Résumé
Les névralgies pudendales, ou syndrome du canal d’Alcock, sont des douleurs périnéales déclenchées par la position assise et dont le diagnostic est clinique. La positivité des blocs anesthésiques confirme ce diagnostic. Cependant, les conduites thérapeutiques restent parfois subjectives. Par l’analyse de trois cas cliniques de patients suivis en consultation d’algologie, nous essayons de distinguer entre les patients qui nécessitent un traitement chirurgical d’emblée, et ceux qui peuvent être mis sous traitement médicamenteux exclusif. Nous découvrons également la valeur du facteur temps dans la prise en charge de cette maladie invalidante.
Introduction
Les névralgies pudendales, ou syndrome du canal d’Alcock, sont des douleurs périnéales déclenchées par la position assise, et soulagées par la position debout et le décubitus1. Leur diagnostic est clinique, basé sur les critères diagnostiques de Nantes (tableau 1)2. Il est confirmé par la positivité du test de bloc anesthésique3,4. L’utilité des explorations électrophysiologiques dans le diagnostic des névralgies pudendales est remise en question d’après une étude qui a prouvé que la latence distale du nerf pudendal pouvait être allongée sans que cela ne corresponde à une neuropathie pudendale compressive et normale mais sans l’éliminer5.
Tableau 1 :
Critères diagnostiques de Nantes
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Critères accessoires
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Critères d’exclusion
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Cependant, le traitement n’est pas « codifié », et les conduites thérapeutiques restent parfois subjectives à cause de l’absence de classification validée. Quels seraient les cas « médicaux » qui doivent être mis sous traitement médical, et les cas « chirurgicaux » qui doivent subir une décompression chirurgicale ? Quelle est la valeur du facteur temps dans la prise en charge des névralgies pudendales ? Nous essayons de répondre à ces questions par l’analyse de trois cas cliniques de patients suivis en consultation d’algologie.
Cas cliniques
Cas clinique 1
Patiente âgée de 48 ans, sans antécédents pathologiques, présentant depuis 3 ans des douleurs localisées au niveau du périnée, du vagin et de l’anus, de type brûlures, déclenchées essentiellement en position assise, et irradiant vers les fesses. Ces douleurs qui étaient évaluées à 8/10 par l’échelle visuelle analogique EVA, étaient soulagées par la position debout, le décubitus dorsal et la position assise sur les toilettes. Le diagnostic de névralgies pudendales était retenu devant le tableau clinique évocateur, l’examen clinique qui avait déclenché la douleur par la palpation de l’épine ischiatique gauche lors du toucher rectal et le test d’infiltration du canal pudendal positif : amélioration de la douleur après infiltration du canal pudendal à la lidocaïne : EVA estimée à 0 après le test. Le traitement suivi chez cette patiente est de type médicamenteux, associant la venlafaxine à 37,5 mg par jour (antidépresseur de la classe des inhibiteurs du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline) et le clonazépam à 0,5 mg par jour. L’évolution est marquée par une bonne réponse au traitement médicamenteux, une possibilité de s’asseoir et d’exercer ses activités, avec un recul de 3 ans.
Cas clinique 2
Patiente âgée de 52 ans, sans antécédents pathologiques, présentant depuis 6 ans des douleurs invalidantes, estimées à 8/10 sur l’EVA lors de sa première consultation, localisées au niveau du périnée, déclenchées par la position assise, soulagées par la position debout et le décubitus. À l’examen clinique : la palpation des épines ischiatiques reproduisait les douleurs décrites, et l’examen neurologique était normal. L’infiltration du canal pudendal par anesthésique local (lidocaïne) améliorait relativement ces douleurs : l’EVA passait à 4/10. Un traitement médicamenteux à base d’antidépresseur et d’antiépileptique a été prescrit pour une durée d’un an, mais la qualité de vie de la patiente est toujours restée altérée. Elle a ensuite subi un traitement chirurgical (il y a 5 ans) : décompression du nerf pudendal par voie transglutéale. L’évolution était marquée par l’échec du traitement chirurgical. Actuellement, elle est mise sous traitement médicamenteux associant morphinique et antiépileptique avec psychothérapie et techniques comportementales. L’EVA actuellement est entre 2/10 et 4/10. Elle n’arrive pas à s’asseoir; les consultations durent plus d’une heure, la patiente reste toujours debout. Elle s’adapte à ses douleurs grâce à la psychothérapie; elle a acheté une ambulance pour se déplacer. Le recul dans ce cas est de 6 ans.
Cas clinique 3
Patient âgé de 72 ans, ayant un antécédent de résection trans-urétrale de la prostate en 1995, et présentant depuis 1997 des douleurs de type coups de poignard, estimées à 6/10 sur l’EVA, localisées au niveau du périnée et du scrotum, irradiant vers la face postérieure des cuisses, et soulagées par la position debout et le décubitus dorsal. La palpation des épines ischiatiques lors du toucher rectal réveillait ses douleurs. L’examen neurologique et urogénital était sans particularité. Le test d’infiltration du canal pudendal par anesthésique local (lidocaïne) était positif : le score sur l’EVA était de 1/10 après le test. Il a été mis sous traitement médicamenteux associant antidépresseur et antiépileptique pendant 5 ans, avec bonne réponse au début, mais au cours de la cinquième année, il a présenté une résistance au traitement. Il a subi en 2001 une libération du nerf pudendal par voie trans-glutéale. Par la suite, il a signalé un soulagement des douleurs : le score sur l’EVA était de 1/10, les activités quotidiennes n’étaient pas limitées; le patient pouvait s’asseoir, et le recours aux antalgiques avait diminué (il est passé de 400 mg / jour de tramadol avant l’intervention à 100 mg / jour après). Le recul est de 10 ans.
Discussion
Les névralgies pudendales ont été décrites en 1987 par Amarenco, comme suit : « souffrance aiguë du nerf honteux interne dans le canal ostéo-musculo-aponévrotique que forment l’ischion et le muscle obturateur interne (fossette ischiorectale ou canal d’Alcock) »6. Leur physiopathologie est multifactorielle : compression canalaire, étirement, microtraumatismes répétés liés au cyclisme, neuropathie ischémique7–9. Les critères diagnostiques de Nantes - aux-quels répondent les trois cas rapportés - définissent les névralgies pudendales, avec des critères d’inclusion et d’exclusion (tableau 1)2.
En analysant nos trois cas, il est clair qu’il existe des moyens thérapeutiques multiples et efficaces, mais dont les indications ne sont pas bien définies (tableau 3)10,11. Ainsi, la patiente (1er cas) est mise sous traitement médicamenteux avec une réponse assez bonne pour ne pas avoir à recourir à la chirurgie. La patiente (2e cas) est mise sous traitement médicamenteux pendant un an sans amélioration, puis elle a subi une décompression chirurgicale avec persistance des douleurs par la suite. Cette patiente est toujours sous traitement médicamenteux avec altération de sa qualité de vie et répercussions psychologiques. L’échec de la chirurgie peut être expliqué par deux facteurs :
la gravité des lésions au niveau du nerf pudendal qui peut être jugée sur la baisse limitée de la douleur après infiltration du canal pudendal à la lidocaïne ; et
le retard de l’intervention : un délai d’un an entre l’apparition des symptômes et l’intervention, ce qui aggrave les lésions du nerf pudendal et diminue les chances de succès de la chirurgie.
Tableau 3 :
Traitement médicamenteux |
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Traitement chirurgical : Décompression |
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Le patient (3e cas) a la particularité d’avoir un antécédent de résection transurétrale de la prostate. Il est bien connu que les endoscopies urologiques et digestives représentent des facteurs favorisants pour les névralgies pudendales9,12. Il a été mis sous traitement médicamenteux associant antidépresseur et antiépileptique pendant cinq ans, avec apparition progressive d’une résistance au traitement médicamenteux ayant nécessité une décompression chirurgicale avec bonne réponse thérapeutique. Dans ce cas, le retard de réalisation de la chirurgie n’a pas aggravé la situation. Le malade est resté sous traitement médicamenteux; le traitement chirurgical a été retardé en restant dans la fenêtre de curabilité.
En revenant sur les 1er et 3e cas, qui ont tous deux connu une bonne évolution, on trouve que les deux patients avaient présenté une amélioration significative de leur EVA après le test d’infiltration à la lidocaïne, ce qui porte à croire qu’une bonne réponse à ce test diagnostique est un facteur de bon pronostic.
À l’issue de l’analyse de nos trois cas, on peut conclure qu’un traitement chirurgical doit être indiqué d’emblée chez les patients qui présentent un tableau de gravité extrême, jugée sur des niveaux de douleur très élevés à l’EVA et une réponse limite au test d’infiltration à la lidocaïne. En revanche, le traitement médicamenteux peut être indiqué, dans le but d’éviter et/ou de retarder la chirurgie tout en restant dans la fenêtre de curabilité, chez les patients qui ne présentent pas de tableau grave, c’est-à-dire ceux qui ont des douleurs significativement atténuées par les infiltrations à la lidocaïne, et une bonne réponse initiale au traitement.
Nous proposons les quatre critères suivants comme témoignant d’une bonne réponse thérapeutique :
EVA < 3/10 en cas de recrudescence,
Diminution du recours aux antalgiques,
Possibilité de s’asseoir,
Non-limitation des activités quotidiennes.
La valeur du facteur temps dans la prise en charge des névralgies pudendales est incontestable. La décompression chirurgicale doit être réalisée le plus tôt possible si le tableau se révèle grave avec une réponse limite au test d’infiltration par anesthésique, ou en cas d’échec du traitement médicamenteux. Théoriquement, le temps aggrave tout phénomène évolutif : les lésions du nerf pudendal (compression, traumatismes, ischémie, étirement) s’aggravent avec le temps. Le retard de décompression en cas de présence de signe de gravité diminue les chances de succès de cette chirurgie.
Conclusion
La décompression chirurgicale doit être d’emblée indiquée chez les patients qui présentent un tableau grave : niveaux de douleurs très élevés à l’EVA et réponse limite au bloc anesthésique. Le traitement médicamenteux doit être suivi en cas de bonne réponse initiale à ce traitement, et d’amélioration significative par les infiltrations. La surveillance étroite des patients est nécessaire pour poser l’indication à temps d’une décompression en cas d’apparition de résistance au traitement médicamenteux.
Tableau 2 :
Âge (ans) | Sexe | EVA initiale | Réponse au bloc anesthésique | Traitement | Évolution | |
---|---|---|---|---|---|---|
| ||||||
Cas 1 | 48 | féminin | 8/10 | EVA à 0 | médicamenteux | bonne |
Cas 2 | 52 | féminin | 8/10 | EVA à 4/10 | chirurgical puis médicamenteux |
échec du traitement chirurgical, réponse limitée au traitement médicamenteux |
Cas 3 | 72 | masculin | 6/10 | EVA à 1/10 | chirurgical puis médicamenteux |
bonne |
Footnotes
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This paper has been peer-reviewed.
Références
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