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editorial
. 2011 Apr 13;63(2):143–145. [Article in French] doi: 10.3138/physio.63.2.143

Le doctorat en physiothérapie : est-il enfin temps d'ouvrir le débat?

Sunita Mathur 1,
PMCID: PMC3076910

La pratique de la physiothérapie progresse rapidement et évolue vers de nouvelles avenues. Nous vivons une période de croissance et de développement stimulante pour la profession, et les changements dans la prestation de soins de santé, la démographie et la mondialisation de la santé constituent autant d'occasions parfaites pour les physiothérapeutes de jouer des rôles nouveaux et émergents dans notre système de santé et de s'imposer comme des chefs de file dans ce domaine. Alors que la profession va de l'avant, une question s'impose : est-ce le bon moment pour discuter de la notion d'un « doctorat clinique » en tant qu'exigence pour amorcer une pratique?

Le programme de doctorat clinique (ou « doctorat de pratique ») est un diplôme de base pour permettre aux étudiants d'acquérir les compétences nécessaires à amorcer une pratique clinique et devenir admissible à un permis d'exercice1. En physiothérapie, on parle souvent d'un diplôme de docteur en physiothérapie (D.Pt.), ce qui est différent du doctorat traditionnel, qui se concentre sur la recherche et sur la production d'un travail universitaire original, et du « doctorat post-professionnel » ou « doctorat de pratique avancée » qui permet aux professionnels qui possèdent déjà un diplôme—un baccalauréat ou une maîtrise, par exemple—de faire des études avancées ou spécialisées en compétences cliniques spécialisées.

Le titre de « docteur » est utilisé dans un grand nombre de professions de la santé au Canada. Les médecins et les chirurgiens, les chiropraticiens, les dentistes et les chirurgiens-dentistes, les podiatres, les optométristes, les naturopathes et la vétérinaires doivent tous détenir un doctorat pour commencer à pratiquer. Les thèmes communs identifiés à travers ces diverses professions sont notamment l'autonomie de pratique, les connaissances issues de la recherche, un nombre précis de crédits exigés pour le programme et un nombre précis d'heures de pratique. Certains programmes menant à ces professions exigent aussi de l'étudiant une résidence avant qu'il puisse recevoir son permis complet d'exercice1.

Qu'en est-il des autres pays?

Aux États-Unis, l'American Physical Therapy Association a exigé que tous les programmes de physiothérapie soient de niveau doctoral d'ici 2020 et 213 des 232 programmes qui y sont offerts ont déjà effectué la transition2. Les premiers physiothérapeutes titulaires d'un doctorat formés aux États-Unis ont reçu leur diplôme de l'Université Creighton du Nebraska en 1996 et des modèles pour ce programme ont été élaborés dès les années 19803. L'Université Bond, la seule en Australie à offrir un programme de doctorat clinique en physiothérapie (D.Phyt.) a livré ses premiers diplômés en 20094. Ce programme offre un cours de deux ans, fondé sur la résolution de problèmes, et forme des étudiants au niveau du doctorat. En Europe, il n'existe présentement aucun programme de doctorat clinique en physiothérapie.

Justifier la nécessité de titres de compétence plus étoffés

Si certains estiment qu'un doctorat permettrait de reconnaître la formation académique rigoureuse et les compétences cliniques avancées que possèdent nos actuels diplômés, d'autres se demandent si les enjeux auxquels est confrontée la profession de nos jours et qui seront les siens à l'avenir pourront trouver des réponses dans les programmes de doctorat de niveau d'entrée57.

Threlkeld et coll.6 ont élaboré un cadre théorique qui décrit les trois forces majeures qui influeraient sur le passage de la maîtrise au doctorat : les forces externes, les forces intra-organisationnelles et les forces internes. Même si ces points ont été principalement abordés en fonction des système d'éducation et du système de santé américains, une large part de cette structure pourrait s'appliquer dès maintenant au Canada. Threlkeld et coll. définissent les forces externes comme étant celles qui se situent immédiatement à l'extérieur du programme éducatif8 et classe globalement ces forces dans la société et dans la communauté professionnelle. Les besoins sociétaux comprennent les changements démographiques au sein de la population, comme son vieillissement et une hausse de l'immigration; la prestation de soins de santé qui tient compte des disparités culturelles; l'explosion de la recherche sur le génome humain et son influence sur la santé. Les enjeux relatifs à la communauté professionnelle sont notamment l'influence du doctorat sur la rémunération, les questions de demande en main-d'œuvre, les segments de marché pour les nouveaux diplômés et le point de vue des professionnels de la santé et du public en général concernant le titre de « docteur »6. Les forces intra-organisationnelles ont été définies comme les influences des universités et du milieu de l'éducation au sein duquel le programme de doctorat serait offert6; chaque département de physiothérapie devrait évaluer sa capacité à offrir un tel programme, s'il s'harmonise à la mission de l'établissement et si une structure départementale existe pour assurer la mise en œuvre d'un programme de doctorat de niveau d'entrée. Enfin, les enjeux internes ont été définis comme les influences au sein du programme professionnel lui-même; par exemple, si la faculté d'un programme appuie la transition vers un niveau supérieur, si les résultats visés par un programme s'accordent à ses objectifs didactiques ou si les étudiants ont des attentes et atteignent les résultats attendus dans le cadre d'un doctorat6.

L'une des plus importantes conclusions résultant de l'examen de cette structure est qu'un large éventail d'intervenants doivent participer à la discussion portant sur les programmes de doctorat de niveau d'entrée. Ces intervenants comprennent, sans s'y limiter, les physiothérapeutes cliniciens, les collègues professionnels de la santé, le public, les décideurs du milieu de la santé, les administrateurs du milieu de la santé, les dirigeants du milieu universitaire, les membres des organismes de réglementation, les éducateurs en physiothérapie et les chercheurs. Les points de vue particuliers de chacun de ces groupes d'intervenants relativement aux répercussions d'un doctorat en physiothérapie permettront d'approfondir notre compréhension de questions essentielles et serviront de base aux discussions.

Le débat

Plusieurs des arguments favorables ou non à un programme de doctorat en PT ont été bien décrits dans la documentation traitant de la physiothérapie et d'autres professions de la santé5,911. Le Tableau 1 résume les principaux points communs aux diverses disciplines.

Tableau 1.

Arguments favorables et défavorables à un doctorat en physiothérapie (D.Pt.)

Arguments favorables au doctorat Arguments défavorables au doctorat
  • La physiothérapie serait reconnue par nos collègues et par le public comme une profession réellement autonome. En raison du fait que les nouveaux diplômés doivent travailler de façon autonome, où les possibilités de mentorat sont faibles, nous devons préparer nos diplômés à cette autonomie et à la pratique avec accès direct dès le niveau d'entrée.

  • Un changement de « titre » suscitera de la confusion au sein du public et même parmi nos collègues des autres professionnels de la santé. La présence de plusieurs diplômes pour la même profession peut aussi porter à confusion, surtout chez nos collègues et administrateurs, qui risquent de ne pas être au fait des différences entre le doctorat de niveau d'entrée et les diplômes d'études supérieures comme le Ph.D. (fondé sur la recherche) ou le diplôme doctoral post-professionnel. Le public risque de confondre le docteur en physiothérapie et le docteur en médecine. De plus, nous risquons de ne pas être en mesure d'utiliser le titre de « docteur » dans les hôpitaux et dans le milieu de la santé communautaire, en fonction des questions réglementaires qui régissent l'utilisation de ce titre professionnel.

  • L'environnement clinique changeant exige un degré de savoir et des compétences plus élevées dès l'arrivée dans la profession (p. ex., connaissances en pharmacologie, génomique, imagerie diagnostique, diagnostic différentiel, remboursement, questions juridiques et éthiques). Plusieurs de ces secteurs sont déjà inclus dans le contenu des cours, mais ne sont pas reconnus dans le cadre d'un diplôme terminal comme c'est le cas pour les autres professions de la santé avec doctorat au niveau d'entrée.

  • Nous pourrions être perçus comme essayant « d'acheter » la légitimité de notre profession en donnant à nos diplômés un titre de compétence plus élevé même s'ils remplissent les mêmes exigences de niveau d'entrée.

  • Un programme doctoral offrirait un plus grand nombre d'heures d'internat, à l'intérieur du programme lui-même ou dans le cadre d'une résidence, ce qui améliorerait les soins aux patients et les compétences interactives des nouveaux diplômés.

  • Des preuves cliniques semblent indiquer que les PT titulaires de diplômes supérieurs sont moins nombreux à se tourner vers des postes de pratique en milieu rural1. Les exigences d'un doctorat de niveau d'entrée pourraient limiter la prestation de services de physiothérapie dans plusieurs régions du Canada.

  • Les diplômés au niveau du doctorat auront plus de probabilités de continuer de développer leur savoir et leur base de faits probants issus de l'expérience clinique. Il a été démontré que les étudiants pour qui le fait de détenir un doctorat est important manifestent généralement plus d'intérêt pour les postes universitaires par la suite14. Les nominations professorales pour l'enseignement dans les facultés universitaires peuvent aussi être plus faciles pour les personnes titulaires d'un doctorat.

  • Modifier les titres de compétence au niveau d'entrée pourrait avoir des effets sur l'emploi. Un niveau de scolarité doctoral pourrait être associé à un salaire plus élevé et faire en sorte que moins d'emplois soient disponibles pour les physiothérapeutes. Les administrateurs du milieu de la santé vont peut-être embaucher plus d'adjoints à la réadaptation ou de kinésiologues cliniques pour assurer des services habituellement offerts par des physiothérapeutes. Cela risque aussi de reléguer les physiothérapeutes à des rôles administratifs ou d'évaluation, laissant la thérapie comme telle et les soins à des adjoints.

  • Les programmes actuels de formation en physiothérapie offrent déjà la rigueur universitaire d'un doctorat clinique. Nous ne reconnaissons pas les exigences actuelles de ce diplôme au niveau correspondant.

  • Un plus haut degré de compétences pourrait constituer un obstacle pour les physiothérapeutes formés à l'étranger qui veulent joindre la main-d'œuvre canadienne, puisque la plupart des pays n'offrent pas de doctorat en physiothérapie.

Évaluer notre position actuelle

Au Canada, la transition du baccalauréat vers le doctorat de premier niveau est relativement récente (elle a eu lieu au cours des 10 dernières années). Lorsqu'on songe à l'éducation de niveau d'entrée, il serait peut-être sage également d'évaluer objectivement les effets qu'a eus le passage vers une maîtrise de niveau d'entrée sur notre profession. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, une occasion unique de procéder à une telle évaluation s'est présentée aux États-Unis, alors que la plupart des physiothérapeutes formés au baccalauréat ou à la maîtrise ont reçu leur diplôme en même temps. Plusieurs sondages se sont penchés sur les différences entre les modèles de pratique, l'utilisation de la recherche et les autres enjeux professionnels entre les étudiants formés au baccalauréat et ceux qui étaient titulaires d'une maîtrise. Même si les résultats variaient entre les sondages, les physiothérapeutes titulaires d'une maîtrise de niveau d'entrée avaient une meilleure capacité d'appréciation de la recherche, s'attendaient à participer davantage à la recherche et à l'enseignement et à être mieux préparés à entrer dans la profession où ils auraient un accès direct aux patients12.

L'évaluation de l'expérience canadienne avec la maîtrise de niveau d'entrée pourrait être utilisée pour explorer un grand nombre de questions, dont les suivantes :

  • La maîtrise a-t-elle permis d'améliorer les soins aux patients?

  • A-t-elle eu des effets sur les modèles d'emploi, les questions relatives à la main-d'œuvre ou sur la rémunération des physiothérapeutes?

  • Les diplômés titulaires d'une maîtrise occupent-ils davantage de postes de direction, de gestion ou de défense des droits au sein du système de santé?

  • Quelles ont été les répercussions de la participation à des organismes professionnels, à la recherche, à l'enseignement clinique ou aux nominations professorales des physiothérapeutes au niveau d'entrée?

  • A-t-on assisté à des changements dans la nature des soins concrets prodigués par les physiothérapeutes?

  • A-t-on constaté des changements dans les données démographiques relatives aux étudiants qui font des demandes d'admission en physiothérapie?

  • Les physiothérapeutes titulaires d'une maîtrise sont-ils perçus différemment par le public?

Même s'il ne s'agit que de quelques-unes des questions sur lesquelles se pencher, ce type de réflexion critique nous placerait en meilleure position pour discuter franchement de la façon dont nous pouvons changer les programmes d'entrée qui peuvent affecter notre profession.

En résumé

Que ce soit dans le cadre d'une conversation ou de discussions, le moment pourrait être idéal pour que les physiothérapeutes de tout le pays amorcent des discussions sur la M.Pt. Il nous appartient de déterminer les besoins de la profession en termes d'éducation et il est essentiel que nous commencions le plus tôt possible à en discuter avec un large éventail d'intervenants.

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Articles from Physiotherapy Canada are provided here courtesy of University of Toronto Press and the Canadian Physiotherapy Association

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