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. 2012 May;17(5):270–272. [Article in French]

Les pédiatres, les médias sociaux et les blogues : des considérations éthiques

Thérèse St-Laurent-Gagnon, Kevin W Coughlin; Société canadienne de pédiatrie, comité de bioéthique
PMCID: PMC3381923

Depuis le début des années 2000, les nouveaux modes de communications se multiplient dans Internet : au départ, il s’agissait de forums de discussion et de blogues, qui ont été suivis des sites de réseautage social comme Facebook, Myspace, LinkedIn et Twitter. D’après une enquête de Pew Internet menée en 2010 (1), 95 % des Américains de 18 à 33 ans sont présents dans Internet, 83 % utilisent les sites de réseautage social et 43 % lisent des blogues. Depuis deux ans, on remarque une augmentation de l’utilisation des médias sociaux dans tous les groupes d’âge, et une augmentation similaire au sein de la profession médicale. Une enquête de l’Association médicale canadienne (AMC) (2) a démontré que 51 % des médecins utilisent Facebook, 26 % participent aux sites de réseautage social destinés aux médecins et 14 % possèdent un site Web dévolu à leur pratique. On ne connaît pas la portée d’utilisation de ces nouvelles formes de communications en pédiatrie, mais on présume qu’elle suit ces tendances générales.

De récentes lignes directrices de l’AMC font ressortir diverses utilisations des médias sociaux, en exposent les avantages et les inconvénients et recommandent que les médecins canadiens soient conscients de leurs effets sur la pratique professionnelle (3). Un point de pratique souvent cité de la Société canadienne de pédiatrie contient des suggestions pratiques relativement à l’utilisation professionnelle des communications par courriel en pédiatrie (4). Bon nombre de ses recommandations s’appliquent aussi à l’utilisation des médias sociaux, mais les nouvelles plateformes présentent également des caractéristiques particulières, qui peuvent avoir des conséquences différentes des communications par courriel sur la relation classique entre le médecin et son patient. Par exemple, ces plateformes sont conçues pour que l’information puisse se répandre très rapidement dans le monde (p. ex., en « devenant virale »). Connue comme « l’effet Facebook » (5), cette caractéristique permet le partage immédiat de données par des personnes qui s’intéressent aux mêmes sujets. L’inconvénient de la diffusion de l’information publique, c’est qu’elle est également accessible aux personnes qui n’en sont pas nécessairement les destinataires visés. L’information affichée dans les sites de médias sociaux a le potentiel d’atteindre un auditoire beaucoup plus vaste que les communications ciblées par courriel. Ainsi, il faut présumer que la documentation affichée dans ces sites est publique. De plus, il est difficile, voire impossible, de supprimer du domaine public les « empreintes » (6), c’est-à-dire l’information qui demeure même après la suppression du fil initial. Le dossier permanent laissé sur ces plateformes par des affichages temporaires peut être lourd de conséquences.

Le présent point de pratique traite de trois applications virtuelles qui sont particulièrement pertinentes dans la relation classique entre le médecin et son patient : les blogues de patients, les sites Web des médecins et les plateformes de réseautage social comme Facebook. Les enjeux éthiques pertinents incluent le respect de la vie privée, la confidentialité des patients et le professionnalisme des médecins. On distingue l’utilisation professionnelle de l’utilisation personnelle des médias sociaux. On ne traite pas des blogues rédigés par des étudiants en médecine, des professionnels de la santé et des médecins parce qu’ils l’ont été dans le point de pratique cité plus haut (4).

Les blogues

Les blogues de patients sont courants en pédiatrie (7). Les patients adolescents et les parents des patients pédiatriques utilisent leur page Web personnelle, qui permet aux visiteurs de commenter. Certains « blogues de soutien » jouent un rôle important pour les parents des enfants malades. Ils complètent ou même remplacent les groupes d’entraide plus classiques. Sur ces sites de blogues, les patients peuvent raconter des expériences cliniques difficiles et susciter des commentaires de soutien des visiteurs. Cependant, trois grands problèmes découlent des blogues des patients (7). Les deux premiers concernent la vie privée et la confidentialité. Dans certains cas, d’autres patients ou des dispensateurs de soins sont tellement bien décrits qu’on peut les reconnaître, ce qui entraîne une violation du secret professionnel. Les patients peuvent également partager par mégarde de l’information d’ordre privé et délicat à leur propre sujet, sans être tout à fait conscients des conséquences. Les membres des équipes soignantes peuvent se sentir offensés par les commentaires des patients, au point que la relation en souffre et nuise aux soins des patients. Le risque d’envenimer la relation est particulièrement important si l’insatisfaction du patient n’a pas été exprimée de vive voix auparavant.

Les sites Web des médecins

De nombreux sites Web de médecins contiennent de l’information de base sur la pratique en cabinet et les soins aux patients (p. ex., heures d’ouverture, titres de compétence en médecine ou sujets généraux en santé tels que maladies chroniques ou infectieuses, vaccination, nutrition, thérapies et médicaments) (8). Plusieurs enjeux éthiques s’appliquent à ce type de site. Le fait de recommander des thérapies ou des médicaments donnés sur une tribune publique peut constituer une forme de publicité; il faut donc divulguer tout conflit d’intérêts. De plus, lorsqu’ils donnent des conseils médicaux ou thérapeutiques par voie électronique, les médecins ont une obligation juridique et éthique de maintenir le site à jour et de répondre rapidement aux préoccupations personnelles. Enfin, il se peut que le temps qu’un médecin consacre aux demandes acheminées par le site Web empiète sur les soins en cabinet ou prenne même le dessus sur ces soins, une tendance qui pourrait s’accroître à mesure que certains médecins se mettront à demander à être rémunérés pour ce type de soins.

Les sites de réseautage social

Les universités, les hôpitaux, les médecins et les chercheurs utilisent Facebook et des sites similaires avec succès pour des raisons professionnelles, notamment pour faire de la promotion. Cependant, l’utilisation de Facebook pour des raisons personnelles ou pour le plaisir peut influer sur la relation classique entre le médecin et son patient davantage que son utilisation professionnelle. Les usagers de Facebook agrémentent leur profil d’une tonne d’information, y compris des renseignements démographiques, des affiliations professionnelles et des opinions politiques ou religieuses. Des liens favoris, des photos et des vidéos des usagers, de leurs amis et de leur famille complètent souvent l’information personnelle. Sur le plan technique, seulement des « amis » virtuels sélectionnés par le propriétaire du site ont droit d’accéder aux données personnelles. Dans les faits, les usagers ne peuvent toutefois pas complètement contrôler l’accès à leur site, malgré de hauts niveaux de protection de la vie privée. Quatre grands problèmes surgissent : la responsabilité civile liée aux violations du secret professionnel par les dispensateurs de soins (9), l’affichage de contenu non professionnel (10,11), la perte d’emploi parce qu’une personne apparaissant dans le profil ou un tiers divulgue de l’information préjudiciable et enfin, les médecins ne mettent pas toujours les options relatives à la vie privée en fonction, la rendant ainsi publique par inadvertance (11).

L’effet de « désinhibition virtuelle »

Certaines normes professionnelles dans la relation entre le médecin et son patient peuvent devenir floues lorsque tous deux deviennent amis sur un site de réseautage social. Les patients affichent parfois de l’information clinique ou personnelle qu’ils ont dissimulée à leur médecin parce qu’ils la jugeaient superflue ou trop « délicate ». Par exemple, les adolescents ne révéleront peut-être pas qu’ils consomment des drogues ou de l’alcool. Les parents peuvent dire, sans d’abord en parler au médecin. De même, les médecins ont l’habitude de maintenir une certaine distance professionnelle avec leurs patients, à qui ils ne veulent généralement pas dévoiler leurs mésaventures ou leurs lacunes. Cependant, devenir un ami Facebook et permettre l’accès à des données privées peut brouiller ces limites, surtout lorsqu’on tient compte de « l’effet de désinhibition virtuelle » (12). Ce terme désigne la tendance à se dévoiler ou à agir de manière plus intense par voie électronique qu’en personne (12). Le partage d’information d’ordre privé par mégarde de part ou d’autre peut susciter des tensions ou de la méfiance et nuire à la relation thérapeutique.

Recommandations

En réaction aux risques inhérents des nouveaux médias sur la relation entre le médecin et son patient, les universités, les associations professionnelles et médicales, y compris L’Association canadienne de protection médicale, élaborent des lignes directrices sur la conduite à suivre à l’égard d’Internet et du réseautage social (4,1317). Les principales recommandations s’établissent comme suit :

  • Protéger la confidentialité et la vie privée des patients :
    • ○ en évitant d’afficher de l’information permettant de reconnaître les patients (16,17).
    • ○ en évitant d’accéder au blogue ou au site de réseautage social d’un patient sans d’abord obtenir son autorisation.
    • ○ en faisant preuve de prudence même lorsque l’accès est autorisé, parce que les arrière-pensées, des justifications personnelles et des intentions cachées peuvent être moins faciles à déchiffrer par voie électronique qu’en personne.
    • ○ en étant transparent et direct avec chaque patient (8).
  • Respecter la vie privée du médecin :
    • ○ en protégeant l’information et le contenu personnels au moyen de paramètres de confidentialité élevés. On sait que ces paramètres sont loin d’être parfaits, et avant d’afficher du contenu, il faut se rappeler que celui-ci peut continuer à « vivre » dans Internet (16) longtemps après avoir cessé d’intéresser les usagers. Il faut éviter les amitiés virtuelles avec les patients. Il peut être plus sécuritaire et plus professionnel de refuser poliment des offres d’amitié virtuelles (p. ex., « Je suis touché par votre demande, mais je ne peux pas y donner suite »).
  • Maintenir des limites pertinentes (12,16) :
    • ○ en séparant les sites Web publics des sites Web personnels (16).
    • ○ en se souvenant que les lignes directrices professionnelles et éthiques au sujet de la relation entre le médecin et son patient s’appliquent tout autant dans le cadre des interactions virtuelles (15).
  • Se comporter de manière professionnelle (1316) :
    • ○ en évitant d’afficher de la documentation non professionnelle sur le site Web d’un médecin. De la documentation risquée ou des communications déplacées peuvent éroder des réputations personnelles et, en définitive, elles donnent une mauvaise image à la profession de la pédiatrie.
    • ○ en affichant seulement de l’information en matière de santé dans un site Web professionnel dont l’exactitude et la mise à jour sont démontrées et qui reflètent les meilleures données probantes ou les meilleures normes de soins (14). Fournissez seulement des liens vers des sites Web d’organisations de santé reconnues ou réputées.
    • ○ en évitant de promouvoir un traitement pour en tirer un profit personnel.

Les blogues, les médias sociaux et les sites Web de médecins sont la voie de l’avenir. Tous les nouveaux médias sont du domaine public, et les médecins doivent toujours respecter la vie privée et faire preuve de prudence et de professionnalisme lorsqu’ils communiquent par voie électronique.

Acknowledgments

Le comité de la santé de l’adolescent et le comité de la pédiatrie communautaire de la Société canadienne de pédiatrie ont révisé le présent document.

Footnotes

COMITÉ DE BIOÉTHIQUE

Membres : Susan G Albersheim MD (ancienne membre); Kevin W Coughlin MD (président); Pascale Gervais MD (représentante du conseil); Marie-Claude Grégoire MD; Robert I Hilliard MD; Ian Mitchell MD; Thérèse St-Laurent-Gagnon MD (ancienne membre)

Auteurs principaux : Thérèse St-Laurent-Gagnon MD; Kevin W Coughlin MD

Les recommandations contenues dans le présent document ne sont pas indicatrices d’un seul mode de traitement ou d’intervention. Des variations peuvent convenir, compte tenu de la situation. Tous les documents de principes et les points de pratique de la Société canadienne de pédiatrie sont régulièrement révisés. Consultez la zone Documents de principes du site Web de la SCP (www.cps.ca) pour en obtenir la version complète à jour.

RÉFÉRENCES


Articles from Paediatrics & Child Health are provided here courtesy of Oxford University Press

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