Skip to main content
Healthcare Policy logoLink to Healthcare Policy
editorial
. 2008 May;3(4):15–20. [Article in French]

Homologation progressive des médicaments : promesse ou cacophonie ?

Editor: Joel Lexchin
PMCID: PMC2645166

Un des derniers projets de Santé Canada concerne l'homologa-tion progressive des médicaments. Dans l'état actuel, au moment où un médicament reçoit l'autorisation pour la mise en marché, c'est-à-dire l'avis de conformité (AC) dans le langage de la Loi sur les aliments et drogues, Santé Canada perd pratiquement le contrôle sur ce médicament. Il est vrai qu'on exige des compagnies pharmaceutiques qu'elles déclarent les effets indésirables des médicaments (EIM) dont elles prennent connaissance; et, dans les cas où il y a des risques importants pour la sécurité, Santé Canada peut négocier avec les compagnies une 《 lettre aux médecins 》 ou encore, dans les cas extrêmes, retirer le médicament du marché. En dehors de ces mesures, Santé Canada n'a aucune compétence législative sur les médicaments qui circulent déjà sur le marché.

Au cours des vingt dernières années, Santé Canada s'est vu obligé de retirer, pour toute période donnée de cinq ans, de 3 à 4 pour cent des nouveaux médicaments autorisés, en raison des risques qu'ils posaient (voir figure 1). Bien que ce pourcentage semble stable, les compagnies pharmaceutiques livrent d'importantes campagnes de mise en marché pour les nouveaux médicaments, et ce, dès leur autorisation. En conséquence, des centaines de milliers d'ordonnances sont délivrées pour ces médicaments dans les premiers mois de leur mise en marché (IMS Health Canada 2000). Les nouveaux médicaments sont habituellement testés auprès de populations relativement homogènes, cependant, de nombreuses ordonnances sont délivrées pour des groupes de patients beaucoup plus hétérogènes, pour lesquels le rapport avantages-risques demeure souvent inconnu.

FIGURE 1.

FIGURE 1.

Pourcentage du retrait sécuritaire des médicaments en fonction du nombre d'autorisations, 1985–2006

L'objectif d'une homologation progressive est d'éviter la situation du 《 tout ou rien 》 – accorder ou non l'autorisation – et de mettre en place une approche qui permet le suivi des médicaments tout au long de leur cycle de vie. Voici ce que dit Santé Canada, sur son site Web, au sujet de l'homologation progressive : 《 l'homologation progressive signifie que Santé Canada évaluerait les avantages et les risques d'un produit, avant et après la commercialisation, pour établir une norme de réglementation stable en accord avec l'approche du cycle de vie à la réglementation du médicament 》 (Santé Canada 2008). Ce nouveau système laisse entendre qu'une réévaluation continuelle des risques et des avantages permettra de détecter de façon précoce les problèmes sérieux de sécurité et de mieux déterminer la catégorie thérapeutique des médicaments. Le 8 avril 2008, le premier ministre Stephen Harper dévoilait la nouvelle réglementation (projet de loi C-51) concernant les principes de l'homologation progressive (Weeks et Galloway 2008).

On s'inquiète, dans certains milieux, de la possibilité d'un compromis entre les évaluations avant et après la commercialisation, c'est-à-dire qu'il y aurait plus de surveillance après la mise en marché en échange d'une autorisation accélérée. Auparavant, le Royaume-Uni se trouvait dans une situation de ce genre. Selon une analyse de John Abraham, de l'Université Sussex (Abraham et Davis 2005), cela a eu pour conséquence que 2,6 fois plus de médicaments étaient retirés du marché britannique entre 1971 et 1992, comparativement aux États-Unis où la Food and Drug Administration (FDA) menait des évaluations avant la commercialisation plus poussées et s'échelonnant sur de plus longues périodes de temps. Vers le milieu des années 1990, l'homologation s'est accélérée aux États-Unis et les estimations indiquent que pour chaque tranche d'accélération d'un mois dans l'évaluation d'un médicament, il y a eu une augmentation de 1 pour cent des rapports d'hospitalisations dues aux EIM et de 2 pour cent des rapports de mortalité due aux EIM (Olson 2002).

Le ministre fédéral de la Santé, Tony Clement, a assuré que 《 les modifications n'allaient pas permettre une baisse des normes de sécurité ou accélérer les processus d'autorisation 》 (Clement 2008), mais selon un défenseur de l'homologation progressive (Weeks 2008), les mesures permettront à Santé Canada d'autoriser des médicaments qui auraient pu être rejetés, particulièrement ceux pour lesquels il existe peu de données quant à leur efficacité au moment où Santé Canada les prend en considération. En fait, depuis 1998, il existe une politique similaire à Santé Canada : l'avis de conformité avec conditions (AC-C). L'objectif de cette politique est de 《 permettre aux personnes atteintes d'une maladie ou affections grave, mettant la vie en danger ou sévèrement débilitante d'avoir plus rapidement accès à de nouveaux médicaments prometteurs 》 dans le cas où les marqueurs de substitution permettent de croire que ces médicaments offrent 《 un traitement, une prévention ou un diagnostic efficace d'une maladie ou condition pour lesquelles aucun médicament n'est actuellement commercialisé au Canada, ou une efficacité améliorée significative ou une diminution significative du risque, par rapport aux thérapies actuelles 》 (Santé Canada 1998). En échange de l'autorisation sur le marché, les compagnies s'engagent à entreprendre des essais supplémentaires afin de vérifier les effets escomptés des médicaments en question.

En janvier 2008, on comptait 38 AC-C émis pour 31 produits (certains médicaments peuvent recevoir plus d'un AC-C). Cependant, un de ces médicaments, qui avait reçu son AC-C en août 1999, n'avait toujours pas satisfait aux conditions, tandis que les autres circulaient sur le marché avec un AC-C depuis cinq ou six ans. Santé Canada ne donne pas d'information sur les progrès des essais auxquels se sont engagées les compagnies. Ainsi, le public en général tout comme les praticiens de la santé ne connaissent pas le degré d'efficacité, le cas échéant, de ces médicaments (Lexchin 2007). Reste à savoir si, dans le cadre d'une homologation progressive, Santé Canada assurera un meilleur suivi ainsi que le respect des engagements conclus.

De plus, les essais liés au AC-C, et qui seront aussi utilisés pour commercialiser plus rapidement les médicaments prometteurs dans le cadre de l'homologation progressive, sont presque toujours financés par l'industrie et conçus pour produire des données à des fins d'autorisation. Souvent, quand un médicament semble prometteur pour une maladie grave, les essais sont interrompus avant terme en invoquant qu'il est contraire à l'éthique de continuer à donner aux patients un placebo ou un médicament de comparaison de qualité inférieure. Un article du JAMA, publié en 2005, conclut que l'arrêt précoce des essais est de plus en plus courant et ajoute qu'《 il y a souvent un manque d'information pertinente au sujet de la décision de mettre fin aux essais et que les effets à long terme des traitements demeurent inconnus, particulièrement quand le nombre de cas est réduit 》 (Montori et al. 2005). Dans la mesure où seront pris en compte des essais auxquels on a mis fin de façon anticipée, Santé Canada devra faire preuve d'une extrême vigilance pour tout produit autorisé dans le cadre d'une homologation progressive.

Pour faire face aux défis liés à la surveillance continue des médicaments, Santé Canada devra injecter de nouvelles ressources dans le système de surveillance après la commercialisation. Le tableau 1 présente le déséquilibre considérable en fait d'effectif et de ressources entre la Direction des produits thérapeutiques, qui s'occupe de l'autorisation des nouveaux médicaments, et la Direction des produits de santé commercialisés, qui s'occupe de la surveillance après l'autorisation de mise en marché (Progestic International 2004). Le budget fédéral de 2008 prévoit 113 millions de dollars, répartis sur deux ans, afin de 《 moderniser et de renforcer le système canadien de salubrité des aliments ainsi que des produits de consommation et de santé 》 (Flaherty 2008), mais il n'y a pas d'indication sur la part de cet argent qui ira à la surveillance des médicaments après l'autorisation de mise en marché.

TABLEAU 1.

Financement comparatif entre la Direction des produits thérapeutiques et la Direction des produits de santé commercialisés, 2004

Direction Coûts d'exploitation annuelle approximatifs (année se terminant le 31 mars 2004) Nombre approximatif d'employés (en date du 31 mars 2004)
Direction des produits thérapeutiques 38 millions $ 423
Direction des produits biologiques et des thérapies génétiques 22 millions $ 228
Inspectorat de la Direction générale des produits de santé et des aliments 16 millions $ 190
Direction des produits de santé commercialisés 8 millions $ 90
Total 84 millions $ 931

Dans le cadre du projet de loi C-51, Santé Canada, par l'entremise du ministre de la Santé, jouira de pouvoirs additionnels pour autoriser la commercialisation d'un médicament sous conditions supplémentaires, et pourra retirer l'autorisation si la compagnie ne respecte pas ses obligations (Gouvernement du Canada 2008). Dans la pratique, ces nouveaux pouvoirs permettront sans doute à Santé Canada d'exiger des compagnies qu'elles effectuent des essais après la commercialisation pour étudier les questions de sécurité et d'efficacité. Bien qu'en théorie cette information soit précieuse pour évaluer la place des produits dans le répertoire thérapeutique, dans la réalité on peut à juste titre s'inquiéter d'une dépendance par rapport aux études financées par l'industrie. Une revue systématique narrative a démontré que la recherche commanditée par des intérêts commerciaux est plus susceptible de donner des résultats positifs qu'une recherche financée par d'autres sources (Sismondo 2008).

Pour terminer, tout changement à la loi dont le but est d'améliorer les connaissances sur les nouveaux médicaments devrait comprendre des articles qui prévoient l'accès public à l'information traitant de la sécurité et de l'efficacité. Les données des essais cliniques avant la commercialisation remises par les compagnies à Santé Canada sont présentement traitées comme des renseignements commerciaux confidentiels et ne sont pas divulguées sans l'autorisation de la compagnie concernée, et ce, même si une demande d'accès à l'information est déposée. Le projet de loi C-51 n'apportera aucun changement appréciable dans ce sens; en fait, on y trouve un paragraphe qui réfère spécifiquement aux accords commerciaux tels que l'ALENA (Accord de libreéchange nord-américain) comme raison pour ne pas divulguer les renseignements. Il semble que le projet de loi omette également la question de la divulgation publique des résultats d'études après la commercialisation financées par les compagnies. Le recours aux accords commerciaux pour justifier le refus de rendre publiques les données des essais cliniques est difficile à admettre, puisque la FDA publie régulièrement sur son site Web les commentaires écrits d'examinateurs au sujet de nouveaux médicaments. Si vous prêtez l'oreille, vous pouvez entendre de plus en plus la voix d'une homologation progressive des médicaments. S'agit-il d'une promesse positive ou d'une simple cacophonie?

Références

  1. Abraham J., Davis C. A Comparative Analysis of Drug Safety Withdrawals in the UK and the US (1971–1992): Implications for Current Regulatory Thinking and Policy. Social Science and Medicine. 2005;61:881–92. doi: 10.1016/j.socscimed.2005.01.004. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Clement T. Food and Product Safety. The Globe and Mail. 2008. Apr 11, p. A16.
  3. Flaherty J.M. Le budget de 2008 : un leadership responsable. Ottawa: Ministère des Finances Canada; 2008. Feb 26, [Google Scholar]
  4. Gouvernement du Canada. Projet de loi C-51 : Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues et modifiant d'autres lois en conséquence. 2008. Apr 8, Deuxième session, 39e législature.
  5. IMS Health Canada. New Arthritis Medication Achieves Fastest Adoption Ever Recorded in Canada. 2000 News release. Consulté le 27 mars 2002. < http://www.longwoods.com/news_items.php>.
  6. Lexchin J. Notice of Compliance with Conditions: A Policy in Limbo. Healthcare Policy. 2007;2(4):114–22. [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Montori V.M., Devereaux P.J., Adhikari N.K.J., et al. Randomized Trials Stopped Early for Benefit: A Systematic Review. Journal of the American Medical Association. 2005;294:2203–9. doi: 10.1001/jama.294.17.2203. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Olson M.K. Pharmaceutical Policy Change and the Safety of New Drugs. Journal of Law and Economics. 2002;45:615–42. [Google Scholar]
  9. Progestic International. Final Report for the Financial Models Project. Ottawa: Health Canada; 2004. May, [Google Scholar]
  10. Santé Canada. Programme des produits thérapeutiques. Ottawa: auteur; 1998. Politique sur les avis de conformité avec conditions (AC-C). [Google Scholar]
  11. Santé Canada. Projet d'homologation progressive. 2008 Jan 30; Consulté le 15 mai 2008. < http://www.hc-sc.gc.ca/dhp-mps/homologation-licensing/plfs_hpfd_f.html>.
  12. Sismondo S. Pharmaceutical Company Funding and Its Consequences: A Qualitative Systematic Review. Contemporary Clinical Trials. 2008;29:109–13. doi: 10.1016/j.cct.2007.08.001. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  13. Weeks C. New Drug Rules: Life-Saver or Safety Risk? The Globe and Mail. 2008 Apr 11; Consulté le 15 mai 2008. < http://www.theglobeandmail.com/servlet/story/RTGAM.20080411.wldrugs11/BNStory/specialScienceandHealth>.
  14. Weeks C., Galloway G. Ottawa Gets Tough on Consumer Safety: Legislation Would Make It Easier to Pull Potentially Harmful Products Off the Shelves and Fast-Track New Drugs onto the Market. The Globe and Mail. 2008 Apr 8; Consulté le 15 mai 2008. < http://www.theglobeandmail.com/servlet/story/RTGAM.20080408.wsafety08/BNStory/National>.

Articles from Healthcare Policy are provided here courtesy of Longwoods Publishing

RESOURCES