Oui. Paul Gross sait très bien que Movember évoque moustaches et cancer de la prostate. C’est bien, parce que le Dr Gross veut certainement que Movember évoque aussi pour vous dude.
Il veut cependant que l’évocation aille plus loin encore, évocation de pensées encore plus masculines, d’idées de traumatisme et de violence, de colère et de dépression, de pauvreté et de deuil : des idées de ne pas consulter un médecin, d’être un père ou un fils coupé des siens, des idées de toxicomanie et même de colonisation. « Si ce n’était pas des enfances terribles vécues par ces gars, confesse le Dr Gross, nous n’aurions pas besoin du tout de notre Club des DUDES. »
Après avoir réfléchi à ces idées, le Dr Gross veut aussi que vous songiez à la culture et à la survie, à la force et à la résilience, à la réflexion et à l’amitié. « Le Club des DUDES est un espace où les gars peuvent s’ouvrir aux autres. Nous ne suivons pas de cursus. Ce sont ces hommes qui nous disent de quoi nous allons parler. Les gars racontent leurs expériences, révèlent la résilience. Wow. La résilience est extraordinaire. »
Bref, Paul Gross veut simplement que plus de gens pensent davantage à la santé des hommes, surtout la santé mentale des hommes et surtout sa place dans un cercle de bien-être holistique, inextricable de la santé physique, spirituelle et émotionnelle.
C’est ainsi que le Dr Gross a commencé une aventure, il y a plus de 5 ans, en partenariat avec la Vancouver Native Health Society de la Colombie-Britannique, inspiré par les conseils de l’aîné Henry Charles de Musqueam, et en collaboration avec un groupe d’hommes habitant dans la zone du code postal le plus notoire au Canada : DTES (quartier du centre-est de Vancouver).
Les premières années, le financement était amassé miette par miette; depuis novembre 2013, le Club des DUDES reçoit des fonds de la Fondation Movember. Ce soutien va au-delà des moustaches et des prostates. En partie sous l’égide du programme de sensibilisation à la santé du Black Barbershop aux États-Unis et sous le leadership du cofondateur et gestionnaire du programme Richard Johnson, auparavant travailleur de proximité à Los Angeles, le Club des DUDES Club était fondé. Comme le programme du Black Barbershop, le Club des DUDES sort la santé des cliniques médicales et l’amène « dans la rue ».
« Eh oui, nous offrons aussi des coupes de cheveux », avoue le Dr Gross en riant.
La devise du Club des DUDES est simple : Laissez votre armure à la porte.
Les objectifs sont clairs : bâtir la solidarité et la fraternité entre les membres du groupe; promouvoir la santé des hommes par l’éducation, le dialogue et des cliniques de dépistage; permettre aux hommes de regagner un sentiment de fierté et de plénitude dans leur vie. Le club rejoint beaucoup d’hommes en Colombie-Britannique, jusqu’au petit village de Moricetown de la Première Nation des Wet’suwet’en et aux collectivités de Smithers et Prince George. Ce concept se retrouve maintenant jusqu’à Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Le Club des DUDES maintient encore une présence active dans la zone postale DTES. « Il s’agit d’aller dans des endroits où les gars ne se sentent pas menacés, plutôt que de s’attendre à ce qu’ils viennent à notre clinique. Certains médecins hésitent à le faire, observe le Dr Gross. Tant de programmes sont centrés sur une maladie. Il faut d’abord avoir un diagnostic, que ce soit le diabète ou l’hépatite C. Pour nous, le seul critère, c’est d’être un gars, et nous sommes ouverts à toutes les facettes du genre. Nous avons 2 hétérosexuels et certains trans-genres. Nous abordons la dépression et le suicide, mais aussi la santé mentale des hommes en général. Nous adorons notre travail et nous comblons un vide. »
Ce vide vient du fait que de nombreux hommes, surtout ceux qui vivent avec des sources convergentes de marginalisation sur les plans social et de la santé, comme la pauvreté, l’indigénisme, la dépendance, le traumatisme et la maladie, ne vont pas chez le médecin. Ils souffrent dans la solitude. Et ils sont vulnérables. « Les hommes souffraient et, même s’il y a beaucoup de services au DTES, il n’y en avait pas qui étaient conçus spécifiquement pour eux », explique le Dr Gross réalistement.
Paul Gross est réaliste à propos d’autres choses : « J’ai grandi avec une mère monoparentale, sans père, et ces histoires sont aussi les miennes ». Une autre partie de l’histoire du Dr Gross est qu’il a toujours été attiré par le travail en dehors de la clinique. Il a travaillé en santé mondiale en Afrique et, comme il le fait observer, « J’ai toujours été intéressé par les Premières Nations. La colonisation a eu tellement d’impacts négatifs sur les peuples autochtones que c’est maintenant pour moi un grand honneur de travailler dans ce domaine. »
« Je voulais vraiment m’impliquer dans un travail en dehors de la clinique, explique le Dr Gross. Du travail véritablement, véritablement habilitant. Pour nous tous. »
Le Dr Gross croit qu’en habilitant certains des hommes les plus marginalisés de la société, en ouvrant des espaces où aborder les problèmes de santé qui leur importent le plus, toute la société en bénéficie. « Nous abordons de front la question de la violence faite aux femmes. Nous vivons ensemble dans cette communauté, avec des femmes et des enfants. Souvent, lorsque les hommes souffrent, les femmes restent avec eux s’il n’y a pas de services. »
Un écho de violence persiste discrètement derrière le travail accompli par l’intermédiaire du Club des DUDES : on peut voir cette violence sur les mains rudes des hommes tenant des plumes d’aigle tandis qu’ils parlent des motifs de leur rassemblement; elle est brodée dans les écussons soigneusement cousus sur la veste de moto en cuir durant une retraite dans la nature nordique à la fin de l’été regroupant des hommes du Club des DUDES; elle semble hanter les yeux de bon nombre d’entre eux. Certains hommes racontent l’histoire des années passées en prison, en grande partie parce qu’ils ne se sont pas occupés de leur dépression. L’équipe de recherche financée par Movember et dirigée par Paul Gross a découvert que plus de la moitié des hommes du Club des DUDES sont des pères, mais que seulement 5 % ont des contacts réguliers avec leurs enfants. Les 2 tiers des hommes sont autochtones. Il y a des gars qui ont fui la guerre, des gars qui ont survécu aux pensionnats.
Pourtant, l’appartenance au Club des DUDES a quelque chose de chaleureux et de fraternel. Le Dr Gross se souvient d’un homme qui racontait une histoire lors de la première retraite du Club des DUDES dans la nature, une histoire à propos d’une chasse avec son père, des décennies auparavant, exactement au même endroit où se tenait la retraite. Ainsi, il y a des histoires qui bouclent le cercle, des histoires de guérison. Avec d’autres hommes.
« Les généralistes ont un rôle à jouer dans la communauté, conclut Paul Gross, épaule à épaule avec des hommes comme eux. Nous soignons bien au-delà de nos cliniques. De fait, je ne saurais pas faire autrement. »
Footnotes
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the June 2016 issue on page 504.
Le Club des DUDES est un programme communautaire de promotion de la santé, principalement destiné aux hommes autochtones du centre-est de Vancouver, C.-B. Le programme insiste sur les perspectives autochtones à propos de la santé en appliquant l’approche du cercle de médecine dans ses activités et en suivant les conseils d’aînés respectés. Les résultats du programme jusqu’à présent, tels qu’étudiés par l’équipe de recherche, sont inspirants pour tout groupe qui souhaiterait se concentrer sur la santé des hommes. L’équipe de recherche est formée des membres suivants : le Dr Gross est médecin de famille et travaille dans le centre-ville de Vancouver au Spectrum Health, à la Vancouver Native Health Clinic et au St Paul’s Hospital. Il est cofondateur et directeur médical du Club des DUDES. Mme Patrick est membre de la Première Nation Stellat’en qui vit dans le Nord-Ouest britanno-colombien et est aussi acadienne-écossaise. Elle est candidate au doctorat à la Faculté de planification communautaire et régionale de l’Université de la Colombie-Britannique à Vancouver et directrice de la recherche pour le projet d’évaluation du Club des DUDES. Mme Efimoff est membre de la Nation des HaÏdas et assistante à la recherche au Club des DUDES. M. Topham est photographe et cinéaste à Vancouver et directeur du documentaire Liberia 77 pour lequel il a remporté un prix. Il documente le Club des DUDES depuis 2013.
Le Projet de la page couverture Les visages de la médecine familiale a évolué pour passer du profil individuel de médecins de famille au Canada à un portrait de médecins et de communautés des diverses régions du pays aux prises avec certaines des iniquités et des défis omniprésents dans la société. Nous espérons qu’avec le temps, cette collection de pages couvertures et de récits nous aidera à améliorer nos relations avec nos patients dans nos propres communautés.