Les médecins de famille enseignent souvent les techniques relatives aux interventions dans leur clinique, en milieu universitaire ou dans un hôpital. Ce n’est pas une tâche facile au beau milieu d’horaires chargés et de diverses contraintes de temps. Les médecins affiliés à une université ou à un hôpital (qui travaillent comme hospitalistes ou à l’urgence) peuvent avoir accès à des aides pédagogiques ou à d’autres formes structurées d’enseignement; toutefois, les médecins de famille communautaires ne disposent souvent pas de ces ressources pour enseigner les techniques relatives aux interventions.
Parallèlement, les résidents en médecine familiale sont peu exposés aux interventions en raison du milieu surchargé des cliniques, de la formation structurée limitée au sujet des interventions dans les programmes de résidence1 et du peu de contacts avec les patients en raison de la plus courte durée des hospitalisations2. Ces facteurs contribuent au manque de confiance des résidents en médecine familiale en leurs habiletés pour exécuter des interventions techniques3,4.
Le présent article a pour but de proposer des conseils et des ressources que peuvent utiliser les médecins de famille dans n’importe quel milieu durant l’enseignement au quotidien des interventions.
L’enseignement des techniques change et évolue
La formation technique était traditionnellement une activité tenue pour acquise en médecine familiale, sans qu’il n’y ait de contexte formel d’enseignement ni de méthodes structurées1,5.
La façon classique d’enseigner la technique était « d’en voir une, d’en faire une et d’en enseigner une », mais des études plus récentes ont démontré qu’il faut des méthodes plus complètes de formation psychomotrice pour transmettre les compétences nécessaires1,6. La méthode traditionnelle est inadéquate parce qu’elle n’insiste que sur la partie technique de l’intervention, évite les éléments cognitifs de l’enseignement des procédures, n’offre pas d’occasions d’apprentissage didactique préparatoires à l’intervention et ne permet pas suffisamment d’observation du rendement de l’apprenant.
Les milieux actuels de la pratique et de l’enseignement de la médecine préconisent des méthodes pédagogiques plus robustes et adéquates pour inculquer les compétences psychomotrices7. On exige des médecins de famille qu’ils offrent des soins complets aux patients, y compris l’exécution d’interventions techniques. Par conséquent, la démonstration de la maîtrise d’une liste d’interventions de base8 compte parmi les exigences du Collège des médecins de famille du Canada pour obtenir la certification après la résidence afin d’assurer des soins complets dans toutes les collectivités canadiennes8,9.
En plus d’enseigner les compétences techniques, l’enseignement des interventions devrait inclure une composante cognitive, une rétroaction adéquate et un processus d’évaluation des apprenants, et devrait préserver une approche centrée sur le patient. Il est reconnu que les techniques d’intervention devraient être enseignées selon un cadre structuré.
Les ouvrages récents à ce sujet se sont concentrés sur des propositions de cadres d’enseignement et de méthodes didactiques. Une récente révision par Sawyer et ses collègues présente un cadre fondé sur des données probantes, qui consolide des modèles antérieurs d’enseignement des techniques10. Ce modèle comporte 6 étapes : apprendre, observer, se pratiquer, prouver, exécuter et maintenir (Tableau 1). Cet article suit ce cadre pour décrire la raison d’être des étapes et donner des conseils pour enseigner les habiletés techniques.
Tableau 1.
ÉTAPE DE LA FORMATION | CE QUE VOUS POUVEZ FAIRE EN MILIEU DE TRAVAIL |
---|---|
Apprendre | S’assurer que les résidents vérifient au préalable la plage horaire du rendez-vous du patient afin d’avoir le temps de se préparer à l’intervention Si le résident n’a pas complété l’étape de l’apprentissage, fournir des ressources spécifiques à l’intervention (lectures, vidéos, modules d’enseignement, explications verbales) Déterminer si le résident a déjà eu une exposition directe à l’intervention (comme acteur ou observateur) et son degré d’expertise Assurer la mise en place de tous les éléments nécessaires à l’enseignement de la chirurgie (temps réservé suffisant pour permettre l’enseignement, instruments chirurgicaux, formulaires de consentement éclairé) |
Observer | Établir si l’apprenant a une compréhension technique de l’intervention en vous fondant sur sa description et son explication de chaque étape nécessaire Utiliser des méthodes didactiques ou des aides à l’enseignement validées (Encadrés 1 et 2) pour chaque intervention afin de transmettre les compétences |
Se pratiquer | Utiliser des méthodes de simulation pour enseigner et évaluer les compétences techniques avant que le résident procède aux interventions avec des patients Demander si le résident a des questions et y répondre avant l’intervention |
Prouver | Préparer à l’avance la rencontre d’enseignement de la chirurgie
|
Exécuter | En vous fondant sur votre évaluation et sur le niveau de compréhension de l’intervention par le résident, déterminer le degré d’autonomie à confier au résident pendant l’exécution de l’intervention S’assurer que le résident consigne l’exécution de l’intervention sous la forme appropriée (p. ex. journal de bord, fiche de rendement, système de suivi en ligne) pour attester de la formation appropriée et, au besoin, de la préparation à l’obtention du certificat Donner de la rétroaction
|
Maintenir | En toutes circonstances, assurer la sécurité complète du patient Donner des renseignements sur les sources accessibles de documentation sur la simulation pour maintenir la compétence |
Formation technique dans la pratique au quotidien
Apprendre
Cette étape est aussi connue sous le nom de conceptualisation cognitive. Dans cette partie de la formation, l’apprenant ne devrait pas seulement comprendre les étapes techniques pour exécuter l’intervention, mais aussi la raison d’être de celle-ci. Il s’agit d’apprendre les indications, les contre-indications, les complications possibles, les risques et les avantages de l’intervention, ainsi que les options de rechange. Même si cette étape semble simple, elle est souvent négligée. Sans ces connaissances, l’apprenant ne sera pas en mesure d’expliquer correctement l’intervention au patient ni d’obtenir un consentement éclairé adéquat. De plus, sans ce savoir, des décisions thérapeutiques erronées peuvent être prises.
Une séance didactique offerte par des programmes postdoctoraux peut se révéler l’approche idéale pour compléter cette partie de l’apprentissage. Si de telles séances ont été présentées aux résidents, le médecin de famille communautaire pourra aisément miser sur ces connaissances acquises. Dans le cas contraire, l’enseignant doit veiller à ce que le résident maîtrise ce savoir avant d’être en contact avec le patient.
Conseils pratiques : Assurez-vous que les résidents lisent à propos de la technique à exécuter. Il est utile d’avoir à la clinique des brochures qui expliquent les interventions, mais il est aussi pratique de disposer de résumés écrits préparés à l’avance qui peuvent être lus rapidement durant le temps à la clinique. Des documents pourraient comprendre des fiches sommaires, des descriptions techniques, des formulaires complets de consentement éclairé et des questionnaires dont peuvent se servir les résidents pour entamer des conversations pour informer les patients.
Assurez-vous que les résidents vérifient à l’avance la plage horaire du rendez-vous du patient pour qu’ils se préparent avant l’intervention.
Il existe des ressources pour l’enseignement technique; des répertoires en ligne de formation médicale comme MedEdPORTAL (Encadré 1 de la version en anglais)* offrent ces ressources didactiques pour diverses interventions.
Observer
Cette étape comporte de démontrer l’intervention pour inculquer des connaissances techniques. Pour ce faire, l’enseignant peut utiliser des vidéos ou encore montrer lui-même la technique lorsque le résident n’a pas suivi de séance en classe au préalable. Dans l’un ou l’autre cas, la démonstration doit préciser les techniques correctes et incorrectes afin qu’elles soient bien comprises.
Les vidéos didactiques complètes, fondées sur les principes de la conception de matériel d’apprentissage en ligne, sont meilleures que les simples vidéos de démonstration accessibles sur Internet.
Conseils pratiques : Si vous faites la démonstration, efforcez-vous de bien faire une distinction entre chaque étape. Donnez simultanément des explications pour préciser les différentes parties de la technique. N’oubliez pas d’utiliser une terminologie adaptée au niveau de formation du résident; par exemple, pour un résident néophyte en la matière, évitez le jargon technique tel que : « Parce que la plaie est sous tension, ne faites que 3 points de suture verticaux en matelas, loin-loin, proche-proche, pour assurer la fermeture ».
Ayez des vidéos ou des liens vers des vidéos qui décrivent et démontrent les interventions effectuées à votre clinique, soit sur votre téléphone intelligent, une tablette ou un ordinateur. Des vidéos scientifiques sont accessibles sur divers sites web (Encadré 2 de la version en anglais).*
Se pratiquer
Les habiletés psychomotrices sont acquises à cette étape. Idéalement, cette étape devrait se faire avant le contact avec le patient, mais elle se déroule souvent avec un vrai patient, si le résident n’a pas suivi de séance universitaire. La méthode idéale pour cette étape est la simulation, qui peut se faire à la clinique. Il est très important de donner de la rétroaction durant cette partie de la formation; la rétroaction directe et immédiate est la plus efficace. De nombreuses études ont démontré qu’une rétroaction experte améliore l’expérience de l’apprenant et entraîne un meilleur rendement.
Conseils pratiques : Prenez le temps d’obtenir du matériel de simulation et de l’avoir en tout temps sous la main à la clinique. Il y a des instruments aisément disponibles dont vous pouvez vous servir (p. ex. des fils ou des lacets pour pratiquer des sutures chirurgicales; du tissu pour pratiquer le surjet). Vous pouvez vous procurer des ensembles de simulation et de simples modèles de démonstration anatomique pour des interventions spécifiques (p. ex. insertion d’un stérilet) auprès de fabricants. Vous pouvez obtenir des dispositifs de démonstration donnés par des sociétés de bienfaisance (p. ex. modèles de sein ou de prostate). Utilisez différents types de fruits comme objets de simulation (papaye pour interventions gynécologiques, banane pour résections d’ongles d’orteil, orange pour biopsie par ponction, brossage et exérèse). Empruntez des appareils de simulation auprès de programmes postdoctoraux ou de fabricants (p. ex. modèles de membres pour les injections articulaires).
N’oubliez pas de tenir compte des différents styles d’apprentissage des résidents et de leurs habiletés naturelles, ainsi que des difficultés inhérentes à l’apprentissage de techniques. Par exemple, il se pourrait que l’apprenant doive être du même côté que vous de la table de chirurgie pour comprendre les étapes, parce que 10 % de la population apprend par orientation spatiale et mémoire musculaire (approche kinesthésique).
Prouver
Il importe de mettre à l’épreuve la compréhension qu’a le résident de l’intervention. Avant de l’exécuter, le résident devrait être capable d’en verbaliser et d’en décrire les différentes étapes. Il est utile de vérifier la compréhension par des questions.
Conseils pratiques : Voici des exemples de questions qui servent à prouver la compréhension qu’a le résident des divers aspects de l’intervention.
Connaissances de base : Quels sont les points de repère anatomiques pour l’injection à l’épaule que vous vous apprêtez à faire?
Éléments techniques précis : Quel est le numéro de la lame du scalpel utilisée pour cette intervention?
Interaction avec le patient : De quelles solutions de rechange, au lieu de procéder à cette intervention, allez-vous discuter avec le patient?
Exécuter
Cette étape comprend l’exécution de l’intervention par l’apprenant dans le milieu de la pratique, avec les patients. Au cours d’une discussion avec le résident avant l’intervention, l’enseignant peut évaluer dans quelle mesure le résident comprend l’intervention et ensuite se concentrer sur l’enseignement en fonction des besoins particuliers. L’enseignant doit déterminer plusieurs éléments : s’il faudrait faire encore la démonstration de l’intervention au résident; s’il ne faut permettre au résident que d’assister à la chirurgie; si on peut permettre au résident d’exécuter certaines parties de l’intervention; s’il faut seulement prêter assistance au résident pendant qu’il exécute l’intervention. Parce qu’il est plus difficile de corriger une mauvaise technique une fois qu’elle a été apprise, il faut toujours observer attentivement le résident afin qu’il n’apprenne pas incorrectement la technique.
Conseils pratiques : Il faut toujours exprimer des commentaires positifs ou encourageants à propos de l’intervention pour accroître la motivation (p. ex. « L’ablation de ce kyste sébacé vous pose un défi précis, parce que, pour bien la faire, il ne faut pas briser la capsule. »)
Maintenir
Il est très important d’enseigner aux apprenants qu’il est nécessaire de maintenir les compétences acquises ou de suivre une formation additionnelle pour de nouvelles interventions qui font partie des nouvelles normes de soins (p. ex. injection de toxine botulinique pour la migraine, dermatoscopie).
Conseils pratiques : Donnez des renseignements aux apprenants concernant les ressources de simulation accessibles pour maintenir les compétences techniques (p. ex. conférences avec ateliers pratiques comme le Forum en médecine familiale, assemblées scientifiques annuelles, formation médicale continue du St Paul’s Hospital, activités locales)
Conclusion
L’enseignement des techniques d’intervention est une composante importante de la formation pour la pratique familiale. Il faut utiliser une méthode didactique structurée et exhaustive pour la formation afin qu’elle inculque l’éventail des habiletés nécessaires pour répondre aux normes actuelles de la médecine.
Remerciements
Je remercie les Dres Jocelyn Lockyer et Heather Armson de leur contribution à cet article.
CONSEILS POUR L’ENSEIGNEMENT
La démonstration de la maîtrise des techniques de diverses interventions compte parmi les exigences du Collège des médecins de famille du Canada pour obtenir la certification après la résidence afin d’assurer des soins complets dans toutes les collectivités canadiennes. La formation aux interventions devrait inclure une composante cognitive, des habiletés techniques spécifiques, une rétroaction adéquate et un processus d’évaluation des apprenants, et préserver une approche centrée sur le patient.
Les techniques d’intervention devraient être enseignées selon un cadre structuré; le modèle d’apprentissage en 6 étapes, soit apprendre, observer, se pratiquer, prouver, exécuter et maintenir, représente une méthode d’enseignement structurée qui est exhaustive et permet d’acquérir l’éventail d’habiletés nécessaires pour exécuter les techniques conformément aux normes actuelles de la médecine.
Il existe de nombreuses ressources d’éducation médicale en ligne dont peuvent se servir les médecins de famille dans n’importe quel environnement durant l’enseignement au quotidien des techniques d’intervention.
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada. La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en mettant l’accent sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Miriam Lacasse, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à Miriam.Lacasse@fmed.ulaval.ca.
Footnotes
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the April 2016 issue on page 351.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Des exemples de ressources en ligne disponibles en anglais se trouvent dans la version en anglais de cet article (page 351 ou www.cfp.ca); l’Encadré 1 présente des modules d’enseignement en ligne et l’Encadré 2 donne une liste de vidéos scientifiques en ligne pour l’enseignement de diverses interventions.
Références
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