Au Canada, les maladies chroniques, notamment les maladies cardiovasculaires, le diabète, les maladies respiratoires, les maladies mentales et le cancer, sont les principales causes d’incapacité et de décès prématuré. Le traitement des maladies chroniques consomme 67 % de l’ensemble des dépenses directes en soins de santé et coûte à l’économie canadienne 190 milliards $ par année, dont 68 milliards $ sont attribuables aux traitements et le reste à la perte de productivité1,2. Il ne fait nul doute que les problèmes de santé chroniques les plus courants sont largement le résultat d’interactions entre un ensemble de facteurs de risque modifiables bien connus qui incluent l’inactivité physique, le tabagisme, la consommation excessive d’alcool et une mauvaise alimentation3–6. Selon l’étude intitulée Global Burden of Disease, la mauvaise alimentation se révèle depuis plus de 2 décennies le principal facteur de risque de maladie, de décès et d’incapacité, tant au Canada que dans le monde entier7. Les médecins de famille consacrent une grande partie de leur temps à soigner des patients souffrant de maladies chroniques causées ou accélérées par un régime alimentaire malsain. En plus de traiter et de conseiller les patients dans leur pratique, les médecins de famille occupent une place privilégiée pour revendiquer des politiques publiques en matière de santé conçues pour améliorer l’alimentation des Canadiens.
D’une façon générale, on peut définir une mauvaise alimentation comme comportant des aliments et des boissons à forte teneur en gras saturés, en acides gras trans, en sucres libres et en sel. Malheureusement, c’est le régime alimentaire de la plupart des Canadiens de nos jours8–12. Selon les estimations, plus de 30 000 décès auraient pu être évités ou retardés chaque année au Canada si notre alimentation se conformait aux recommandations alimentaires, en particulier une plus grande consommation de fruits et de légumes13. Les conclusions d’une récente méta-analyse faisaient valoir qu’au niveau de la population, le risque de maladies cardiovasculaires était réduit de 4 % et le taux total de décès prématurés était diminué de 5 % pour chaque portion quotidienne additionnelle de fruits et de légumes14. Ce genre de données probantes met en évidence à la fois l’importance d’une saine alimentation pour notre bien-être et l’importance des politiques publiques à l’appui de choix alimentaires sains.
Les gouvernements, les décideurs et les associations nationales et provinciales du secteur de la santé pourraient mieux tirer parti d’une gamme de politiques et de stratégies pour améliorer l’alimentation et, par le fait même, réduire le fardeau des maladies chroniques5,6,15. L’Organisation mondiale de la Santé a déclaré que les politiques visant une saine alimentation étaient des interventions clés pour réduire le fardeau des maladies non transmissibles5. Alors que d’autres pays mettent en œuvre des politiques pour réduire les facteurs de risque d’origine alimentaire6, le Canada continue de favoriser des approches sur le plan individuel et des stratégies d’éducation visant des changements comportementaux. Même si les approches individuelles sont évidemment importantes, sans politiques ni interventions publiques exhaustives, il ne sera pas possible d’atteindre l’objectif de freiner l’épidémie de maladies chroniques16.
Le Canada a élaboré, tant à l’échelle fédérale que provinciale, une série de stratégies et de cadres d’action concernant les maladies chroniques qui recommandent des interventions et des politiques alimentaires populationnelles. Parmi ces stratégies figurent une réduction du sodium dans la chaîne alimentaire, des restrictions sur le marketing d’aliments malsains auprès des enfants et la mise en œuvre de politiques d’approvisionnement en aliments et en boissons bons pour la santé17–20. Il est déplorable que ces stratégies et cadres d’action ne se soient pas encore traduits par des changements substantiels dans les politiques.
Réponse des organisations nationales du secteur de la santé
En réponse à l’absence de changements stratégiques majeurs, on a élaboré un appel à la mobilisation pour la mise en œuvre d’une politique de saine alimentation21, qui a a reçu l’aval de 15 organisations canadiennes des secteurs des soins primaires et de la santé, dont le Collège des médecins de famille du Canada (CMFC).
Faisant écho aux recommandations stratégiques d’organisations et d’associations internationales et nationales3,5,6,8,15, l’appel à la mobilisation cerne des interventions importantes qui, si elles sont mises en œuvre dans le contexte d’une stratégie alimentaire complète, pourraient réduire considérablement la marée montante des maladies chroniques liées à l’alimentation, dont les suivantes :
restreindre le marketing des boissons et des aliments malsains auprès des enfants;
réglementer l’ajout de sodium, de sucres libres, de gras saturés et d’acides gras trans dans les aliments transformés;
instaurer un étiquetage facile à comprendre sur les produits alimentaires transformés et dans les établissements de restauration;
verser des subventions qui ciblent les produits contenant des aliments sains, associées à une taxe sur les produits alimentaires malsains;
mettre en œuvre des politiques d’approvisionnement en boissons et aliments sains dans les milieux financés par les fonds publics, de même que dans le secteur privé;
élaborer des normes pour réduire les conflits d’intérêts dans l’établissement des politiques en matière d’alimentation.
Possibilités de promotion de la santé
Tout comme le contrôle du tabac a exigé un fort leadership, de la promotion, de la recherche, de même que la mise en œuvre et l’évaluation de politiques, une approche semblable est nécessaire pour régler le problème de la mauvaise alimentation comme étant le principal risque des incapacités et des décès associés aux maladies chroniques au Canada. Les gouvernements canadiens ont les pouvoirs juridiques nécessaires pour réduire la production, le marketing et la vente d’aliments et de boissons malsains dont on sait qu’ils contribuent au développement de maladies chroniques. Toutefois, pour que ce soit efficace, il faut une réponse concertée multipartite des organisations du monde de la santé et des sciences, du secteur privé et des particuliers, y compris les médecins de famille. Pour de nombreux Canadiens, en particulier ceux qui vivent avec une maladie chronique, les médecins de famille sont le point de contact le plus fréquent et ils sont bien au fait des maladies chroniques associées à l’alimentation. En plus de l’important rôle clinique qui est d’aider leurs patients à adopter et à maintenir de bonnes habitudes alimentaires, les médecins de famille ont des possibilités et des rôles de promotion de la santé par l’intermédiaire du CMFC et de ses sections provinciales. De fait, le rapport Du rouge au vert du CMFC recommande, entre autres, que le gouvernement fédéral interdise la publicité sur la malbouffe destinée aux enfants, améliore la clarté de l’étiquetage alimentaire et de l’information nutritionnelle, et explore des stratégies en matière de fiscalité et de subventions pour accroître la consommation d’aliments sains et réduire la consommation d’aliments malsains22.
Dans la mesure où les maladies cardiovasculaires représentent le plus grand fardeau de morbidité associée à l’alimentation, la communauté de la médecine familiale a une importante responsabilité aux niveaux des patients individuels et des politiques dans l’amélioration de l’alimentation des Canadiens. Au niveau organisationnel, le CMFC et ses sections provinciales peuvent continuer à appuyer les appels nationaux à la mobilisation. Les effets d’une mauvaise alimentation sur la morbidité et la mortalité prématurées devraient constituer une part importante dans nos activités scientifiques et éducationnelles. De même, les particuliers et les organisations peuvent revendiquer plus de financement en recherche dans le but d’évaluer et de surveiller les tendances alimentaires ainsi que les répercussions des politiques sur les résultats en santé afin d’orienter la recherche et les priorités stratégiques futures.
Conclusion
Les interventions stratégiques du Canada pour améliorer l’alimentation tirent de l’arrière par rapport aux actions productives mises en œuvre dans de nombreux autres pays. Nous sommes d’accord avec les conclusions d’une récente série dans Lancet portant sur la prévention et le contrôle de l’obésité, qui mettait en évidence 5 messages devant constituer le fondement d’une réponse unifiée16. Premièrement, l’épidémie de maladies chroniques liées à l’alimentation ne sera pas enrayée sans un fort leadership de la part des gouvernements. Deuxièmement, le statu quo sera coûteux sur les plans de la santé de la population, des dépenses en soins de santé et de la perte de productivité. Troisièmement, les hypothèses concernant les effets à long terme et la durabilité des efforts individuels sont trop optimistes. Quatrièmement, il est nécessaire de surveiller et d’évaluer avec précision tant les données sur l’alimentation de base de la population que les résultats des interventions. Cinquièmement, une approche impliquant des systèmes multisectoriels est essentielle à la réussite. Les médecins de famille, collectivement et individuellement, peuvent jouer des rôles importants dans la revendication de politiques en matière d’aliments sains afin d’améliorer la santé et de réduire le fardeau des maladies non transmissibles au Canada. Ensemble, nous pouvons faire des changements pour améliorer la santé de nos patients.
Footnotes
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
Les opinions exprimées dans les commentaires sont celles des auteurs. Leur publication ne signifie pas qu’elles soient sanctionnées par le Collège des médecins de famille du Canada.
Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the June 2016 issue on page 469.
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