Plus souvent qu'autrement, on parle des questions d'accès aux soins de santé en fonction de la disponibilité des professionnels de la santé. Or, depuis quelques semaines, nos collègues et des étudiants en médecine se disent profondément préoccupés par des reportages des médias où on laisse entendre que la pénurie de médecins au Canada serait attribuable, du moins en partie, au fait que les femmes sont maintenant représentées de façon plus équitable dans la profession.
Dans leur couverture de l'édition 2007 du Sondage national auprès des médecins, initiative commune de l'Association médicale canadienne, du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada et du Collège des médecins de famille du Canada, les médias nationaux ont attaché énormément d'importance à l'augmentation du nombre de femmes en médecine et au fait qu'elles travaillent moins d'heures que leurs collègues masculins plus âgés. Voici un exemple de manchette typique : «Doctors plan to quit or cut hours: More than half the number of new physicians under 35 are women [Les médecins prévoient démissionner ou réduire leurs heures : plus de la moitié des nouveaux médecins de moins de 35 ans sont des femmes]» (Nanaimo Daily News). L'exemple le plus flagrant de cette tendance émergente a fait la une du Maclean's du 2 janvier 2008, qui titrait «Adding fuel to the doctor crisis [Facteur aggravant de la crise des médecins]». Une grande partie de la couverture de presse et des commentaires laissait entendre que les femmes médecins ne travaillent tout simplement pas aussi fort que leurs collègues masculins. Dans ces reportages, on semblait dire aux Canadiens : «Si vous avez du mal à trouver un médecin, c'est en grande partie parce qu'il y a plus de femmes médecins dans le système.»
Il est démoralisant au XXIe siècle de voir les femmes servir de bouc émissaire aux lacunes du système de santé. En planification des ressources humaines du secteur de la santé, l'élaboration des politiques est extrêmement complexe et multidimensionnelle. La pénurie actuelle de médecins est attribuable principalement à la myopie de la planification en santé. On a réduit les inscriptions dans les facultés de médecine au début des années 1990, alors même que la population augmentait et que d'importantes strates démographiques des «boomers» (y compris, soulignons-le, des médecins vieillissants) atteignaient l'âge où l'on a souvent besoin de plus de soins médicaux. Cette limitation des inscriptions dans les facultés de médecine a été une colossale erreur de calcul. Nous récoltons actuellement ce que nos stratèges ont semé il y a plus d'une décennie.
Au Canada, 33,3 % des médecins sont des femmes, qui compte aussi pour 48,6 % des médecins de moins de 40 ans1. Les femmes fournissent plus de services que les hommes dans certains domaines de la médecine2. La diminution du nombre d'heures de travail des médecins est attribuable bien plus à la baisse du nombre d'heures de travail des hommes médecins qu'à l'augmentation du pourcentage des femmes médecins3. Les femmes travaillent différemment de leurs collègues de sexe masculin : elles font beaucoup plus d'heures, car elles combinent leurs obligations professionnelles et leurs responsabilités envers leurs enfants et la tenue de leur ménage4.
Tous les médecins s'attendent raisonnablement à avoir une vie de famille en dehors du travail. Une stratégie raisonnable de planification des ressources humaines du secteur de la santé devrait accepter cette réalité. Il est crucial d'éviter l'épuisement et de garder nos effectifs de la santé actifs et motivés. Il est bon pour les hommes et les femmes médecins, leur famille et, en bout de ligne, leurs patients, qu'ils et elles tiennent compte de leurs responsabilités personnelles et familiales.
De Romanow à Kirby, en passant par McKendry et le groupe d'experts George, nous essayons tous de comprendre cette question sérieuse pour tous les Canadiens. Laisser entendre qu'un effectif médical qui représente plus équitablement les femmes au travail constitue l'obstacle à l'accès, c'est franchement une excuse sexiste pour s'abstenir de réfléchir. Dénigrer de quelque façon que ce soit les femmes intelligentes et dévouées du Canada et d'ailleurs qui ont choisi de consacrer leur vie à la pratique de la médecine, c'est honteux.
Le jeu du blâme ne nous aide pas du tout à atteindre ce que les Canadiens attendent de nous — un système de santé qui offre un accès de qualité et en temps opportun à des fournisseurs de soins de santé compatissants qui ont reçu une formation solide et disposent d'un bon équipement.
Carol Herbert MD Doyenne École Schulich de médecine et d'art dentaire Université Western Ontario London (Ontario) Catharine Whiteside MD PhD Doyenne Faculté de médecine David McKnight MD MHSc Doyen associé Équité et professionnalisme Sarita Verma LLB MD Vice-doyenne Formation médicale postdoctorale Lynn Wilson MD Présidente Médecine familiale et communautaire Université de Toronto Toronto (Ontario)
RÉFÉRENCES
- 1.Institut canadien d'information sur la santé. Le nombre, la répartition et la migration des médecins canadiens, 2006. Ottawa : l'Institut; 2007. p. 4.
- 2.Tepper J. L'évolution du rôle des médecins de famille du Canada. Ottawa : Institut canadien d'information sur la santé; 2004. Disponible : http://secure.cihi.ca/cihiweb/products/PhysiciansREPORT_fr.pdf (consulté le 6 février 2008).
- 3.Jeon SH, Hurley J. The relationship between physician hours of work, service volume and service intensity. Analyse de politique 2007;33(Suppl 1):17-30.
- 4.Average hours spent per week by activity & sex. Disponible : www.cma.ca/multimedia/CMA/Content_Images/Inside_cma/Statistics/pwr-average6.pdf (consulté le 6 février 2008).