Au cours du dernier siècle, l’évolution des antimicrobiens est passée d’une panacée contre les infections bactériennes à un outil en voie de disparition en raison de la résistance croissante. Les bactéries résistantes chez les animaux représentent une source de résistance aux antimicrobiens (RAM) pour les personnes et le lien privilégié qui existe entre les Canadiens et les animaux se trouve dans l’alimentation quotidienne. Le présent rapport résume et évalue les connaissances scientifiques et pertinentes liées aux politiques nationales sur la RAM et sur l’utilisation des antimicrobiens (UAM) chez les porcs et les poulets.
Les trois objectifs du présent ouvrage sont les suivants : d’abord de servir de document de référence au secteur de la santé publique, aux responsables des règlements et des politiques agricoles lorsqu’ils discutent de cette question; deuxièmement, de renseigner les praticiens en santé publique sur les risques notables posés par la RAM à la population canadienne liés à l’alimentation et à l’agriculture; et troisièmement, de présenter les principales recherches et lacunes en matière de politique qui portent atteinte à notre capacité de contrôler ce problème.
La documentation citée dans la présente étude compréhensive a d’abord été relevée au moyen de l’application systématique des chaînes de recherche et des rubriques de questions médicales élaborées par les auteurs en collaboration avec un bibliothécaire professionnel et ensuite par des bases de données qui donnent une vue d’ensemble de la recherche (Agricola, CAB, EMBASE, Medline et Scopus). On a limité les citations aux documents d’expression de langue anglaise publiés depuis 1990. Après avoir supprimé les doubles mentions, plus de 2000 citations possiblement pertinentes ont été téléchargées et versées dans un logiciel offert sur le marché (RefWorks, USA). Les titres ont été examinés de façon indépendante par deux épidémiologistes vétérinaires et les publications pertinentes ont fait l’objet d’un examen complet. D’autres recherches spéciales ont été effectuées dans le but de dépouiller la littérature grise ou d’aborder des questions précises. Au total, on a relevé 539 documents.
Les bactéries résistantes aux antimicrobiens peuvent être transmises aux personnes qui consomment des aliments d’origine animale, mais le risque de contracter des maladies cliniques, la transmission des bactéries aux êtres humains et la transmission horizontale d’éléments de résistance en allant de bactéries provenant des aliments aux bactéries dans le tractus intestinal des personnes n’ont pas été quantifiés. De la même façon, on n’a pas quantifié les montants relatifs de l’UAM chez les animaux et les êtres humains, et comment ces deux groupes contribuent à la RAM des bactéries que l’on trouve chez les êtres humains. Pour répondre à ces questions, les projets de recherche futurs devraient développer la recherche actuelle sur les deux extrémités du continuum de la ferme à la table. On pourrait parvenir à un tel objectif en étudiant les répercussions sur la santé entraînées par les bactéries résistantes et en étudiant les raisons pour lesquelles les producteurs, les nutritionnistes et les vétérinaires utilisent les antimicrobiens aussi bien que les facteurs qui influent sur leurs décisions. D’autres projets de recherche sur les diverses pratiques agricoles, dont une seulement serait l’UAM, visant à déterminer l’effet sur le taux et la gravité des maladies d’origine alimentaire, en général, et les infections causées par des bactéries résistantes, en particulier, enrichiraient les connaissances en matière de sécurité alimentaire sur la ferme. Les résultats d’une telle recherche permettraient d’élargir la portée des politiques et des interventions en passant d’une approche axée sur l’UAM et sur la RAM à l’amélioration globale de la salubrité des aliments.
Les antimicrobiens constituent un outil nécessaire aux soins vétérinaires appropriés des animaux destinés à l’alimentation. Sans doute, certaines utilisations des anti-microbiens pourraient être supprimées dans le cadre de l’élevage des animaux sans cruauté, mais il y a une pénurie de données qui précisent les raisons de l’utilisation d’antimicrobiens et le besoin d’une UAM en prophylaxie et en métaphylaxie pour assurer le bien-être des animaux. Par conséquent, la distinction entre une UAM nécessaire et une UAM inappropriée est une question qui soulève des débats. L’industrie agricole et les personnes chargées de la réglementation doivent continuer d’aborder ce problème ensemble pour faire en sorte que les politiques de l’UAM puissent maintenir une utilisation appropriée assurant ainsi la production d’aliments sains et l’élevage des bestiaux sans cruauté tout en éliminant les pratiques de l’UAM inappropriées et en assurant toujours la viabilité économique de l’industrie.
La relation causale entre l’UAM et la RAM est complexe. Il est clair que l’utilisation de certains antimicrobiens chez certaines espèces dans certaines situations entraîne une résistance chez certaines bactéries. Cependant, ce qui s’est produit chez une espèce animale, une bactérie, au sein d’un système d’antimicrobiens ou de gestion ne s’est pas forcément produit chez d’autres. Les données probantes qui indiquent une augmentation de la résistance avec une UAM accrue sont beaucoup plus courantes que celles qui indiquent la diminution de la résistance avec l’abandon de l’utilisation. Une compréhension partielle des pressions sélectives de la résistance chez le bétail, du taux de transmission de la RAM entre animaux et êtres humains, et des pratiques de gestion qui aident ou qui entravent l’émergence et le caractère rémanent de la résistance à la ferme font que l’évaluation des risques posés par l’UAM chez le bétail à la santé publique se veut un sujet de discussion qui se prête au débat d’idées. Par conséquent, les interventions axées sur des données probantes sont imprécises et controversées.
Le contact qui résulte du voyage et de l’échange fait de la RAM un problème mondial chez les personnes et les animaux. Les organismes internationaux appuient les solutions nationales à cette question mondiale en adoptant des lignes directrices judicieuses sur l’UAM, des stratégies de surveillance et des techniques d’évaluation des risques normalisée. Le Canada a mis sur pied un programme de surveillance intégré sur l’UAM et sur la RAM à l’intention des êtres humains et pour tenir compte des principaux produits carnés. Ce programme, en plus d’une communauté de recherche active, a fourni une base scientifique aux représentants gouvernementaux et aux stratèges de l’industrie pour leur permettre de trancher des décisions. Une étude minutieuse de nos règlements liés aux drogues vétérinaires a donné une politique provisoire et des modifications réglementaires permettant de mettre fin à l’accès inapproprié aux antimicrobiens ainsi qu’à leur utilisation inappropriée, mais ce processus s’est avéré lent et il reste beaucoup d’autres progrès à réaliser. Il incombe au gouvernement canadien d’assurer la santé des Canadiens au moyen de politiques et de règlements pour assurer une production alimentaire salubre. Le gouvernement doit s’acquitter de cette responsabilité tout en appuyant une industrie des productions animales durable qui est en mesure de produire des aliments d’une façon qui tient compte des principes financiers et de l’environnement. Cette tâche demande un engagement continu relatif à une politique axée sur les données probantes et à l’importance de faire valoir aux autres pays de faire de même.
Au moment de la rédaction du présent rapport, il n’existait aucun programme de formation judicieux sur l’UAM à l’intention des producteurs ou des nutritionnistes au Canada. Il existe un besoin urgent en matière de formation à l’intention des personnes qui sont responsables d’une grande part de l’UAM dans le secteur agricole du Canada. Toujours est-il que les préoccupations sur l’UAM inappropriée éclipsent souvent les bonnes nouvelles du secteur de l’industrie. Il y a eu des avancées dans la santé animale réalisées par les domaines de l’agriculture et de la médicine vétérinaire qui réduisent leur dépendance sur les antimicrobiens. Les éleveurs de bestiaux ont adopté volontiers les améliorations réalisées en matière de technologie relatives à l’hygiène, à l’alimentation et aux vaccins. La biosécurité permet aux bandes et aux troupeaux de rester à l’abri des maladies endémiques au sein de l’industrie—des maladies que l’on contrôlait anciennement à l’aide d’antimicrobiens. Les groupes de producteurs ont adopté une approche proactive pour ce qui est de la salubrité des aliments. Les éleveurs de poulets et de porcs ont eux-mêmes mandaté des programmes de salubrité des aliments à la ferme. Ces programmes appuient les pratiques de gestion exemplaires et l’UAM appropriée. Parallèlement à ces améliorations agricoles, l’industrie de l’abattage et de transformation de la viande a fait des progrès considérables dans la réduction de la contamination bactérienne de la viande. En Amérique du Nord, le taux des maladies d’origine alimentaire a baissé suite à la mise en œuvre de systèmes d’analyse des risques et de maîtrise des points critiques au sein des abattoirs et des usines de transformation. Sans doute, ces interventions ont diminué le fardeau des maladies d’origine alimentaire liées aux bactéries résistantes chez les personnes, mais les gains n’ont pas été quantifiés étant donné que notre surveillance se termine habituellement à « la table » plutôt qu’aux répercussions sur la santé.
Bien que des progrès impressionnants aient été réalisés, il reste toujours un énorme travail à effectuer. Nous avons recommandé une recherche continue, mais nous reconnaissons également qu’une telle recherche n’a pas d’effets s’il n’y a pas d’améliorations à la gestion du savoir. Nous devons trouver des techniques novatrices qui nous permettraient d’assimiler de façon systématique l’immense volume de recherche divergente, d’assurer que les conclusions de la recherche soient évaluées dans leur contexte et de distribuer les données de sortie contextualisées aux praticiens et aux responsables des politiques. À part cela, les principales recommandations du présent rapport sont les suivantes :
trouver des projets de recherche sur l’efficacité des interventions et les appuyer, y compris, sans s’y limiter, l’abandon de l’UAM dans le but d’atténuer la RAM actuelle;
trouver des projets de recherche qui développent l’approche actuelle « de la ferme à la table » et les appuyer dans le but d’expliquer les répercussions diverses sur la santé humaine;
recommander des règlements justes et transparents sur les drogues vétérinaires, sur la surveillance mondiale de la RAM et de l’UAM axée sur des données probantes scientifiques, sur l’évaluation des risques et sur une précaution adéquate qui assureraient des marchés libres et ouverts de produits carnés sains;
accepter de s’engager dans une évaluation transparente des politiques pour assurer que les règlements sur les drogues vétérinaires du Canada résultent en une UAM judicieuse et sécuritaire;
offrir une formation sur l’UAM aux producteurs et aux nutritionnistes;
favoriser une collaboration novatrice faisant intervenir les personnes chargées de la réglementation, les responsables de la santé publique et les représentants de l’industrie agricole.