niveaux du score total du SCIP et des scores du rappel verbal immédiat et différé, indiquant davantage de déficit dans le groupe des patients atteints de schizophrénie. 29 Ces résultats suggèrent que les différences en termes de profil neurocognitif entre les deux populations cliniques sont plus quantitatives que qualitatives, impliquant moins de déficit cognitif dans le TBP.

D’après nos résultats, la présence de symptômes psychotiques lors d’un ou des épisode (s) thymique (s) antérieur (s) était associée à une baisse du fonctionnement cognitif global et des performances cognitives au niveau des différentes dimensions évaluées par le SCIP. De même, ce facteur ressortait après l’analyse par régression linéaire multiple comme un facteur corrélé à l’altération du fonctionnement cognitif global et de la mémoire verbale et de travail et de la vitesse de traitement de l’information. De ce fait, les symptômes psychotiques présents pendant la phase aiguë pourraient être considérés comme un facteur de mauvais pronostic cognitif, prédisposant à une altération du fonctionnement cognitif global, des fonctions mnésiques et de la vitesse de traitement de l’information même après rémission. Ce résultat rejoint ceux rapportés dans la littérature. Dans la méta-analyse de Bora E et al. qui ont étudié de façon comparative le fonctionnement cognitif des patients bipolaires selon les caractéristiques cliniques, les auteurs ont conclu à une altération plus marquée du fonctionnement cognitif global chez ceux ayant des symptômes psychotiques lors des épisodes aigus. 30 Une autre méta-analyse de Bora E et al. a mis en évidence, chez les patients bipolaires ayant connu au moins un épisode thymique avec des symptômes psychotiques, des performances plus faibles au niveau des mémoires verbales et de travail, de certaines fonctions exécutives (la planification et le raisonnement) et de la vitesse de traitement de l’information. 31 Ainsi, la présence de symptômes psychotiques dans l’histoire de la maladie des patients atteints de TBP semble altérer davantage leurs performances cognitives.

Etant donné que les symptômes psychotiques constituent un facteur de mauvais pronostic dans l’évolution du TBP, ils engendrent souvent un nombre plus élevé d’hospitalisations, une durée plus prolongée de la maladie et un recours plus fréquent aux antipsychotiques. 31 Tout ceci pourrait expliquer leur association avec les troubles cognitifs.

Nous avons trouvé que l’âge tardif de début du TBP (après 40 ans) était associé à une vitesse de traitement de l’information plus lente. Cette corrélation a été relevée aussi dans l’analyse multivariée. Ainsi, le début tardif de la maladie bipolaire semble être prédictif d’une altération plus marquée de la vitesse de traitement de l’information. Toutefois, nous n’avons pas trouvé de relation entre l’âge de début du trouble et les autres fonctions cognitives, notamment les fonctions mnésiques, la mémoire de travail et la fluence verbale ; ce qui rejoint les données de la littérature. 32 Il a été souligné que le TBP à début tardif était souvent associé à des changements vasculaires et neuro-dégénératifs, qui pourraient expliquer ce déficit cognitif.33,34

Nous avons trouvé également que le fonctionnement cognitif global était comparable chez les patients avec un TBP de type 1 et 2. Cependant, le TBP de type 1 était significativement associé à une altération plus marquée de la mémoire de travail et de la fluence verbale. Ce résultat suggère que la mémoire de travail et la fluence verbale qui donnent une idée sur les fonctions exécutives sont liées à la sévérité de la maladie dans le TBP. En effet, même si au début, le TBP de type 2 est cliniquement moins bruyant que le TBP de type 1, il peut avoir une évolution plus péjorative par la suite. Cette dernière est caractérisée par un nombre d’épisodes plus élevé, la fréquence et la sévérité des récidives dépressives et la durée plus courte des intervalles intercritiques. Ce sont autant de facteurs qui pourraient expliquer nos résultats.

Le TBP de type 2 ressortait comme un facteur corrélé à une baisse du VLT-I après régression linéaire, donc à une altération de la mémoire verbale à court terme. Dans ce sens, il a été montré que la présence de comorbidités anxieuses impactait l’ensemble des fonctions cognitives, avec des atteintes plus sévères de la mémoire verbale immédiate dans le cas du TBP de type 2. 35 Nous n’avons pas inclus ce facteur dans notre étude, mais nous présumons qu’il aurait un certain rapport avec notre résultat, tenant compte de la fréquence des comorbidités anxieuses dans le TBP de type 2 en général.

Dans notre étude, nous n’avons pas trouvé de corrélations significatives entre la durée d’évolution de la maladie, le nombre d’hospitalisations et le fonctionnement cognitif des patients atteints de TBP en rémission. Ce résultat, suggérant que la chronicité de la maladie n’influence pas le fonctionnement cognitif, est à interpréter avec prudence. En effet, la durée d’évolution moyenne de la maladie dans notre série d’étude était assez élevée de 9,75 ans. Dans l’analyse multivariée, la durée d’évolution de la maladie était corrélée négativement à la vitesse de traitement de l’information (p = 0,007). Il est à souligner que, dans la littérature, l’altération de la vitesse de traitement de l’information est considérée comme l’un des principaux déficits cognitifs objectivés à long terme dans la maladie bipolaire. 36 Les résultats de l’étude de Kessing et al. suggèrent que les déficits cognitifs observés chez les patients atteints de TBP pourraient être associés à un nombre d’épisodes plus élevé et à davantage d’hospitalisations. 37 Ceci donne à penser que le déficit cognitif a tendance à s’aggraver avec l’évolution de la maladie bipolaire et peut s’accélérer avec le temps, conformément au modèle de staging du TBP10,38 et il permet à son tour d’entretenir cette péjoration du pronostic du fait de son impact négatif sur le fonctionnement psychosocial du patient.

Les résultats de l’analyse multivariée, suggérant une atteinte significativement plus marquée de la fluence verbale en cas de polarité maniaque prédominante (p = 0,007), rejoignent ceux trouvés dans d’autres études. L’une d’elles est celle réalisée au Brésil en 2017 par Belizario et al., comparant trois groupes de patients atteints de TBP selon le type de polarité prédominante (maniaque, dépressive et indéfinie) ; elle a montré que le groupe ayant une polarité maniaque prédominante présentait des performances moindres au niveau de la fluence verbale, de l’attention et de la mémoire retardée. 39 Les auteurs de cette étude ont conclu que les déficits cognitifs dans le TBP seraient plutôt liés à la polarité des épisodes qu’au nombre des épisodes. Ceci concorde avec nos résultats qui ont montré que la fluence verbale était liée à la polarité maniaque prédominante et non au nombre des hospitalisations. En effet, le nombre des hospitalisations pourrait nous aider à estimer le nombre des épisodes, en particulier maniaques, qui nécessitent le plus souvent le recours à une hospitalisation psychiatrique en raison de la bruyance du tableau clinique. En revanche, le nombre total des épisodes thymiques n’a pas été précisé dans notre étude du fait de la présence d’éventuels épisodes dépressifs et/ou hypomaniaques passés inaperçus.

Dans notre étude, le score PST était significativement plus bas chez les patients sous antipsychotiques classiques (p = 0,02), indiquant des performances moindres au niveau de la vitesse de traitement de l’information. Il est à noter que le choix entre un antipsychotique classique et un antipsychotique atypique pour nos patients ne dépend pas obligatoirement de la sévérité de la symptomatologie mais plutôt de la disponibilité et de la possibilité d’accès au traitement, de la tolérance et du terrain. A propos du lien entre les troubles cognitifs et le traitement psychotrope, il a été montré que l’utilisation des antipsychotiques classiques avait un effet néfaste sur le fonctionnement moteur des patients bipolaires après une administration à court terme et un effet bénéfique sur la vigilance et le traitement visuel des informations après une administration au long cours. 40 Dans ce même sens, il a été rapporté que les antipsychotiques atypiques amélioreraient davantage les déficits cognitifs que les antipsychotiques classiques. 41

Nous avons trouvé aussi que la mémoire verbale, mesurée par les scores VLT-I et VLT-D, n’était pas associée aux facteurs cliniques et thérapeutiques étudiés, excepté la présence de caractéristiques psychotiques. Ce résultat corrobore l’idée que cette fonction cognitive a été suggérée comme un potentiel endophénotype cognitif dans le TBP, du fait aussi que les troubles de la mémoire verbale différée ont été objectivés même chez les parents au premier degré des patients bipolaires. 42 Ceci montre l’importance de l’atteinte cognitive à ce niveau qui semble être indépendante de l’état de la maladie et non fluctuante selon les caractéristiques cliniques et thérapeutiques.

Limites : Certaines limites méthodologiques doivent être prises en considération lors de l’interprétation de nos résultats.

La première limite est liée à la nature même de l’étude cas-témoins. L’appariement individuel selon l’âge, le sexe et le niveau d’instruction a permis d’avoir un niveau de comparaison acceptable. Cependant, il existe une différence significative entre les deux groupes concernant le statut professionnel. Bien que le fonctionnement cognitif soit l’un des déterminants des perspectives professionnelles du sujet bipolaire, l’engagement dans un emploi peut à son tour protéger et renforcer la réserve cognitive. Concernant notre étude, les témoins ayant été tous recrutés parmi le personnel de l’hôpital et donc tous actifs sur le plan professionnel, le risque est de surestimer l’impact des troubles cognitifs sur l’activité professionnelle.

La deuxième limite se rapporte au quotient intellectuel qui n'a pas été mesuré de façon objective dans cette étude. Cela pourrait représenter une limite, compte tenu du lien étroit entre le quotient intellectuel et la réserve cognitive.

La troisième limite concerne l’outil psychométrique utilisé pour l’évaluation des fonctions cognitives, le SCIP. C’est un outil de dépistage qui ne permet pas d’évaluer certaines fonctions cognitives en particulier exécutives et peut être moins sensible aux petits changements cognitifs par rapport à une évaluation plus complète.

La quatrième limite est celle des effectifs des patients et des témoins relativement réduits qui pourrait réduire la validité des résultats. En effet, le ratio témoins/patients était inférieur à un, ce qui fait que, le nombre de témoins n’était pas optimal dans cet appariement. Il nous a été difficile d’avoir des groupes de patients et de témoins de plus grandes tailles car le protocole de sélection était basé sur le volontariat et plusieurs patients et témoins ont refusé de participer à l’étude, entre autres en raison des conditions sanitaires liées à la pandémie COVID-19. Il y avait aussi plusieurs critères de non-inclusion fixés au préalable.

Conclusion

Notre étude a montré que les patients bipolaires en rémission présentaient des troubles cognitifs étendus sur différents domaines cognitifs et significativement marqués comparativement à des témoins sains. Plusieurs facteurs cliniques semblent influencer le profil cognitif de tels patients, considérés eux-mêmes comme des facteurs de mauvais pronostic de la maladie bipolaire, notamment l’âge tardif du début du trouble, la présence de symptômes psychotiques lors des épisodes thymiques, la polarité maniaque prédominante et la durée prolongée d’évolution de la maladie.

De ce fait, il importe d’envisager un dépistage précoce des troubles cognitifs chez les patients bipolaires à risque, par une évaluation cognitive objective moyennant l’échelle de SCIP par exemple, dont l’utilisation en pratique clinique reste facile. Il convient aussi d’assurer leur suivi au cours de l’évolution en tenant compte de l’ensemble des facteurs cliniques et thérapeutiques prédictifs de troubles cognitifs. L’amélioration du fonctionnement cognitif se révèle ainsi comme un enjeu pronostique majeur dans la prise en charge des patients bipolaires. Pour cela, les interventions visant la réduction des facteurs de risque et l’optimisation des facteurs de protection pourraient améliorer les troubles cognitifs. Elles consistent à mettre en œuvre des interventions aux stades précoces de la maladie afin de prévenir les rechutes, de réduire la durée des symptômes et donc de freiner la progression de la maladie et de garantir la stabilité de la maladie. En fin de compte, un diagnostic et une mise en œuvre précoces de stratégies médicamenteuses et non médicamenteuses spécifiques pour une résolution rapide des épisodes majeurs et une meilleure efficacité des mesures prophylactiques, constituent des enjeux pronostiques majeurs.

Footnotes

Remerciements: Nous remercions madame Nakia MEDHIOUB, psychologue clinicienne, pour son aide dans la passation du test d’évaluation cognitive pour les patients.

Déclaration de Conflit D’intérêts: Les auteurs déclarent qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts.

Financement: Les auteurs n’ont reçu aucun soutien financier.

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Articles from Canadian Journal of Psychiatry. Revue Canadienne de Psychiatrie are provided here courtesy of SAGE Publications

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