Summary
Le laurier rose ou Nerium oleander est un arbuste qui pousse naturellement dans les régions méditerranéennes. Au Maroc on le trouve dans les lieux humides. Il est réputé par ses risques de toxicité systémique en cas d'empoisonnement à cause de la présence de deux alcaloïdes, surtout l'oléandrine. La littérature illustre des cas d'utilisation locale des feuilles de cette plante contre la gale, les hémorroïdes et les furoncles. Nous rapportons deux cas de brûlures chimiques par le laurier rose de gravité différente. Cela doit aboutir à une information élargie de la population, ainsi qu'une réglementation stricte de sa commercialisation.
Keywords: BRULURES, CHIMIQUES, LAURIER ROSE
Abstract
Nerium Oleander is a shrub that grows naturally in the Mediterranean regions. In Morocco it is found in wet places. It is famous for its risk of systemic toxicity in cases of poisoning because of the presence of two alkaloids, especially oleandrine. The literature describes cases of local use of leaves of this plant against scabies, haemorrhoids, and boils. We report two cases of chemical burns of different gravity due to Nerium Oleander. This should lead to more widely diffused information for the general population and strict regulation of its marketing.
Introduction
Le laurier rose ou Nerium oleander est un petit arbuste connu par ses risques de toxicité systémique en cas de prise par voie orale à cause de la présence d'hétérosides cardiotoniques dont le principal est l'oléandrine.1 Il a été utilisé rarement en thérapeutique; c'est un poison violent qui a occasionné de nombreux cas d'empoisonnement. C'est une plante très répandue dans le bassin méditerranéen. Elle est rencontrée presque dans tout le Maroc dans les lieux humides, le long des rivières.2 Cette plante appartient à la liste des substances chimiques capables de provoquer une brûlure cutanée lorsqu'elles sont absorbées par voie cutanée. Nous rapportons les observations de deux patientes victimes de brûlures chimiques par le laurier rose et ayant présenté des lésions de gravité variable.
Observation 1
La patiente S.M, âgée de 59 ans, connue diabétique insulinodépendante, a été admise au service des brûlés pour brûlures chimiques datant de six jours, à la suite de l'immersion de ses deux pieds dans un bocal contenant une infusion refroidie de feuilles de laurier rose (la patiente bénéficiait d'une automédication traditionnelle). L'examen clinique montrait une patiente consciente, en bon état général, apyrétique, avec un état hémodynamique stable, présentant des brûlures de troisième degré de la face dorsale des deux avant-pieds avec nécrose du deuxième et du troisième orteils droits, mise à nu et nécrose des tendons extenseurs du pied droit (Fig. 1, 2). L'électrocardiogramme était sans anomalies. Le bilan biologique démontrait une anémie d'origine inflammatoire avec une Hb à 8,7 g/dl, une thrombocytose à 568.000 éléments/mm3, une glycémie à 4,63 g/l sans acétonurie et une kaliémie normale. Les examens bactériologiques des sérosités prélevées au niveau des zones brûlées objectivaient la présence d'une souche d'Escherichia coli et quelques bacilles à Gram négatif sensibles à certaines céphalosporines de troisième génération et aux aminocides.
Fig. 1. Brûlure chimique par le laurier rose des deux pieds.
Fig. 2. Brûlure du pied droit avec nécrose du deuxième orteil.
Après la mise en condition, le traitement était essentiellement chirurgical. Il comportait une amputation transmétatarsienne du deuxième et du troisième orteils nécrosés et une excision par tranches successives au dermatome manuel des zones profondément brûlées jusqu'au piqueté hémorragique, tout en laissant la couverture des tendons extenseurs pour un deuxième temps opératoire, après assèchement des lésions et tarissement de l'infection. Des séances d'oxygénothérapie hyperbare et un barbotage biquotidien à l'eau oxygénée étaient des compléments thérapeutiques très utiles. Une vingtaine de jours plus tard, la patiente accusait une toux sèche, une fièvre à 39 °C et des douleurs thoraciques bilatérales. L'examen clinique révélait des râles crépitants bilatéraux à l'auscultation pulmonaire. La radiographie thoracique objectivait des opacités alvéolaires bilatérales. Les hémocultures isolaient un staphylocoque résistant à la méticilline sensible à la vancomycine. La tomodensitométrie pulmonaire confirmait ces opacités avec la présence d'une réaction pleurale bilatérale associée. L'évolution était marquée par l'extension radiologique de la pneumopathie et l'aggravation clinique avec survenue d'un état de choc septique réfractaire compliqué de défaillance multiviscérale ayant entraîné le décès de la patiente malgré des mesures adéquates de réanimation.
Observation 2
La patiente O.A., âgée de 60 ans, sans antécédents pathologiques particuliers, admise au service des brûlés pour brûlures chimiques des deux genoux, à la suite de leur immersion dans une solution contenant des feuilles de laurier rose, dans un but antalgique car la patiente se plaignait de douleurs rhumatismales à répétition. L'examen clinique trouvait une patiente en bon état général, une température à 37 °C, une tension artérielle à 120/65 mmHg et une fréquence cardiaque à 66 b/min. L'électrocardiogramme était sans anomalies. Cependant l'examen révélait la présence de phlyctènes, un érythème douloureux des deux genoux, témoignant de brûlures de caractère intermédiaire (Fig. 3). L'évolution chez cette patiente était satisfaisante; la cicatrisation des brûlures était obtenue dans le quinzième jour grâce aux soins et aux pansements quotidiens à base de la sulfadiazine argentique.
Fig. 3. Brûlure par laurier rose des deux genoux.
Discussion
Le laurier rose est un arbuste qui pousse naturellement dans les régions méditerranéennes. On le rencontre dans tout le Maroc dans les lieux humides le long des rivières jusqu'à 2000 m.2 C'est une plante qui porte des fleurs parfumées de couleur rose (Fig. 4); elle fleurit du printemps à la fin de l'été. Les principes actifs sont les hétérosides stéroïdiques cardénolides. Le principal hétéroside est l'oléandrine, hydrolysé en oléandrose et en oléandrigénine; il confère à la feuille des propriétés cardiotoniques et diurétiques. Dans la plante, la génine existe sous forme de mono- et bi-glucosides, solubles dans l'eau. Ni l'ébullition ni la dessiccation des feuilles ne permet d'inactiver les toxines.3 Les mécanismes responsables de la toxicité des cardénolides du laurier rose sont identiques à ceux des glucosides de la digitale classique agissant principalement sur l'inhibition de l'activité Na K ATPase membranaire et par l'élévation du calcium intracellulaire.1 La toxicologie du laurier rose se rapproche donc de celle des digitaliques, tant pour la symptomatologie que pour la thérapeutique. Il en résulte des effets inotropes positifs de ces composés au niveau du coeur et une toxicité potentielle au niveau des cellules. Chez nos deux patientes, la calcémie était normale, de même que la natrémie et la kaliémie.
Fig. 4. Le laurier rose.
En traitement traditionnel le laurier rose a été utilisé comme médication cardiaque et comme abortif. Ce produit purifie la matrice et calme les douleurs rhumatismales et goutteuses; les ulcères des animaux seraient traités par la feuille sèche pilée.2 Des dermites ont été provoquées chez des sujets sensibles.4 La feuille triturée appliquée sur les tumeurs indurées les modifient avantageusement et les fait suppurer et elle flétrit les hémorroïdes. Certains utilisaient les feuilles sèches en fumigations locales contre les furoncles et la chute des cheveux.2 En cas de prise par voie orale, la plante est très toxique: 10 à 20 feuilles chez l'adulte, deux à trois feuilles chez l'enfant entraînent une symptomatologie sérieuse. L'ingestion de 0,25 g de feuilles séchées par kg de poids corporel serait mortelle en 4 à 24 h en l'absence de traitement.5,6
La symptomatologie de l'intoxication au laurier rose est similaire à celle occasionnée par la digoxine. Elle comporte:2,4,7
des signes généraux avec un état de malaise, des céphalées et des frissons
des signes digestifs sous forme d'irritation des muqueuses buccales, d'hypersalivation, de nausées et des vomissements ou de gastroentérite
des signes cardiaques avec notamment bradycardie, troubles de la conduction, arythmie, risque de collapsus et de mort brutale
des signes neurologiques sous forme de tremblement des extrémités, de risque de convulsions et parfois de mydriase importante
Une méthode spécifique utilisant un couplage chromatographie liquide-spectrométrie de masse permet l'identification et le dosage qualitatif de l'oléandrine dans le sérum, mais n'est pas utilisée en pratique courante dans tous les centres. Cette méthode n'a pas été utilisée dans les deux cas présentés par manque de sa disponibilité.8
La prise en charge d'une intoxication par le laurier rose nécessite un diagnostic rapide et consiste à une surveillance cardiaque étroite, un apport hydroélectrolytique avec correction d'une éventuelle hyperkaliémie et une correction des troubles de rythme ou de conduction s'ils existent.
En raison des réactions croisées, le traitement par anticorps antidigitaliques est proposé et semble être efficace.9,10 Ces anticorps peuvent se lier à l'oléandrine, réduisant ainsi sa toxicité.
Chez nos deux patientes, à part la présence des brûlures, on n'a pas noté d'autres signes d'intoxication au laurier rose. Notre travail apporte un plus aux brûlures chimiques et à la toxicité locale du laurier rose sur la peau.
Ainsi, les brûlures chimiques sont insidieuses et il faut attendre quelques jours pour avoir une bonne définition de la profondeur de la brûlure. Cela est dû au mécanisme de production de la brûlure, qui dérive de deux actions différentes: la réaction exothermique qui se produit et l'action du caustique qui provoque la coagulation des protéines.
Nous rapportons donc deux cas de brûlures chimiques par le laurier rose, de gravité différente. Chez la première patiente, quatre facteurs ont assombri le pronostic: la profondeur des brûlures, le retard de consultation, le diabète associé et l'infection nosocomiale; alors que la deuxième patiente ne présentait que des brûlures intermédiaires sans aucune tare associée
Conclusion
Les brûlures chimiques causées par le laurier rose, ainsi que ses risques réels de toxicité systémique, doivent tirer la sonnette d’alarme et conduire à une réglementation stricte aussi bien sur sa vente que sur le contrôle de ses lieux de culture.
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