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. 2009 May;4(4):36–42. [Article in French]

La santé en situation linguistique minoritaire

Health in Language Minority Situation

Louise Bouchard 1, Isabelle Gaboury 2, Marie-Hélène Chomienne 3, Anne Gilbert 4, Lise Dubois 5
PMCID: PMC2700700  PMID: 20436805

Abstract

La littérature suggère l'hypothèse d'une santé différentielle des francophones en situation minoritaire au Canada. L'effet de minorité sur la santé perçue a été mesuré à l'aide des Enquêtes sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) de 2001 et 2003. Une analyse de régression logistique multivariée séquentielle montre que les francophones minoritaires – hommes et femmes – sont plus enclins à déclarer une moins bonne santé que les anglophones majoritaires. Contrairement aux femmes, cette disparité chez les hommes demeure significative même lorsque nous ajustons pour certains grands déterminants de la santé. L'étude illustre que l'action des déterminants de santé peut être ainsi modulée par le rapport minoritaire/majoritaire. Les inégalités ainsi révélées appellent à une réflexion sur les politiques d'accès linguistique aux soins de santé.


Les communautés francophones vivant en situation minoritaire évaluées à 1 million de personnes (4,4 % de la population canadienne) sont dispersées un peu partout au pays. Les plus fortes concentrations sont en Ontario (509 265) et au Nouveau Brunswick (239 400), alors qu'ailleurs, on peut compter de 63 000 francophones (Alberta) à moins de 500 francophones (Nunavut) (Statistique Canada 2002). Ces communautés présentent un profil diversifié : elles sont en général moins jeunes, moins scolarisées et moins nombreuses sur le marché du travail, bien que leur revenu moyen soit cependant similaire à celui des anglophones. Elles sont davantage concentrés dans des régions où l'économie est plus instable rendant ainsi plus difficile le développement et l'accès aux ressources sociales. La communauté anglophone minoritaire n'existe, par définition, qu'au Québec et représente 13,9 % de la population québécoise, soit 1 009 185 de personnes.

La refonte de la Loi sur les langues officielles de 1988 a engagé le gouvernement fédéral à appuyer le développement des communautés francophones et anglophones en situation minoritaire au Canada et à promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais. La langue revêt une dimension particulière lorsqu'il s'agit de la santé. Une revue de la littérature faite pour Santé Canada décrit les effets négatifs de la barrière linguistique sur l'accès aux services de santé, sur la qualité des soins, sur les droits des patients, sur l'efficacité de la communication patient-médecin, et sur la santé elle-même (Bowen 2001). La barrière linguistique réduirait le recours aux services préventifs et le suivi adéquat des patients particulièrement en ce qui a trait aux services basés sur la communication (santé mentale, réadaptation, services sociaux). En contrepartie elle contribuerait à accroître l'utilisation des services d'urgence et le recours à des tests additionnels. Quelques études montrent qu'il y a lieu d'investiguer cette situation. Celle de la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada (FCFA 2001) a révélé qu'entre 50 et 55 % des francophones ont aucunement ou rarement accès à des services de santé en français. Une analyse secondaire de l'ESCC indique que 62 % des francophones âgés de 65 ans et plus de l'Ontario communiquent en anglais avec leur médecin et sont plus insatisfaits de l'accessibilité et de la qualité des services (Bourbonnais et al.). Enfin, selon une étude de Statistique Canada (2006), les francophones (de 16 à 65 ans) minoritaires affichent un niveau d'alphabétisme plus faible que les anglophones, ce qui peut exercer une influence négative sur la santé.

Ces quelques observations permettent de soutenir l'hypothèse d'une santé différentielle et d'un rôle plus grand chez les minoritaires de certains déterminants.

Méthodologie

Nous posons comme hypothèse que la situation linguistique minoritaire par delà les déterminants socioéconomiques influence négativement les états de santé perçus.

Avec la collaboration du groupe d'analyse et de modélisation de la santé de Statistique Canada, nous avons fusionné les Enquêtes sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) de 2001 (cycle 1.1) et de 2003 (cycle 2.1). La population à l'étude comprend les personnes de 12 ans et plus vivant à domicile et inclut les provinces et les territoires1. Le taux de réponse global est de 85,1 % au cycle 1.1 et de 80,6 % au cycle 2.1; les tailles des échantillons étaient de 131 535 et 135 573 répondants.

L'analyse se fonde sur un échantillon d'adultes de 25 ans et plus (76 674 hommes dont 3450 francophones et 92 734 femmes dont 4729 francophones). Afin de déterminer les groupes linguistiques francophone et anglophone, nous avons créé un algorithme permettant de filtrer les individus à partir des variables présentes dans l'ESCC : la langue de conversation, la langue maternelle, la langue de l'entrevue et la langue de contact préférée lors de l'enquête. Cette méthode a permis de distinguer le plus clairement possible les groupes à partir de la langue parlée et préférée et de retenir uniquement les personnes qui parlent le français (francophones ou nouvellement immigrées) ou l'anglais (anglophones, francophones s'exprimant en anglais et/ou nouvellement immigrées).

Des distributions de fréquences pondérées et des tableaux croisés ont été utilisés pour décrire le profil sociodémographique de l'échantillon. Afin de faciliter l'interprétation des résultats, la variable santé perçue a d'abord été dichotomisée entre un état de santé excellent, très bon et bon ou passable et mauvais. Lorsque plus de 1 % des données étaient manquantes pour une variable donnée, une catégorie supplémentaire les regroupant a été créée. Deux modèles (hommes/femmes) de régression logistique multivariés séquentiels additifs examinent l'association entre le fait d'être francophone en situation minoritaire et la santé perçue. Les modèles sont ajustés pour diverses variables sociodémographiques, se rapportant au style de vie et à la condition médicale et sociale de l'individu. Les variables sociodémographiques incluent le revenu du ménage en quintile ajusté pour la région, l'éducation (universitaire, postsecondaire, secondaire, secondaire non terminée) et la présence sur le marché du travail (temps plein, temps partiel, inactif). Cette information est complétée des mesures sur le type de ménage (individu seul, couple seul, couple et enfants, monoparental ou autre type), le statut de résidence (immigrant ou non), l'habitat en milieu rural ou urbain et la province de résidence. Le style de vie est mesuré par l'indice de masse corporelle (kg/m2) regroupée en trois catégories (<25, 25-30, >30), la fréquence de la consommation de boisson alcoolique (buveur régulier, occasionnel, ne consomme plus ou non-buveur), la consommation de tabac (régulier, occasionnel, ne fume plus ou non-fumeur), la consommation de fruits et légumes (de 5 à 10 portions par jour ou moins de 5 portions) et l'activité physique (actif ou modéré/inactif). La co-morbidité est obtenue depuis une liste de 11 maladies chroniques soumise aux répondants, l'incapacité physique est mesurée par le besoin d'aide pour les activités habituelles de la vie et le stress par la réponse à une question sur le degré de stress ressenti dans une journée.

Afin de tenir compte du plan d'enquête complexe, les erreurs-type des coefficients de régression ont été estimées à l'aide de la technique de Bootstrap (Rao et al. 1992).

Résultats

Les résultats confirment que la minorité francophone se perçoit en moins bonne santé que la majorité anglophone. Des résultats similaires ont été observés quand à la minorité anglophone québécoise (Tableau 1).

TABLEAU 1.

Distribution des personnes qui se perçoivent en mauvaise santé selon leur appartenance linguistique et situation géographique

Francophones Anglophones valeur p
%
Hors Québec 17,64 13,26 <0,001
Québec 12,44 14,11 0,001

En ce qui concerne la relation entre la situation minoritaire et la santé perçue, les modèles de régression montrent qu'en tenant compte des différences de structure d'âge, les francophones minoritaires sont moins enclins à déclarer une bonne santé que les anglophones majoritaires, tant chez les hommes (RC 0,66; IC 95 % 0,60, 0,73) que chez les femmes (RC 0,83; IC 95 % 0,75, 0,92). Chez les femmes, cet écart diminue suite à l'ajustement des variables de style de vie (RC 0,88; IC 95 % 0,79, 0,98) et disparaît après avoir ajusté pour le revenu et l'éducation (RC 0,95; IC 95 % 0,85, 1,07). Pour les hommes, l'écart demeure significatif après avoir ajusté pour l'ensemble des variables du cadre conceptuel (RC 0,83; IC 95 % 0,72, 0,95). La Figure 1 montre l'influence de chaque bloc sur la relation entre la situation minoritaire et la santé perçue.

FIGURE 1.

FIGURE 1.

Modèles de régression entre la santé perçue et la situation linguistique minoritaire comme facteur de risque

Discussion

L'étude montre que la minorité francophone se perçoit en moins bonne santé que la majorité anglophone, tant chez les hommes que chez les femmes. Toutefois lorsque nous ajustons cette relation pour les grands déterminants de la santé, il demeure chez les hommes francophones un résiduel de disparité que nous pourrions attribuer au facteur de « vie en situation minoritaire ». Cette observation est différente pour les femmes francophones, chez qui la disparité avec leurs congénères anglophones semble s'expliquer par les grands déterminants de la santé (socioéconomiques, éducation, etc.).

Le différentiel plus marqué pour les hommes que pour les femmes soulève diverses hypothèses. Une moins bonne santé, tout déterminant de santé étant égal, peut s'expliquer par une utilisation réduite ou inefficiente des soins de santé tout comme une mauvaise pénétration des campagnes de promotion de la santé auprès de la clientèle masculine. Enfin, l'exposition à des environnements physiques et psychosociaux spécifiques à chacun des sexes pourraient aussi contribuer à expliquer cette différence. Ce résultat correspond au constat établi par Hunt et Macintyre qui atteste d'une tendance à des inégalités socioéconomiques de santé plus marquées chez les hommes que chez les femmes et ce, pour la mortalité, la morbidité et la santé perçue (Hunt et Macintyre 2000; Wilkins et al. 2002).

Cette étude présente les limites inhérentes à l'utilisation de données secondaires. L'ESCC étant transversale, la relation de causalité ne peut être établie. De plus, la santé étant une valeur auto-rapportée et non mesurée, elle peut être sujette à des biais d'auto-déclaration. Enfin, le mode de collecte de données (téléphonique ou sur place) peut influencer certaines estimations. En 2001, 32 % des entrevues ont été faites au téléphone et 35 % en 2003. Selon St-Pierre et Béland (2004), les personnes interviewées au téléphone ont tendance à surévaluer leur santé et déclarer des taux plus élevés que celles interviewées en personne. Par contre, nos données ont tout lieu d'être robustes. Le fait d'avoir agrégé les résultats des deux dernières enquêtes nous donne un échantillon suffisant pour tirer des conclusions valides.

Conclusion

Les résultats soulèvent un fait important qui n'avait jamais été exploré dans le contexte canadien des langues officielles. Comme l'a amplement démontré la littérature, l'âge, le sexe, le revenu sont les principaux déterminants de la santé mais le fait de vivre en situation linguistique minoritaire n'avait pas, jusqu'à maintenant, été documenté. Ainsi, le rapport minoritaire/majoritaire semble traduire une inégalité sociale et d'accès aux ressources qui, traversée par les autres déterminants sociaux de la santé (statut socioéconomique, éducation et littératie, immigration) contribue de facto aux disparités de santé. L'étude montre l'importance d'approfondir et de mieux comprendre l'ensemble des déterminants de la santé ainsi que les interactions entre les contextes, les milieux de vie locaux, l'impact des politiques et la santé.

Remerciements

Ce projet de recherche a été financé par les IRSC et a bénéficié d'une collaboration étroite avec Statistique Canada et le groupe d'analyse et de modélisation de la santé (GAMS) alors dirigé par monsieur Jean-Marie Berthelot.

1.

Elle exclut les personnes vivant en établissement, les membres réguliers et les habitants des bases des Forces armées canadiennes; les habitants des réserves indiennes, et de certaines régions éloignées.

Contributor Information

Louise Bouchard, Institut de recherche sur la santé des populations/Population Health Institute et département de sociologie/anthropologie, Université d'Ottawa, Ottawa, ON.

Isabelle Gaboury, Department of Community Health Sciences, University of Calgary, Calgary, AB.

Marie-Hélène Chomienne, Département de médecine familiale, Université d'Ottawa, Ottawa, ON.

Anne Gilbert, Département de géographie, Université d'Ottawa, Ottawa, ON.

Lise Dubois, Département d'épidémiologie et de médecine communautaire, Université d'Ottawa, Ottawa, ON.

Références

  1. Bourbonnais V., Bouchard L., Chomienne M.-H., Gaboury I. La santé des aînés francophones en situation linguistique minoritaire: états des lieux. Francophonie d'Amérique. (soumis) Accepté pour publication.
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