Le système de santé canadien est un partenariat à trois, inévitablement dans un constant état de tension entre les besoins et intérêts des patients, des fournisseurs et des contribuables (et de leurs agents, les responsables de l’administration du système). Les représentants des trois parties aspirent à faire converger cette tension dans des directions positives, mais les impératifs en concurrence qui posent à chacun des obstacles sont indéniables. Ils se voient tous dans des situations désespérées - les patients et leurs proches, en quête de soins adéquats; les fournisseurs, pris entre les contraintes de temps et les frais généraux à la hausse; le gouvernement et les autres sources de financement qu’on blâme pour la détérioration de la qualité des services, malgré des dépenses qui croissent sans cesse.
Sous la pression
Le virage rapide vers des soins primaires aux patients hospitalisés par des médecines directement à l’emploi de l’hôpital était la réponse logique aux pressions grandissantes exercées sur les médecins de famille et les hôpitaux1. En essayant de faire de la nécessité une vertu, comme le font naturellement les humains, on a beaucoup mis en évidence les avantages présumés pour les patients. Mais les médecins de famille aux abois et débordés étaient de plus en plus nombreux à fermer leur pratique et à éprouver des difficultés à intégrer les visites à l’hôpital dans leurs journées de travail toujours plus longues. Beaucoup ont cru n’avoir d’autre choix que de renoncer à leurs privilèges hospitaliers, délaissant les hôpitaux pour faire face au nombre grandissant de patients orphelins. Entre-temps, avec le vieillissement de la population, les degrés de fragilité et de complexité des patients ont continué à s’élever. Les pratiques spécialisées sont devenues encore plus, disons, spécialisées.
Les étoiles s’enlignaient pour favoriser l’adoption rapide d’une solution unidimensionnelle. Les hôpitaux ont rapidement embauché des médecins, parce qu’ils le devaient. Ils ont fait passer cela pour ce qu’on appelle, dans le langage bureaucratique, de «élaboration de programme», mais la réalité était plus simple. Soulagés de ce qu’ils considéraient être un fardeau insoutenable, la plupart des médecins de famille communautaires ont accepté tranquillement d’être exonérés de cet aspect du travai2. Les spécialistes et les infirmières étaient contents d’avoir sur place des médecins de famille pour s’occuper au quotidien des problèmes médicaux généraux. Les tensions exercées sur le système et sur ceux qui y travaillaient ont été réduites momentanément. Une illusion d’avoir remédié au problème fondamental a pris racine.
Sous la surface
Des conséquences négatives non intentionnelles sur les patients, les membres les plus importants de la triade des soins de santé et le sujet du présent débat, étaient inévitables. En échange de modestes améliorations dans la qualité de leur expérience à l’hôpital (bien qu’on puisse soutenir qu’aucun changement dans les résultats qui importent en matière de morbidité et de mortalité ne se soit produit, la vérité est que les ouvrages demeurent limités et loin d’être convaincants à cet égard3), les patients ont enduré une plus grande détérioration dans l’ensemble du système de soins de santé.
Comme le font valoir les partisans des programmes des hospitaliers, ces postes représentent des possibilités d’emploi très attrayantes pour les omnipraticiens, offrant des heures de travail précises, pas de frais généraux et de la flexibilité1. Même si les médecins de famille nouvellement diplômés sont très compétents (et le démontrent) dans les soins aux patients hospitalisés, les hôpitaux sont dans une position pour embaucher la crème de la crème - les plus compétents, expérimentés et efficaces. Par conséquent, un programme conçu pour réduire la dépendance à l’endroit des soins hospitaliers grâce à une planification plus proactive des congés finit par priver la collectivité de ses praticiens les plus efficaces et productifs4, alors qu’on compte plus de 2 000 nouveaux patients orphelins par médecin embauché.
La perte de modèles à imiter dans les hôpitaux s’est traduite par un plus grand nombre de démissions chez les médecins de famille et la fin des nouvelles recrues en soins primaires. Les médecins de famille communautaires n’étant plus exposés au milieu hospitalier, on perdait aussi une source puissante de développement professionnel continu. L’absence de privilèges hospitaliers est depuis longtemps identifiée comme un indicateur prévisionnel d’un mauvais rendement dans les programmes de pratique évalués par des pairs5.
Les partisans des hospitaliers soutiennent que la complexité accrue des cas rend inadéquat le modèle traditionnel d’une seule visite par jour et de la disponibilité additionnelle par téléphone d’un médecin de famille. La complexité est un attribut à facettes multiples, désignant, entre autres, des soins spécialisés (pris en charge par les spécialistes), l’acuité médicale élevée (cogérée par les spécialistes et les soins primaires) et les effets grandissants des problèmes chroniques exigeant un agencement difficile de soins médicaux et personnels. Il y a seulement quelques décennies. les urgences et les services dans les hôpitaux étaient principalement occupés par des personnes souffrant d’une seule maladie: hémorragie gastrointestinale supérieure aiguë, coronaropathie prématurée, asthme mal contrôlé, infections et diabète récemment diagnostiqué, pour n’en nommer que quelques-unes. Le changement dramatique dans la prévalence des problèmes concomitants multiples et des patients plus âgés est bien documenté6. Quelque 50% des Canadiens de plus de 65 ans ont 5 affections chroniques ou plus. Après l’âge de 85 ans, la prévalence de la déficience cognitive approche les 50%. Le Canadien moyen passe de 1 à 3 années de sa vie en état de dépendance avant de mourir
Les patients hospitalisés et leur famille font systématiquement face à des choix de traitement difficiles. La familiarité d’un médecin avec les valeurs et les priorités de la personne, et un degré de rapport et de confiance avec le patient et sa famille n’ont jamais eu plus d’importance7. Quiconque a été présent au chevet d’un frêle membre de la famille connaît la tendance à recourir par défaut à un niveau trop souvent non désiré d’intervention lorsqu’on dépend de soins donnés par des étrangers. Le Collège des médecins de famille du Canada énonce depuis longtemps la centralité de la relation médecin-patient comme l’un des Principes de la médecine familiale8. Comment pouvons-nous justifier l’abandon de cette relation dans de telles circonstances?
Je sympathise énormément avec les administrateurs d’hôpitaux qui ont vu dans les médecins de soins primaires hospitaliers une solution raisonnable au problème urgent et complexe de réformer et de rebâtir le secteur des soins médicaux primaires, et avec les excellents médecins qu’ils ont recrutés. Par ailleurs, l’initiative est, au mieux, une solution provisoire, en attendant un projet bien plus grand. Malheureusement, elle compte parmi les nombreux facteurs qui ont contribué à la hausse dramatique de la fragmentation des soins, une tendance qui va à l’encontre des intérêts des patients.
Prétendre que les hospitaliers répondent mieux aux besoins des patients hospitalisés, c’est une vision très étroite et peu éclairée de leurs besoins.
CONCLUSIONS FINALES
Le recrutement d’hospitaliers pour fournir des soins aux patients hospitalisés a été une réponse conçue à la hâte et unidimensionnelle à un problème systémique complexe en soins de première ligne.
La relation de confiance et de compréhension entre le médecin de famille et le patient est une ressource importante pour des soins de grande qualité aux patients hospitalisés, qui mérite d’être préservée.
L’évolution des programmes des hospitaliers, qui s’exécutent beaucoup dans l’isolement, est devenue un autre facteur qui contribue au déclin de la pratique communautaire.
Les patients seront mieux desservis par des hôpitaux et des praticiens communautaires qui collaborent pour ramener les médecins de famille au sein des équipes médicales dans les hôpitaux.
Footnotes
Les auteurs pourront réfuter les arguments de leur opposant dans Réfutation, dans un prochain numéro.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Références
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