À mesure que la population canadienne vieillit, la fragilité, accompagnée du risque accru de déclin fonctionnel et de détérioration de l’état de santé, devient de plus en plus courante. Environ le quart des Canadiens et Canadiennes de plus de 65 ans sont frêles; cette proportion double chez les plus de 85 ans1.
La fragilité désigne un état de grande vulnérabilité, avec réserve physique réduite et perte fonctionnelle. Les personnes âgées qui sont frêles présentent plusieurs comorbidités, prennent de nombreux médicaments et vivent parfois dans un environnement social complexe. Il peut être intimidant pour un étudiant en médecine ou un résident d’évaluer un patient frêle dans le contexte d’une clinique occupée de médecine de famille ou d’une visite à domicile. L’approche pratique des soins aux patients frêles est pourtant essentielle.
Dernièrement, un homme de 92 ans vivant en logement supervisé, atteint de diabète de type 2 et de vasculopathie périphérique et amputé sous le genou s’est présenté dans son fauteuil roulant pour sa visite de routine à la clinique, accompagné d’un ami. Il a été vu par un résident, qui lui a posé des questions sur son diabète et sa douleur, mais le résident n’était pas sûr de ce qu’il devait examiner d’autre. Après la visite, l’enseignant et l’apprenant ont débreffé. Le résident a dit : « Tu sais ce dont on a besoin ? On a besoin d’une liste de vérification. Les listes de vérification ont amélioré les soins dans d’autres domaines en santé2. Si je pouvais approcher mes patients frêles avec une courte liste de vérification, je me sentirais plus confiant et mes soins seraient plus méticuleux. »
Nous avons examiné les lignes directrices axées sur les données probantes pour trouver des affections couramment présentes avec la fragilité et avons créé une liste de vérification pour les apprenants en médecine et autres fournisseurs de soins de santé primaires. La liste de vérification se concentre sur la fonction et les objectifs de soins, lesquels sont souvent négligés dans le cadre des soins aux personnes âgées.
La liste de vérification 5 de fragilité traite d’importants domaines des soins auprès des personnes âgées qui sont frêles (Figure 1) : émotions et sensations ; transit ; fonction et chutes ; pharmacie ; et futur et famille. Le guide d’utilisation de la liste de vérification 5 de fragilité propose des questions de dépistage et des outils d’évaluation structurés pour chacun des 5 articles de la liste (Tableau 1)3,4.
Tableau 1.
ARTICLE DE LA LISTE DE VÉRIFICATION | SUJET | QUESTIONS |
---|---|---|
Émotions et sensations | Humeur | En présence de signes et symptômes, envisager un dépistage à deux questions : « Au cours du mois dernier, vous êtes-vous senti morose ou déprimé ou encore désespéré ? » et « Au cours du mois dernier, avez-vous eu peu d’intérêt ou de plaisir à faire vos activités ? »3 |
Cognition | Le patient, le soignant ou la famille ont-ils exprimé des inquiétudes ? Si oui, administrer le MMSE, le MOCA ou le RUDAS | |
Douleur | Ressentez-vous de la douleur ? Si oui, à quel endroit ? | |
Transit | Constipation | À quelle fréquence allez-vous à la selle ? Vos selles sont-elles fermes ou grumeleuses ? Devez-vous forcer lorsque vous déféquez ? |
Incontinence urinaire | Avez-vous parfois des fuites d’urine ? | |
Fonction et chutes | Activités de la vie quotidienne | Avez-vous besoin d’aide pour effectuer vos activités habituelles ou quelqu’un les fait-elles pour vous ? Passez en revue les activités de base de la vie quotidienne : acronyme anglais DEATH (se vêtir [dressing], manger [eating], se déplacer [ambulation], toilette [toileting], hygiène [hygiene]) Passez en revue les activités de la vie domestique : acronyme anglais SHAFT (faire les courses [shopping], travaux ménagers [housework], comptabilité [accounting], cuisine [food preparation], transport [transportation]) |
Chutes | Êtes-vous tombé dans les 12 derniers mois ? Tenez compte de la fréquence, du contexte et des caractéristiques des chutes. Tenez compte des anomalies de la démarche ou de l’équilibre4 | |
Pharmacie | Revue de la médication | Passez en revue les médicaments sur ordonnance et en vente libre et la façon dont ils sont pris |
Observance du traitement pharmacologique | À quelle fréquence oubliez-vous de prendre ce médicament ou ne le prenez pas ? | |
Déprescription | Le fournisseur doit tenir compte de ceci : Y a-t-il des médicaments qui ne sont pas nécessaires dont vous pouvez réduire la dose ou que vous pourriez abandonner ? Y a-t-il des médicaments utilisés pour atteindre des cibles inappropriées pour les personnes âgées frêles (pour des affections telles que le diabète, l’hypertension ou l’hypercholestérolémie) ? Les lignes directrices et algorithmes de déprescription se trouvent à l’adresse : https://deprescribing.org/fr/ressources-pour-les-patients-et-les-prestataires-de-soins-de-sante/deprescribing-algorithms |
|
Futur et famille | Soutiens | Sur qui comptez-vous pour obtenir soutien et assistance ? |
Mandataire | Qui est votre mandataire ou délégué de pouvoir pour les soins personnels et votre délégué de pouvoir pour vos finances ? Le mandataire nommé fait-il partie de la hiérarchie juridique ? Avez-vous parlé au mandataire ou délégué de pouvoir de vos objectifs et de vos valeurs ? | |
Objectifs de soins | Que comprenez-vous de votre état ? Quels sont vos espoirs et valeurs pour les années qu’il vous reste à vivre ? Quelles sont vos préférences de soins en cas de maladie menaçant la vie ? La campagne Parlons-en fournit des outils de planification des soins avancés à www.planificationprealable.ca |
MMSE—Mini-Mental State Examination, MOCA—Montreal Cognitive Assessment, RUDAS—Rowland Universal Dementia Assessment Scale.
Lignes directrices à l’appui de la liste de vérification 5 de fragilité
Émotions et sensations
Humeur : Bien que le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs ne recommande pas le dépistage systématique de la dépression, on conseille aux cliniciens de surveiller la possibilité de dépression. Les personnes âgées aux prises avec des problèmes de santé chroniques et d’isolement social sont à risque de dépression. Les indices cliniques, tels qu’insomnie, humeur morose et anhédonie devraient susciter le dépistage5.
Cognition : Il est aussi déconseillé de soumettre les adultes asymptomatiques au dépistage du déclin cognitif, mais le dépistage est indiqué si un patient, un membre de sa famille ou un autre fournisseur de soins s’inquiète de la présence potentielle d’un déclin cognitif ou si le patient manifeste des symptômes qui évoquent le déficit cognitif léger6. Les troubles de mémoire doivent être évalués et suivis dans le but d’en évaluer la progression.
Douleur : La douleur persistante est courante chez les personnes âgées et elle est associée à un certain nombre de conséquences indésirables, dont le déclin fonctionnel, les chutes, un isolement social, des troubles du sommeil et l’utilisation et les coûts accrus des soins de santé7. Certaines personnes âgées pourraient ne pas parler de leur douleur.
Transit
Intestins : Le taux de constipation frôle les 50 % chez les personnes âgées de plus de 80 ans et la constipation a des conséquences importantes telles la syncope, l’ischémie coronarienne ou cérébrale, l’anorexie, la nausée, la douleur et la baisse de la qualité de vie8. La constipation peut être efficacement traitée par des agents osmotiques.
Vessie : Quelque 70 % des femmes de plus de 70 ans manifestent une forme ou une autre d’incontinence urinaire. L’incontinence est associée à une baisse de la qualité de vie en raison de l’irritation cutanée, des infections urinaires, des chutes et de l’isolement social. Elle est la deuxième cause d’admission en soins de longue durée après la démence. Il existe des données probantes étayant les traitements conservateurs ou autres de l’incontinence chez les personnes âgées9.
Fonction et chutes.
Il faut examiner les activités de base de la vie quotidienne et les activités de la vie domestique afin de comprendre quel type de soutien est nécessaire.
Il faut systématiquement demander aux personnes âgées si elles sont tombées dans l’année écoulée, puisque les chutes sont la principale cause de blessures chez ces patients et peuvent avoir des conséquences dévastatrices4. Une récente revue systématique et méta-analyse sur la prévention des chutes a révélé une baisse des mauvaises chutes avec l’exercice seulement et avec l’exercice associé à d’autres interventions, y compris l’évaluation et le traitement de la vision, l’évaluation et la modification de l’environnement et la supplémentation en calcium et vitamine D10. Un ergothérapeute peut évaluer le domicile par l’entremise d’une agence locale de soins à domicile.
Pharmacie.
Une façon efficace de vérifier la médication des patients (sur ordonnance ou non) consiste à vérifier les contenants de pilules, les dosettes et les plaques alvéolées. Il est essentiel d’évaluer l’observance du traitement pharmacologique en demandant aux patients à quelle fréquence, le cas échéant, ils oublient de prendre chaque médicament. Il est possible d’améliorer l’observance du traitement en comprenant mutuellement les raisons pour lesquelles chaque médicament est utilisé.
Dans cette population, il faut tenter de déprescrire. La déprescription désigne le processus planifié de réduction de la dose ou d’arrêt des médicaments qui pour-raient ne plus être nécessaires, voire inutiles. L’objectif est de réduire le fardeau et les torts des médicaments, tout en améliorant la qualité de vie. Il existe des algorithmes thérapeutiques pour épauler le fournisseur de soins dans ce processus (https://deprescribing.org/fr).
Il faut aussi envisager d’instaurer un traitement par des médicaments dont les bienfaits sont éprouvés (p. ex., vitamine D, bisphosphonates) si un tel traitement s’inscrit dans les objectifs de soins du patient et son espérance de vie.
Futur et famille.
La fragilité est liée à un taux accru de mortalité et de morbidité. Cependant, seuls 2 à 29 % des personnes âgées qui sont frêles ont parlé des soins de fin de vie avec leur professionnel de la santé, malgré le fait que la plupart souhaitent en discuter au plus tôt11. Consignez au dossier le soutien au patient, s’ils ont un mandataire ou s’ils ont discuté des directives de soins avancés avec leur mandataire. Connaître les objectifs de soins du patient (p. ex., soulagement des symptômes, maintien ou amélioration de la fonction, vivre long-temps) guidera la prise de décisions mutuelle11,12.
Il existe des outils pouvant être utiles durant ces discussions, comme les ressources de la campagne Parlons-en (www.planificationprealable.ca) et la vidéo d’Atul Gawande sur la façon de parler des soins de fin de vie avec un patient mourant (https://www.youtube.com/watch?v=45b2QZxDd_o).
Mettre la liste de vérification 5 de fragilité en pratique
Après avoir structuré sa prochaine visite, en fonction de la liste de vérification, le résident a relevé plusieurs domaines d’intervention, y compris le risque de chute chez le patient ; il a demandé une évaluation de la sécurité au domicile, réalisé un test de vision, ajouté les suppléments de vitamine D à sa médication et abaissé la dose d’antihyperglycémiants. Le résident a aussi amorcé une conversation sur les objectifs de soins et la nécessité de nommer un mandataire.
Des modèles comparables de la liste de vérification ont vu le jour pour décrire les compétences de base en gériatrie aux personnes qui ne travaillent pas dans le domaine (page 39)13,14. Notre outil s’adresse toutefois aux fournisseurs de soins primaires et aux apprenants pour des motifs différents et il sert de cadre pratique pour dispenser des soins aux personnes âgées frêles.
Conclusion
Il peut être intimidant de soigner les personnes âgées frêles, tant pour les apprenants que pour les professionnels expérimentés. La liste de vérification peut mettre de l’ordre dans le désordre.
La liste de vérification 5 de fragilité guide l’apprenant vers 5 domaines d’intervention possible dans un format simple et ciblé. Elle a le potentiel d’améliorer les connaissances et la confiance des apprenants et d’améliorer les soins aux personnes âgées dont le cas est complexe.
Remerciements
Nous remercions le Dr Sid Feldman pour ses suggestions et commentaires judicieux pour le manuscrit et le Dr Andrew Boozary, qui a suggéré de créer une liste de vérification pour les visites à domicile.
Conseils pour les enseignants
▸ La liste de vérification 5 de fragilité aide l’apprenant à relever 5 domaines d’intervention possible de façon simple et ciblée.
▸ Le guide d’utilisation de la liste de vérification 5 de fragilité propose des questions de dépistage et des outils d’évaluation structurés pour chacun des 5 articles sur la liste de vérification.
▸ La liste de vérification 5 de fragilité aide les apprenants à organiser la prestation des soins centrés sur les données probantes aux personnes âgées frêles et aide à amorcer d’importantes conversations sur les objectifs de soins avec les patients et leurs proches.
Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC). La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en mettant l’accent sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Viola Antao, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à viola.antao@utoronto.ca.
Footnotes
Dre Freedman et Mme McDougall sont les responsables cliniques du programme de visites à domicile St. Michael’s Academic Family Health Team Home Visiting Program.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the January 2019 issue on page 74.
Références
- 1.Muscedere J, Andrew MK, Bagshaw SM, Estabrooks C, Hogan D, Holroyd-Leduc J, et al. Screening for frailty in Canada’s health care system : a time for action. Can J Aging. 2016;35(3):281–97. doi: 10.1017/S0714980816000301. Publ. en ligne du 23 mai 2016. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 2.Gawande A. The checklist manifesto. How to get things right. New York, NY: Metropolitan Books; 2009. [Google Scholar]
- 3.Tsoi KK, Chan JY, Hirai HW, Wong SY. Comparison of diagnostic performance of Two-Question Screen and 15 depression screening instruments for older adults : systematic review and meta-analysis. Br J Psychiatry. 2017;210(4):255–60. doi: 10.1192/bjp.bp.116.186932. Publ. en ligne du 16 févr. 2017. Errata dans : Br J Psychiatry 2017 ;211(2):120. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 4.National Institute for Health and Care Excellence. Falls in older people : assessing risk and prevention. Londres, Angl.: National Institute for Health and Care Excellence; 2013. Accessible à : https://www.nice.org.uk/guidance/cg161/chapter/1-Recommendations#preventing-falls-in-older-people. Réf. du 6 avr. 2018. [Google Scholar]
- 5.Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs. Joffres M, Jaramillo A, Dickinson J, Lewin G, Pottie K, et al. Recommendations on screening for depression in adults. CMAJ. 2013;185(9):775–82. doi: 10.1503/cmaj.130403. Publ. en ligne du 13 mai 2013. Errata dans : CMAJ 2013;185(12) : 1067. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 6.Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs. Pottie K, Rahal R, Jaramillo A, Birtwhistle R, Thombs BD, et al. Recommendations on screening for cognitive impairment in older adults. CMAJ. 2016;188(1):37–46. doi: 10.1503/cmaj.141165. Publ. en ligne du 30 nov. 2015. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 7.American Geriatric Society Panel on Pharmacological Management of Persistent Pain in Older Persons. Pharmacological management of persistent pain in older persons. J Am Geriatr Soc. 2009;57(8):1331–46. doi: 10.1111/j.1532-5415.2009.02376.x. Publ. en ligne du 2 juill. 2009. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 8.Gandell D, Straus SE, Bundookwala M, Tsui V, Alibhai SM. Treatment of constipation in older people. CMAJ. 2013;185(8):663–70. doi: 10.1503/cmaj.120819. Publ. en ligne du 28 janv. 2013. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 9.Qaseem A, Dallas P, Forciea MA, Starkey M, Denberg TD, Shekelle P. Nonsurgical management of urinary incontinence in women : a clinical practice guideline from the American College of Physicians. Ann Intern Med. 2014;161(6):429–40. doi: 10.7326/M13-2410. Errata dans : Ann Intern Med 2014;161(10):764. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 10.Tricco AC, Thomas SM, Veroniki AA, Hamid JS, Cogo E, Strifler L, et al. Comparisons of interventions for preventing falls in older adults : a systematic review and meta-analysis. JAMA. 2017;318(17):1687–99. doi: 10.1001/jama.2017.15006. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 11.Sharp T, Moran E, Kuhn I, Barclay S. Do the elderly have a voice? Advance care planning discussions with frail and older individuals : a systematic literature review and narrative synthesis. Br J Gen Pract. 2013;63(615):e657–68. doi: 10.3399/bjgp13X673667. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 12.Bernacki RE, Block SD, American College of Physicians High Value Care Task Force. Communication about serious illness care goals : a review and synthesis of best practices. JAMA Intern Med. 2014;174(12):1994–2003. doi: 10.1001/jamainternmed.2014.5271. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 13.Molnar F, Frank C. Optimizing geriatric care with the 5 Ms. Can Fam Physician. 2019;65:39. [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 14.Tinetti M, Huang A, Molnar F. The geriatric 5M’s : a new way of communicating what we do. J Am Geriatr Soc. 2017;65(9):2115. doi: 10.1111/jgs.14979. Publ. en ligne du 6 juin 2017. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]