La sécurité alimentaire désigne « le droit de chaque être humain d’avoir accès à une nourriture saine et nutritive conformément au droit à une nourriture adéquate et au droit fondamental de chacun d’être à l’abri de la faim »1. En dépit de l’association bien connue entre l’insécurité alimentaire et le diabète de type 2, l’hypertension, les maladies cardiovasculaires, la détresse mentale et la mauvaise santé en général2–4, ce fléau augmente constamment dans des pays développés comme le Canada. Par conséquent, les effets de l’insécurité alimentaire concernent les médecins de famille. Ces derniers devraient reconnaître l’importance de l’insécurité alimentaire à titre de déterminant de la santé et, en outre, être au courant des stratégies actuellement mises en œuvre pour régler ce problème. Cet article n’a pas pour but de médicaliser un problème social, mais plutôt de présenter l’insécurité alimentaire dans un contexte médical, de permettre aux médecins de mieux saisir ce problème et de les aider à comprendre leur rôle dans sa résolution.
Les changements sociaux et économiques survenus au cours des 30 dernières années sont à l’origine de l’insécurité alimentaire grandissante dans les pays occidentaux. Depuis la récession économique des années 1980, les programmes d’aide sociale n’ont pas réussi à répondre efficacement à l’augmentation du nombre de personnes dans le besoin5. Sur le plan populationnel, l’insécurité alimentaire et la faim résultent de périodes prolongées de chômage et de sous-emploi élevés ou croissants, de salaires à la baisse, du manque de logement abordable et de l’absence de politiques d’assistance sociale6. D’un point de vue médical, l’insécurité alimentaire est un symptôme d’une maladie sociale complexe et multidimensionnelle qui touche une grande proportion des populations dans les sociétés occidentales. En médecine, il existe 2 stratégies possibles pour soulager un symptôme : traiter le symptôme lui-même ou s’attaquer aux causes du symptôme opérant sur la pathophysiologie de la maladie.
Traiter les symptômes
La stratégie la plus courante pour régler l’insécurité alimentaire dans les pays occidentaux repose sur la distribution d’aliments, principalement sous la forme des banques alimentaires. Au Canada, les banques alimentaires sont habituellement administrées par l’entremise d’organismes sans but lucratif, basés sur la charité, où des bénévoles recueillent et distribuent des dons de nourriture aux personnes dans le besoin. L’efficacité des banques alimentaires pour régler l’insécurité alimentaire est au cœur d’un débat de longue date6–8. Certains chercheurs maintiennent que les banques alimentaires exacerbent l’insécurité alimentaire, plutôt que de l’atténuer, en la masquant, en nuisant à la justice sociale et en libérant les gouvernements de leurs obligations6. Ils laissent entendre que la plus grande acceptation sociale des interventions non gouvernementales comme moyen approprié de faire face à ce problème pourrait contribuer à la dépolitisation de l’insécurité alimentaire au niveau des ménages6. À l’opposé, d’autres chercheurs soulignent l’importance des banques alimentaires, affirment qu’elles devraient être renforcées par des collaborations afin d’accroître leur rôle pour régler la faim et les problèmes de santé, et reconnaissent la place stratégique que pourraient occuper les organismes communautaires pour changer l’approche à l’endroit de l’insécurité alimenaire9,10.
En envisageant l’insécurité alimentaire comme un symptôme dans le contexte médical, nous tirons un parallèle entre l’accès aux banques alimentaires pour y remédier et le recours à un médicament qui agit comme analgésique pour le traitement de la douleur. Les analgésiques, s’ils offrent un soulagement temporaire, n’empêchent pas la douleur de revenir. Comme tels, ils sont utiles lorsque se présentent les symptômes ou en attendant un traitement efficace de la maladie. L’utilisation chronique des antidouleurs peut entraîner des effets secondaires susceptibles d’aggraver l’état de santé du patient à long terme ou avec le temps. De la même façon, le recours à la banque alimentaire pourrait avoir des effets secondaires néfastes. Sur le plan individuel, les utilisateurs des banques alimentaires pourraient faire face à la stigmatisation en raison de leur besoin d’avoir recours aux organismes de bienfaisance pour se nourrir, ou encore devenir dépendants du système, se fiant aux banques alimentaires au lieu d’améliorer ou de perfectionner leurs propres compétences (p. ex. cuisine, gestion d’un budget familial)11. Les banques alimentaires peuvent donner l’illusion que le problème a disparu; toutefois, la question du manque de nourriture reviendra périodiquement, jusqu’à ce que l’insécurité alimentaire ait été résolue et que des solutions plus stables soient trouvées. Néanmoins, l’accès à des banques alimentaires peut temporairement améliorer la santé physique et mentale des patients12; par conséquent, recommander aux patients des interventions communautaires pourrait être considéré comme un soutien temporaire en attendant des solutions plus durables.
Traiter la maladie
Étant donné que nous avons défini l’insécurité alimentaire comme un symptôme d’une « maladie sociale », nous faisons valoir que la solution pour guérir et prévenir cette maladie inclut des politiques portant à la fois sur la justice sociale et sur les iniquités sociales et en matière de santé. Une stratégie exhaustive visant à prendre en charge activement l’insécurité alimentaire devrait comporter des engagements par les gouvernements envers les salaires de subsistance et l’aide sociale, des réformes fiscales, et de nouvelles approches à l’endroit des politiques agricoles, alimentaires et nutritionnelles5. La réforme des politiques sociales visant à assurer que tous les Canadiens aient les revenus suffisants pour jouir de leur droit de se nourrir semble la seule solution pour régler durablement l’insécurité alimentaire au Canada13.
Les médecins de famille appuient leurs patients en leur présentant des solutions qui influencent leur bien-être physique, mental et social. Au Canada, environ 80 % des personnes souffrant de maladies chroniques ont accès à un médecin de famille au moins une fois l’an14 et certaines de ces personnes sont aussi en situation d’insécurité alimentaire. Les médecins de famille ont un rôle à jouer dans le règlement du problème de l’insécurité alimentaire sur les plans individuel, communautaire et institutionnel.
Au niveau individuel, les médecins de famille peuvent aider les patients à obtenir le « soulagement temporaire » dont ils ont besoin en les renseignant sur les services communautaires à leur disposition. Certaines personnes n’ont pas accès aux banques alimentaires pour des raisons comme le manque d’information, et leurs perceptions à propos de l’aide alimentaire ou parce qu’ils croient ne pas être dans un besoin extrême8,15. Les cliniques de médecine familiale sont un milieu idéal pour faire la promotion de l’assistance dont ces patients ont besoin16 et le fait d’être dirigés vers les services communautaires par un médecin de famille peut accroître la réceptivité des patients à participer à des programmes communautaires. Health Leads, un organisme sans but lucratif aux États-Unis qui regroupe plus de 9000 médecins, est un exemple d’initiative de promotion de la santé qui permet aux médecins de « prescrire » des ressources essentielles, comme la nourriture, qui sont ensuite fournies par des organismes communautaires associés17.
Sur le plan communautaire, les médecins de famille pourraient influencer les changements communautaires et améliorer la participation communautaire en prenant part activement aux débats sur les enjeux sociaux18. Une intéressante initiative en matière de santé se déroule au Massachusetts pour s’attaquer aux problèmes de faim et de nutrition dans les collectivités, faisant cohabiter dans un même endroit les services de soins de santé et les programmes sociaux, et en offrant, par exemple, des boîtes d’aliments d’urgence sur place ou d’autres programmes. Cette cohabitation des services de santé et des programmes sociaux dans les collectivités peut accroître l’accessibilité et le recours à ces services par les patients, tout en améliorant l’efficience des programmes19.
Au niveau institutionnel, les médecins de famille peuvent préconiser, auprès des institutions politiques, des changements dans les domaines qui influent sur la santé de leurs patients, comme un accès garanti à la nourriture ou l’augmentation du salaire minimum18,19.
Conclusion
Les médecins de famille devraient reconnaître l’importance de l’insécurité alimentaire à titre de déterminant de la santé. Les patients qui vivent l’insécurité alimentaire ont besoin du soutien de leurs médecins de famille pour améliorer leur santé sociale, physique et mentale.
Footnotes
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the April 2016 issue on page 291.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
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