L’expression soins préconceptionnels est utilisée en Amérique du Nord depuis les années 1980 pour décrire les soins de santé aux femmes reliés à la grossesse avant qu’elles conçoivent. Ils ont d’abord été associés aux soins dispensés aux femmes qui avaient déjà vécu des issues de grossesses défavorables1, mais on a tôt fait de les recommander à toutes les femmes2. Malgré cet historique, il n’existe pas de définition uniforme ou de reconnaissance universelle des soins préconceptionnels3. Quoiqu’une foule de lignes directrices et de documents aient ravivé ce concept dans diverses provinces canadiennes, il n’y a aucun ensemble cohérent de directives nationales concernant cette importante composante des soins aux femmes bien portantes. Nous croyons que les médecins de famille peuvent faire une différence cruciale en intégrant les soins préconceptionnels dans leur pratique systématique et en préconisant une discussion nationale au sujet des approches en santé prénatale.
Pourquoi adopter des soins préconceptionnels?
Diverses raisons justifient l’urgence de l’adoption de soins préconceptionnels. Du point de vue de la santé à la fois des femmes et des enfants, nos pratiques sont déficientes. Aux États-Unis, par exemple, la proportion de bébés prématurés est passée de 9,4 % en 1981 à 12,3 % en 2003 et la proportion des nouveaunés de faible poids à la naissance a augmenté à 7,9 % en 2003 par rapport à 6,8 % en 19814. Au Canada, le taux des naissances prématurées s’est accru graduellement durant les années 1980 et 1990, pour se stabiliser entre 7 % et 8 % depuis 20005. Différents facteurs expliquent ces tendances, dont les traitements de l’infertilité, l’âge maternel plus élevé, la consommation de tabac, de drogues et d’alcool, l’obésité et les maladies chroniques6. La principale stratégie pour combattre ces risques a été une promotion massive de la santé prénatale. Les soins préconceptionnels offriraient un complément des plus nécessaires aux soins prénatals qui pourraient améliorer les résultats néonatals en adoptant une approche à long terme à l’endroit de la santé des femmes.
La plupart des approches prénatales se concentrent principalement sur le fœtus, le traitant comme le patient et considérant la femme comme un réceptacle qui doit changer ses comportements et ses choix problématiques7,8. Ces approches ont fait l’objet de critiques en raison de leurs effets d’incitation à la honte (en particulier dans les cas de problèmes de santé comme la dépendance à la nicotine ou à l’alcool) et pourraient décourager certaines femmes en âge de procréer, en particulier celles enceintes, de divulguer leur consommation et de chercher à suivre un traitement9,10. Même lorsque des interventions sont accessibles et productives, leur insistance sur la santé fœtale signifie que la santé des femmes est souvent une réflexion après coup. Par exemple, les efforts pour cesser le tabagisme et l’alcool sont souvent abandonnés durant la période postpartum, ce qui se traduit par des taux de récidive aussi élevés que 90 % lorsque le fœtus n’est plus un motivateur ou un point de référence pour le traitement médical11,12.
En revanche, les soins préconceptionnels offrent une occasion d’améliorer les soins courants aux femmes durant toute leur vie et de les intégrer dans leurs projets de reproduction, en discutant, par exemple, de contraception, de fertilité et d’interactions entre l’état de santé général de la femme et sa santé de la reproduction. Une approche centrée sur la femme se pencherait sur la santé de tout enfant futur hypothétique par l’intermédiaire de la santé de la femme et non pas comme un objectif distinct. Comme Moos le fait valoir, les soins préconceptionnels bénéficieraient d’abord à la santé des femmes et, si elles devenaient enceintes, les bienfaits seraient élargis13. Une telle démarche renforcerait les soins de base aux femmes bien portantes et les relieraient de manière significative à la santé prénatale et néonatale.
Il y a une autre raison fondamentale pour aller audelà des paradigmes prénatals traditionnels: de nombreuses femmes conçoivent sans que ce soit prévu et peuvent même ne pas se rendre compte qu’elles sont enceintes avant que le premier trimestre soit achevé. À ce point, les dommages peuvent déjà avoir été faits. Environ 49 % des grossesses aux États-Unis n’étaient pas intentionnelles14 et, même s’il n’y a pas de données nationales sur la prévalence des grossesses non intentionnelles au Canada15, on présume que le taux est semblable. Par conséquent, les soins prénatals, s’ils existent ou si les femmes s’en prévalent, peuvent être trop peu, trop tard. Durant les 3 mois précédant la conception, 15,8 % des femmes au Canada fumaient la cigarette et 62,4 % buvaient de l’alcool16. Les soins préconceptionnels déclencheraient le traitement des femmes pour les genres de problèmes qui affectent les résultats de la grossesse et la santé maternelle sur une base continue plutôt que d’attendre que les femmes décident de concevoir. L’intégration des soins préconceptionnels aux soins courants de la femme pourrait aussi réduire l’incidence des grossesses non désirées et aider à identifier de telles grossesses plus tôt pour les femmes qui décident de ne pas mener à terme leur grossesse.
En dépit des raisons convaincantes d’adopter les soins préconceptionnels comme partie intégrante des soins de santé globaux aux femmes, il y a très peu d’actions concrètes au Canada qui tiennent compte d’une approche préconceptionnelle à la santé des femmes. Par exemple, moins de la moitié des professionnels de la santé au Canada discutent de la consommation d’alcool et de drogues avec les femmes en âge de procréer et moins de 60 % des médecins de famille et des obstétriciens discutent de questions précises comme les suppléments d’acide folique avant la conception17. Les soins préconceptionnels sont dispensés de manière incomplète et sans uniformité d’une province et d’un établissement à l’autre, en dépit des données probantes corroborant leur efficacité18.
Absence de lignes directrices nationales
Cette réalité n’est pas surprenante compte tenu de l’absence de lignes directrices nationales canadiennes. Fait important à souligner, même si la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada a publié Partir du bon pied19, un document qui traite de la santé de la période préconceptionnelle jusqu’à postpartum, elle n’a pas de guide de pratique clinique sur les soins préconceptionnels. L’Agence de la santé publique du Canada a publié des lignes directrices sur la période de la préconception en 2000, dans lesquelles elle incite à intégrer les soins préconceptionnels et la formation à cet égard dans les cursus universitaires et en milieu de travail, elle préconise qu’ils soient publicisés dans les médias et qu’ils soient offerts par les organisations communautaires20. Toutefois, même si ce sont des premières étapes prometteuses, il n’est pas évident que les recommandations de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada et de l’Agence de la santé publique du Canada aient été suivies de manière systématique.
Par ailleurs, diverses initiatives en matière de soins préconceptionnels ont été entreprises au niveau provincial en Alberta, en Colombie-Britannique et en Ontario, mettant à l’épreuve et démontrant les promesses de cette approche. Par exemple, le Centre de ressources Meilleur départ, le centre de ressources sur les soins maternels, néonatals et le développement de la petite enfance de l’Ontario, a publié une série de brochures et de matériel d’information à l’échelle de la province entre 2001 et 2006 portant sur différentes composantes de la santé préconceptionnelle. Meilleur départ a aussi produit un trio de rapports en 2009 sur la santé préconceptionnelle en Ontario à la suite de sondages auprès des médecins, des unités de santé publique et de la population21–23. Les rapports révèlent que la plupart des unités de santé publique (88 %) avaient mis en œuvre au moins 1 initiative en soins préconceptionnels au cours des 5 années précédentes23. Le sondage auprès des médecins de famille a fait valoir que 78,4 % disaient dispenser des soins préconceptionnels au moins 1 fois par semaine22. D’autre part, 58 % des femmes et des hommes qui ont répondu aux mêmes sondages ont indiqué que leurs professionnels de la santé n’avaient pas soulevé avec eux le sujet de la santé préconceptionnelle21. Les campagnes de sensibilisation ont peut-être eu un certain effet, mais il semble persister un manque de clarté et de communication entre les médecins de famille et le public concernant ce en quoi consistent les soins préconceptionnels et pourquoi ils sont nécessaires.
De tels efforts provinciaux sont intéressants et encourageants, mais rejoindraient un plus grand nombre de Canadiennes de manière plus équitable si des lignes directrices nationales étaient publiées, accompagnées de plans de mise en œuvre, du financement nécessaire et d’une évaluation. Des lignes directrices nationales sur les soins préconceptionnels existent aux États-Unis où les Centers for Disease Control and Prevention ont rendu public un rapport exhaustif sur la santé et les soins préconceptionnels en 2006 qui présentait 10 recommandations24. Depuis la publication des lignes directrices des Centers for Disease Control and Prevention, un certain nombre d’efforts financés par l’État fédéral se sont traduits par des programmes préconceptionnels dans des villes spécifiques qui visaient les populations les plus vulnérables aux résultats médiocres chez la mère et le nouveau-né et les moins susceptibles d’avoir accès à des soins prénatals25.
À l’instar des pratiques les plus efficaces pour d’autres facettes de la santé des femmes, les soins préconceptionnels devraient respecter et soutenir l’autonomie de la femme et adopter une approche en fonction des déterminants sociaux26–28. Dans le contexte de l’élaboration des lignes directrices nationales, il conviendrait de miser sur les expériences des provinces qui ont essayé cette approche, qui pourraient servir de fondement à une pratique et à des programmes fondés sur des données probantes et de point de départ à une mise en application plus large. Un leadership national qui favorise l’élaboration en collaboration de lignes directrices et d’objectifs documentés pourrait réduire la confusion et encourager une prestation plus complète et uniforme des soins préconceptionnels et ainsi ouvrir la voie à une approche mieux intégrée. L’élaboration de lignes directrices nationales sur les soins préconceptionnels attirerait l’attention sur les schismes dans notre système de santé—entre les soins en santé des femmes et les soins néonatals, et entre les soins courants et les soins de courte durée—et contribuerait à créer des approches plus équitables dans l’ensemble du Canada.
Footnotes
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the October 2013 issue on page 1037.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré.
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
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