Résumé
L’éjaculation précoce est une dysfonction sexuelle très fréquente, caractérisée par la perte de contrôle de l’éjaculation, qui entraîne une anxiété de performance et, par conséquent, une altération de la qualité de vie des patients et de leur partenaire. Son étiopathogénie est multifactorielle et sujette à controverse. L’approche thérapeutique reste difficile malgré les divers traitements possibles.
Introduction
L’éjaculation précoce (EP) est le trouble sexuel le plus répandu chez l’homme. Elle touche de 5 % à 40 % des hommes sexuellement actifs, avec des variations en fonction de l’âge1,2. L’éjaculation rapide ou précoce reste mal comprise et souvent négligée par le praticien. Elle induit des problèmes qui affectent non seulement le patient et sa qualité de vie, mais aussi sa partenaire et sa relation de couple1,3.
Définition
La définition pose problème, meme si tout le monde s’accorde à considérer l’éjaculation ante portas ou simultanée à l’intromission comme pathologique. Plusieurs définitions de l’EP sont utilisées dans la littérature1,4. Certains auteurs considèrent comme pathologique une éjaculation survenant d’une à sept minutes après la pénétration. D’autres définissent l’EP par rapport au nombre de poussées du pénis en érection, considérant que 15 mouvements ou moins constituent une EP1,3. Une autre définition est l’incapacité à retenir volontairement son éjaculation avant l’orgasme de sa partenaire dans au moins 50 % des rapports sexuels. Il n’y a jamais eu consensus sur une définition appropriée de l’éjaculation précoce en raison de conflits entre les approches psychologiques et médicales. L’EP peut apparaître dès le début de la vie sexuelle du patient (EP primaire) ou survenir après une période asymptomatique (EP secondaire). Elle peut être constante, quels que soient la partenaire et le contexte, ou relative. Enfin, l’EP peut être simple, isolée ou complexe (c’est-à-dire associée à une autre dysfonction sexuelle)1,4,5.
Éthiopathogénie
Mécanisme psychorelationnel
La majorité des hommes qui souffrent d’EP ont une personnalité équilibrée, même si cette dysfonction peut induire de l’anxiété et des réactions dépressives6. Un courant comportementaliste7 qui privilégie le rôle du conditionnement met l’accent sur l’importance des premières expériences sexuelles favorisant l’EP : rapports avec des prostituées, crainte d’être surpris ou pratique du coït interrompu.
L’anxiété est à la base des hypothèses qui apportent une explication circulaire à ce trouble. D’une part, elle provoque une éjaculation prématurée par anesthésie des sensations pré-éjaculatoires6 et activation du système orthosympathique7. D’autre part, l’EP induit une angoisse de performance avec anticipation anxieuse de l’échec. Ici, cause et conséquence se renforcent mutuellement : cette dysfonction est favorisée par une conjointe hostile ou « castratrice » et induit de la frustration et des reproches mutuels8.
Ces mécanismes de renforcement et leurs intrications conjugales doivent être pris en compte dans l’approche thérapeutique. Le modèle cognitif adapte la théorie de l’apprentissage social9 à l’acquisition et au maintien de cette problématique sexuelle10. Les éjaculateurs précoces sont sensiblement plus nombreux à être habités par des croyances erronées (« je suis le seul responsable de la satisfaction sexuelle de ma partenaire », « toute interaction sexuelle doit se conclure par un coït », « l’excitation sexuelle masculine est incontrôlable, elle croît inéluctablement et ne peut se terminer que par une éjaculation ») et des pensées négatives (« je suis incapable de maîtriser mon éjaculation », ma partenaire est déçue même si elle m’affirme le contraire »). Une pédagogie cognitive aura donc sa place dans le versant thérapeutique.
Mécanisme hormonal
Il a été démontré que les patients souffrant d’hyperthyroïdie sont plus à risque d’EP que les autres. Cette EP est réversible et régresse une fois l’euthyroïdie atteinte6. Le mécanisme d’action des hormones thyroïdiennes sur l’éjaculation est inconnu. Il semble qu’elles augmentent la sensibilité des récepteurs β-adrénergiques en en accroissant la densité et en augmentant le tonus sympathique malgré des taux de catécholamines normaux1–3.
Mécanisme andrologique
L’EP et la dysfonction érectile créent un cercle vicieux où l’homme qui essaie de maîtriser son éjaculation diminue son niveau d’excitation, ce qui peut se solder par une dysfonction érectile, et celui qui essaie d’obtenir une meilleure érection tente d’augmenter son excitation, ce qui peut provoquer une EP11,12.
Mécanisme neurobiologique
Waldinger défend l’idée que l’EP ne serait pas un problème psychologique, mais neurobiologique, et résulterait en réalité d’une hypoactivité chronique du système sérotoninergique. Ce dernier est un suppresseur du réflexe éjaculatoire par contrôle central13,14. Rares sont les neuropathies périphériques qui accentuent les contractions cloniques des fibres musculaires striées de l’appareil génital mâle. On retiendra toutefois la sclérose en plaques, le spina-bifida et les tumeurs de la moelle épinière.
Mécanisme urologique
La prévalence accrue de la prostatite chronique parmi les éjaculateurs précoces par rapport aux autres hommes du même âge laisse supposer que l’inflammation de la prostate joue un rôle dans l’étiopathogénie de l’EP7.
Traitement
La prise en charge de l’EP nécessite souvent plusieurs essais avant de trouver le traitement le plus efficace dont les effets indésirables sont, si possible, les plus tolérables2,3. Les causes organiques doivent être traitées de façon spécifique.
Inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 (IPDE5)
Ces molécules utilisées dans le traitement de la dysfonction érectile ont également une action spécifique possible sur l’éjaculation, selon une étude ayant mis en évidence la présence d’IPDE5 dans le canal déférent15,16. Comme les IPDE5 réduisent la période réfractaire, ils permettent un second rapport sexuel, d’une durée généralement plus longue, en cas d’éjaculation précoce15,16.
Traitement sérotoninergique
Des études comparatives ont confirmé l’efficacité du traitement quotidien par des antidépresseurs sérotoninergiques comme la paroxétine, la sertraline, la clomipramine et la fluoxétine. Une méta-analyse17 a démontré que, de tous les antidépresseurs, la paroxétine est celui qui retarde le plus l’éjaculation, et de loin.
Le traitement quotidien est généralement un moyen très efficace de retarder l’éjaculation et est actuellement l’un des meilleurs moyens de traiter l’EP primaire. L’un des avantages de cette stratégie est que, contrairement au traitement à la demande, elle n’interfère pas avec la spontanéité des rapports sexuels. Généralement après d’une à deux semaines, l’homme est capable de retarder l’éjaculation lors de tous ses rapports sexuels. Le médicament doit être pris de quatre à six heures avant le rapport sexuel.
Récemment, la dapoxétine, un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS, ou SSRI en anglais) ayant une courte demi-vie, a été mis au point spécialement pour le traitement à la demande de l’EP (prise d’une à deux heures avant le coït)18. L’avantage de la dapoxétine par rapport aux autres SSRI est la courte durée qui s’écoule entre la prise du médicament et l’effet clinique. Toutefois, comme son efficacité à retarder l’éjaculation est inférieure à celle des SSRI à prise quotidienne (qui sont trois fois plus efficaces), il semble qu’elle soit probablement moins indiquée pour les hommes ayant un très court délai d’éjaculation intravaginale.
Anesthésiques topiques
D’autres traitements à la demande (prise de 15 à 20 minutes avant le coït) ont été mis au point, dont des anesthésiques à base de lidocaïne ou de prilocaïne (ou les deux) offerts en aérosol ou en onguent topique19,20. Même s’il s’agit du traitement médical le plus ancien, seulement quelques études ont été menées pour en démontrer l’efficacité.
Traitement comportemental
Ce type de prise en charge se fonde sur le principe d’une activité sexuelle volontairement interrompue, avant la survenue de l’anxiété de performance. En raison d’un sérieux manque de preuves documentées appuyant les différentes stratégies thérapeutiques de nature psychologique, la psychothérapie – en particulier les techniques « arrêt-départ » et dites de « compression » – ne devrait plus être conseillée aux hommes souffrant d’EP21. De plus, ces traitements exigent la participation de la partenaire, ce qui représente une limite pour les hommes n’étant pas en couple, et posent donc problème aux plus jeunes patients.
Conclusion
L’éjaculation précoce est un trouble sous-diagnostiqué qui nécessite une prise en charge plus active, compte tenu des conséquences sur la qualité de vie des patients. Cette prise en charge fait appel à des traitements dont l’efficacité est variable, aucun ne faisant l’unanimité à ce jour.
Footnotes
Competing interests: The authors declare no competing financial or personal interests.
This paper has been peer-reviewed.
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