Points clés
Il a été démontré que le risque de transmission périnatale du VIH lié à l’allaitement naturel est très faible (probablement < 0,08 %–0,16 %) si une personne infectée prend un traitement antirétroviral, est en état de suppression virale et sous supervision médicale.
Sur le plan clinique, l’allaitement naturel prodigué par des parents infectés par le VIH est considéré comme équivalent au lait maternisé si l’on tient compte des bienfaits du lait humain.
Les recommandations concernant l’alimentation des nourrissons ont changé dans certains pays à revenu élevé : au lieu de promouvoir exclusivement le lait maternisé, on présente désormais comme équivalents le lait maternisé et l’allaitement naturel si la charge virale du VIH est supprimée chez les parents.
Les directives canadiennes devraient proposer le lait maternisé et l’allaitement naturel comme des options équivalentes, en utilisant une approche bienveillante à la prise de décision éclairée et aux soins partagés.
Les directives canadiennes continuent de préconiser l’utilisation systématique du lait maternisé si les parents sont porteurs du VIH1. Or, selon les données probantes, le risque de transmission périnatale du VIH lié à l’allaitement naturel est très faible (probablement < 0,08 %–0,16 %) si un parent infecté par le VIH est sous traitement antirétroviral (TAR), en état de suppression virale et sous surveillance médicale2. Ce risque faible, allié aux avantages conférés par le lait humain et l’allaitement naturel, signifie que les directives canadiennes devraient être modifiées de manière à présenter l’allaitement naturel comme une option équivalente au lait maternisé selon une approche bienveillante à la prise de décision éclairée et aux soins partagés. Les directives canadiennes s’harmoniseraient ainsi à celles de l’Organisation mondiale de la Santé et d’autres pays à revenu élevé3–6.
Selon une revue systématique de 2017 des données de pays à revenu faible et moyen, le risque de transmission périnatale du VIH associé à l’allaitement naturel serait d’environ 1 % à 6 mois et 2 % à 12 mois; dans la plupart des cas, un TAR était en cours7. Par contre, les études incluses dans cette revue systématique ne disposaient pas toutes des valeurs de la charge virale du VIH, ce qui pourrait nuire à l’extrapolation de leurs conclusions aux pays qui disposent d’importantes ressources, comme le Canada. Depuis ce temps, l’essai PROMISE a comparé les taux de VIH périnatal chez des sujets assignés aléatoirement à un TAR maternel en période postpartum (n = 1220) ou à un TAR pour nourrissons (n = 1211)2. Le taux de VIH périnatal n’a été que de 0,58 % globalement, avec un allaitement d’une durée médiane de 16 mois. Il s’agissait de la première étude à prévoir d’emblée un dosage précis de la charge virale maternelle du VIH et le dépistage du virus chez les nourrissons. Une analyse subséquente a fait état de 2 cas de transmission périnatale du VIH sur 1220 mères (0,16 %) dont la charge virale était supprimée à l’aide d’un TAR pendant la période de l’allaitement. Par contre, au moment de la randomisation, ni l’une ni l’autre de ces 2 mères n’était en état de suppression virale2. L’essai PROMISE a fourni des données importantes sur le risque de transmission périnatale du VIH lié à l’allaitement naturel, mais il ne nous a pas renseignés sur ce risque lorsque la suppression virale parentale est obtenue avant la conception et maintenue jusqu’au sevrage de l’allaitement naturel.
Pour mesurer le risque de transmission périnatale du VIH en présence d’un état de suppression virologique optimal (c.-à-d., avant la conception, tout au long de la grossesse et durant l’allaitement naturel), nous avons analysé les rapports de cas liés à l’allaitement naturel de plusieurs pays qui disposent d’importantes ressources. En date d’octobre 2024, 431 cas de VIH parental avaient été recensés dans des pays à revenu élevé; la plupart prenaient un TAR, étaient en état de suppression virale, avaient choisi l’allaitement naturel, et nous disposions des résultats des tests de dépistage du VIH par réaction en chaîne de la polymérase chez les nourrissons. Dix-neuf parents ont été perdus au suivi; nous étions en attente des résultats des tests de dépistage du VIH chez 20 nourrissons au moment de rédiger l’article, et 392 nourrissons avaient obtenu un résultat négatif au dépistage (annexe 1, accessible en anglais au www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.240441/tab-related-content). Aucun cas confirmé de transmission du VIH n’a été déclaré. Selon ces données, le risque de transmission périnatale du VIH lié à l’allaitement naturel chez les personnes en état de suppression virologique optimale (virus indétectable) est inférieur à 0,2 % (calculé en divisant les 2 cas de transmission du groupe sous TAR maternel de l’étude PROMISE par le nombre de participantes), soit la valeur maximale révélée par l’étude PROMISE. De plus, cette façon de faire respecte les droits reproductifs.
Les recommandations de plusieurs pays à revenu élevé placent désormais sur un pied d’égalité les options de l’allaitement naturel et du lait maternisé3,4, ce qui épargne aux personnes infectées par le VIH d’avoir à défendre leurs droits reproductifs. On leur présente plutôt les 2 options afin qu’elles fassent un choix éclairé pour l’alimentation de leur nourrisson.
Avant l’avènement des TAR hautement efficaces, quand le risque de transmission périnatale du VIH était substantiel, on soutenait le droit des personnes infectées par le VIH à prendre des décisions éclairées au sujet de la grossesse ou de la conception. Même si la conception et l’allaitement naturel représentent des enjeux différents (l’interdiction de concevoir peut être perçue comme une violation des droits de la personne, tandis que la protection du nourrisson est invoquée pour privilégier le lait maternisé), nous sommes d’avis qu’il n’y a pas lieu de faire une distinction entre les 2 options sur le plan clinique.
Dans les pays à revenu élevé, comme le Canada, le VIH est une maladie chronique pouvant être prise en charge, mais qui reste très stigmatisée. Il est possible que la réticence à promouvoir l’allaitement naturel au Canada soit un relent de biais patriarcaux inconscients qui influencent encore nos systèmes de santé. Certains prestataires de soins se sentent investis du devoir de « protéger » le nourrisson contre le VIH. Or, cette protection expose nourrissons et parents à différents types de stress, tels qu’une divulgation fortuite de l’infection par le VIH dans certaines communautés si l’allaitement naturel n’est pas choisi (particulièrement dans les communautés culturelles où les attentes sont élevées), la tristesse créée par un sentiment d’échec à bien s’acquitter de son rôle parental, et l’isolement causé par une abstention des activités sociales comme façon de ne pas montrer qu’on utilise du lait maternisé.
Nous ne pouvons pas balayer du revers de la main le risque de transmission du VIH lié à l’allaitement naturel. Toutefois, nous considérons que ce risque est suffisamment faible pour que les personnes infectées par le VIH soient informées des risques et bienfaits de l’allaitement naturel, et il faut les aider à faire le choix le plus judicieux pour elles-mêmes et leurs nourrissons. Une approche bienveillante à la prise de décision éclairée et aux soins partagés prend en compte les données actuelles qui s’accumulent relativement à l’innocuité et à l’équivalence des options, les facteurs de personnels et culturels qui guident les décisions parentales et les bienfaits du lait humain.
Supplementary Information
Remerciements
Les autrices soulignent l’apport de tous les membres de la communauté qui continuent de promouvoir l’ouverture en matière de droits reproductifs, et remercient sincèrement leurs collègues à l’échelle nationale et internationale qui ont participé à cette discussion délicate et souvent controversée.
Voir la version anglaise de l’article ici : www.cmaj.ca/lookup/doi/10.1503/cmaj.240441
Footnotes
Intérêts concurrents : Mona Loutfy signale avoir reçu du financement des sociétés ViiV Healthcare, Merck Frosst et Gilead Sciences pour des études menées à l’initiative des chercheurs au cours des 5 dernières années. Aucun autre intérêt concurrent n’a été déclaré.
Cet article a été révisé par des pairs.
Collaboratrices : Les 2 autrices ont contribué à l’élaboration et à la conception des travaux. Mona Loutfy a rédigé le manuscrit. Logan Kennedy en a révisé de façon critique le contenu intellectuel important. Les 2 autrices ont donné leur approbation finale de la version soumise pour publication et assument l’entière responsabilité de tous les aspects du travail.
Traduction et révision : Équipe Francophonie de l’Association médicale canadienne
Références
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