Skip to main content
La Tunisie Médicale logoLink to La Tunisie Médicale
. 2025 Jan 5;103(1):86–92. [Article in French] doi: 10.62438/tunismed.v103i1.5035

Profil diagnostique et évolutif de l’insuffisance hépatique aigue sur chronique

Acute on chronic liver failure: Diagnosis and evolution profile

Asma Mensi 1,1, Rayhan Zmerli 1,1, Emna Bel Hadj Mabrouk 1,1, Yosra Zaimi 1,1, Yosra Said 1,1, Radhouene Debbeche 1,1
PMCID: PMC11906235  PMID: 39812199

ABSTRACT

Introduction: Acute decompensation represents a remarkable event in cirrhotic patients, particularly if it is complicated by Acute-on-Chronic Liver Failure (ACLF). Epidemiological data of ACLF are limited. Aim: To determine the prevalence and predictive factors of ACLF in patients hospitalized for decompensated cirrhosis. Methods: We conducted a retrospective study. We included patients with decompensated cirrhosis. ACLF was defined according to the CLIF-C OF score. Prevalence and predictive factors of ACLF were determined. Results: We included 100 patients. The prevalence of ACLF was 37%. Renal failure was the most frequent organ failure. In univariate analysis, predictive factors for the occurrence of ACLF were female gender, hepatic encephalopathy, upper digestive haemorrhage, the presence of an infection, CRP level, bilirubin level and creatinine level. Prognostic scores (Child-Pugh, MELD, and CLIF-C OF) were also predictive of ACLF. In multivariate analysis, only creatinine level was an independent predictive factor of ACLF. The most frequent precipitating factor of ACLF was infection. The overall mortality rate for patients with ACLF was 65%. Conclusion: Our study showed that the prevalence of ACLF was 37 %. The main predictive factor of ACLF was creatinine level. The mortality rate was high at 65 %.

Introduction

La cirrhose et ses complications représentent un lourd fardeau pour les soins de santé dans le monde (1).

Elle se développe après une longue période d'inflammation qui entraîne le remplacement du parenchyme hépatique sain par des nodules régénératifs et du tissu fibreux.

Ces modifications architecturales sont responsables d’une hypertension portale (HTP) et d’une insuffisance hépatocellulaire.

Classiquement, la maladie évolue d'une phase asymptomatique ou cirrhose compensée à une phase symptomatique ou cirrhose décompensée.

Cette dernière phase se traduit par des complications et par conséquent des hospitalisations fréquentes, une altération de la qualité de vie et une élévation de la mortalité (2).

Toutefois, il a été constaté que la principale cause de décès chez le cirrhotique est une forme grave de décompensation aigue qui peut survenir à n’importe quel moment de l’histoire naturelle de la cirrhose (3).

Cette entité est désignée sous le terme d’insuffisance hépatique aigue sur chronique ou «Acute-on-Chronic Liver Failure » (ACLF).

Il s’agit d’un syndrome qui se développe chez les patients atteints de cirrhose ou d’hépatopathie chronique et qui se caractérise par une décompensation aiguë, une défaillance d'organe et une mortalité élevée à court terme (3).

Une meilleure connaissance de ce syndrome, de sa physiopathologie, de ses facteurs précipitants et de son profil évolutif est nécessaire afin d’améliorer la prise en charge des patients cirrhotiques en décompensation aiguë.

L’objectif principal de cette étude était de déterminer la prévalence et les facteurs prédictifs d’insuffisance hépatique aiguë sur chronique chez les patients hospitalisés pour décompensation aiguë de cirrhose

Méthodes

Nous avons mené une étude rétrospective descriptive monocentrique de 2018 à 2021.

Population d’étude

Nous avons inclus les patients cirrhotiques hospitalisés pour décompensation aiguë de leur hépatopathie.

Une décompensation aiguë de cirrhose est définie par la survenue d’une décompensation ascitique ou oedématoascitique, une hémorragie digestive par hypertension portale ou une encéphalopathie hépatique (EH) ≥ grade2 selon la classification de West Haven (4).

Nous n’avons pas inclus dans notre étude : les patients âgés de moins de 18 ans, les patients ayant un carcinome hépatocellulaire, les patients ayant des pathologies chroniques extrahépatiques sévères ainsi que les patients cirrhotiques admis pour un motif autre que la décompensation aiguë de cirrhose.

Recueil des données

Les données des patients ont été recueillies de façon rétrospective à partir de leurs dossiers médicaux.

Nous avons recueilli les données démographiques, les antécédents personnels, les données de la cirrhose(l’étiologie de la cirrhose et le traitement étiologique si présent, l’historique de décompensations antérieures, le type de décompensation étudiée), les paramètres biologiques (la numération de la formule sanguine, le taux de prothrombine/ International normalized ratio(TP/ INR), le bilan hépatique, le taux d’Albumine , la CRP et le taux de créatinine, les données de l’enquête infectieuse(résultat de la ponction exploratrice du liquide d’ascite(PELA), résultat de l’examen cytobactériologique des urines(ECBU), interprétation de la radiographie de thorax et l’examen cutané), les scores de sévérité de la cirrhose (le score Child-Pugh, le score Model of End stage LiverDisease (score MELD)).

Diagnostic de l’ACLF

L’ACLF était retenue selon la définition du consortium de l'Association européenne pour l'étude du foie et de l'insuffisance hépatique chronique (CLIF-C) élaborée en 2013 à partir des résultats de l'étude CANONIC et basée sur 3 critères majeurs: une décompensation aigue de cirrhose, une ou plusieurs défaillance(s) d'organe (définie par le score CLIF-C OF) et une mortalité élevée à 28 jours (5).

On a utilisé le score : Chronic Liver Failure ConsortiumAcute on Chronic Liver Failure (CLIF C-OF) pour retenir ce diagnostic. Ce score est calculé en ligne et il comprend 6 sous-scores pour chaque défaillance d’organe (foie, reins, cerveau, coagulation, circulation et poumons) ;chaque sous-score varie de 1 à 3.

Le score final est obtenu en faisant la somme des 6 sous scores (6).

Les différentes défaillances des organes incluses dans la définition de l’ACLF sont détaillées dans l’annexe 1.

Après le calcul du score CLIF C-OF, les patients ont été répartis en 4 groupes: pas de ACLF, ACLF grade 1, ACLF grade 2 et ACLF grade 3 (Annexe 1).

Critère de jugement

Le critère de jugement principal était la prévalence et les facteurs prédictifs de l’ACLF.

Analyse statistique

Les données ont été analysées via le logiciel SPSS dans sa 26ème version.

Pour l’étude descriptive, nous avons exprimé les variables quantitatives sous forme de moyennes avec les écarts types et les extrêmes.

Les variables qualitatives ont été formulées sous forme de nombres et de pourcentages.

Concernant l’étude analytique, on a mené en 1er lieu une analyse uni-variée pour déterminer les facteurs prédictifs de survenue d’une ACLF.

Le test T de student a été utilisé pour comparer deux ou plusieurs moyennes.

La comparaison de pourcentages sur des séries indépendantes a été effectuée par le test Khi-carré de Pearson ou le test exact de Fischer.

Nous avons vérifié les conditions d’applicabilité des différents tests à chaque utilisation et nous avons fixé le seuil de signification statistique à moins 0,05.

Ensuite, nous avons mené une analyse multivariée par régression logistique afin de rechercher des facteurs indépendants prédictifs de survenue de l’ACLF.

Nous avons considéré comme variable éligible pour être testée en analyse multivariée celle ayant un p inférieur à 0,2 en étude univariée.

Considérations éthiques

Étant donné le caractère rétrospectif de notre étude, aucun consentement n’a pu être obtenu par les patients inclus concernant l’utilisation des données personnelles mentionnées sur les dossiers médicaux.

Nous avons respecté l’anonymat strict des données personnelles des patients tout au long du travail.

Il n’y a aucun conflit d’intérêts à déclarer pour ce travail.

Résultats

Caractéristiques générales de la population d’étude

L’étude a inclus un total de 100 patients (Figure 1).

L’âge moyen de nos patients était de 62,82 [36-86ans].

L’étiologie la plus fréquente de la cirrhose était post virale C.

Le mode œdémato-ascitique était le mode de décompensation le plus fréquent (87%), suivi de l’encéphalopathie hépatique (48%).

Une insuffisance rénale aigue était présente chez 28 % des patients.

Les caractéristiques générales des patients sont détaillées dans le tableau 1.

Figure 1. Diagramme de flux de sélection des patients .


Figure 1. Diagramme de flux de sélection des patients

L’enquête infectieuse a conclu que 44% de la population avaient une infection.

Celle-ci était bactérienne (n=42) ou virale (n=2).

Prévalence de l’ACLF

En calculant le score CLIF-C OF ; 37 patients (37%) ont développé une ACLF.

Elle était classée grade 1 dans 35 % des cas, grade 2 dans 19 % des cas et grade 3 chez 46 % des patients.

Défaillances d’organes

Parmi les 37 patients ayant une ACLF, la défaillance rénale était la plus fréquente, présente chez 31 patients, suivie par la défaillance neurologique (n=29), la défaillance circulatoire (n=17), la défaillance hépatique (n=9), la coagulopathie (n=9) et finalement la défaillance respiratoire (n=2).

Tableau 1. Caractéristiques générales des patients .


Tableau 1. Caractéristiques générales des patients

Le facteur précipitant de l’ACLF le plus fréquent était l’infection chez 25 patients.

Les sites d’infection étaient répartis comme suit : une infection spontanée du liquide d’ascite chez 7 patients, une infection urinaire chez 11 patients, une pneumopathie chez 7 patients, une infection cutanée chez 3 patients et une infection Covid-19 chez un patient.

Les autres facteurs précipitants étaient une hémorragie digestive haute (n=14), un alcoolisme actif (n=3), une chirurgie (n=3) et une réactivation virale B (n=2).

A noter que nous avons trouvé pour certains patients plus d’un facteur précipitant à la fois.

Pour 3 patients, nous n’avons trouvé aucun facteur précipitant de l’ACLF.

Facteurs prédictifs de survenue d’une ACLF

Analyse univariée

Paramètres épidémiologiques et cliniques

En analyse univariée, le sexe féminin, l’HTA, la présence d’une infection ou d’une fièvre à l’admission ainsi que les décompensations de type HDH ou EH étaient des facteurs prédictifs de survenue d’une ACLF (tableau 2 ).

Paramètres biologiques

Parmi les paramètres biologiques analysés ; la valeur de la CRP, le NRL, le taux de BT, le taux des phosphatases alcalines, les taux de l’urée et de la créatininémie ont été retenus comme des facteurs prédictifs de l’ACLF (tableau 3).

Tableau 2. Valeur prédictive des paramètres épidémiologiques et cliniques dans la survenue de l’ACLF .


Tableau 2. Valeur prédictive des paramètres épidémiologiques et
cliniques dans la survenue de l’ACLF

Scores pronostiques

Dans le groupe de patients atteints d’une ACLF, 19% et 81 % des patients étaient classés Child B et C respectivement.

Le score MELD moyen était de 27,2±8,6.

Le score CLIF-C OF moyen était de 10,9+/-2,6.

Le score CLIF-C ACLF a été calculé avec une moyenne de 57,2 +/-13,9.

En analyse univariée, le score Child-Pugh C, le score MELD et le score CLIF-C OF étaient tous significativement associés à la survenue d’une ACLF (p< 0,001 pour toutes les comparaisons).

Tableau 3. Valeur prédictive des paramètres biologiques dans la survenue d’une ACLF .


Tableau 3. Valeur prédictive des paramètres biologiques dans la
survenue d’une ACLF

Analyse multivariée

En analyse multivariée ; après régression logistique, seule la valeur de créatinine était une variable indépendante prédictive de survenue d’une ACLF (p=0,02).

Prise en charge des patients atteints d’une ACLF

La prise en charge de l’ACLF était basée essentiellement sur le traitement des facteurs précipitants et des défaillances des organes.

Une antibiothérapie, à base de céphalosporines de 3ème génération ou Imipenème, était instaurée chez tous les patients ayant une ACLF déclenchée par une infection bactérienne.

Une ligature de varices œsophagiennes ou encollage biologique était indiquée chez les patients ayant une hémorragie digestive par hypertension portale.

Les drogues vasoactives à type de Noradrénaline à la pousse seringue électrique était administré chez 17 patients ayant une défaillance circulatoire.

Un recours à la dialyse était préconisé chez un patient.

Deux patients ont nécessité une ventilation mécanique.

ACLF et mortalité

La mortalité globale dans la population atteinte d’une ACLF était de 65 % (n=24).

La mortalité à J7 et J28 dans ce groupe était respectivement de 19% et 62 %.

Ce taux de mortalité était significativement plus élevé que celui des patients non atteints d’une ACLF (65 % versus 16 % % ; p< 0,001).

Les taux de mortalité à J7 et J28 étaient plus élevés en cas d’une ACLF grade 3.

Discussion

Physiopathologie et définition de l’ACLF

La physiopathologie de l'ACLF est associée à une inflammation systémique intense soutenue par des motifs moléculaires associés aux agents pathogènes circulants(pathogen-associated molecular patterns ou PAMPs) ainsi que des modèles moléculaires associés aux dommages tissulaires (damage-associated molecular patterns ou DAMPs).

Les PAMPs proviennent d’une translocation bactérienne accrue à partir de la lumière digestive et induisent une vasodilatation splanchnique avec une hypovolémie relative, une hyperperméabilité intestinale et une activation du système neuro-humoral entre autres le système nerveux sympathique (SNS) et le système Rénine Angiotensine Aldostérone.

Les défaillances d'organes seraient dans ce cas les conséquences d’une hypoperfusion tissulaire, de dommages tissulaires directs à médiation immunitaire et d’un dysfonctionnement mitochondrial (7).

Ces dernières années, différentes définitions et critères diagnostiques de l’ACLF ont été proposés par les grandes sociétés savantes internationales notamment le Consortium de l'association européenne pour l'étude du foie - insuffisance hépatique chronique (EASL-CLIF), le Consortium nord-américain pour l'étude des maladies hépatiques en phase terminale (North American Consortium for the Study of End-stage Liver Disease ou NACSELD) et l’Association Asie-Pacifique pour l'étude du foie (Asian Pacific Association for the Study of the Liver(APASL) (5,6).

Les principales controverses portent sur le type d'agression aiguë (spécifiquement hépatique ou également extrahépatique), le stade de la maladie hépatique sousjacente (cirrhose ou hépatopathie chronique) et la ou les défaillances d'organes extra-hépatiques concomitantes qui doivent être prises en compte dans la définition de l'ACLF(7).

Dans notre étude, nous avons utilisé la définition du consortium européen en calculant le score CLIF-C OF pour définir les défaillances d’organes.

Dans notre série, la prévalence de l’ACLF chez les patients cirrhotiques hospitalisés pour décompensation de leur maladie était de 37%.

Ce résultat est proche des données de la littérature.

En effet, dans l’étude CANONIC réalisée par Moreau et al, et qui a inclus 1343 patients cirrhotiques décompensés hospitalisés, 22,6 % des patients avait une ACLF à l’admission et 10,8% ont développé ce syndrome dans les 28 jours suivant leurs admissions (5).

Dans le même contexte, une revue systématique de 2369 études a évalué l’épidémiologie de l’ACLF en utilisant les critères diagnostiques de l’ACLF-EASL-CLIF et a conclu que la prévalence mondiale de ce syndrome était de 35 % (IC à 95 % de 33 % à 38 %) (8).

En ce qui concerne la littérature tunisienne, la prévalence de l’ACLF chez les cirrhotiques décompensés était de 43,8% dans l’étude de Abdelwahed et al et 31 % dans l’étude de Trad et al (9,10).

Néanmoins, dans une large série américaine colligeant 72 316 patients de diverses ethnies; la prévalence de l’ACLF était en nette diminution (26,39%) (11).

La diminution de la prévalence de cette entité serait, vraisemblablement en rapport avec une prise en charge plus précoce et plus adaptée des cirrhotiques décompensés (11).

L’âge moyen de nos patients atteints d’une ACLF était de 66,62+/-10,4 ans.

Ils étaient plus âgés que les patients n’ayant pas une ACLF mais sans différence significative (p=0,911).

Ce résultat est concordant avec les résultats d’une étude observationnelle rétrospective réalisée par Moreau et al et ayant inclus 108 patients cirrhotiques hospitalisés en unité de soins intensifs qui n’a pas trouvé d’association entre l’âge et la survenue d’une ACLF (12).

Par contre, dans l’étude CANONIC, l’âge moyen de la population atteinte d’une ACLF était de 56 ± 11 ans, significativement plus bas que celui de la population n’ayant pas développé cette complication (p< 0,01) (5 ).

Également, dans une étude prospective asiatique qui a inclus 1361 cirrhotiques décompensés, l’âge jeune était significativement corrélé à la survenue d’une ACLF (13).

Ceci pourrait être expliqué par la réponse immune plus marquée et plus intense chez les sujets jeunes par rapport aux sujets âgés (14 ).

En ce qui concerne l’étiologie de la cirrhose, elle n’était pas un facteur prédictif de survenue de l’ACLF dans notre cohorte. Des données discordantes ont été rapportées dans la littérature.

À titre d’exemple, dans l’étude CANONIC l’origine éthylique de la cirrhose était associée à un surrisque de développer une ACLF(p< 0,01) (5).

En ce qui concerne le grade de l’ACLF, dans notre série, il s’agissait d’un grade 1, grade 2 et grade 3 dans 35%, 19% et 46 % des cas respectivement.

Nos résultats se rapprochent sensiblement des données tunisiennes.

En effet, selon une étude rétrospective tunisienne réalisée par Khedher et al, la prévalence d’une ACLF grade 3 était relativement élevée (35%) (15).

De même, dans l’étude de Abdelwahed et al, la prévalence du grade 3 était élevée à 28,2% (9).

Cependant, dans l’étude CANONIC, le grade prédominant de l’ACLF était le grade 1 (51,32%) (5).

Également, l’étude italienne de Piano et al. a montré que le grade 1 de l’ACLF était le plus fréquent (46,6% des cas) (16).

Quant aux défaillances d’organes, la défaillance d’organe la plus fréquente dans notre travail était rénale (n=31) suivie de la défaillance neurologique (n=29).

Nos résultats se rapprochent des résultats de l’étude tunisienne de Trad et al, où la défaillance rénale (45,73%) était la plus fréquente suivie par la défaillance neurologique (42,67%)(10).

Shi et al, ont montré que le type de défaillance d'organe était influencé par la nature hépatique ou extrahépatique du facteur précipitant de l’ACLF (13).

En effet, la défaillance hépatique était plus marquée en présence d’un facteur précipitant hépatique tel que la réactivation virale B. Par contre, en cas d’un facteur précipitant extra hépatique, les défaillances d’organes autres que le foie (rénale, cérébrale, respiratoire...) étaient prédominantes (14).

En fait, le facteur précipitant peut être classé en facteur hépatique tel que la consommation excessive d'alcool, les médicaments hépatotoxiques, la réactivation virale B, la surinfection virale E, et en facteur extrahépatique tel que l'infection bactérienne et l'hémorragie digestive haute (13 ).

Evidemment, la prévalence des différents facteurs précipitants variait en fonction de la région géographique (17).

En Asie, où prédominent les étiologies virales de la cirrhose, la réactivation virale B était le facteur le plus incriminé (35,8%) (13 ).

Cependant, en Europe et en Amérique du nord, où prédominent l’origine alcoolique de la cirrhose, l’infection bactérienne (33%) et la consommation excessive d'alcool (24%) étaient fréquemment incriminées (5).

Dans l’étude CANONIC, les facteurs précipitants les plus fréquents étaient les infections bactériennes et l’alcoolisme actif dans 33% et 24% des cas respectivement (5).

Pareil, dans une série dérivée de cette dernière étude publiée en 2018 par Fernández et al, la prévalence des infections bactériennes chez les patients ayant une ACLF était élevée à 66% (18).

Dans le même contexte, une étude chinoise faite par Cao et al. a inclus des patients hospitalisés pour une décompensation aiguë d’une cirrhose virale B et a montré que la prévalence des infections bactériennes lors de l’ACLF était de 28,1% (19).

Des résultats similaires étaient constatés dans notre série.

En effet, l’infection bactérienne était le facteur précipitant de l’ACLF le plus fréquent.

La prévalence élevée des infections chez les patients ayant une ACLF pourrait être expliquée par l’inflammation systémique impliquée dans sa physiopathologie.

Cette inflammation systémique est une réponse de première ligne du système immunitaire inné aux signaux de danger provenant d'agents pathogènes PAMPs ou de cellules endommagées DAMPs (7).

Elle est due essentiellement à une augmentation de la perméabilité intestinale et à des modifications du microbiote intestinal (20 ).

Etant donné le mauvais pronostic de l’ACLF, sa prise en charge doit être multidisciplinaire et immédiate, reposant sur l’identification et le traitement des facteurs précipitants et sur la prise en charge des défaillances d’organes.

Puisque, les infections bactériennes représentent un des principaux facteurs déclenchant de l’ACLF, l’antibiothérapie a une place fondamentale au cours de ce syndrome ( 3 ).

Il a été démontré par des études récentes que tout retard de la mise en route d’un traitement empirique chez le patient cirrhotique augmentait significativement la mortalité (21,22).

Par ailleurs, selon Fernández et al l'administration précoce des antibiotiques de façon empirique diminuait significativement le recours aux soins intensifs ainsi que le taux de mortalité à court terme des patients ayant une ACLF et une infection bactérienne (18).

Pour ces raisons, les recommandations récentes de l'EASL préconisent l’administration précoce et sans délai d’une antibiothérapie empirique chez les cirrhotiques infectés ( 23 ).

D’autre part, il a été démontré actuellement une augmentation de la prévalence mondiale des bactéries multirésistantes et par conséquence un échec de l’antibiothérapie à spectre étroit ( 7 ).

Pour ces raisons, les recommandations de l'EASL préconisent l’utilisation d’une antibiothérapie à large spectre (exemple: les carbapénèmes et les glycopeptides) en cas des infections nosocomiales et des infections liées aux soins, en cas de sepsis et en cas d'une ACLF (23).

Au cours de l'ACLF, la transplantation hépatique (TH) représente le traitement idéal car elle permet d’améliorer la survie, qui dépasse 80% à un an selon certaines études (24).

Néanmoins, la TH est souvent contre-indiquée dans ce contexte vu la prévalence élevée des infections et de défaillance multi-viscérale ( 25).

A propos du pronostic des patients ayant une ACLF, le taux mortalité à j 28 varie selon les études entre 25,5% et 33,9% (5,12).

Par exemple, dans l’étude CANONIC les taux de mortalité sans TH chez les patients ayant développé une ACLF était de 32,8 % à j 28 et 51,2 % à j 90 (5).

Néanmoins, on note une amélioration de la survie ces dernières années chez ce groupe de patients.

À titre d’exemple, la cohorte américaine qui a inclus 72316 cirrhotiques hospitalisés pour une décompensation de leur maladie entre 2004 et 2014, a montré une amélioration de la survie de ces patients hormis celle des patients ayant une ACLF grade 3 (11).

Cette amélioration pourrait être expliquée par une meilleure connaissance de ce syndrome et une meilleure prise en charge, en particulier la transplantation hépatique (11).

En effet, dans cette dernière étude, les principaux facteurs associés à la mortalité étaient l’âge avancé, le cancer hépatique et la prise en charge dans un centre non spécialisé en transplantation hépatique.

Cependant, des taux de mortalité plus élevés étaient rapportés dans les séries tunisiennes.

En effet, le taux de mortalité à J28 chez les patients qui ont développé une ACLF était de 62 % dans notre étude et 53,8 % dans l’étude de Abdelwahed et al. (9).

Ces résultats pourraient être expliqués par la prévalence élevée du grade 3 de l’ACLF dans notre population, l’insuffisance des unités de réanimation et l’accès limité à la TH dans notre pays.

Ainsi, on peut conclure que le grade de l’ACLF et la qualité de la prise en charge sont des facteurs pronostiques majeurs permettant de prédire la mortalité à court terme (5,11 ).

Notre étude a des points forts ; ce travail a évalué la prévalence, les facteurs prédictifs ainsi que le pronostic de l’ACLF qui est une entité très peu étudiée dans la littérature tunisienne.

L’identification des facteurs prédictifs permet d’optimiser la prise en charge de ces patients.

En effet, tout patient cirrhotique en décompensation de sa maladie doit être évalué dès son admission pour rechercher ces facteurs et instaurer une prise en charge adéquate et rapide.

Cependant, notre étude présente quelques limites: premièrement, le caractère rétrospectif de l’étude; deuxièmement, la taille relativement réduite de l’échantillon et finalement, le caractère monocentrique du travail.

Conclusions

L’ACLF est une complication fréquente chez les patients cirrhotiques en décompensation aiguë.

Plusieurs facteurs étaient prédictifs de cette entité en particulier le type de décompensation, le bilan inflammatoire, le bilan rénal et les scores pronostiques.

Les principaux facteurs précipitants de l’ACLF étaient les infections et l’hémorragie digestive.

Concernant le pronostic de cette entité, elle était associée à un taux de mortalité élevé à 65 %.

Pour cette raison, nous proposons la recherche systématique des facteurs prédictifs et l’identification des facteurs précipitants chez tout patient cirrhotique admis pour décompensation de sa maladie.

Cela permettra de prévenir sa survenue ou de détecter précocement les patients ayant déjà développé cette complication.

Le but de cette stratification de risque serait de mettre en œuvre dans les plus brefs délais une prise en charge adéquate.

References

  1. Williams EJ, Iredale JP. Liver cirrhosis. Postgrad Med J. 1998 Apr;74(870):193–202. doi: 10.1136/pgmj.74.870.193. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Ginès P, Krag A, Abraldes JG, Solà E, Fabrellas N, Kamath PS. Liver cirrhosis. Lancet. 2021 Oct;398(10308):1359–1376. doi: 10.1016/S0140-6736(21)01374-X. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Arroyo V, Moreau R, Kamath PS, Jalan R, Ginès P, Nevens F, et al. Acute-on-chronic liver failure in cirrhosis. Nat Rev Dis Primers. 2016 Jun;2:16041. doi: 10.1038/nrdp.2016.41. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  4. De Franchis R, Bosch J, Garcia Tsao G, Reiberger T, Ripoll C, Abraldes JG, et al. Baveno VII – Renewing consensus in portal hypertension. J Hepatol. 2022 Apr;76(4):959–974. doi: 10.1016/j.jhep.2021.12.022. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Moreau R, Jalan R, Gines P, Pavesi M, Angeli P, Cordoba J, et al. Acute-on-chronic liver failure is a distinct syndrome that develops in patients with acute decompensation of cirrhosis. Gastroenterology. 2013 Jun;144(7):1426–1437. doi: 10.1053/j.gastro.2013.02.042. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Moreau R, Gao B, Papp M, Bañares R, Kamath PS. Acute-on-chronic liver failure: a distinct clinical syndrome. J Hepatol. 2021 Jul;75(Suppl 1):27–35. doi: 10.1016/j.jhep.2020.11.047. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Zaccherini G, Weiss E, Moreau R. Acute-on-chronic liver failure: definitions, pathophysiology and principles of treatment. JHEP Rep. 2020 Sep;3(1):100176. doi: 10.1016/j.jhepr.2020.100176. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Mezzano G, Juanola A, Cardenas A, Mezey E, Hamilton JP, Pose E, et al. Global burden of disease: acute-on-chronic liver failure, a systematic review and meta-analysis. Gut. 2022 Jan;71(1):148–155. doi: 10.1136/gutjnl-2020-322161. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  9. Ben Abdelwahed M. Université de Monastir. Monastir: 2020. Incidence et mortalité de l'insuffisance hépatique aiguë sur chronique chez les patients avec cirrhose du foie décompensée. [Thèse : médecine] [Google Scholar]
  10. Trad N. Université de Tunis El Manar. Tunis: 2021. Décompensation aiguë sur chronique: Rôle de l'inflammation systémique. [Mémoire : médecine] [Google Scholar]
  11. Hernaez R, Kramer JR, Liu Y, Tansel A, Natarajan Y, Hussain KB, et al. Prevalence and short-term mortality of acute-on-chronic liver failure: a national cohort study from the USA. J Hepatol. 2019 Apr;70(4):639–647. doi: 10.1016/j.jhep.2018.12.018. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  12. Moreau N, Wittebole X, Fleury Y, Forget P, Laterre PF, Castanares Zapatero D. Neutrophil-to-Lymphocyte ratio predicts death in acute-on-chronic liver failure patients admitted to the intensive care unit: a retrospective cohort study. Shock. 2018 Apr;49(4):385–392. doi: 10.1097/SHK.0000000000000993. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
  13. Shi Y, Yang Y, Hu Y, Wu W, Yang Q, Zheng M, et al. Acute-on-chronic liver failure precipitated by hepatic injury is distinct from that precipitated by extrahepatic insults. Hepatology. 2015 Jul;62(1):232–242. doi: 10.1002/hep.27795. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  14. Medzhitov R, Schneider DS, Soares MP. Disease tolerance as a defense strategy. Science. 2012 Feb;335(6071):936–941. doi: 10.1126/science.1214935. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
  15. Khedher S, Fouthaili N, Maoui A, Lahiani S, Salem M, Bouzid K. The diagnostic and prognostic values of C-reactive protein and procalcitonin during bacterial infections in decompensated cirrhosis. Gastroenterol Res Pract. 2018 Dec;2018:5915947. doi: 10.1155/2018/5915947. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
  16. Piano S, Tonon M, Vettore E, Stanco M, Pilutti C, Romano A, et al. Incidence, predictors and outcomes of acute-on-chronic liver failure in outpatients with cirrhosis. J Hepatol. 2017 Dec;67(6):1177–1184. doi: 10.1016/j.jhep.2017.07.008. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  17. Arroyo V, Moreau R, Jalan R, Ginès P. Acute-on-chronic liver failure: a new syndrome that will re-classify cirrhosis. J Hepatol. 2015 Apr;62(Suppl 1):131–143. doi: 10.1016/j.jhep.2014.11.045. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  18. Fernández J, Prado V, Trebicka J, Amoros A, Gustot T, Wiest R, et al. Multidrug-resistant bacterial infections in patients with decompensated cirrhosis and with acute-on-chronic liver failure in Europe. J Hepatol. 2019 Mar;70(3):398–411. doi: 10.1016/j.jhep.2018.10.027. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  19. Cao ZJ, Liu YH, Zhu CW, Yin S, Wang WJ, Tang WL, et al. Bacterial infection triggers and complicates acute-on-chronic liver failure in patients with hepatitis B virus-decompensated cirrhosis: a retrospective cohort study. World J Gastroenterol. 2020 Feb;26(6):645–656. doi: 10.3748/wjg.v26.i6.645. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
  20. Biyik M, Ucar R, Solak Y, Gungor G, Polat I, Gaipov A, et al. Blood neutrophil-to-lymphocyte ratio independently predicts survival in patients with liver cirrhosis. Eur J Gastroenterol Hepatol. 2013 Apr;25(4):435–441. doi: 10.1097/MEG.0b013e32835c2af3. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  21. Allaire M, Cadranel JF, Nguyen TN, Garioud A, Zougmore H, Heng R, et al Management of infections in patients with cirrhosis in the context of increasing therapeutic resistance: a systematic review. Clin Res Hepatol Gastroenterol. 2020 Jun;44(3):264–274. doi: 10.1016/j.clinre.2019.10.003. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  22. Ferrer R, Martin Loeches I, Phillips G, Osborn TM, Townsend S, Dellinger RP, et al Empiric antibiotic treatment reduces mortality in severe sepsis and septic shock from the first hour: results from a guideline-based performance improvement program. Crit Care Med. 2014 Aug;42(8):1749–1755. doi: 10.1097/CCM.0000000000000330. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  23. Angeli P, Bernardi M, Villanueva C, Francoz C, Mookerjee RP, Trebicka J, et al EASL clinical practice guidelines for the management of patients with decompensated cirrhosis. J Hepatol. 2018 Aug;69(2):406–460. doi: 10.1016/j.jhep.2018.03.024. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  24. Thuluvath PJ, Thuluvath AJ, Hanish S, Savva Y. Liver transplantation in patients with multiple organ failures: Feasibility and outcomes. J Hepatol. 2018 Nov;69(5):1047–1056. doi: 10.1016/j.jhep.2018.07.007. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  25. Artru F, Louvet A, Ruiz I, Levesque E, Labreuche J, Ursic Bedoya J, et al Liver transplantation in the most severely ill cirrhotic patients: a multicenter study in acute-on-chronic liver failure grade 3. J Hepatol. 2017 Oct;67(4):708–715. doi: 10.1016/j.jhep.2017.06.009. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]

Articles from La Tunisie Médicale are provided here courtesy of Tunisian Society of Medical Sciences

RESOURCES