Les conséquences de la prostatectomie sur l’intimité et la satisfaction sexuelle, telles que vécues personnellement par un couple de professionnels (un jeune médecin survivant du cancer et sa conjointe titulaire d’un doctorat en psychologie du counseling), n’ont jamais fait l’objet de publications dans la littérature médicale. Nous croyons qu’en raison de notre situation particulière, nous pouvons proposer quelques recommandations concrètes aux médecins de famille en ce qui a trait aux patients et à leurs partenaires avant et après la chirurgie.
Nous pouvons affirmer avec une totale conviction qu’en dépit de nos antécédents et de notre éducation, nous n’étions absolument pas préparés à faire face aux défis de préserver notre relation tout en apprenant à composer avec la perte de l’intimité sexuelle à laquelle nous a contraints la prostatectomie. Après avoir consulté les meilleurs centres de traitement aux États-Unis, nous avons décidé que la prostatectomie radicale respectant les filets nerveux était le choix thérapeutique le plus avisé. Par la suite nous nous sommes rendu compte que notre véritable traumatisme s’est produit parce que nos attentes quant au rétablissement de la fonction sexuelle différaient dramatiquement de ce que l’équipe de soins jugeait une réussite. Le rétablissement physique après l’intervention ne nous a pas vraiment donné d’indices permettant de prévoir à quel point notre vie allait changer. Parmi ces bouleversements, mentionnons le deuil face à la perte d’intimité, les changements dans la dynamique de la relation, les attentes individuelles malavisées, le manque de communication interpersonnelle et l’absence de données professionnelles pour nous aider. Ce processus incohérent du rétablissement de la fonction sexuelle s’est traduit par la poursuite de nombreuses options de traitement donnant majoritairement des résultats médiocres, jusqu’à ce que la frustration nous laisse presque sans espoir d’intimité. Ce n’est qu’après une période de sérieuse réflexion que nous nous sommes aperçu que nous n’avions pas les habiletés individuelles de gestion du stress voulues pour ramener notre relation à un point où nous pourrions rétablir un nouvel état normal.
Étape de la vie
Nous avons récemment effectué une recension des ouvrages spécialisés sur la dysfonction sexuelle après la prostatectomie. Cette étude nous a conduits à un article par Anne Katz1 et à l’éditorial connexe de Peter Pommerville2 dans le numéro de juillet 2005 du Médecin de famille canadien. Les 2 auteurs présentaient de manière succincte les faits médicaux à propos des options thérapeutiques et de leurs effets sur la fonction sexuelle; leurs commentaires demeurent d’actualité.
Des ouvrages plus récents révèlent qu’il y a une variation considérable selon l’âge et l’étape de la vie en ce qui a trait à la satisfaction à l’égard de l’intimité sexuelle après une prostatectomie radicale. En raison des récents progrès, un plus grand nombre de patients sont diagnostiqués plus jeunes, ce qui augmente les chances de guérison par la chirurgie3.
Il est très important que les médecins de famille reconnaissent la réalité des différences à la fois physiques et psychologiques entre les patients qui ont subi une prostatectomie selon l’étape où ils en sont dans leur vie3. Selon les ouvrages spécialisés, les attentes et les inquiétudes face à la prostatectomie varient considérablement en fonction du groupe d’âge et, de fait, la possibilité d’une dysfonction sexuelle pourrait être le plus important facteur déterminant dans le choix de traitement chez les hommes de moins de 60 ans3. Malheureusement, les patients plus jeunes qui ont le plus besoin d’un traitement chirurgical sont ceux qui pourraient souffrir le plus des effets négatifs de la dysfonction sexuelle sur la relation intime.
Les données sur les taux de réussite du traitement du cancer et du traitement médical de la dysfonction sexuelle après la prostatectomie sont très limitées en ce qui concerne les patients jeunes. Il y a très peu de renseignements nouveaux sur les patients de moins de 50 ans et c’est le segment de patients qui signalent la plus grande détresse face à la dysfonction sexuelle4. Malgré la prévalence grandissante de patients plus jeunes, ces derniers rapportent éprouver le plus de difficulté à obtenir de l’aide pour des problèmes sexuels, et l’implication de leur partenaire dans ce processus est rare5. Les consultations préalables à la chirurgie ont tendance à se concentrer sur les taux de réussite dans le traitement du cancer et sur les représentations statistiques des taux de complications, dont la dysfonction érectile. Selon nous, de telles statistiques ne donnent pas véritablement d’information sur les résultats auxquels on peut s’attendre et n’abordent pas adéquatement les changements dans la vie qui se produisent ensuite. Beaucoup de patients se sentent trahis quand ils font finalement face à la réalité de leur fonction sexuelle altérée (habituellement un an ou plus après la chirurgie) et regrettent souvent leur choix de traitement6.
Les patients plus jeunes et leurs partenaires éprouvent définitivement le plus grand stress et ont le plus haut taux d’insatisfaction à l’endroit de ce que les médecins traitants définissent comme «une réussite». Des problèmes comme une perte de longueur ou de circonférence pénienne, par exemple, peuvent être plus critiques pour les couples de moins de 60 ans que pour ceux d’un âge plus avancé. De plus, même si les agents par voie orale peuvent être suffisants pour produire une érection satisfaisante permettant la pénétration, cela ne veut pas dire qu’ils le sont pour une expérience sexuelle mutuellement satisfaisante6. Les changements dans l’éjaculation qu’éprouvent de nombreux hommes après la prostatectomie peuvent être très dérangeants, en particulier quand ils sont combinés à une perte de contrôle éjaculatoire et de l’orgasme2. Le recours à des injections ou à des pompes à dépression peuvent nuire à la satisfaction du couple en raison de la perte de spontanéité ou de l’incertitude à propos de leur efficacité. Des tentatives et des expérimentations répétées peuvent entraîner de la frustration, de la maladresse et du désespoir, favorisant des sentiments de colère, de culpabilité et d’anxiété, ce qui peut causer une plus grande détérioration de l’intimité. Les ouvrages scientifiques confirment que la perte de la fonction érectile est directement reliée à la perception masculine de la virilité, et peu d’hommes comprennent l’effet qu’aurait l’impuissance sur leur image de soi4.
Dans notre étude, nous avons trouvé que les ouvrages en psychologie semblaient s’intéresser de plus près aux problèmes rencontrés par les patients et leurs partenaires après la chirurgie et plus adéquats pour offrir des conseils concernant les problèmes de dysfonction sexuelle chez les groupes d’âge plus jeunes5,7,8. Dans ces publications, on identifie des effets considérables sur les sentiments de bien-être et l’estime de soi, des difficultés dans les relations, en particulier chez les patients plus jeunes qui ont subi une prostatectomie, sans compter des problèmes de dépression, de sentiments d’isolement et de retrait social4.
Les interventions en santé mentale doivent suivre une approche triangulaire (Figure 1), selon laquelle chaque partenaire reçoit un counseling individuel et en tant que couple. Individuellement, chacun d’entre eux a besoin d’une approche de soutien, centrée sur la réalité, avant et après la chirurgie. Les médecins de famille doivent comprendre les besoins distincts des 3 composantes - le patient, la partenaire et le couple - avant de recommander des interventions spécifiques. En analysant ces études, il est évident que des recherches additionnelles s’imposent, car les études actuelles portent sur de petits nombres de sujets, sont limitées quant aux rapports par les patients et aux méthodes de recherche, et sont influencées par la culture.
Rôle des médecins de famille
À notre avis, les médecins de famille sont peut-être la plus importante ressource à la disposition des patients ayant subi une prostatectomie, avant et après la chirurgie, en ce qui concerne les interventions pour les problèmes de dysfonction sexuelle et d’intimité. En tant qu’ancien médecin de famille (CM) et conseillère en santé mentale (ANM), nous sommes bien au fait des difficultés que représentent la prestation de conseils appropriés et la prise en charge médicale d’une diversité de patients, surtout à la lumière des nombreuses pressions sur l’emploi du temps des médecins.
Nous recommandons que les médecins fassent ce qui suit dans un effort pour aider ce groupe de patients:
Identifier une source locale ou régionale de counseling psychologique et sexuel, et recommander une évaluation avant et après la chirurgie pour tous les patients devant subir une prostatectomie et non pas seulement pour ceux qui consultent en raison de problèmes après la chirurgie.
Se familiariser avec les traitements de la dysfonction érectile autres que les agents par voie orale et identifier des professionnels spécialisés dans le traitement avancé de la dysfonction érectile à qui demander des consultations.
Savoir que le counseling individuel et de couple pourrait être plus susceptible de réussir à aider le couple à long terme avec ses problèmes d’intimité et toujours envisager une demande de consultation dans des centres qui offrent des approches multidisciplinaires.
Nous espérons que le récit de cette expérience très personnelle bénéficiera d’une certaine façon à des couples semblables aux prises avec les problèmes inévitables causés par cette maladie. Aujourd’hui, 5 ans après la chirurgie, nous pouvons attester des énormes difficultés rencontrées. Étant donné nos antécédents professionnels, on se serait peut-être attendu à ce que ce soit facile pour nous d’obtenir un traitement médical et psychologique, mais ce ne fut pas le cas. Le traitement médical avancé disponible est rarement accessible en dehors des grands centres et on ne fait que commencer à envisager des approches multidisciplinaires. Nous encourageons tous les professionnels à être extrêmement honnêtes avec les patients devant subir une prostatectomie et leur partenaire au sujet des résultats chirurgicaux anticipés, du retour futur à l’intimité sexuelle et de la nécessité d’établir un nouvel état normal.
Footnotes
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
This article is also in English on page 150.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Références
- 1.Katz A. What happened? Sexual consequences of prostate cancer and its treatment. Can Fam Physician. 2005;51:977–82. [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
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