En 2010, Dr Sadok Besrour, médecin de famille affilié à l’Université de Montréal au Québec, lançait un défi au Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) : se pencher sur son rôle pour faire avancer la discipline de médecine familiale dans le monde. Offrant sa vision et son soutien, le Dr Besrour a invité le Collège à déterminer s’il avait en fait un tel rôle à jouer et, si oui, la forme que prendrait ce rôle.
Au moment de cette invitation, de nombreux départements universitaires canadiens de médecine de famille (appelés ici départements) participaient à des partenariats internationaux pour soutenir le développement de la médecine familiale dans divers pays, et le travail d’un nombre croissant de médecins de famille faisait déjà rayonner la discipline dans le domaine de la santé mondiale. Le CMFC, par l’intermédiaire de son Comité de la santé mondiale, a réagi en proposant une série de trois réunions de consultation annuelles regroupant des intervenants canadiens et internationaux afin de déterminer plus précisément ce qu’on attendait du CMFC dans le contexte mondial.
Cette initiative a mené à la création de la Conférence Besrour, puis du Centre Besrour du CMFC, une plaque tournante pour la collaboration visant à faire progresser la médecine familiale à l’échelle mondiale. Le présent article décrit la planification et les résultats des trois premières Conférences Besrour tenues respectivement en novembre 2012, 2013, et 2014. Il trace le contexte et le fondement d’une série d’articles décrivant le processus et les résultats des conférences, dont le premier est publié dans ce numéro (page 597).1
Raisonnement
Depuis 60 ans, le CMFC fournit une base solide pour la formation et l’exercice de la médecine familiale au Canada. L’immense respect qu’on accorde à la médecine familiale canadienne atteste le succès du CMFC. Le rôle de chef de file national et international en médecine familiale du CMFC, son engagement envers la responsabilité sociale et la qualité de ses membres et leur grand désir d’apprendre par la collaboration ont tous contribué à la volonté du CMFC d’explorer comment il pourrait contribuer à l’avancement de la médecine familiale dans le monde.
La décision du Collège de s’engager était également ancrée dans la reconnaissance de la valeur de la médecine familiale en tant qu’intervention médicale mondiale. En 2008, l’Organisation mondiale de la Santé a reconnu les soins primaires comme un moyen d’améliorer la santé mondiale. Le rapport indique que les soins primaires sont en mesure de « relever plus efficacement et plus rapidement les défis d’un monde en évolution. » 2 En 2013, Michael Kidd, remarquait que même si les médecins de famille jouaient des rôles différents dans divers systèmes de santé, la médecine familiale était essentielle au développement, au fonctionnement et à l’amélioration des systèmes de soins de santé à l’échelle mondiale. 3 Les recherches exhaustives de Barbara Starfield et ses collab. sur les résultats systémiques et biomédicaux de la médecine familiale se sont penchées sur certains résultats, comme l’hospitalisation et les taux de vaccination, et ont fourni des données probantes qui appuient la discipline comme moyen d’améliorer la santé mondiale.4,5 Une recherche plus approfondie de ce domaine est nécessaire, au fur et à mesure que les pays reconnaissent les avantages de la médecine familiale et conçoivent la mise en œuvre de la spécialité dans divers milieux médicaux, culturels et physiques.
Méthodes
Le processus de consultation Besrour s’est déroulé durant trois conférences annuelles consécutives et concurrentes au Forum en médecine familiale du CMFC (FMF), pour permettre aux délégués internationaux d’assister au FMF, de constater la profondeur de l’expertise canadienne dans cette discipline et de leur fournir une occasion de réseautage.
Les participants
Les trois premières Conférences Besrour étaient sur invitation et regroupaient une liste de participants minutieusement choisis. Pour ancrer le processus de consultation dans l’expertise et l’expérience canadiennes, chacun des dix-sept départements a été invité à sélectionner un délégué canadien et un délégué international. Au cours des trois années, les dix-sept départements ont participé aux conférences. Certains départements ont envoyé des délégués additionnels. Les participants canadiens représentaient l’étendue et la profondeur de la discipline au Canada, avec des médecins de milieux ruraux et urbains, des cliniciens, éducateurs et chercheurs, des pionniers et nouveaux diplômés. La plupart des participants canadiens étaient (et sont) engagés dans des partenariats internationaux pour faire progresser la médecine familiale dans un pays particulier.
D’autres experts incluaient des doyens de facultés de médecine canadiennes et internationales, dont trois doyens de facultés de médecine canadiennes, formés comme médecins de famille, ainsi que des doyens des facultés de médecine de Tunisie (Sfax et Tunis), d’Indonésie (Aceh), d’Haïti (Université Quisqueya) et d’Éthiopie (Ad-dis-Abeba). Le président du Conseil canadien des doyens de médecine et le président de la Conférence internationale des doyens et des facultés de médecine d’expression française (CIDMEF) étaient également présents. Outre l’appui de sa direction, la CIDMEF a également souligné la notion de responsabilité sociale des facultés de médecine, qui représente un pilier de la CIDMEF et une question d’une importance capitale pour la formation en médecine familiale. En 2014, Michael Kidd, président de WONCA et ardent défenseur de la médecine familiale, a également participé. Les représentants de la direction de l’American Association of Family Practitioners et du Collège des médecins de famille des Caraïbes étaient aussi présents.
Trente-cinq délégués internationaux ont participé aux conférences sur trois ans, et sept plus d’une fois. La plupart des délégués internationaux étaient des chefs de file de l’enseignement de la médecine de famille et beaucoup ont travaillé à l’établissement de la médecine familiale comme une nouvelle discipline dans leurs pays.
Des représentants de la Banque mondiale et de Santé Canada ont également participé à la conférence de 2014. En plus de présentations formelles, les représentants des deux organisations ont assisté à la conférence de deux jours, en participant avec candeur aux débats et fournissant les perspectives de leurs organisations respectives.
L’encadré 1 résume les pays représentés aux trois premières Conférences Besrour
Encadré 1. Pays participants aux Conférences Besrour, 2012 à 2014.
Les pays suivants étaient représentés aux conférences :
Australie
Brésil
Canada
Îles Caïmans
Chili
Chine
Éthiopie
Guyane
Haïti
Indonésie
Jamaïque
Kenya
Laos
Mali
Népal
Palestine
Tanzanie
Tunisie
Ouganda
États-Unis
Uruguay
Thèmes
Chacune des trois Conférences Besrour était guidée par un thème conçu pour définir plus clairement les résultats escomptés du processus de consultation. Les thèmes ont également ouvert la voie à une réflexion collective pour confirmer le besoin perçu d’une organisation permanente, le Centre Besrour, pour appuyer la vision et les activités connexes mises au point par le processus de consultation.
La première conférence portait sur l’élaboration d’une vision, d’une mission et de priorités stratégiques pour le processus de collaboration émergent. La deuxième conférence portait sur la première priorité stratégique : établir la médecine familiale comme un élément efficace et viable des systèmes de santé. Cette deuxième conférence visait également à déterminer si les participants Besrour pourraient efficacement transformer leurs discussions dynamiques en travaux de collaboration concrets pour faire avancer leur programme mutuel. Cela a été confirmé par la création des groupes de travail Besrour en novembre 2013. Les deux premières conférences Besrour ont testé, précisé et scellé l’engagement de ceux qui s’impliquent directement dans le développement de la médecine familiale. La troisième conférence, tout en continuant le travail déjà entamé, visait également à engager davantage les dirigeants et les décideurs, comme les doyens des facultés de médecine et la Banque mondiale, dans la vision du processus Besrour. Le tableau 1 résume les thèmes des trois premières conférences Besrour.
Tableau 1.
ANNÉE | THÈME |
---|---|
2012 | Renforcer la capacité en médecine familiale dans les pays à faible revenu et les pays à revenu intermédiaire |
2013 | Renforcer les fondations |
2014 | Innover pour passer à l’action : outils et stratégies pour faire progresser la médecine familiale à l’échelle mondiale |
Résultats
Conférence Besrour 2012 : priorités stratégiques
En 2012, la Conférence Besrour a défini une vision, une mission et cinq priorités stratégiques sur lesquelles s’orienterait le travail de collaboration proposé du Centre Besrour. L’encadré 2 résume ces priorités stratégiques.
Encadré 2. Priorités stratégiques Besrour.
Les cinq priorités stratégiques suivantes ont été définies à la première Conférence Besrour en 2012 :
Établir la médecine familiale comme un élément efficace, viable et central des systèmes nationaux de santé
Renforcer la formation continue et soutenir les connaissances des médecins de famille cherchant à fournir un cadre de soins complets, globaux et efficaces qui répond aux besoins de la communauté.
Encourager l’agrément et la certification en médecine familiale dans toute la communauté mondiale
Faciliter un développement efficace de facultés de médecine
Favoriser l’acquisition de connaissances en médecine familiale grâce à des bourses, et mesurer l’impact de la médecine familiale sur la santé
Conférence Besrour 2013 : groupes de travail
En 2013, la Conférence Besrour a mis sur pied quatre groupes de travail (Tableau 2). Trois groupes de travail ont été chargés de mettre au point des outils ou des stratégies pour concrétiser la première priorité stratégique. Un quatrième groupe de travail a créé un atelier pour préparer la faculté de médecine sans programme de médecine de famille à la formation des résidents en médecine familiale là où il n’y avait aucun, ou pas suffisamment, de médecins de famille pour se charger de l’enseignement.
Tableau 2.
ANNÉE | GROUPE DE TRAVAIL | RESPONSABILITÉS |
---|---|---|
2013 | Récits de formation en médecine familiale | Compiler des informations clés sur la mise en place de programmes de formation en médecine familiale basée sur l’expérience des pays partenaires Besrour |
2013 | Plaidoyer pour la médecine de famille, l’engagement communautaire, et l’éthique de partenariats internationaux | Élaborer un cadre de plaidoyer pour le développement de la médecine familiale, visant divers publics clés tels que les décideurs, les doyens des facultés de médecine, les collègues spécialistes ne pratiquant pas la médecine familiale et la population en général Mettre au point une trousse d’outils pour engager la participation de la communauté à l’établissement de la médecine familiale dans divers contextes Mettre au point des outils pour faciliter le développement de partenariats éducatifs internationaux fondés sur des principes éthiques |
2013 | Documents | Produire une série de documents mettant en évidence les principaux enjeux, les leçons apprises et les résultats qui se dégagent des différentes activités de la collaboration Besrour |
2013 | Développement professoral pour les facultés de médecine sans programme de médecine de famille | Mettre au point un atelier pour renforcer la capacité des facultés de médecine sans programme de médecine de famille afin de former les résidents en médecine familiale dans les milieux de médecine familiale émergents |
2014 | Formation médicale continue | Mettre au point des outils et des stratégies pour améliorer les compétences des cliniciens généralistes non formés comme médecins de famille |
Deux autres résultats importants en 2013 : la confirmation du rôle clé des départements universitaires dans le développement de la discipline au niveau mondial et l’importance de comprendre, mesurer, et promouvoir la médecine générale, même en dehors de notre discipline immédiate.
Conférence Besrour 2014 : progrès et orientations futures
La conférence 2014 a donné quatre grands résultats. D’abord, les travaux réalisés par les groupes de travail 2013 ont été présentés. Les réalisations des quatre groupes de travail comprennent une collection de récits sur l’émergence de la formation en médecine familiale dans les différents pays, un plan pour une série de documents et une première ébauche d’un article présentant divers aspects de la réflexion et des activités de la collaboration Besrour, un projet-cadre de plaidoyer pour la médecine familiale mondiale et un atelier de perfectionnement professoral.
Deuxièmement, on a confirmé et ciblé les groupes de travail. L’engagement communautaire a été ajouté parmi les activités du Groupe de travail sur le plaidoyer. Un nouveau groupe a été formé pour examiner la formation médicale continue des médecins généralistes, y compris ceux qui n’ont pas été formés comme médecins de famille, mais qui constituent un important groupe dans les secteurs de soins primaires de nombreux pays.
Troisièmement, cette conférence a proposé la création d’équipes de recherche pour mieux démontrer les effets de la médecine familiale dans l’hémisphère sud selon un processus académique rigoureux.
Enfin, on a obtenu l’approbation et l’engagement décisif des participants Besrour, du CMFC, et du Dr Besrour pour la création du Centre Besrour. Le Centre Besrour, qu’on constitue actuellement en entité juridique entièrement fonctionnelle, sera une plaque tournante pour la collaboration pour soutenir les groupes de travail et de recherche, en créer des nouveaux, appliquer l’expertise existante par l’entremise de consultation et diffuser les résultats des travaux de collaboration dans des publications savantes, dans le site Besrour, et dans les médias.
Discussion
Plusieurs conclusions notables méritent d’être soulignées. L’engagement soutenu des participants Besrour sur trois ans a confirmé la nécessité d’une collaboration internationale pour faire progresser la médecine familiale à l’échelle mondiale. Il indique aussi qu’on donne notre aval au CMFC pour diriger l’initiative. Le travail accompli depuis 2012 montre un niveau appréciable d’alignement et d’engagement de la part du bailleur de fonds, des départements canadiens de médecine de famille, des participants (canadiens et internationaux), et du Collège. Il faudra poursuivre nos efforts pour définir les voies de collaboration qui continuent de répondre aux besoins et aux aspirations des différentes parties prenantes au fur et à mesure que le projet progresse.
Le processus Besrour a mis en lumière la richesse de l’expérience et de l’expertise des médecins de famille canadiens. On a également noté le ferme espoir des médecins de famille canadiens de voir leurs connaissances et leur expérience transformées et incluses dans une discipline mature, qui répond aux divers contextes où elle est pratiquée. Quant aux partenaires internationaux, le processus Besrour a révélé une profonde appréciation des besoins de leurs communautés, une vaste expérience clinique, un engagement envers l’éducation médicale, beaucoup de courage et une détermination remarquable à faire progresser la discipline de médecine familiale pour le bien de leurs communautés.
Les conférences Besrour ont aussi fait face à des défis. Bien que l’avantage de pouvoir travailler en français et en anglais ait été reconnu comme un atout inhérent aux activités du CMFC, y compris les conférences Besrour, obtenir la pleine participation des délégués francophones a été difficile. Le recours à l’interprétation simultanée lors de la conférence et la détermination des participants bilingues d’agir comme traducteurs n’ont pas suffi pour contourner les barrières linguistiques qui ont limité la participation des partenaires aux discussions en petits groupes. On devra redoubler d’efforts pour veiller à ce que tous puissent interagir efficacement avec toute la profondeur que la collaboration Besrour exige.
Pour les groupes de travail, les réunions à travers tous les fuseaux horaires par l’intermédiaire de technologies de télécommunication ont aussi été difficiles. Toutes les plateformes de communication ont comporté des obstacles et il faudra trouver des moyens plus efficaces et fiables pour communiquer et poursuivre le travail du Centre Besrour, un défi que partagent plusieurs intervenants de la santé mondiale.
Outre les barrières linguistiques et technologiques, de petites différences culturelles ont également influencé la participation des partenaires au processus. Il faudra veiller à tenir compte des différences culturelles pour que tous les partenaires puissent pleinement participer à la planification, à la supervision, à la participation et à la diffusion des activités Besrour.
Parmi les résultats positifs du processus de conférence, on note la capacité des participants d’échanger, de réfléchir, de débattre et d’applaudir des idées qui renforcent la médecine familiale. Ce processus itératif et interactif, bien qu’il se prête moins bien à la mesure, est néanmoins indispensable à la réussite du processus Besrour. L’environnement sécuritaire et ouvert créé par des relations de confiance devra être alimenté et protégé au fur et à mesure que le Centre Besrour et les conférences évoluent.
Notre soif de résultats clairs, rapides et mesurables devra être modérée par un engagement égal envers un processus inclusif, itératif, et respectueux des relations, et cela prend du temps.
En nous tournant vers l’avenir, nous constatons que les efforts de collaboration fondamentaux du Centre Besrour devront se poursuivre et s’approfondir. Il faudra faire appel aux principales parties prenantes et motiver et engager leur participation complète et respectueuse, et créer l’environnement qui favorise plutôt que décourage leur participation. Il faudra aussi penser à la façon d’inclure de nouveaux collaborateurs Besrour.
Conclusion
Les Canadiens ont beaucoup à apprendre des partenaires Besrour, et il en incombera aux collaborateurs canadiens de transformer ces leçons en améliorations pour nos propres patients et communautés. Les trois premières conférences Besrour ont créé un processus dynamique et efficace pour établir le fondement du Centre Besrour. En avançant au-delà de cette phase inaugurale, nous puisons de la force dans notre consensus, nous trouvons un but dans la nécessité d’offrir tous les avantages de la médecine familiale au monde entier, et nous nous inspirons de la vision de la santé pour tous.
Footnotes
This article is also in English on page 578.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles sont sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Références
- 1.Ponka D, Woollard R, Arya N, Siedlecki B, Dunikowski L, Redwood-Campbell L, et al. Définir le fondement probatoire de la médecine familiale dans le contexte mondial. Les documents Besrour : une série sur l’état de la médecine familiale dans le monde. Le Médecin de famille canadien. 2015;61:597–600. [Google Scholar]
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