Résumé
Le diabète constitue une cause fréquente d'insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) dans le monde. Ce travail présente une étude clinique rétrospective dont le but est de décrire le profil clinico-biologique des patients diabétiques en IRCT, de le comparer aux patients non-diabétiques au stade d'IRCT, et de suivre l’évolution de leurs abords vasculaires, afin d'en déduire des conclusions sur une prise en charge particulière des patients diabétiques. Les paramètres cliniques et biologiques concernant les patients mis en hémodialyse dans notre formation entre le 01 janvier 2006 et le 31 décembre 2011, ont été recueilli et analysés. Nous avons procédé à l’étude comparative des patients en fonction de l'existence ou non d'une néphropathie diabétique, et nous nous sommes intéressés à l’évolution de leurs abords vasculaires. Il s'agit de 207 patients insuffisants rénaux chroniques, dont 86 diabétiques. Le groupe des patients diabétiques était moins suivi avant la mise en hémodialyse (3,66 mois vs. 6,32 mois), avec une prise beaucoup plus importante d'antihypertenseurs (1,87 vs. 1,14, p<0,001). L’échec des abords vasculaires était plus important chez les patients diabétiques (45% vs. 27%, p=0,006), avec une survie moyenne plus faible de leurs abords vasculaires (509 vs 753 jours, p=0,003). L’étude comparative des taux d'hémoglobine, de parathormone intacte, d'albuminémie et de C-réactive protéine, entre le groupe de patients diabétiques et non diabétiques était non significative. Notre étude soulève le problème du suivi néphrologique chez les diabétiques, pourtant censés être mieux suivis, et son retentissement sur l'avenir de leurs abords vasculaires.
Keywords: Diabète, insuffisance rénale chronique, hémodialyse
Introduction
Le diabète constitue la première cause d'insuffisance rénale chronique (IRC) dans les pays industrialisés [1]. Aux stades précoces, des traitements néphroprotecteurs associés à l’équilibre glycémique et à la modification de l'hygiène de vie sont recommandés, mais au stade terminal, la survie est assurée par un traitement de suppléance: dialyse ou transplantation rénale. Alors que le nombre de personnes diabétiques de type 1 traités pour insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) semble se stabiliser, voire diminuer, dans le monde, le nombre de personnes diabétiques de type 2 en IRCT ne cesse d'augmenter [2, 3]. L'incidence de la néphropathie diabétique au stade terminal est variable selon les pays: 44% aux Etats-Unis en 2008 [4], 34% en Australie-Nouvelle-Zélande en 2008 [5], 11,8% à 35,5% selon les pays en Europe en 2007 [6], et 22,9% en France en 2008 [7].
Ce travail présente une étude clinique rétrospective dont le but est de décrire le profil clinico-biologique des patients diabétiques en IRCT, de le comparer aux patients non-diabétiques au stade d'IRCT, et de suivre l’évolution de leurs abords vasculaires, afin d'en déduire des conclusions sur une prise en charge particulière des patients diabétiques.
Méthodes
Les données concernant les patients mis en hémodialyse, entre le 01 janvier 2006 et le 31 décembre 2011 au sein du service de néphrologie, dialyse et transplantation rénale de l'hôpital militaire d'instruction Mohammed V, ont été rétrospectivement recueillies. Nous nous sommes intéressés aux caractères cliniques, et aux données biologiques (taux d'hémoglobine, cholestérol total, LDL, HDL, triglycérides, albuminémie, ferritinémie, C-Reactive protein) au moment de la mise en hémodialyse. Nous avons procédé à l’étude comparative des patients en fonction de l'existence ou non d'une néphropathie diabétique, et nous avons suivi l’évolution de leurs abords vasculaires.
La collecte des données a consisté en un recueil des caractéristiques démographiques, la présence ou non d'une néphropathie diabétique, l'existence de comorbidités, la prise et le nombre d'antihypertenseurs, le suivi néphrologique avant la mise en hémodialyse, ainsi que sa durée.
L’évaluation des abords vasculaires a été effectuée le 31 décembre 2011. Leur survie a été calculée depuis le jour de la confection jusqu'au jour de l’échec, ou jusqu'au 31 décembre 2011. L’échec primaire a été défini comme l’échec de l'accès vasculaire avant l'initiation de l'hémodialyse ou l'absence de maturation dans les six mois suivant sa création.
L'analyse statistique a été réalisée par le logiciel SPSS version 11.Nous avons utilisé le test de Student pour les variables quantitatives et le test khi2 pour les variables qualitatives. Le seuil de significativité est considéré positif si le p est inférieur à 0,05.
Résultats
Il s'agit de 207 patients insuffisants rénaux chroniques, dont 86 diabétiques (41,5%) (Figure 1). L’âge moyen des patients est de 52 ans, le sex-ratio est de 0,55. (Tableau 1)
Tableau 1.
Facteur | Valeurs |
---|---|
Nombre de cas | 207 |
Age (année) | 52,43 ± 15,48 |
Sexe masculin (N/%) | 133 / 64,3 |
Suivi néphrologique avant mise en hémodialyse (N/%) | 67 / 32,4 |
Suivi néphrologique moyen (mois) | 5,2 (0- 48) |
Hypertension artérielle (N/%) | 153/ 73,9 |
Diabète (N/%) | 86 / 41,5 |
Hémoglobine (g/dl) | 8,86 ± 2,01 |
Albuminémie (g/l) | 31,17 ± 7,02 |
Le groupe des patients diabétiques était moins suivi avant la mise en hémodialyse, (3,66 mois vs. 6,32 mois, p=0,07), avec une prise beaucoup plus importante d'antihypertenseurs (1,87 vs. 1,14, p<0,001). 63% des diabétiques ont bénéficié de leurs premières séances d'hémodialyse via des cathéters veineux temporaires, contre 58% dans le groupe des patients non-diabétiques.
L’étude comparative des taux d'hémoglobine, de parathormone intacte, d'albuminémie et de C-réactive protéine, entre le groupe de patients diabétiques et non diabétiques était non significative, avec des résultats successifs (8,9 g/dl vs. 8,7 g/dl, p=0,42), (444,5 pg/ml vs. 516 pg/ml, p=0,22), (29,9 g/l vs. 31 g/l, p= 0,06), et (24,9 mg/l vs. 23,7 mg/l, p=0,86), le taux de ferritinémie était par contre significativement plus bas chez les diabétiques (267 ng/ml vs. 343 ng/ml, p= 0,04).
L’échec des abords vasculaires était plus important chez les patients diabétiques (45% vs. 27%, p=0,006), avec une survie moyenne plus faible de leurs abords vasculaires (509 vs 753 jours, p=0,003). La durée d'hospitalisation était plus courte chez les diabétiques que les non-diabétiques (10 vs. 13,1 jours, p=0,01). (Tableau 1)
Discussion
A l'heure actuelle, environ le tiers des patients en IRCT débutant l'hémodialyse périodique sont diabétiques [7]. L'incidence des patients diabétiques en IRCT a atteint 35% en France en 2006 de l'ensemble des patients en IRCT [7]. Sur le registre ANZDATA (ANZDATA, Australia and New Zealand Dialysis and Transplant Registry; 1991- 2005), l'incidence annuelle moyenne de l'IRCT due au diabète de type 1est de 5 par million d'habitants (pmh), contre 10,6 pmh en 1991 et 48,8 pmh en 2005 pour le diabète de type 2 [5]. Aux Etats-Unis, la prévalence des diabétiques en IRCT a atteint 37% de l'ensemble des IRC terminaux (2008), avec une incidence annuelle à 44% (2007) [4]. Dans notre étude, la prévalence des diabétiques (41,5%) rejoint celle des séries sus-décrites.
Les diabétiques de notre série étaient significativement plus âgés que les non-diabétiques à l'initiation de l'hémodialyse (59,7 ans vs. 47,1 ans, p<0,001). En Côte d'Ivoire, Roux Amani a rapporté un âge moyen de 53 ± 6,7 ans dans une série de 759 diabétiques [8]. L’âge relativement élevé des malades de notre série peut être expliqué par la référence tardive des malades en néphrologie, et l'initiation tardive de l'hémodialyse au stade de complications le plus souvent. La référence tardive chez le néphrologue, évaluée dans notre série par le suivi avant la mise en hémodialyse a concerné la majorité des patients de notre série, puisque seulement 32% de nos patients avaient un suivi spécialisé d'au minimum 4 mois avant leur mise en hémodialyse; paradoxalement les diabétiques ‘ porteurs d'une maladie chronique ‘ et par conséquent, censés être mieux suivis, sont les moins suivis, (3,66 mois vs. 6,32 mois, p=0,07). Cette fréquence de référence tardive est comparable à celles des autres séries européennes ou américaines publiées après 1995 [9–12]. Elle témoigne d'une situation fréquente et internationalement constatée. Les études réalisées au sein des mêmes équipes et à des périodes différentes depuis 1984, témoignent en outre de la relative constance du phénomène [13, 14].
Le suivi spécialisé influence la qualité de la prise en charge au moment de la mise en hémodialyse. Ainsi, le taux d'hémoglobine moyen est de 8,86 ± 2,01 g/dl, sans aucune différence significative entre les deux groupes de patients: diabétiques et non diabétiques (8,9 g/dl vs. 8,7 g/dl, p=0,42). Sur le registre REIN en 2006, 2 patients sur 3 en IRCT avaient un taux d'hémoglobine inférieur à 11 g/dl à l'initiation du traitement, en dépit de l'accessibilité à l’érythropoïétine, qu'ils soient ou non diabétiques [8, 15]. De même que dans une étude précédente [16], en France, il n'a pas été mis en évidence de lien entre le statut diabétique et l'importance de l'anémie, contrairement à ce qui a pu être observé dans l’étude ACORD (The Anaemia CORrection in Diabetes) [17]. Le taux de ferritinémie significativement plus bas chez les diabétiques de notre série pourrait y contribuer de sa part (267 ng/ml vs. 343 ng/ml, p= 0,04).
Le diabète apparait comme un facteur altérant la survie des fistules artério-veineuses. La médiacalcose, la dysfonction endothéliale, ainsi que l'augmentation du stress oxydatif responsable d'une augmentation des événements thrombotiques, contribuent à l’échec des abords vasculaires chez les diabétiques [18–20]. L'exploration systématique du membre supérieur avant la confection de l'abord vasculaire diminuerait de façon significative le risque d’échec de 23% selon Branger [21].
Conclusion
Le diabète, de par sa chronicité et la systématisation de son suivi continue de constituer une cause fréquente d'IRCT. L'absence de suivi néphrologique chez les diabétiques, accentue les morbidités associées au moment de la mise en hémodialyse, et altère la survie de leurs abords vasculaires. Un transfert précoce chez le néphrologue dès la néphropathie diabétique débutante s'impose, afin d'optimiser la prise en charge des complications de l'IRC due au diabète, et d'améliorer la survie de leurs fistules artério-veineuses.
Remerciements
Quelques données présentées ici ont été fournies par le United States Renal Data System (USRDS). L'interprétation et la communication de ces données sont la responsabilité de l'auteur et ne devrait nullement être considérée comme une politique ou une interprétation officielle du gouvernement américain.
Conflits d'intérêts
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts.
Contributions des auteurs
Tous les auteurs ont contribué a la conduite de ce travail. Les auteurs de cet article ont tous lu et approuvé son contenu.
Références
- 1.Ritz E, Rychlik I, Locatelli F, Halimi S. End-stage renal failure in type 2 diabetes: a medical catastrophe of worldwide dimensions. Am J Kidney Dis. 1999 Nov;34(5):795–808. doi: 10.1016/S0272-6386(99)70035-1. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 2.Astrup AS, Tarnow L, Rossing P, Pietraszek L, Hansen PR, Parving HH. Improved prognosis in type 1 diabetic patients with nephropathy. Kidney Int. 2005 Sep;68(3):1250–7. doi: 10.1111/j.1523-1755.2005.00521.x. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 3.Wild S, Roglic G, Green A, Sicree R, King H. Global prevalence of diabetes: estimates for the year 2000 and projections for 2030. Diabetes Care. 2004 Oct;27(10):2568–9. doi: 10.2337/diacare.27.5.1047. author reply 2569. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 4.U.S. Renal Data System. Bethesda, MD: 2009. USRDS 2009 Annual Data Report: Atlas of End-Stage Renal Disease in the United States, National Institutes of Health, National Institute of Diabetes and Digestive and Kidney Diseases. [Google Scholar]
- 5.Villar E, Chang SH, Mc Donald SP. Incidences, Treatments, Outcomes, and Sex Effect on Survival in Patients With End-Stage Renal Disease by Diabetes Status in Australia and New Zealand(1991–2005) Diabetes Care. 2007 Dec;30(12):3070–6. doi: 10.2337/dc07-0895. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 6.Stel VS, Kramer A, Zoccali C, Kitty KJ. The 2007 ERA-EDTA Registry Annual Report - a Précis. NDT Plus. 2009 Dec;2(6):514–521. doi: 10.1093/ndtplus/sfp126. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 7.Couchoud C, Villar E, Frimat L, Fagot-Campagna A, Stengel B. L'insuffisance rénale chronique terminale associée à un diabète: fréquence et conditions d'initiation du traitement de suppléance. BEH. 2008;43:414–418. [Google Scholar]
- 8.Roux Amani F, Gnionsahé A. Prévalence du diabète chez les patients traités par hémodialyse itérative en Côte-d’Ivoire. Diabetes Metab. 2011;37:A36–A10. [Google Scholar]
- 9.Kinchen KS, Sadler J, Fink N, Brookmeyer R, Klag MJ, Levey AS, et al. The timing of specialist evaluation in chronic kidney disease and mortality. Ann Intern Med. 2002 Sep 17;137(6):479–86. doi: 10.7326/0003-4819-137-6-200209170-00007. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 10.Marcelli D, Stannard D, Conte F, Held PJ, Locatelli F, Port FK. ESRD patient mortality with adjustment for comorbid conditions in Lombardy (Italy) vs the United States. Kidney Int. 1996 Sep;50(3):1013–8. doi: 10.1038/ki.1996.403. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 11.Kessler M, Frimat L, Panescu V, Briançon S. Impact of nephrology referral on early and midterm outcomes in ESRD: épidémiologie de l’insuffisance rénale chronique terminale en Lorraine (EPIREL): results of a 2 year, prospective, community Based Study. Am J Kidney Dis. 2003 Sep;42(3):474–85. doi: 10.1016/s0272-6386(03)00805-9. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 12.Winkelmayer WC, Owen WF, Jr, Levin R, Avorn J. A propensity analysis of late vs early nephrologist referral and mortality on dialysis. J Am Soc Nephrol. 2003 Feb;14(2):486–92. doi: 10.1097/01.asn.0000046047.66958.c3. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 13.Goransson LG, Bergrem H. Consequences of late referral of patients with end-stage renal disease. J Intern Med. 2001 Aug;250(2):154–9. doi: 10.1046/j.1365-2796.2001.00869.x. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 14.Jungers P, Skhiri H, Zingraff J, Muller S, Fumeron C, Giatras I, et al. Bénéfices d’une prise en charge néphrologique précoce de l’insuffisance rénale chronique. Presse Med. 1997 Dec;26(40 Pt 2):2–5. [PubMed] [Google Scholar]
- 15.Locatelli F, Aljama P, Bárány P, Canaud B, Carrera F, et al. Revised European Best Practice Guidelines for the management of anaemia in patients with chronic renal failure. Nephrol Dial Transplant. 2004 May;19(Suppl 2):ii1–47. doi: 10.1093/ndt/gfh1032. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 16.Thilly N, Stengel B, Boini S, Villar E, Couchoud C, Frimat L. Evaluation and determinants of underprescription of erythropoiesis stimulating agents in pre-dialysis patients with anaemia. Nephron Clin Pract. 2008;108(1):67–74. doi: 10.1159/000112914. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 17.Ritz E. Managing anaemia and diabetes: a future challenge for nephrologists. Nephrol Dial Transplant. 2005 Jun;20(Suppl 6):vi21–5. doi: 10.1093/ndt/gfh1093. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 18.Malovrh M. Vascular access for hemodialysis: arteriovenous fistula. Ther Apher Dial. 2005 Jun;9(3):214–7. doi: 10.1111/j.1774-9987.2005.00257.x. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 19.Meerarani P, Badimon JJ, Zias E, Fuster V, Moreno PR. Metabolic syndrome and diabetic atherothrombosis: implications in vascular complications. Curr Mol Med. 2006 Aug;6(5):501–14. doi: 10.2174/156652406778018680. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 20.Huijbregts HJ, Blankestijn PJ. Dialysis access--guidelines for current practice. Eur J Vasc Endovasc Surg. 2006 Mar;31(3):284–7. doi: 10.1016/j.ejvs.2005.12.004. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 21.Branger B, Granolleras C, Dauzat M, Picard E, et al. Fréquence des thromboses des fistules artério-veineuses pour hémodialyse: apport de deux méthodes de surveillance le Doppler et la dilution des ultrasons. Néphrologie. 2004;25(1):17–22. [PubMed] [Google Scholar]