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. 2016 Jan;62(1):24–27. [Article in French]

Pratiquer la responsabilité sociale

De la théorie à l’action

Sandy Buchman 1,, Robert Woollard 2, Ryan Meili 3, Ritika Goel 4
PMCID: PMC4721834

Dans un monde ravagé par l’iniquité, la médecine devrait être considérée comme un travail de justice sociale1.

Dépister la pauvreté2,3. Dispenser des soins de santé aux immigrants non assurés4. Préconiser un programme national d’assurance-médicaments5. Il ne s’agit là que de 3 exemples seulement de façons dont les médecins de famille actualisent présentement la responsabilité sociale au Canada sur les plans individuel, communautaire et global.

La responsabilité sociale est le contrat social qui lie la médecine à la société6. Pour que les soins soient socialement responsables, ils doivent être équitablement accessibles à tous et adaptés aux besoins du patient, de la communauté et de la population. Cette responsabilité exige des plaidoyers par les médecins en tant que porte-parole des populations marginalisées dénonçant les conditions sociales qui contribuent à la maladie, à la souffrance et à la mort. Elle demande la collaboration avec les partenaires et les décideurs pour créer un système de santé véritablement responsable. Elle justifie la recherche en soins primaires qui répond aux besoins perçus et se traduit par des pratiques fondées sur des données probantes et des soins de grande qualité. Elle nécessite une éducation et une formation en médecine dans lesquelles sont incarnées et enseignées la promotion de la santé, la réceptivité communautaire et la prestation de soins de santé répondant aux préoccupations prioritaires de la population desservie7.

Pour les médecins de famille, l’essence de la responsabilité sociale repose sur la réponse aux besoins de notre société en matière de santé, avec toutes les capacités dont nous disposons et de toutes les façons possibles. Dans le cas des médecins de famille et de leurs organisations, cette responsabilité englobe les gestes posés dans le contexte des soins primaires dans le cadre des relations individuelles médecins-patients (plan individuel), les interactions collectives des médecins et des organisations avec les communautés qu’ils desservent (plan communautaire) et les interactions des sociétés avec leurs professions (plan global).

Cet article est le premier d’une série de 4 explorant les moyens d’actualiser la responsabilité sociale à chacun de ces 3 niveaux. C’est une invitation à l’action et un effort de sensibilisation en ce qui a trait à notre responsabilité envers nos patients, les communautés et la société dans son ensemble. Inspirée du cadre stratégique et des recommandations publiés dans Conseil pratique sur les déterminants sociaux de la santé8, la série explore de manière plus approfondie les façons de nous impliquer pour accomplir notre mandat de responsabilité sociale. Elle décrit les activités de base et les obligations de chaque médecin de famille et organisation de médecine familiale pour nous acquitter de notre contrat social avec les patients et les populations que nous desservons.

Les 4 principes comme fondement de la responsabilité sociale

Les compétences et les rôles de la médecine familiale sont exprimés et définis dans les 4 principes et l’arborescence de CanMEDS-Médecine familiale (Figure 1)9. Les racines et le fondement de nos possibilités et de nos obligations sont enchâssés et formulés dans les 4 principes. Exigeant l’excellence de la pratique dans une relation avec un patient ou une population en particulier et fondés sur une obligation envers la communauté, les 4 principes stipulent une obligation de responsabilité sociale. Dans ce contexte, comment pouvons-nous ne pas connaître les besoins propres à nos patients, à nos communautés et à notre société, nous en soucier et y répondre? De fait, la responsabilité sociale est « au cœur de la médecine familiale »10.

Figure 1.

Figure 1.

L’arbre CanMEDS-Médecine familiale

Reproduit du Groupe de travail sur la révision du Cursus.9

La responsabilité et les perspectives uniques de la médecine familiale

La médecine entretient depuis longtemps la tradition de définir la relation médecin-patient et de s’attendre à ce que ses praticiens la développent et l’alimentent. L’essence de la médecine familiale est cette relation qui se vit entre le médecin et le patient durant toutes les étapes de la vie, que ce soit en temps de maladie ou de santé, tout en s’occupant de tout ce qui influe sur la santé. En médecine familiale, cette relation est qualitativement différente de celle des autres spécialités médicales axées sur des maladies ou des compétences techniques précises. Même si la relation médecin-patient a été diluée par un système de santé de plus en plus fragmenté et une surspécialisation entraînant des soins épisodiques et techniques, la médecine familiale ne peut pas échapper au fait qu’elle dispense des soins centrés sur la relation qui transcendent le temps et l’endroit. De plus, parce que les médecins de famille sont en milieu communautaire et ont une vision constante tant de la prise en charge que de la prévention de la maladie, nous sommes obligés de contextualiser nos soins en fonction de nos connaissances de ce qui maintient ou non la santé de nos patients.

Si nous ne fermons pas les yeux, cet élargissement de la portée de nos relations nous met en face de besoins qui vont au-delà du plan clinique. Nous sommes forcés de tenir compte des causes sociales d’un mauvais état de santé au niveau de la personne (individuel) et plus largement. Par conséquent, notre perspective s’étend de nos patients et leur famille, à leur voisinage et leur communauté (communautaire) et à la société dans laquelle nous vivons (global). Pour ce faire, nous devons comprendre les déterminants sociaux de la santé (DSS)11.

Chaque palier de ce continuum s’influence réciproquement. Grâce à nos relations durables, nous pouvons apprendre à schématiser les connexions sur lesquelles nous pourrions avoir une certaine influence.

La médecine en tant que justice sociale

La justice sociale est une valeur cardinale de la responsabilité sociale.

[La justice sociale est un] concept qui repose sur la conviction que chaque personne ou groupe au sein d’une société donnée a le droit aux libertés civiles, à l’égalité des possibilités, à la justice et à la participation aux libertés et responsabilités sur les plans éducationnel, économique, social et moral valorisées par la communauté12.

La justice sociale joue un rôle central pour influencer ce que nous considérons comme des iniquités sur le plan de la santé au sein des populations et comment orienter les interventions sur certains problèmes de santé en particulier (Figure 2). Le Collège des médecins de famille du Canada a récemment produit un outil intitulé Social Justice Lens13 servant à évaluer les caractéristiques de ses propres activités et de celles d’autres acteurs et organisations sur le plan global. Il s’agit de l’expression contemporaine d’un appel historique à la justice sociale par des membres de la profession dont l’existence remonte aussi loin qu’Hippocrate et Ibn Sina.

Figure 2.

Figure 2.

Composantes de la justice sociale selon l’angle de la médecine familiale

Durant toute l’histoire de la médecine, les médecins ont été appelés non seulement à faire preuve de moralité dans les soins à chaque patient, mais aussi à utiliser leurs compétences et leur pouvoir pour faire avancer la société et la condition humaines. Cette réalité est expliquée plus succinctement dans les mots et la carrière du médecin et politicien du 19e siècle Rudolph Virchow. Dans un rapport sur son étude de l’épidémie mortelle de choléra en Silésie, il a observé ce qui suit : « Si la médecine doit s’acquitter de sa plus grande tâche, elle doit entrer dans le monde politique et social. Ne pouvonsnous pas toujours retracer les maladies de la population dans les défauts de la société? »1, puis il poursuit:

L’humanité connaît la malédiction d’apprendre à tolérer par habitude même les situations les plus horribles... Les médecins sont les avocats naturels des pauvres et ils devraient pouvoir régler les problèmes sociaux dans une large mesure 14.

Virchow nous entraîne aux niveaux communautaire et global de la responsabilité sociale. Ce concept de responsabilité sociale fait le lien entre les 4 principes enchâssés dans le service à chaque patient et notre obligation de regarder en « amont » et d’influencer les déterminants sociaux qui contribuent à la maladie et à la mauvaise santé.

Niveaux des soins socialement responsables

Les 3 articles qui suivront dans Le Médecin de famille canadien en 2016 porteront sur les aspects concrets de l’actualisation de la responsabilité sociale aux 3 niveaux (Figure 3)13.

Figure 3.

Figure 3.

Les niveaux des soins socialement responsables

Reproduit du Collège des médecins de famille du Canada.13

Au niveau de chaque patient (individuel), l’article insistera sur l’importance d’une anamnèse sociale pertinente, incluant l’utilisation d’auxiliaires tels que l’outil de dépistage de la pauvreté2,3. Il montrera comment les DSS affectent la capacité d’un patient de se conformer aux recommandations thérapeutiques, expliquera des façons de faire preuve de flexibilité avec les personnes ayant des besoins spéciaux (p. ex. maladie mentale, dépendances ou itinérance) et présentera des moyens d’accéder aux genres de soutiens sociaux dont ont besoin nos patients pour améliorer leur santé.

Sur le plan de la collectivité (communautaire), nous apprendrons que les médecins devraient collectivement établir des systèmes de pratique qui répondent aux besoins en matière de santé des personnes dans nos communautés respectives. Par exemple, dans les régions rurales ou les petites villes canadiennes, la pratique en tant que véritable généraliste est une façon socialement responsable d’assurer que les gens reçoivent les bons soins, au bon moment et au bon endroit. Des collectivités aux tailles, aux profits démographiques et aux besoins différents nécessitent des groupes de médecins qui s’adapteront collectivement pour répondre à ces besoins. Les services à fort volume qui pourraient être dispensés par des spécialistes autres que des médecins de famille (chirurgiens, obstétriciens interventionnels, anesthésistes) dans des villes densément peuplées pourraient très bien être offerts par des médecins généralistes en milieu rural qui ont des compétences ciblées, permettant ainsi la prestation sécuritaire de tels services si nécessaires - des services plus sécuritaires et sains que ce serait le cas en leur absence. À mesure que nous progressons vers le concept du Centre de médecine de famille interprofessionnel15, les caractéristiques démographiques d’une population détermineraient les types de professionnels de la santé qui devraient être accessibles pour répondre aux besoins précis de cette population.

Pour ce faire, il est évident que nos systèmes d’éducation et de santé doivent produire un nombre optimal de médecins et d’autres professionnels de la santé, de même qu’atteindre le ratio approprié de médecins de famille généralistes par rapport aux autres spécialistes. La responsabilité sociale au niveau communautaire en médecine familiale concerne la convergence des soins primaires avec la santé publique et populationnelle. Le leadership, la promotion de la santé et la planification des services spécifiques requis dans la communauté représentent l’essence de la responsabilité sociale au niveau communautaire.

Enfin, nous découvrirons que, dans la responsabilité sociale au niveau global, il est question de connecter la politique et les politiques publiques, d’avancer au premier plan la voix unique et digne de confiance des médecins, et de reconnaître la puissance de la promotion de la santé par les médecins. Nous décrirons le rôle du médecin dans l’atteinte de l’équité en santé au Canada et proposerons des idées sur la façon dont les organisations de médecins peuvent unfluer sur les DSS et permettre qu’il y ait davantage de résultats et de soins en amont. Le fait que les médecins soient témoins au quotidien des problèmes de santé nous donne la perspective, la crédibilité et l’obligation de nous engager dans la promotion de la santé à ce niveau sociétal.

La médecine socialement responsable au 21e siècle

On pourrait décrire l’histoire de la médecine au 20e siècle comme une histoire d’amour aveugle et inconditionnel avec la spécialisation et la technologie, qui s’est traduite par la déplorable séparation entre la santé personnelle et celle de la population et entre les facultés des professions de la santé et celles de la santé publique. Le juste équilibre entre la sagesse nécessaire pour utiliser la technologie de manière appropriée et la réponse aux besoins des personnes et des populations en matière de santé relève du véritable généralisme. C’est ce que la pratique familiale socialement responsable doit essentiellement offrir à la société au 21e siècle.

Cette série a pour objectif d’aider les médecins de famille, individuellement et en tant que discipline, à trouver leur niche dans le continuum de la pratique socialement responsable. La compréhension et l’acquittement des obligations de notre contrat social avec nos patients à tous les niveaux peuvent reconnecter bon nombre d’entre nous avec les raisons qui ont motivé initialement notre choix de carrière en médecine familiale. La quête d’une meilleure santé pour nos patients et d’une société plus juste est un double objectif visant l’avenir que nous pouvons et devons bâtir ensemble, individuellement et comme discipline.

Diane a 40 ans et vit dans une petite communauté rurale du Nord. Vous lui avez récemment annoncé un diagnostic de cancer du col, après qu’elle eut présenté des saignements vaginaux persistants et des odeurs. Elle n’avait pas subi de test de Papanicolaou depuis plus de 10 ans. Elle venait rarement pour ses propres problèmes de santé, notamment un diabète de type 2, de l’hypertension et une néphropathie chronique. Toutefois, vous saviez qu’elle faisait toujours preuve de diligence pour les soins à ses enfants, s’assurant qu’ils soient vaccinés et reçoivent leur médicament pour l’asthme dont ils souffrent tous les 2. Elle est une mère monoparentale et élève seule ses enfants, un garçon (12 ans) et une fille (10 ans), sans recevoir une forme ou une autre de soutien communautaire. Après l’avoir questionnée, vous avez appris récemment qu’elle n’a pas pu poursuivre ses études au-delà de la 6e année et qu’elle est fonctionnellement analphabète. Elle a toujours eu de la difficulté à joindre les 2 bouts et elle travaille périodiquement dans des emplois précaires de l’industrie des services, comme le service aux tables ou à des comptoirs de restauration-minute et le ménage dans des motels. Comme unique aidante et gagne-pain, Diane est très inquiète des répercussions de son diagnostic sur sa famille et sur elle.

Suivez l’histoire de Diane tout au long de cette série d’articles pour apprendre comment des soins socialement responsables sur les plans individuel, communautaire et sociétal peuvent améliorer les soins que reçoivent des patients comme Diane et, en définitive, éviter les conditions qui ont déjà causé tant de souffrances personnelles.

Footnotes

This article is also in English on page 15.

Intérêts concurrents

Aucun déclaré

Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.

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