Les coliques du nourrisson sont un syndrome comportemental de la première enfance qui s’associent à l’irritabilité et aux pleurs. Ellessont spontanément résolutives, mais peuvent entraîner d’importantes dissensions parentales. Même si on n’en connaît pas l’étiologie, plusieurs chercheurs ont examiné l’effet de l’alimentation sur les coliques du nourrisson. Pour la majorité des nourrissons, les interventions alimentaires semblent ne rien changer aux coliques. Cependant, une minorité d’entre eux peuvent présenter des symptômes de coliques secondaires à une allergie aux protéines du lait de vache. Dans de tels cas, un régime hypoallergène pour la mère si le nourrisson est allaité et une préparation fortement hydrolysée si le nourrisson est nourri au biberon peuvent résoudre les coliques. Le rôle des préparations à base de soja ou du traitement par lactase n’est pas démontré pour la prise en charge des coliques du nourrisson, et ces interventions ne sont pas recommandées. Pour l’instant, les données sont insuffisantes pour formuler une recommandation sur l’effet des probiotiques sur les coliques du nourrisson. Dans tous les cas de coliques du nourrisson, il est important de s’assurer d’un soutien parental suffisant.
Selon les critères de Rome III pour les troubles gastro-intestinaux fonctionnels, les coliques du nourrisson incluent tous les éléments suivants chez les nourrissons de moins de quatre mois (1) :
paroxysmes d’irritabilité, d’agitation ou de pleurs qui commencent et s’arrêtent sans raison évidente;
épisodes d’au moins trois heures par jour, au moins trois jours par semaine, pendant au moins une semaine;
absence de retard staturopondéral.
On ne connaît pas les étiologies des coliques du nourrisson, mais les professionnels de la santé tentent souvent des interventions alimentaires. Le présent article met à jour le précédent point de pratique de la Société canadienne de pédiatrie sur le rôle des modifications alimentaires pour traiter les coliques du nourrisson.
LES RÉGIMES HYPOALLERGÈNES POUR LES MÈRES ALLAITANTES
Dans le cadre d’un sondage, Clifford et coll. (2) n’ont découvert aucune association entre la prévalence de coliques et la source d’alimentation (allaitement ou préparation lactée). De plus, lors d’un essai transversal (3), l’exclusion du lait de vache par 20 mères allaitantes n’a pas réduit les coliques.
Cependant, selon une étude sans insu (4), l’exclusion du lait de vache du régime de la mère allaitante a favorisé la disparition des coliques chez 13 des 18 nourrissons. Dans une étude subséquente (5), 66 mères allaitantes de nourrissons à coliques ont reçu un régime sans lait de vache. Chez 35 nourrissons, les coliques ont disparu, mais elles ont réapparu chez 23 d’entre eux après la réintroduction du lait de vache dans le régime de la mère. On a mené un essai transversal aléatoire à double insu (5) sur la protéine de lactosérum du lait de vache auprès de 16 de ces 23 paires mère-nourrisson. Des dix nourrissons analysés, neuf ont présenté des coliques après l’ingestion de lactosérum par la mère. La perte de six nourrissons de l’analyse et l’absence de rapports des heures de pleurs ont affaibli l’étude (6).
Hill et coll. (7) ont étudié l’effet d’une modification au régime chez 38 nourrissons à coliques nourris au biberon et 77 nourrissons à coliques allaités. Les nourrissons nourris au biberon ont été répartis au hasard entre une préparation à base d’hydrolysat de caséine et une préparation standard. Les mères allaitantes ont été réparties au hasard entre un régime hypoallergène (sans lait, sans œufs, sans blé et sans noix) et un régime sans restrictions. D’après une analyse combinée, la détresse diminuait de 39 %, et de 16 % chez les nourrissons qui recevaient les régimes hypoallergènes et le régime témoin, respectivement.
Un autre essai aléatoire et contrôlé (8) a permis d’évaluer l’effet de l’élimination d’aliments par la mère (produits laitiers, soja, blé, œufs, arachides, noix et poisson) chez 90 nourrissons à coliques exclusivement allaités. Au bout d’une semaine, le nombre de nourrissons qui ont réagi à ces modifications (réduction d’au moins 25 % de la durée des pleurs et de l’agitation) était beaucoup plus important dans le groupe hypoallergène (74 % par rapport à 37 %), pour une réduction absolue du risque de 37 % (95 % IC 18 % à 56 %).
Commentaire
Certaines études ont démontré une réduction des coliques lorsque les mères allaitantes consommaient un régime hypoallergène, même si les données probantes sont contradictoires. La consommation d’un régime hypoallergène par la mère peut réduire les coliques chez un petit nombre de nourrissons.
LES PRÉPARATIONS HYPOALLERGÈNES (À BASE DE CASÉINE FORTEMENT HYDROLYSÉE OU DE PROTÉINE DE LACTOSÉRUM ET D’ACIDES AMINÉS) CHEZ LES NOURRISSONS NOURRIS AU BIBERON
Vingt-quatre nourrissons à coliques dont l’état s’est amélioré grâce à une préparation à base de caséine fortement hydrolysée ont été répartis de manière aléatoire dans un essai transversal à double insu de la protéine de lactosérum contrôlé contre placebo (9). Dix-huit nourrissons qui recevaient des protéines de lactosérum et deux nourrissons qui recevaient un placebo ont réagi par des coliques. Quatre n’ont réagi à aucune des deux interventions.
Dans un essai transversal multiple aléatoire à double insu (10), les nourrissons à coliques ont reçu alternativement une préparation à base d’hydrolysat de caséine ou une préparation standard pendant une période de quatre jours. Lors du premier changement de préparation, les pleurs et les coliques avaient beaucoup diminué grâce à la préparation à base d’hydrolysat de caséine. Lors du deuxième changement, la préparation à base d’hydrolysat de caséine s’associait à une réduction des coliques, mais les pleurs n’ont pas diminué de manière significative. Au troisième changement, on n’a constaté aucune différence significative entre les préparations. Cette étude s’associait à un taux d’abandon de 47 %, et il n’y a pas eu d’analyse de l’intention de traiter.
Jakobsson et coll. (11) ont réparti de manière aléatoire 22 nourrissons à coliques entre l’une des deux préparations à base de caséine fortement hydrolysée. Quinze nourrissons ont terminé l’étude, et tous ont connu une diminution significative de la durée et de l’intensité des pleurs. De plus, 11 ont réagi par une période de pleurs plus longue lors d’une épreuve au lait d’origine bovine et aux protéines de lactosésum.
Lucassen et coll. (12) ont réparti de manière aléatoire 43 nourrissons à coliques entre une préparation à base de lactosérum fortement hydrolysé ou une préparation standard. La préparation à base d’hydrolysat s’associait à une diminution de la durée des pleurs de 63 minutes par jour.
Dans le cadre d’une étude non contrôlée, Estep et Kulczycki (13) ont nourri six nourrissons à coliques d’une préparation à base d’acides aminés. L’état de tous les nourrissons s’est amélioré, la durée totale de pleurs et de l’agitation diminuant de 45 %. De plus, tous les nourrissons ont présenté un comportement accru de coliques lors d’une épreuve à l’immunoglobuline G d’origine bovine.
Commentaire
Les préparations à base de protéines fortement hydrolysées réduisent peut-être les coliques chez un petit nombre de nourrissons nourris au biberon. Fait important, les préparations partiellement hydrolysées ne sont pas hypoallergènes (14) et ne devraient pas être utilisées dans la prise en charge des coliques causées par une allergie aux protéines du lait de vache.
LES PRÉPARATIONS À BASE DE SOJA CHEZ LES NOURRISSONS NOURRIS AU BIBERON
On a observé une rémission des symptômes chez 50 des 70 (71 %) nourrissons à coliques nourris au moyen d’une préparation à base de lait de vache à qui on a donné une préparation à base de lait de soja (15). Les 50 nourrissons ont recommencé à avoir des symptômes lors de deux épreuves successives sans insu.
L’état de 11 des 60 nourrissons à coliques hospitalisés qui prenaient du lait de vache s’est amélioré lorsqu’on leur a donné une préparation à base de soja (16). Les symptômes ne se sont pas atténués chez 32 nourrissons à qui on a donné une préparation à base de soja, mais ont disparu lorsqu’on leur a donné une préparation à base d’hydrolysat de caséine. Des 43 nourrissons qui ont réagi à l’exclusion du lait de vache, 11 ont présenté d’autres caractéristiques d’allergie au lait de vache avant six mois et cinq demeuraient intolérants au lait de vache à 16 mois.
Dans un essai transversal aléatoire (17) auprès de 19 nourrissons à coliques, la durée hebdomadaire moyenne des symptômes était de 8,5 heures au lieu de 18,7 heures lorsqu’ils prenaient des préparations à base de soja au lieu de préparations à base de lait de vache, respectivement.
Commentaire
Les préparations à base de soja peuvent réduire les symptômes de coliques chez certains nourrissons nourris au biberon. Cependant, l’utilisation thérapeutique des préparations à base de soja n’est pas recommandée en cas de coliques parce que la protéine à base de soja est un allergène fréquent pendant la première enfance (9,18–23). En 2008, l’American Academy of Pediatrics (21) a déclaré que l’utilisation systématique de préparations à base de protéines de soja isolées n’avait pas de valeur démontrée pour la prévention ou la prise en charge des coliques ou de l’agitation du nourrisson. En 2009, la Société canadienne de pédiatrie (24) a affirmé que les médecins devraient envisager de limiter l’utilisation des préparations à base de soja aux nourrissons ayant une galactosémie ou qui ne peuvent consommer de produits laitiers pour des raisons culturelles ou religieuses.
L’EFFET D’UN TRAITEMENT PAR LACTASE
Dans une étude transversale (25), on n’a observé aucune différence dans la durée et la gravité des symptômes de coliques chez dix nourrissons dont l’alimentation (lait maternel ou préparation à base de lait de vache) était traitée ou non par lactase. Un essai transversal contrôlé contre placebo (26) auprès de 12 nourrissons a révélé que la prise de lactase avant l’allaitement n’avait pas d’effets sur les coliques. Dans un essai transversal à double insu, 13 nourrissons ont été répartis au hasard entre l’ajout de lactase ou de placebo à leur préparation pendant une semaine (27). Le traitement par lactase a réduit la durée des pleurs de 1,14 heure par jour par rapport au placebo. Lors d’un autre essai transversal à double insu, Kanabar et coll. (28) ont réparti 53 nourrissons au hasard entre dix jours d’allaitement (ou de préparation) traité par lactase ou par placebo. Chez 26 % (95 % IC 12,9 % à 44,4 %) du groupe traité par lactase, les taux respiratoires d’hydrogène et la durée totale des pleurs ont diminué d’au moins 45 %. Les autres n’ont pas réagi à la lactase.
Commentaire
Les données probantes n’étayent pas l’utilisation de lactase pour le traitement des coliques. Il est important de souligner que la carence congénitale en lactase est rare (29).
LES PROBIOTIQUES ET LES PRÉBIOTIQUES CHEZ LES NOURRISSONS
Savino et coll. (30) ont réparti aléatoirement 199 nourrissons à coliques nourris au biberon entre une nouvelle préparation contenant des protéines de lactosérum partiellement hydrolysées, de faibles taux de lactose et des oligosaccharides prébiotiques (96 nourrissons) ou une préparation standard et de la siméthicone (103 nourrissons). Le 14e jour, les épisodes moyens (±ÉT) de pleurs étaient considérablement moins fréquents chez les nourrissons recevant la nouvelle préparation par rapport à ceux qui prenaient la préparation standard (1,76±1,60 par rapport à 3,32±2,06, P<0,0001). Malheureusement, il est impossible de déterminer quel(s) élément(s) de la nouvelle préparation peuvent avoir favorisé la diminution des pleurs.
Par la suite, Savino et coll. (31) ont réparti aléatoirement 83 nourrissons à coliques allaités entre le Lactobacillus reuteri (41 nourrissons) et la siméthicone (42 nourrissons). Le 28e jour, 39 patients (95 %) du groupe prenant des probiotiques présentaient une diminution de leur période quotidienne moyenne de pleurs d’au moins 50 % par rapport aux trois patients (7 %) du groupe prenant de la siméthicone.
Commentaire
Les données probantes sont insuffisantes pour recommander ou non l’utilisation des probiotiques ou des prébiotiques dans la prise en charge des coliques.
CONCLUSIONS
Selon les données probantes actuelles, les modifications alimentaires peuvent réduire les coliques chez un très petit nombre de nourrissons seulement (32). Malheureusement, les données probantes sont souvent contradictoires, et bon nombre des études étaient sans insu, comportaient seulement de petits échantillons et s’associaient à des mesures d’issues inadéquates. Il est donc très important d’éviter de faire des interventions alimentaires auprès de la majorité des nourrissons à coliques.
Chez les nourrissons ayant de graves coliques, si on craint une allergie aux protéines du lait de vache, on peut envisager l’essai thérapeutique d’un régime hypoallergène pendant une période empirique limitée (deux semaines) (1,14,33).
Chez le nourrisson allaité à coliques chez qui on craint la possibilité relativement rare d’allergie aux protéines du lait de vache, on peut envisager de supprimer le lait de vache du régime de la mère (5,7,20). Si cette mesure est prise, il faut toutefois s’assurer de ne pas interrompre l’allaitement de manière prématurée et d’offrir le soutien nutritionnel pertinent à la mère et au nourrisson (afin de garantir un apport suffisant de calories, de calcium et de vitamine D). Si on ne constate aucun bienfait évident au bout de deux semaines, les restrictions alimentaires devraient être abandonnées.
Chez le nourrisson nourri au biberon chez qui on craint la possibilité relativement rare d’allergie aux protéines du lait de vache, on peut envisager l’essai empirique limité dans le temps (deux semaines) d’une préparation fortement hydrolysée (6,11–13,19,20,32).
Il faut éviter le recours aux préparations à base de soja pour traiter les nourrissons à coliques (9,18–22).
Pour l’instant, les données probantes n’étayent pas l’utilisation de la lactase pour prendre en charge les coliques du nourrisson.
Les données probantes sont insuffisantes pour faire des recommandations sur l’usage des probiotiques ou des prébiotiques.
Footnotes
COMITÉ DE NUTRITION ET DE GASTROENTÉROLOGIE
Membres : Docteurs Jeffrey N Critch, St John’s (Terre-Neuve-et-Labrador); Manjula Gowrishankar, Edmonton (Alberta); Valérie Marchand (présidente), Montréal (Québec); Sharon Unger, Toronto (Ontario); Robin Williams (représentante du conseil), Thorold (Ontario)
Représentants : Madame Genevieve Courant (Comité canadien pour l’allaitement); docteur A George F Davidson (Human Milk Banking Association); madame Tanis Fenton (Les diététistes du Canada); docteur Frank Greer (American Academy of Pediatrics); mesdames Jennifer McCrea (Santé Canada); Christina Zehaluk (Santé Canada, Bureau des sciences de la nutrition)
Conseiller : Docteur Jae Hong Kim, San Diego (Californie)
Auteur principal : Docteur Jeffrey N Critch, St John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)
Les recommandations contenues dans le présent document ne sont pas indicatrices d’un seul mode de traitement ou d’intervention. Des variations peuvent convenir, compte tenu de la situation. Tous les documents de principes et les articles de la Société canadienne de pédiatrie sont régulièrement évalués, révisés ou supprimés, au besoin. Consultez la zone « Documents de principes » du site Web de la SCP (www.cps.ca/Francais/publications/Enonces.htm) pour en obtenir la version la plus à jour.
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