Abstract
Objectifs
l’augmentation du taux de personnes qui connaissent leur statut VIH est un impératif, notamment en Afrique subsaharienne, ce qui impose d’évaluer les stratégies utilisées pour accroître la fréquentation des services de dépistage. Cet article vise à faire le bilan de la pertinence, de la faisabilité et de l’efficacité des campagnes nationales de dépistagemenées entre 2006 et 2010 au Burkina Faso.
Méthodologie
une analyse de toutes les données de fréquentation du conseil dépistage sur cette période a été faite, couplée à des entretiens avec les principaux acteurs intervenant dans le dépistage.
Résultats
les résultats montrent que les huit campagnes de dépistage organisées sur la période ont permis à 487 727 personnes de faire leur test VIH. Ce nombre représente 50 % du nombre total de personnes ayant fait leur test et contribue à hauteur de 24,6 % au dépistage des personnes séropositives identifiées au cours de cette période. Les campagnes ont touché des populations difficiles à atteindre (en particulier les jeunes), à un coût moindre.
Conclusions
cette stratégie est donc pertinente pour identifier les personnes VIH+. Son intérêt pour la prévention, important selon les soignants et au vu des populations jeunes qui y participent, devrait être mesuré par des études complémentaires. Les campagnes sont efficaces et coût-efficaces même dans un pays de niveau de prévalence faible. Ces résultats soulignent l’intérêt de la synergie entre les associations et les services de santé dans l’offre de services de conseil et dépistage.
Keywords: conseil dépistage VIH, campagne, accès universel, Burkina Faso
Abstract
Objectives
Increasing the rate of people who know their HIV status is imperative, particularly in sub Saharan Africa, and this requires an assessment of strategies for increasing the utilization of testing services. This article discusses the relevance, feasibility, and effectiveness of national screening campaigns conducted between 2006 and 2010 in Burkina Faso.
Methodology
An analysis of all data regarding testing uptake from 2006 to 2010 was conducted, along with interviews of key participants in the process.
Results
The results show that the 8 screening campaigns led to HIV testing of 487,727 people, that is, 50% of the total number of people tested and 24.6 % of HIV+ people diagnosed during this period. Campaigns succeeded in testing populations that are difficult to reach (especially young people), at a low cost.
Conclusions
This strategy is relevant and useful for identifying HIV+ people. Its utility for HIV prevention campaigns requires further study. Campaigns are effective and cost-effective even in this country with a low disease prevalence. These results underline the importance of the synergy between community-based organizations and health services in the provision of counseling and testing.
Keywords: HIV counseling and testing, campaigns, universal access, Burkina Faso
Très tôt, le conseil dépistage a été reconnu comme la porte d’accès aux services de prévention et de prise en charge du sida [1]. Des normes et des politiques définies au niveau international ont été adoptées par les pays et adaptées à leurs contextes pour promouvoir, réglementer et assurer un meilleur suivi du développement des services de conseil dépistage [2]. Alors que seulement 10 % des adultes en Afrique subsaharienne étaient informés de leur statut VIH [3], l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (Onusida) ont proposé en 2007 des méthodes plus actives pour améliorer l’accès au dépistage, d’une part en renforçant le rôle des prestataires dans les services de soins et d’autre part en développant les interventions dans la communauté [4]. Cette vision prônant un accès universel apparaît comme un défi difficile à relever dans les pays pauvres. Comment passer d’une offre de dépistage quasi inexistante au début des années deux mille à une accessibilité du test de dépistage et du conseil pour 80 % des services de santé, qui figure dans les objectifs de la plupart des plans nationaux ?
De plus, les nouvelles stratégies de « traitement comme prévention » élaborées au cours des deux dernières années imposent un dépistage précoce de l’infection [5], car l’objectif « Zéro transmission » avancé par Onusida ne pourra être atteint qu’en traitant les personnes avant qu’elles soient symptomatiques et en atteignant tous les couples sérodifférents [6]. Ceci impose d’encourager la demande communautaire pour le dépistage et le conseil, en plus d’améliorer l’accès aux services [5, 7]. Les stratégies doivent être acceptables pour les populations, ce qui soulève la question des spécificités culturelles : des stratégies largement pratiquées en Afrique australe, telles que le test à domicile [8], n’ont pas été adoptées en Afrique de l’Ouest. Enfin, les stratégies adressées à la population générale soulèvent des questions d’opportunité lorsque le taux de prévalence du VIH est peu élevé : il pourrait alors être pertinent de ne mener que des actions ciblées.
L’efficacité des campagnes nationales a été suffisamment prouvée sur le plan internationalpour quel’OMS en recommande le principe [5]. Néanmoins, il est urgent d’évaluer en contexte les campagnes qui ont été menées jusqu’à présent, en prenant encompte leur faisabilité, l’accessibilité et l’acceptabilité de l’offre de services, et en considérant leur coût [5]. Ces informations manquent particulièrement à propos des campagnes de dépistage, dont la revue de la littérature montre qu’elles n’ont pas encore été documentées pour les pays francophones d’Afrique de l’Ouest, où les données disponibles au niveau national sont très limitées.
L’objectif de cet article est de contribuer à l’évaluation des stratégies de dépistage en analysant l’expérience du Burkina Faso.
Contexte, matériel et méthodes
Contexte : les campagnes dans l’histoire du conseil dépistage volontaire au Burkina Faso
La pratique du conseil dépistage volontaire de l’infection à VIH a été introduite au Burkina Faso en 1994 et a longtemps été assurée exclusivement par des associations de lutte contre le sida. Après l’expérience de quelques associations à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, les deux principales villes du pays, les activités ont pris de l’ampleur en 2001, avec l’ouverture du premier centre de dépistage au sein d’une structure sanitaire publique. Le nombre des sites de dépistage s’est accru, pour atteindre 116 en 2006, avec deux caractéristiques majeures :
une forte concentration dans les deux principales villes du pays,
une prédominance du modèle de centre de dépistage intégré dans les formations sanitaires (70 %) [9].
En 2007, le ministère de la Santé lançait son plan d’accès universel enmatière de conseil-dépistage, privilégiant l’extension de l’offre dans les formations sanitaires. L’activité de conseil-dépistage est cependant restée dominée par les associations de lutte contre le sida qui, bien que représentant 30 % des centres, assuraient le dépistage de 92 % des personnes testées en 2007 [10] ; les sites des formations sanitaires pratiquent les tests plutôt dans un contexte de diagnostic. Pour ce pays de 17 millions d’habitants [11], qui vivent majoritairement en zone rurale et où la prévalence du VIH est estimée à 1,6 % [12], il était évident que l’accès universel ne serait pas obtenu par la simple extension des services ; de nouvelles stratégies devaient être utilisées. L’organisation de campagnes nationales de conseil dépistage du VIH a été proposée par le Programme d’appui au monde associatif et communautaire (Pamac). Cette stratégie est complémentaire aux deux stratégies utilisées dans le dispositif communautaire : la stratégie fixe (le test est réalisé dans le centre de CDV), et la stratégie mobile (une équipe mobile disposant de moyens techniques pour réaliser le test va dans les populations en zone rurale, ou dans des groupes sociaux particuliers).
Matériel et méthodes
Une collecte exhaustive des informations concernant les activités de conseil dépistage a été menée pour toutes les stratégies sur le plan national entre 2006 et 2010 dans le cadre du suivi-évaluation du programme. Dans le cadre de cette étude, tous les rapports annuels de dépistage, les évaluations, et les comptes rendus des réunions sur le dépistage ont été exploités [13–18].
De plus, des données propres aux campagnes de dépistage recueillies en 2009–2010 au travers d’un dispositif spécial de collecte des données, saisies sur Access, ont fait l’objet d’analyses spécifiques pour cet article. Ces données concernent la tranche d’âge, le sexe, les motivations pour le dépistage et le statut de chaque personne testée. La pratique du test étant anonyme, il n’était pas possible de repérer les personnes retestées et un individu testé plusieurs fois est compté plusieurs fois dans les données. Le terme « personne testée » est utilisé dans cet article pour rendre visible cette précision.
D’autre part, des entretiens ont été réalisés avec des responsables de campagnes et des personnels du programme d’appui pour préciser leurs perceptions des difficultés et des avantages. Seules les données quantitatives sont analysées ici, les données qualitatives n’étant mentionnées que pour expliquer les résultats.
L’efficacité globale des campagnes a été mesurée au travers du nombre de tests réalisés, qui reflète simultanément l’augmentation de la demande, l’accessibilité et l’acceptabilité de l’offre de services ; leur efficacité spécifique correspond à leur capacité à concerner les populations cibles ; enfin, nous discuterons le rapport coût-efficacité, relativement aux autres stratégies. La comparaison se fera entre les résultats obtenus lors des campagnes et ceux obtenus dans les sites fixes ou dans l’ensemble des stratégies.
Résultats
La stratégie en pratique
Depuis 2003, les campagnes de dépistage sont organisées tous les ans à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida (JMS). Huit campagnes de dépistage ont été organisées entre 2006 et 2010 (deux campagnes en 2006, 2008 et 2009). Plusieurs populations vulnérables et spécifiques ont été choisies comme cibles lors des campagnes : les jeunes scolaires et universitaires, les populations des sites d’orpaillage, les travailleurs du secteur minier, les professionnelles du sexe, les commerçants, les routiers et, à partir de 2009, les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH).
Ces campagnes sont sous l’égide du SP/CNLS-IST et impliquent une coordination nationale, qui rassemble les ministères et les partenaires, et des comités régionaux qui doivent, avec les centres de dépistage, définir les objectifs et programmer les moyens à utiliser (nombre de tests, stratégies globales et spécifiques pour les populations cibles, moyens en personnels, communication), assurer la réalisation, puis documenter les activités réalisées (par la collecte et la transmission des données). La réalisation des campagnes nécessite l’implication de personnes formées et disponibles, qui sont le plus souvent des volontaires issus des associations et secondairement des agents de santé. Pendant les dix jours de la campagne, ces personnes reçoivent une indemnité pour les repas (les services sont continus du matin au soir) et les déplacements en dehors de leurs localités.
Les résultats obtenus en termes de dépistage
Nombre et profil des personnes testées
Au total, 487 727 « personnes testées » l’ont été entre 2006 et 2010 grâce aux campagnes de dépistage. Sur l’ensemble des résultats des campagnes, 34,4 % des personnes testées sont issues de populations identifiées comme spécifiques : 44,5 % d’entre elles sont des élèves/étudiants, 23 % des travailleurs du secteur minier, 22,3 % des professionnelles du sexe, 6,7 % des commerçants, 3,1 % des routiers et 0,3 % des HSH (tableau 1).
Tableau 1.
Nombre de personnes testées et profil des populations lors des campagnes par année (2006–2010)
| Années | Population générale testée lors des campagnes | Populations spécifiques testées lors des campagnes | Total |
|---|---|---|---|
| Année 2006 | 62 488 (51,6 %) | 58 702 (48,4%) | 121 190 |
| Année 2007 | 47 589 (86,8%) | 7 228 (13,2%) | 54 817 |
| Année 2008 | 63 809 (64,5%) | 35 058 (35,5%) | 98 867 |
| Année 2009 | 88 107 (60,4%) | 57 827 (39, 6%) | 145 934 |
| Année 2010 | 57 835 (86,3%) | 9 084 (13,7%) | 66 919 |
| Total | 319 828 (65,6 %) | 167 899 (34,4 %) | 487 727 |
Répartitions par sexe et âge des personnes testées
La répartition par sexe en 2009–2010 indique que 52 % des personnes testées lors des campagnes sont des femmes. Pour la même période, davantage de femmes sont testées dans les sites fixes (57 %) et les femmes sont en nombre équivalent aux hommes dans les stratégies mobiles. Sur l’ensemble des stratégies, les femmes sont significativement plus nombreuses parmi les personnes testées (53 %) (P < 0,001) (tableau 2).
Tableau 2.
Répartition des personnes testées par sexe et par stratégie (2009–2010)
| Stratégie de dépistage | Femmes | Hommes | Total | Test de Chi-carré |
|---|---|---|---|---|
| Stratégie fixe | 78 773 (56,5 %) | 60 595 (43,5 %) | 139 368 | P < 0,001 |
| Stratégies mobiles | 46 884 (49,6 %) | 47 653 (50,4 %) | 94 537 | |
| Campagnes | 111 311 (52,3 %) | 101 542 (47,7 %) | 212 853 | |
| Total | 236 968 (53 %) | 209 790 (47 %) | 446 758 |
La répartition par âge montre que les jeunes de 15–24 ans sont en proportions plus importantes pendant les campagnes (49 %) que dans les sites fixes (35 %) ou dans les stratégies mobiles (38 %). Les campagnes. touchent significativement plus de jeunes de 15–24 ans que les autres stratégies (P < 0,001) (tableau 3).
Tableau 3.
Répartition des personnes testées par âge et par stratégie (2009–2010)
| Stratégies de dépistage | Moins de 15 ans | 15–24 ans | 25 ans et plus | Total | Test de Chi-carré |
|---|---|---|---|---|---|
| Stratégie fixe | 4 342 (3,1 %) | 48 303 (34,6 %) | 86 723 (62,2 %) | 139 368 | P < 0,001 |
| Stratégies mobiles | 5 992 (6,3 %) | 35 741 (37,8 %) | 52 804 (55,8 %) | 94 537 | |
| Campagnes | 5 415 (2,5 %) | 104 777 (49,3 %) | 102 661 (48,2 %) | 212 853 | |
| Total | 15 749 (3,5 %) | 188 821 (42,3%) | 242 188 (54,2%) | 446 758 |
Contribution des campagnes en termes de nombre de personnes testées
L’analyse des données toutes stratégies confondues montre que de 2006 à 2010, les trois stratégies (fixe, mobile, et campagnes) ont permis d’offrir le dépistage à 973 883 personnes testées. Le tableau 4 montre que la proportion des personnes testées pendant les campagnes par rapport au nombre total de personnes testées varie selon les années : entre 65,8 %en 2006 et 38,7 % en 2010. Les personnes testées lors des campagnes représentent 50 % de l’ensemble des personnes testées entre 2006 et 2010.
Tableau 4.
Nombre de personnes testées au total et pendant les campagnes (2006 à 2010)
| Années | Nombre total de personnes testées | Nombre de personnes testées lors des campagnes | Test de Chi-carré |
|---|---|---|---|
| Année 2006 | 184 240 | 121 190 (65,8%) | |
| Année 2007 | 141 065 | 54 817 (38,8%) | P < 0,001 |
| Année 2008 | 201 820 | 98 867 (49%) | |
| Année 2009 | 274 034 | 145 934 (53,2%) | |
| Année 2010 | 172 724 | 66 919 (38,7%) | |
| Total | 973 883 | 487 727 (50,1 %) |
Les résultats obtenus en termes d’identification des personnes VIH+
Nombre de personnes testées dépistées séropositives
Le nombre de personnes testées séropositives pendant les campagnes sur la période de 2006 à 2010 est de 8 943. Le tableau 5 présente la répartition des personnes testées dépistées VIH+ par année et selon que le dépistage a eu lieu pendant ou en dehors des campagnes.
Tableau 5.
Contribution des campagnes à l’identification de personnes séropositives, 2006–2010
| Années | Nombre total de personnes dépistées séropositives | Nombre de séropositifs pendant les campagnes | Contribution des campagnes au dépistage des personnes séropositives |
|---|---|---|---|
| 2006 | 7 638 | 2 516 | 32,9 % |
| 2007 | 7 664 | 1 451 | 18,9 % |
| 2008 | 7 174 | 1 866 | 26 % |
| 2009 | 7 848 | 2 247 | 28,6 % |
| 2010 | 6 051 | 863 | 14,3 % |
| Total | 36 375 | 8 943 | 24,6 % |
Les campagnes de dépistage ont contribué à hauteur de 24,6 % au dépistage de l’ensemble des personnes testées séropositives sur la période de cinq ans. Selon le tableau 6, parmi les personnes testées séropositives, celles de 15–24 ans étaient significativement plus nombreuses lors des campagnes (21,2 %) que dans les sites fixes (11 %) et dans les sites mobiles (19 %) avec une différence statistiquement significative (P < 0,001)
Tableau 6.
Répartition des résultats positifs par tranche d’âge et par stratégie en 2009–2010
| Adultes | 15–24 ans | Moins de 15 ans | Total | Test de Chi 2 | |
|---|---|---|---|---|---|
| Stratégie fixe | 8 307 (85 %) | 1 096 (11 %) | 339 (3 %) | 9 742 | P < 0,001 |
| stratégie mobile | 811 (77,5 %) | 200 (19,1 %) | 36 (3,4 %) | 1 047 | |
| campagnes | 2 409(77,5%) | 660 (21,2%) | 41 (1,3%) | 3 110 | |
| Total | 11 527 (82,9 %) | 1 956 (14,1 %) | 416 (3 %) | 13 899 |
Les résultats en termes de coût
Entre 2006 et 2010, les budgets des campagnes ont représenté entre 15 et 25 %, selon les années, des budgets consacrés aux activités de dépistage toutes stratégies confondues (tableau 7).
Tableau 7.
Coû t unitaire du test positif en 2010 selon la stratégie (Euros)
| Stratégie | Coû t du kit | Coû t de mise en œuvre | Total | Nb tests VIH+ | Coû t par test VIH+ |
|---|---|---|---|---|---|
| Fixe | 125 815 | 324 076 | 449 891 | 24 410 | 18 |
| Mobile | 57 582 | 92 769 | 150 531 | 3 022 | 50 |
| Campagne | 115 994 | 116 756 | 232 750 | 8 710 | 27 |
| Total | 299 390 | 533 601 | 832 992 | 36 150 | 23 |
Le montant du coût par test de résultat positif, calculé en incluant les réactifs, les frais de fonctionnement et les défraiements des personnels est, en 2010, de 27 €, soit un coût intermédiaire entre celui de la stratégie fixe dans un site de dépistage et conseil (18 €) et celui correspondant à la stratégie mobile (50 €).
Discussion
Limites de l’étude
Les données recueillies concernant les caractéristiques des personnes testées sont limitées à deux niveaux : le nombre des variables explorées est réduit, et les informations concernant les personnes sont recueillies à chaque test pratiqué, c’est-à-dire qu’une personne testée plusieurs fois apparaît plusieurs fois dans l’analyse des caractéristiques des personnes testées. La première limite est la conséquence des difficultés que pose le recueil des données au cours d’une activité de santé publique, réalisée sur l’ensemble du territoire dans des sites très divers. La seconde limite est usuelle dans ce type d’étude, et est liée notamment aux précautions éthiques d’anonymat en vigueur pour le VIH.
Intérêt de l’étude
Cette étude est la première à documenter l’expérience des campagnes nationales de dépistage au Burkina Faso, et la seule publiée à notre connaissance dans un pays francophone d’Afrique de l’Ouest. Ces résultats sont importants en l’absence de données publiées sur le dépistage au niveau national. Les évaluations de campagnes publiées concernent des pays de prévalence élevée, impliquant des moyens financiers importants et des stratégies différentes. Il y a peu d’éléments communs entre la campagne nationale de 2010–2011 en Afrique du Sud, la plus ambitieuse jusqu’à présent, visant 15 millions de personnes et qui a mobilisé de nombreux secteurs [5], celle menée au Kenya, à plus petite échelle, qui combinait le dépistage du VIH avec des interventions pour d’autres pathologies [19], et celles menées au Burkina Faso. Les résultats de cette étude permettent d’ouvrir la discussion sur la portée des campagnes dans un pays de prévalence faible, où l’accès géographique aux structures médicales, pour la réalisation d’un dépistage, présente des difficultés pour les populations à forte composante rurale.
La faisabilité de l’organisation des campagnes
Alors que dans d’autres pays les campagnes ont été gérées de manière verticale ou par une institution unique [19, 20], les responsables burkinabés ont préféré mettre en synergie différents acteurs de lutte contre le sida, à partir d’une initiative communautaire. En impliquant dans ce processus les associations, les organisations des groupes ciblés, les centres de prise en charge médicale et communautaire ainsi que les décideurs à tous les niveaux du système de santé, les campagnes menées au Burkina Faso ont constitué un champ expérimental de l’approche multisectorielle. La mise à disposition de ressources spécifiques a permis le ciblage des secteurs de l’éducation et des mines, et cela a révélé le rôle déterminant de ces ministères pour atteindre les populations concernées ; ceci a renforcé l’implication de ces institutions et favorisé leur participation, croissante au fil des années. Les principales difficultés rapportées concernent l’approvisionnement en intrants (tests et réactifs), qui a été insuffisant pour répondre à la demande, et l’absence d’estimations fiables des effectifs de certains groupes ciblés (professionnels du sexe, HSH, orpailleurs…) qui permettraient une meilleure planification des interventions.
L’efficacité des campagnes
Le recours des populations au conseil-dépistage et l’augmentation du nombre de personnes connaissant leur statut VIH
La durée de chaque campagne étant de dix jours ouvrables, on peut estimer qu’en seulement quatre-vingts jours, les huit campagnes ont permis le dépistage d’autant de personnes que les autres méthodes sur cinq années. De même, plusieurs campagnes organisées dans la sous-région (Guinée Bissau, Niger, Cameroun, Bénin, Togo), selon un mode d’organisation similaire, ont permis d’obtenir en cinq à dix jours l’équivalent de plusieurs mois de travail des centres de dépistage de référence. Les variations d’une année à l’autre, concernant le nombre de personnes dépistées lors des campagnes, sont essentiellement liées au montant des financements mobilisés pour chaque année. En 2006, 2008 et 2009, les financements obtenus ont permis d’organiser deux campagnes au cours de l’année : une campagne au cours de la JMS et une autre à des dates variables en fonction du type de population ciblée. La fréquentation élevée des sites de dépistage montre que les campagnes permettent de limiter l’effet des obstacles habituels tels que le coût des transports, la stigmatisation ou la perception de ne pas être concerné [19] ; de plus, elle reflète l’impact de la gratuité totale du test, et un effet « d’entraînement » que décrivent les acteurs interviewés, ce qui a également été attesté par une enquête quantitative et qualitative auprès des consultants [21].
Le ciblage des populations les plus à risque
Un des avantages de la stratégie de campagne est que l’on peut cibler une ou plusieurs catégories de populations selon des critères précis, et adapter l’approche en conséquence. Au Burkina Faso, les campagnes ont d’abord été conçues pour faire la promotion du dépistage, sans ciblage particulier, afin d’accroître la prise de conscience de la nécessité pour chacun de connaître son statut sérologique. Ceci explique sans doute que le nombre de personnes testées séropositives (24,6 %) ait été plus faible que dans les autres stratégies de dépistage. Il est difficile d’évaluer la performance spécifique des campagnes en termes de dépistage des personnes des populations cibles, car les centres fixes les dépistent aussi, mais sans qu’il soit possible de le documenter. Enfin, il convient de préciser que les sites fixes restent utilisés pour des tests de diagnostic, quand les structures sanitaires sont en ruptures de réactifs ou d’intrants, ce qui a pour conséquence des taux de séropositivité élevés pour ces sites, qui reflètent non seulement l’activité de dépistage mais aussi celle des tests réalisés sur prescription diagnostique. Les campagnes semblent particulièrement efficaces pour dépister des jeunes de 15–24 ans séropositifs, qui y sont en proportion deux fois supérieure aux sites fixes.
Le retesting
L’attractivité des campagnes peut conduire des personnes à se faire dépister plusieurs fois (retesting, selon la terminologie OMS). Les données de cette étude ne permettent pas de préciser si le retesting est plus fréquent pendant les campagnes que dans les sites fixes. Néanmoins, l’étude Match, réalisée sur la base d’entretiens auprès de personnes testées dans divers sites au Burkina Faso, a montré que le taux de personnes qui effectuaient leur premier test était de 45,7 % dans les sites fixes et de 39,5 % pendant les campagnes [21]. Les recommandations internationales sont en faveur de la réalisation d’un test en cas d’exposition au risque, et le taux de retesting n’est pas, pour l’OMS, un critère péjoratif dans l’évaluation des stratégies [6]. D’autre part, l’étude a été menée alors que les recommandations nationales suggéraient la pratique d’un deuxième test au bout de trois mois pour tenir compte de la fenêtre de séroconversion. Ces « tests de confirmation », diversement prescrits par les conseillers et agents de santé, pourraient expliquer une partie des pratiques de retesting.
La fréquentation des jeunes et son évaluation
Les campagnes dépistent deux fois moins de personnes testées séropositives que les autres stratégies ; la population testée est aussi plus jeune, et les élèves et étudiants représentent une part importante des personnes testées (15 %). Des études complémentaires seraient nécessaires pour comprendre le rôle que jouent les enseignants à ce propos, et ce qui motive particulièrement les jeunes pendant les campagnes. Pour cette population, particulièrement, on peut penser que l’efficacité des dispositifs de dépistage ne se réduit pas à la seule identification des personnes séropositives : le conseil et le dépistage qui accompagnent sont aussi des interventions utiles pour la prévention [1, 2]. Le conseil individuel permet de personnaliser les messages, et la pratique d’un test, avec sa période d’incertitude, a une dimension pédagogique documentée. La valeur informative et préventive que le dépistage et le conseil réalisés au début de leur vie sexuelle représentent pour les jeunes apparaît importante aux acteurs interrogés. Des études complémentaires utilisant des outils adaptés (par exemple des entretiens menés auprès des jeunes) seraient nécessaires pour appréhender l’efficacité des campagnes en termes de prévention.
Le rapport entre coût et efficacité
Les campagnes ont dépisté 50 % de l’ensemble des personnes testées en 2006–2010, en consommant au maximum 25 % des budgets annuels de dépistage. Le coût unitaire des tests dépistés positifs (en prenant en compte les intrants et les frais d’organisation et de fonctionnement) est légèrement supérieur au coût moyen pour l’ensemble des stratégies.
L’inscription dans le système de soins
Les campagnes ne fragilisent pas les centres de dépistage : à l’inverse, les sites connaissent une affluence qui perdure après la fin des campagnes. Néanmoins, le dépistage d’un nombre important de personnes séropositives « éparpillées » sur l’ensemble du territoire semble poser un problème de suivi sur le plan national. L’implication des services de prise en charge dès le début de l’organisation permet d’offrir une possibilité de recours au système de soins au niveau local pour les personnes dépistées séropositives. Cependant, il est difficile d’évaluer l’efficacité de la référence et de vérifier la continuité des soins, notamment lorsque des personnes nouvellement dépistées s’adressent au secteur privé. Pour être optimales, les campagnes nécessiteraient de meilleures performances des instances nationales en termes de planification en santé publique, surtout concernant les estimations des effectifs des populations cibles et l’approvisionnement en intrants.
Conclusion et recommandations
L’expérience du Burkina Faso montre que les campagnes de dépistage sont faisables, sous condition de moyens financiers et d’une bonne collaboration entre acteurs. Elles sont bien acceptées par diverses populations, et contribuent pour une part importante à l’offre de dépistage puisqu’elles dépistent la moitié des personnes et identifient le quart des personnes dépistées séropositives sur plan national. Elles sont également coût-efficaces puisqu’elles ne représentent qu’au maximum 25 % des budgets consacrés aux activités de dépistage. De plus, elles permettent d’accroître la prise de conscience et d’améliorer l’accès au dépistage de la population générale ou de mieux cibler et atteindre des populations clés. Ces résultats performants sont cependant conditionnés par un mode d’organisation rigoureux du processus de campagne, qui n’a pu être obtenu au Burkina Faso que par une synergie entre acteurs de la lutte contre le sida et un soutien organisationnel et financier. L’efficacité des campagnes pourrait être accrue par la combinaison d’objectifs concernant d’autres pathologies, comme dans des pays d’Afrique australe. Les autorités auront la charge de mobiliser des ressources nécessaires pour leur organisation à l’échelle nationale.
Footnotes
Conflits d’intérêt : aucun.
Références
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