Au cours des dernières années, vous est-il arrivé de recommander aux parents de vos jeunes patients souffrant de rhinite allergique ou d’asthme de se procurer des enveloppes étanches pour les matelas et les oreillers afin de réduire l’exposition aux acariens? Si oui, sachez que vous aviez tort!
Ou bien, de référer ceux souffrant d’otites moyennes récidivantes pour la mise en place de tubes de myringotomie dans l’espoir de prévenir une éventuelle perte auditive et un retard de développement? Là aussi, sachez que vous aviez tort!
Ou bien, avez-vous tenté d’abaisser la glycémie de vos patients diabétiques de type 2 sous le seuil de l’hémoglobine glycosylée A1c de 7,0 %, ou leur tension artérielle en deçà de 120 mm Hg? Encore dans le tort!
En effet, il semble, si l’on en croit « A Decade of Reversal: An Analysis of 146 Contradicted Medical Practices »1 publié récemment dans le Mayo Clinic Proceedings, que ces pratiques soient incorrectes. Pour arriver à pareille conclusion, Prasad et coll. ont analysé tous les articles originaux publiés depuis 10 ans dans l’un des plus grands journaux médicaux au monde, sinon le plus grand lorsqu’on considère le facteur d’impact: le New England Journal of Medicine. Ils ont catégorisé ces documents en 4 grandes classes: ceux où une nouvelle pratique représentait un avancement sur la précédente, qu’ils ont appelé « remplacement »; ceux où une nouvelle pratique n’était pas meilleure que la précédente, désignés sous le chapitre « retour à la case départ »; ceux qui confirmaient le bien-fondé de la pratique médicale courante: « réaffirmation »; et, finalement, ceux où la pratique médicale courante n’était pas jugée supérieure à la précédente, désignés par « renversement ».
Verdict? Parmi les 363 articles s’intéressant aux standards de pratique, 146 (40,2 %) représentaient un renversement. Incroyable!
Pourtant, il semble bien que Prasad et coll. ne soient pas les seuls à remettre en question certaines pratiques médicales établies. En 2005, Ioannidis et coll. scrutèrent les recherches originales publiées dans 3 grands journaux médicaux (le New England Journal of Medicine, le JAMA et le Lancet), publiées entre 1990 et 2003, et citées plus de 1 000 fois dans la littérature. Ils observèrent que 16 % des recherches où l’intervention était initialement considérée efficace furent ultérieurement contredites2. En Australie, en 2012, plus de 150 pratiques ont été identifiées comme étant potentiellement inefficaces ou dangereuses3. En Angleterre, le National Institute for Health and Clinical Excellence a identifié 800 pratiques de faible valeur au cours des 10 dernières années4.
Ces constatations sont bouleversantes! C’est comme reconnaître qu’une bonne partie de ce que nous avons fait au cours des 10 dernières années était erroné.
Comment cela est-il possible? Certes, certains opineront que la médecine est une science qui évolue et qu’il est normal que ce que nous croyons aujourd’hui change et devienne obsolète demain. Mais à ce point? À ce rythme? Difficile de souscrire à pareil raisonnement. Comment reconnaître et accepter que près de la moitié des gestes que nous posons aujourd’hui puissent être erronés, et trouver cela normal? Très paradoxal et kafkaïen comme raisonnement.
Il y a sûrement quelque chose d’autre pour expliquer pareille méprise. À notre avis, l’erreur vient, en partie, de l’interprétation que nous faisons des données probantes. Avez-vous remarqué à quel point les lignes directrices qui constituent les bases de nos pratiques médicales, aussi rigoureuses et scientifiques qu’elles prétendent être, sont souvent farcies d’opinions et d’interprétations? Prenons les plus récentes recommandations de l’Association canadienne du diabète5, qui sont certainement parmi les plus crédibles et les plus reconnues. La dernière édition lancée en avril 2013 renferme plus d’une centaine de recommandations de niveau grade D, consensus. Cela veut dire qu’elles reposent uniquement sur l’opinion d’experts et sont dépourvues d’assises rigoureuses (absence de niveau I, II ou III). Alors, si 40 % des pratiques médicales sont renversées dans les 10 années qui suivent leur parution dans le New England Journal of Medicine, imaginez le sort des pratiques basées essentiellement sur les avis d’experts! Il y a tout lieu de croire que le taux de renversement sera encore bien plus élevé.
Bref, des données probantes qui ne tiennent pas la route et des lignes directrices farcies de recommandations basées sur des avis d’experts. Pas surprenant dès lors que les médecins de famille ne sachent plus où donner de la tête!
Footnotes
This article is also in English on page 1143.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Références à la page 1143