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editorial
. 2025 Jan 27;197(3):E85–E86. [Article in French] doi: 10.1503/cmaj.241650-f

Des fondations à consolider pour l’assurance médicaments au Canada

Matthew B Stanbrook 1
PMCID: PMC11772006  PMID: 39870413

Le 10 octobre 2024, le projet de loi C-64 est devenu une loi qui constitue la première mesure concrète visant la mise en place d’une assurance médicaments universelle à payeur unique au Canada1. En tant que premier pas vers un régime national d’assurance médicaments complet, il s’agit d’une réalisation louable. Bien que cette loi soit riche en promesses et en aspirations, elle manque de substance et demeure vulnérable aux changements politiques. La population canadienne vit donc dans l’incertitude, car elle ignore quand, voire si elle recevra un jour l’accès garanti aux médicaments et aux traitements, indépendamment de sa capacité à payer, ce à quoi les citoyens de presque tous les autres pays dotés d’un système de santé public ont droit.

En l’absence d’une assurance médicaments, l’accès à des médicaments essentiels est compromis au Canada pour les personnes qui n’ont pas d’assurance médicaments privée ou qui sont sous-assurées, ce qui occasionne la non-observance des traitements prescrits en raison des coûts et, par conséquent, des iniquités en matière de santé, une augmentation de l’utilisation des ressources de santé et des dépenses de santé inutiles, financées par les contribuables. Dans leur recherche publiée dans le CMAJ, Rebić et ses collègues dévoilent de nouvelles données exhaustives sur la prévalence et les facteurs de la nonobservance des pharmacothérapies en raison des coûts2. À partir de données représentatives de la population tirées de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (2015–2020), les auteurs ont constaté qu’environ 1 personne sur 20 au Canada ne respectait pas ses ordonnances en raison des coûts. Cette proportion était nettement plus élevée chez les jeunes, particulièrement chez les personnes âgées de 18–34 ans. D’autres facteurs étaient indépendamment associés à une non-observance des traitements en raison des coûts, soit le fait de ne pas avoir d’assurance, d’avoir un faible revenu, d’être de sexe féminin et d’appartenir à certains groupes raciaux et ethniques, la prévalence la plus élevée étant observée chez les personnes noires.

La nouvelle loi a pour effet d’engager immédiatement des fonds fédéraux pour permettre une couverture universelle des médicaments, des dispositifs et des appareils servant au traitement du diabète, ainsi que des médicaments et des dispositifs contraceptifs. Il s’agit d’une couverture au premier dollar, ce qui signifie que celle-ci sera entièrement financée par le gouvernement et que la patientèle n’aura aucuns frais à débourser, un aspect important pour que l’assurance médicaments ait des avantages concrets3. En vertu de la loi, le gouvernement du Canada doit, dans un délai de 1 an, dresser une liste nationale des médicaments assurés, élaborer une stratégie nationale d’achat en gros de médicaments et une stratégie pancanadienne concernant l’usage approprié des médicaments et des appareils médicaux, ainsi qu’établir une ligne de conduite afin d’assurer le fonctionnement et le financement d’un régime national complet d’assurance médicaments. La loi réitère également le rôle essentiel joué par l’Agence canadienne des médicaments (anciennement l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé), en tant que conseillère principale du gouvernement fédéral qui aidera le gouvernement à déterminer les traitements médicaux efficaces pour lesquels il vaut la peine de payer.

Étant donné l’étroite corrélation entre la non-observance pour des raisons de coûts et les iniquités socioéconomiques, il peut sembler judicieux que le gouvernement ait d’abord choisi les contraceptifs et les médicaments contre le diabète pour mettre à l’essai le nouveau régime national. Au Canada, près de 10 % de la population est atteinte de diabète sucré, incluant un nombre disproportionné de personnes appartenant à des groupes en quête d’équité et déclarant, dans 25 % des cas, avoir de la difficulté à se payer les médicaments dont elles ont besoin4. La couverture des contraceptifs oraux et les dispositifs intra-utérins permettrait à environ 9 millions de femmes et de personnes de la diversité des genres au Canada d’avoir le contrôle de leur fertilité. Cela dit, des millions de personnes atteintes d’autres maladies courantes et invalidantes devront continuer d’attendre que les traitements dont elles ont besoin soient couverts.

De nombreuses personnes et institutions canadiennes — incluant le JAMC — plaident depuis longtemps en faveur d’une assurance médicaments nationale5,6. La nouvelle loi fédérale n’établit pas ce que le JAMC et d’autres ont réclamé; il s’agit seulement d’une première étape, un programme pilote d’assurance médicaments, en somme. La loi s’accompagne d’engagements en vue d’entreprendre l’élaboration des principaux piliers nécessaires à une assurance médicaments nationale complète, mais aucun engagement pour leur mise en oeuvre. Il n’y a toutefois aucune certitude que tout cela se réalise. Le gouvernement fédéral doit négocier avec les provinces et les territoires pour parvenir à des accords sur les modalités de paiement des contraceptifs et des médicaments contre le diabète. La Colombie-Britannique a beau déjà avoir signé une entente, l’Alberta et le Québec ont indiqué qu’ils ne le feraient pas, laissant leurs résidentes et résidents sans aucune certitude de pouvoir profiter des avantages découlant de cette loi. Par ailleurs, les élections fédérales prévues au cours de la prochaine année sèment l’incertitude quant à la survie de cette loi en cas de changement de gouvernement. Le chef du Parti conservateur du Canada, actuellement en tête des sondages, a déjà déclaré qu’il la rejetterait.

Certains détracteurs de la loi sur l’assurance médicaments — menés par les secteurs pharmaceutique et de l’assurance, lesquels ont le plus à perdre si une assurance médicaments nationale complète était instaurée — reprochent à cette nouvelle loi d’engendrer des coûts directs élevés pour les gouvernements et pointent du doigt les retards actuels de traitement des demandes de couverture de médicaments par les régimes publics d’assurance, en comparaison avec les régimes privés7. Ce point de vue ne tient pas compte des économies plus larges, en particulier pour le secteur privé, que l’assurance médicaments nationale complète devrait permettre de réaliser, rendant ainsi son coût net global estimé relativement bas8. Toutefois, il apparaît clair qu’il faudra répondre à ces inquiétudes et les apaiser pendant la phase d’élaboration du régime, laquelle doit avoir lieu au cours de la prochaine année.

Les partisans de l’assurance médicaments nationale ont eux aussi critiqué la nouvelle loi, avançant qu’elle se contentait de combler des lacunes plutôt que de créer un nouveau système d’assurance médicaments pour toutes et tous9. Une approche progressive visant à réduire au minimum les perturbations du système de santé est conforme aux recommandations du Conseil consultatif sur la mise en oeuvre d’un régime national d’assurance médicaments du gouvernement fédéral10. Cependant, en reportant les décisions concernant le fonctionnement et le financement de l’assurance médicaments nationale, la loi ne garantit pas que l’assurance médicaments sera universelle, à payeur unique, ou publique, bien qu’elle fasse la promotion de ces objectifs fondamentaux.

L’adoption d’une loi préliminaire sur l’assurance médicaments est un événement majeur qui restera gravé dans l’histoire du Canada. Bien que l’assurance médicaments nationale soit une maison en attente d’être construite, dont les plans ne sont pas encore achevés, le Canada en a enfin posé les fondations. Dorénavant, c’est au gouvernement, et aux personnes responsables de l’élire, de veiller à ce que le terrain ne demeure pas indéfiniment vacant.

Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.241650 ; voir la recherche connexe (en anglais) ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.241024

Footnotes

Intérêts concurrents : www.cmaj.ca/staff

Traduction et révision : Équipe Francophonie de l’Association médicale canadienne

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