Nous vivons dans un monde qui présente une diversité exceptionnelle, mais qui est aux prises avec d'énormes inégalités. Au cours des dernières années, le domaine de la santé mondiale a évolué grâce à la reconnaissance de ces réalités, une reconnaissance riche en perspectives sur la façon de prendre en compte ces réalités1. Le domaine de la santé mondiale a également progressé du côté de la physiothérapie, où un plus grand nombre de physiothérapeutes et d'étudiants canadiens participent à des initiatives à l'étranger. En un sens, il s'agit là aussi d'un signe d'inégalité sur le plan mondial : des personnes d'une certaine nationalité ou d'une certaine profession, qui ont les ressources financières pour voyager, sont en mesure d'intervenir ailleurs et peuvent le faire essentiellement comme bon leur semble.
À titre de physiothérapeutes voués à la santé mondiale, nous croyons aux répercussions positives que la physiothérapie peut engendrer afin de combler d'importants besoins aux quatre coins du monde2. En même temps, nous redoutons le risque que de telles initiatives s'avèrent inefficaces sans qu'on le sache et créent même plus de problèmes que de solutions3. À nos yeux, ce risque est particulièrement élevé là où la contribution au domaine de la santé mondiale est recouverte d'un voile d'altruisme naïf ou d'héroïsme dominateur4, et perpétue des dynamiques coloniales dans le cadre desquelles les connaissances et les points de vue occidentaux prennent le pas sur les autres solutions5,6.
Afin de maximiser le potentiel d'une contribution positive au domaine de la santé mondiale tout en faisant mieux connaître le risque d'inefficacité ou même de préjudice, nous proposons que les physiothérapeutes et les étudiants se livrent à des pratiques fondées sur la réflexion et sur la notion d'humilité culturelle7. Ce concept consiste à envisager sa propre culture d'un œil critique tout en cherchant à comprendre les autres avec respect, à reconnaître et à corriger le déséquilibre des forces, et à contribuer à des partenariats qui sont mutuellement avantageux et non paternalistes.
Nous avons constaté que le fait de réfléchir à des expériences sous l'angle de l'humilité culturelle peut apporter un éclairage utile pour orienter nos actions. En voici un exemple :
Un physiothérapeute canadien qui travaille bénévolement dans un hôpital situé dans un pays à faible revenu remarque qu'un collègue local, membre du personnel hospitalier, effectue un traitement qu'il juge inefficace à un moment critique du processus de rétablissement d'un patient. Conscient de l'importance d'un traitement efficace, le physiothérapeute interrompt le traitement de son collègue et lui en présente un nouveau.
Nous respectons l'intention du physiothérapeute canadien, soit de contribuer à ce qu'il croit être de meilleurs soins à prodiguer à un patient, mais nous sommes également d'avis que cette interruption n'aurait pas eu lieu si le Canadien avait intégré le principe de l'humilité culturelle. Tout d'abord, le point de vue du Canadien sur ce qui constitue de « meilleures pratiques » pourrait avoir un horizon plus vaste s'il voyait les interventions qui dominent actuellement dans les pays à revenu élevé comme le résultat d'une vision du monde particulière et imprégnée dans la culture, plutôt que comme des principes universels à appliquer peu importe le contexte. De plus, la réflexion axée sur l'humilité culturelle nécessite que l'on prenne en compte le déséquilibre des forces. Le Canadien saura constater, on l'espère, que contrairement à son collègue local, il a les moyens de se rendre dans un établissement d'un pays étranger et de critiquer son personnel, et que les raisons pour lesquelles cette situation n'est probablement pas à la portée de son collègue ne devraient pas être considérées comme naturelles. Le Canadien n'a pas pris un moment de recul pour se demander pourquoi son collègue effectuait ce traitement, alors que celui-ci correspondait peut-être à la réalité de la situation et à une vision du monde ancrée dans la culture. En ne cherchant pas à le savoir, le Canadien a non seulement été irrespectueux, mais il a également raté là l'occasion d'en apprendre sur la culture et le contexte locaux.
Dans cet exemple, nous démontrons comment l'humilité culturelle révèle des considérations et des possibilités qui autrement ne sauteraient pas aux yeux. Bien que cet exemple soit hypothétique, il est semblable à des interactions que nous avons vécues – des interactions qui suscitent des préoccupations parce que les Canadiens y voyaient non pas un problème, mais plutôt une façon d'améliorer les services de physiothérapie dispensés à des personnes mal servies. Malgré ces préoccupations, nous avons bon espoir qu'en utilisant le concept d'humilité culturelle, nous pouvons créer d'autres modes d'action qui sont mutuellement avantageux et qui ne sont pas paternalistes.
Pour analyser l'exemple susmentionné, nous nous sommes concentrés sur la réflexion et non sur des modes d'action précis. Cette stratégie est intentionnelle : puisque l'utilisation de la notion d'humilité culturelle est un processus continu, il serait mal à propos de présenter un scénario comme étant définitif. En outre, pour déterminer de meilleurs modes d'action, il faudrait prendre en compte des détails contextuels plus nombreux que ceux qui sont présentés dans ce cas-ci.
Alors que nous notons des signes démontrant que la notion d'humilité culturelle est pratiquée assidûment à l'échelle mondiale dans d'autres professions8, on en fait très peu mention dans les ouvrages sur la physiothérapie, probablement parce que le concept n'est pas suffisamment assimilé. Selon nous, il est essentiel qu'au moment de s'engager dans la sphère de la santé mondiale, les physiothérapeutes et les étudiants canadiens intègrent une pratique fondée sur la réflexion et sur le concept de l'humilité culturelle pour créer un effet immédiat.
Nous avons écrit cet article dans la perspective de la santé mondiale à la fois parce que c'est ce que nous connaissons le mieux et parce que nous voyons l'avantage immédiat d'y appliquer la notion d'humilité culturelle. Toutefois, cela risque de perpétuer l'idée que la santé mondiale est quelque chose qui se passe là-bas, par opposition, d'une certaine manière, à la pratique normale au Canada. En fait, pour nous, l'humilité culturelle est un concept utile qui permet d'engendrer une pratique respectueuse et efficace, non seulement à l'étranger, mais au Canada contemporain, où l'on trouve une diversité exceptionnelle et d'énormes inégalités dans certains secteurs. Nous sommes d'avis qu'il faut commencer à en parler dès le début de la formation des débutants et intégrer de plus en plus cette notion à nos façons de faire et d'être sur le plan professionnel.
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