RESUME
Introduction : La chirurgie thoracique est une spécialité dont la prise en charge anesthésique présente des spécificités. Elle est récente au Togo, avec une équipe anesthésique polyvalente.Objectif : Décrire la prise en charge anesthésique et la morbidité de la chirurgie thoracique.Méthodes : Étude descriptive, prospective et observationnelle sur une série de patients opérés pour une affection thoracique entre 1er juin et 31 août 2022, à l’hôpital de référence nationale de Lomé. Les données préanesthésiques, chirurgicales, anesthésiques et postopératoires ont été étudiées.Résultats : Vingt-cinq patients d’âge moyen 40 ±13 ans ont été inclus. La chirurgie était programmée dans 69% des cas. L’examen préanesthésique retrouvait une anémie (64%) et une baisse du volume expiratoire maximal par seconde (60%).Tous les patients étaient opérés sous anesthésie générale avec ventilation contrôlée, unipulmonaire dans 64% des cas. Les interventions chirurgicales comprenaient la décortication pleurale (28%), le drainage péricardique (16%), la pneumonectomie (16%) et la lobectomie pulmonaire (12%). Vingt-trois patients (92%) ont présenté des complications peropératoires dont l’hypotension artérielle (80%), l’état de choc (56%) et l’hypoxie (24%).Une analgésie multimodale incluant du paracétamol (100%), néfopam (92%), morphine (76%), analgésie paravertébrale (20%) et péridurale thoracique (8%) était utilisée en postopératoire.Dix-sept patients (68%) ont présenté des complications postopératoires, dont l’anémie (20%), la pneumonie (12%) et l’infection pariétale (12%). Trois patients (12%) étaient décédés.Conclusion : L’anesthésie générale avec une ventilation contrôlée, souvent unipulmonaire, était la technique d’anesthésie en chirurgie thoracique. Des complications, essentiellement cardiovasculaires, survenaient en peropératoire, avec une mortalité élevée en postopératoire.
ABSTRACT
INTRODUCTION: Thoracic surgery is a specialty with specific anesthetic management requirements. This is a recent specialty in Togo, with a multi-skilled anesthetic team. AIM: To describe the anesthetic management and morbidity of thoracic surgery. METHODS: A descriptive, prospective and observational study was conducted on a cohort of patients who underwent a thoracic surgery between June 1 and August 31, 2022, at the national referral hospital in Lomé. The study examined pre-anesthetic assessment, surgical, anesthetic, and postoperative data. RESULTS: Twenty-five patients with a mean age of 40 ±13 years were included. The surgery was elective in 69% of cases. The anesthetic assessment showed anemia (64%) and a reduced forced expiratory volume in one second (60%) All patients were operated on under general anesthesia with controlled ventilation, including 64% of one-lung ventilation. Surgical procedures included pleural decortication (28%), pericardial drainage (16%), pneumonectomy (16%), and pulmonary lobectomy (12%). Twenty-three patients (92%) experienced intraoperative complications, including arterial hypotension (80%), shock (56%), and hypoxia (24%). Multimodal analgesia including paracetamol (100%), nefopam (92%), morphine (76%), paravertebral analgesia (20%), and thoracic epidural analgesia (8%), was used postoperatively. Seventeen patients (68%) experienced postoperative complications, including anemia (20%), pneumonia (12%), and parietal infection (12%). Three patients (12%) died. CONCLUSION: General anesthesia with, one-lung ventilation in most cases, was the anesthetic technique in thoracic surgery. Complications, mainly cardiovascular, occurred intraoperatively, with high postoperative mortality.
INTRODUCTION
La chirurgie thoracique est une chirurgie majeure associée à une morbi-mortalité élevée. La mortalité postopératoire, variable selon les indications chirurgicales et le plateau technique, atteint 7,7% dans les pays développés et 18% dans les pays à ressources faibles [1-6]. L’amélioration du pronostic périopératoire passe par une bonne sélection des patients, l’évaluation et la préparation préanesthésique, une anesthésie sécurisée avec des spécificités, telles que l’intubation sélective, ainsi qu’une réanimation et une analgésie postopératoire efficaces [7].
En Afrique subsaharienne, la chirurgie thoracique est encore limitée à quelques centres, essentiellement universitaires. Au Togo, elle concernait, pendant longtemps, les urgences thoraciques. La prise en charge était assurée par des chirurgiens généralistes, par manque de chirurgien thoracique. Mais depuis 2016, l’arrivée d’un chirurgien thoracique au Centre Hospitalier Universitaire Sylvanus Olympio (CHU-SO) de Lomé permet une prise en charge spécialisée des pathologies chirurgicales thoraciques. L’anesthésie, bien que pratiquée par une équipe polyvalente, doit répondre aux spécificités de ces chirurgies.
Cette étude avait pour objectifs de décrire la préparation préopératoire, l’anesthésie et la réanimation postopératoire des patients opérés en chirurgie thoracique, ainsi que la morbidité périopératoire.
MÉTHODES
Nous avons mené une étude descriptive, prospective et observationnelle sur une période de trois mois, allant du 1er juin au 31 août 2022, au CHU-SO de Lomé. Elle a reçu l’accord du comité d’éthique. Les données ont été collectées en respectant la confidentialité et selon les principes éthiques de la déclaration de Helsinki. Nous avons inclus les patients opérés pour une affection chirurgicale thoracique par voie cervico-thoracique, thoracique ou abdomino-thoracique. Les patients ayant eu une intervention diaphragmatique ou digestive par laparotomie uniquement ont été exclus de l’étude. L’inclusion était faite la veille de l’intervention, à l’issue de la visite préanesthésique pour les patients programmés, et au moment de l’évaluation préanesthésique pour les interventions urgentes. Le consentement éclairé des patients était requis. Les données étaient recueillies durant la consultation ou l’évaluation préanesthésique, l’anesthésie et la période postopératoire. Les paramètres étudiés comprenaient : les données socio-démographiques et chirurgicales, les données de la consultation préanesthésique (CPA) incluant les comorbidités, l’évaluation des fonctions respiratoire, cardio-vasculaire et de l’état nutritionnel, les examens complémentaires, la classification selon l’American Society of Anesthesiologists (ASA), le déroulement de l’anesthésie, les complications peropératoires et postopératoires, la réanimation et l’évolution postopératoire jusqu’à la sortie de l’unité de soins continus de chirurgie ou de la réanimation. Les données ont été traitées avec le tableur Excel de Microsoft office 2019 (Microsoft Corporation, USA). Les variables quantitatives ont été décrites en moyenne avec écart type ou en médiane avec intervalle interquartile, et les variables qualitatives en fréquence (effectif et pourcentage).
RÉSULTATS
Données sociodémographiques
Durant la période d’étude, 25 patients ont eu une intervention chirurgicale thoracique. Leur âge moyen était de 40 ±13 ans, avec des extrêmes de 14 ans et 66 ans (figure 1). Le sexe ratio était de 1,3.
Evaluation et préparation préanesthésique
Il s’agissait d’intervention urgente pour huit patients (32%) et programmée pour 17 patients (69%). Seize patients (64%) avaient au moins une comorbidité, dont la tuberculose pulmonaire était la plus fréquente avec 17 cas. Les comorbidités et les indications chirurgicales sont présentées dans le tableau 1.
Tableau 1 : Comorbidités et indications chirurgicales chez les patients opérés de chirurgie thoracique au CHU SO de Lomé .
Comorbidités |
Effectif |
Fréquence (%) |
Tuberculose |
7 |
28 |
Tabagisme |
2 |
8 |
Diabète |
2 |
8 |
Asthme |
1 |
4 |
BPCO |
1 |
4 |
HTA |
1 |
4 |
Obésité |
1 |
4 |
Antécédent de thoracotomie |
1 |
4 |
VIH* |
1 |
4 |
Indications chirurgicales |
Effectif |
Fréquence (%) |
Pyopneumothorax |
5 |
20 |
Péricardite |
4 |
16 |
Empyème pleural |
4 |
16 |
Cancer broncho-pulmonaire |
2 |
8 |
Greffe aspergillaire |
2 |
8 |
Hémothorax cloisonné |
2 |
8 |
Plaie thoracique |
2 |
8 |
Eventration diaphragmatique avec abcès péritonéal rompu |
1 |
4 |
Hernie diaphragmatique |
1 |
4 |
Tumeur pariétale thoracique |
1 |
4 |
Goitre plongeant |
1 |
4 |
L’indice de masse corporelle (IMC) des patients variait de 17,7 à 44,7 kg/m2, avec une moyenne de 23,7 ± 6,0 kg/m2. Trois patients (12%) présentaient un état de dénutrition avec un IMC inférieur à 18 kg/m2, six (24%) avaient un surpoids (IMC entre 25 et 30 kg/m2) et un (4%) avait une obésité morbide (IMC = 44,7 kg/m2). Tous les patients avaient une SpO2 normale et trois patients (12%) présentaient une tachypnée (fréquence respiratoire supérieure à 20 cycles par minute). Tous les patients avaient fait un bilan paraclinique comprenant l’hémogramme, l’urémie, la créatininémie, la glycémie, le taux de prothrombine (TP), le temps de céphaline activée (TCA), l’ionogramme sanguin, le groupe sanguin et rhésus D et la radiographie standard du thorax. La tomodensitométrie (TDM) thoracique, la spirométrie, l’électrocardiogramme (ECG) et l’échographie cardiaque transthoracique étaient réalisés respectivement chez 18 (72%), 15 (60%), 16 (64%) et 6 patients (24%). Dix-huit patients (64%) avaient une anémie avec un taux d’hémoglobine (TH) inférieur à 11 g/ dl (tableau 2). Le volume expiratoire maximal par seconde (VEMS) variait entre 60 et 79% de la valeur théorique. Une patiente avec une péricardite de grande abondance avait une hypokinésie cardiaque globale.
Vingt patients (80%) ont eu une préparation préopératoire spécifique (tableau 2).
Tableau 2 : Préparation préopératoire avant la chirurgie thoracique au CHU-SO .
Caractéristiques préanesthésiques |
Effectif |
Fréquence (%) |
|
---|---|---|---|
Taux d’hémoglobine (g/dl) |
|
|
|
Taux de prothrombine (%) |
|
|
|
VEMS (% de la valeur théorique) |
|
|
|
Classe ASA |
|
|
|
Préparation préanesthésique |
|
|
|
Prise en charge peropératoire
Le drainage péricardique, la lobectomie et la pneumonectomie étaient les interventions les plus fréquentes (tableau 3). Une voie veineuse centrale était prise chez un patient (4%). Tous les patients étaient opérés sous anesthésie générale avec intubation trachéale. Cette dernière était sélective à l’aide d’une sonde double lumière chez 16 patients (64%). L’induction de l’anesthésie était faite par voie intraveineuse, en utilisant le fentanyl, le propofol, la kétamine, l’étomidate et le rocuronium, chez respectivement 25 (100%), 21 (84%), 3 (12%), 1 (4%) et 22 patients (88%). L’entretien de l’anesthésie utilisait l’isoflurane et le fentanyl dans tous les cas. Des réinjections de propofol, de kétamine et de rocuronium ont été faites chez respectivement 21 (84%), 14 (56%) et 20 patients (80%). Tous les patients étaient ventilés en mode volume contrôlé. Le monitorage comprenait l’ECG, la pression artérielle non invasive, la saturation périphérique en oxygène (SpO2), la fraction expirée en dioxyde de carbone (EtCO2), les volumes de ventilation, la pression de plateau, la pression positive de fin d’expiration (PEEP) et le monitorage des gaz anesthésiques.
Tableau 3 : Gestes chirurgicaux dans la chirurgie thoracique au CHU-SO de Lomé .
Actes chirurgicaux |
Effectif |
Pourcentage (%) |
---|---|---|
Drainage péricardique |
4 |
16 |
Lobectomie pulmonaire |
3 |
12 |
Pneumonectomie |
3 |
12 |
Phrénorraphie |
2 |
8 |
Décaillotage pleural |
2 |
8 |
Décortication pleurale |
7 |
28 |
Résection atypique du poumon |
1 |
4 |
Thoracostomie |
1 |
4 |
Thyroïdectomie |
1 |
4 |
Résection de tumeur pariétale |
1 |
4 |
Vingt-trois patients (92%) ont présenté au moins un incident peropératoire (tableau 4).
Pour la réanimation peropératoire, tous les patients recevaient des apports hydriques composés de sérum salé isotonique (SSI) et de ringer lactate (RL). Un remplissage vasculaire a été nécessaire chez 14 patients (56%). Elle consistait à administrer une perfusion de 500 à 1000 ml de SSI et de gélatine fluide modifiée sur 30 minutes à 1 heure. Les moyens de réanimation peropératoire sont présentés dans le tableau 4.
La durée de l’intervention chirurgicale variait entre 30 à 360 minutes, avec une médiane de 195 minutes (IQ : 92,5-225 minutes). En fin d’intervention, 16 patients (64%) étaient transférés en réanimation polyvalente et 9 patients (36%) dans l’unité de soins continus de chirurgie. Quatorze patients (56%) étaient extubés au bloc opératoire avant le transfert, tandis que onze patients (44%) étaient encore intubés au moment du transfert.
Prise en charge postopératoire
Les soins postopératoires comprenaient dans tous les cas, l’hydratation par voie parentérale, la poursuite de l’antibiothérapie ou de l’antibioprophylaxie et l’analgésie.
Les patients extubés ont reçu une oxygénothérapie conventionnelle jusqu’à leur transfert. Parmi les 11 patients non extubés, sept ont reçu une oxygénation à travers la sonde trachéale avant d’être extubés. Quatre patients ont reçu une ventilation mécanique invasive. L’analgésie était multimodale à base du paracétamol (25 cas; 100%), du néfopam (23 cas ; 92%), du tramadol (9 cas ; 36%) et du kétoprofène (10 cas ; 40%) par voie intraveineuse. La morphine en titration intraveineuse puis en sous-cutané était associée chez 19 patients (76%). Une analgésie locorégionale continue par voie paravertébrale thoracique ou péridurale thoracique était associée dans respectivement cinq (20%) et deux cas (8%). Dix-sept patients (68%) ont présenté des complications postopératoires en réanimation. Il s’agissait de l’anémie chez trois patients respectivement et l’œdème aigu pulmonaire lésionnel chez deux patients (8%).
L’hypoxie, l’œdème laryngé, les atélectasies et l’embolie pulmonaire ont été enregistrés chez un patient respectivement. Ces complications ont été prises en charge avec une évolution favorable pour 22 patients (88%) qui ont été transférés en hospitalisation. Trois patients (12%) étaient décédés en postopératoire, dont deux durant le séjour en réanimation. Il s’agissait de : - Une patiente de 40 ans, opérée pour pneumonectomie gauche réalisée pour néoplasie broncho-pulmonaire qui est décédée à J14 post-opératoire d’une insuffisance respiratoire. - Une patiente de 47 ans, opérée pour une éventration diaphragmatique et qui est décédée à J0 d’œdème aigu pulmonaire (OAP) lésionnel. - Une patiente de 52 ans qui a eu un drainage péricardique pour péricardite circonférentielle avec hypokinésie cardiaque globale. Elle est décédée de choc cardiogénique par insuffisance cardiaque hypokinétique à J0 post-opératoire.
Tableau 4 : Complications et moyens de réanimation peropératoire au cours de la chirurgie thoracique au CHU-SO .
Complications peropératoires |
Effectif |
Pourcentage (%) |
Hypotension artérielle* |
20 |
80 |
Etat de choc** |
14 |
56 |
Bradycardie |
1 |
4 |
Hémorragie massive |
2 |
8 |
Désaturation |
6 |
24 |
Tachycardie |
2 |
8 |
Réanimation peropératoire |
Effectif |
Pourcentage (%) |
Solutés |
25 |
100 |
Sérum salé isotonique |
25 |
100 |
Ringer lactate |
18 |
72 |
Gélatine fluide modifiée |
14 |
56 |
Amines vasopressives |
23 |
92 |
Ephédrine |
20 |
80 |
Noradrénaline |
13 |
52 |
Adrénaline |
1 |
4 |
Transfusion sanguine |
12 |
48 |
Concentrés de globules rouges |
12 |
48 |
Plasma frais congelé |
12 |
48 |
DISCUSSION
Cette étude prospective visait à décrire l’évaluation, la préparation préopératoire, l’anesthésie, les complications, la réanimation et les soins postopératoires dans la chirurgie thoracique dans un hôpital à ressources limitées. Elle a eu pour cadre le premier centre hospitalier disposant de chirurgien thoracique au Togo.
Les interventions étaient programmées dans la plupart des cas, chez des patients adultes. Une préparation préopératoire était faite et l’anesthésie générale était indiquée dans tous les cas, avec une intubation sélective et une ventilation uni-pulmonaire chez plus de la moitié des patients. La morbidité peropératoire était liée essentiellement à des événements cardio-vasculaires. La prise en charge postopératoire avait lieu en réanimation ou en unité de soins intensifs de chirurgie et était associée à une mortalité élevée.
Les indications chirurgicales étaient diversifiées, dominées par les pathologies traumatiques, infectieuses et péricardiques. La fréquence des indications traumatiques pourrait expliquer la prédominance des patients adultes. En effet, les études antérieures ont rapporté une prédominance de patients jeunes et adultes dans les traumatismes thoraciques [8-11].
L’évaluation préanesthésique comprenait les examens biologiques dans tous les cas. Les examens d’imagerie thoracique étaient réalisés dans les pathologies broncho-pulmonaires et la spirométrie chez les patients programmés pour une résection pulmonaire. Cette évaluation était en accord avec les recommandations des sociétés savantes à l’instar de la British Thoracic Society (BTS), à l’exception de la gazométrie artérielle, la pléthysmographie corporelle, la mesure de la capacité de transfert du monoxyde de carbone (TLCO) et des tests d’effort qui n’étaient pas disponibles dans notre contexte. Ces derniers sont souvent recommandés chez les patients candidats à une résection pulmonaire, en compléments à la spirométrie [12].
La préparation préopératoire dans notre étude consistait à traiter l’infection, à corriger les différentes anomalies notamment l’anémie, la dénutrition et surtout à améliorer la fonction respiratoire et/ou cardio-vasculaire. Ainsi, la kinésithérapie préopératoire et postopératoire précoce est capitale. Elle améliore la fonction pulmonaire et réduit la morbidité par la réadaptation à l’effort, l’entraînement et le renforcement musculaire et le drainage des sécrétions bronchiques [13, 14].
L’anesthésie intraveineuse était utilisée pour l’induction en tenant compte de la fonction hémodynamique des patients. L’intubation avec une sonde double lumière permettait la ventilation uni-pulmonaire, surtout dans les résections pulmonaires et les thoracotomies. Cette technique est de règle dans l’anesthésie pour chirurgie thoracique [12, 15]. Elle vise à obtenir un collapsus du poumon opéré en vue d’en faciliter l’accès et la résection au chirurgien. La ventilation protectrice avec des volumes courants faibles (5 à 6 ml/kg) et une pression positive de fin d’expiration (PEEP) suffisante (5 à 10 cm d’eau) sont recommandées durant cette ventilation [12].
Le taux de morbidité peropératoire dans notre étude était élevé, lié surtout aux complications cardio-vasculaires notamment l’état de choc et l’hypoxie peropératoire. Cette fréquence élevée des complications hémodynamiques pourrait s’expliquer par, d’une part, des insuffisances dans la surveillance et d’autre part, les hémorragies peropératoires en rapport avec les pathologies et les techniques chirurgicales employées. L’hypoxie peropératoire quant à elle, est une complication fréquente au cours de la ventilation uni-pulmonaire en raison du shunt que celle-ci induit. La réanimation peropératoire dans notre étude, a été conduite avec succès par le remplissage vasculaire adéquat, en association avec l’administration des amines vasopressives et la compensation des pertes sanguines.
Les patients étaient admis en réanimation ou en unité de soins intensifs. En effet, la morbidité postopératoire de la chirurgie thoracique impose de disposer de lits de soins intensifs pour une prise en charge postopératoire adéquate, voire de lits de réanimation. Les critères de réveil et l’autonomie respiratoire étaient exigés avant l’extubation des patients. Par conséquence, près de la moitié des patients dans notre étude n’était pas extubés au bloc.
L’analgésie postopératoire était multimodale dans tous les cas. Elle associait la morphine chez trois quart des patients et l’analgésie locorégionale chez un quart des patients. Elle constitue un élément capital de la réanimation postopératoire, à côté de la ventilation et du monitorage continu. Bien conduite, elle facilite la ventilation spontanée, la toux, la kinésithérapie précoce et l’expectoration des sécrétions ; avec comme résultat une réduction de la morbidité et de la mortalité postopératoire [16]. Mais les antalgiques généraux, y compris les morphiniques s’avèrent souvent insuffisants, notamment lors de la toux et la kinésithérapie respiratoire [17, 18]. Dès lors, les techniques d’analgésie locorégionale constituent les moyens les plus efficaces pour palier à ces insuffisances, tout en permettant une diminution de la consommation en opioïdes [ 17-19]. Les plus répandues sont l’analgésie péridurale, le bloc paravertébral continu, le bloc des nerfs intercostaux et le serratus plane block. L’analgésie péridurale continue et l’analgésie péridurale contrôlée par le patient (PCEA) s’avèrent les plus efficaces de ces techniques, avec moins d’effets indésirables [ 17, 20]. Dans notre étude, l’analgésie péridurale thoracique et le bloc paravertébral thoracique étaient les techniques d’analgésie locorégionale utilisée, mais avec une faible fréquence. Dans une étude menée par Bah MD au Sénégal, l’analgésie péridurale était très utilisée dans la thoracotomie, avec une fréquence de 78% [21]. La faible fréquence de l’analgésie locorégionale dans notre étude était due au fait qu’elle n’était pas systématiquement inclue dans les protocoles analgésiques, et à la proportion importante des pathologies infectieuses.
La morbidité postopératoire dans notre étude était élevée, due essentiellement aux complications infectieuses, surtout respiratoires. Celles-ci constituent les causes les plus fréquentes d’admission en réanimation après chirurgie thoracique avec une fréquence de 72% selon Alessandro B [ 22]. Au Sénégal, les infections pariétales et les empyèmes étaient les principales complications postopératoires [21]. D’autres complications postopératoires de la chirurgie thoracique ont été rapportées dans la littérature. Il s’agit des arythmies cardiaques, notamment la fibrillation atriale avec une incidence pouvant atteindre 40% [23 ].
Notre étude a retrouvé une mortalité postopératoire de 12%, due à l’insuffisance respiratoire, au choc cardiogénique et à l’OAP lésionnel. Ce taux de mortalité était plus élevé que ceux rapportés dans la plupart des études, même dans la chirurgie de résection pulmonaire [1-5].
Cette mortalité élevée pourrait être liée au retard de consultation et de prise en charge, aux insuffisances dans la réanimation per et postopératoire.
En définitive, la prise en charge anesthésique pour la chirurgie thoracique au CHU-SO respectait les différentes étapes et spécificités anesthésiques liées à cette spécialité chirurgicale. Néanmoins des améliorations méritent d’être apportées : - Le renforcement du plateau technique chirurgical et médical avec les examens de gazométrie, de pléthysmographie, la mesure de la capacité de transfert du monoxyde de carbone, - Le monitorage invasif de la pression artérielle en peropératoire, - L’augmentation de l’effectif de chirurgiens thoraciques, - L’utilisation courante des techniques d’analgésie locorégionale thoracique dans les protocoles d’analgésie peropératoire et postopératoire, - Le respect des mesures de prévention des infections associées aux soins, - L’amélioration du plateau technique et du personnel de réanimation, ainsi que des outils de diagnostic des infections en milieu de soins.
CONCLUSION
La prise en charge anesthésique pour la chirurgie thoracique au CHU-SO était faite pour les interventions urgentes et programmées. Les indications chirurgicales étaient multiples, dominées par les pathologies traumatiques et infectieuses. La prise en charge anesthésique incluait une évaluation préanesthésique et une préparation selon l’état respiratoire et les anomalies associées. L’anesthésie générale était utilisée dans tous les cas, avec souvent, l’intubation sélective et de ventilation unipulmonaire. Des complications, essentiellement cardiovasculaires survenaient en peropératoire, nécessitant une réanimation par remplissage vasculaire, administration des amines vasopressives et la transfusion sanguine. Néanmoins, la mortalité était élevée et survenait en postopératoire ; d’où la nécessité d’améliorer la prise en charge anesthésique et chirurgicale.
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