RÉSUMÉ
Le traitement du cancer peut grandement affecter la vie sexuelle d’une personne. Pourtant, les survivants du cancer signalent que très peu de professionnels de la santé abordent le sujet. Ces travaux ont été entrepris afin de mieux comprendre le dialogue entre les professionnels de la santé et les patients atteints de cancer au sujet de la sexualité. Ils visaient à identifier les obstacles au dialogue entre les patients et les fournisseurs de soins de santé et à proposer des façons de surmonter ces obstacles, dans des milieux cliniques achalandés. Au total, 34 professionnels de la santé du Canada et 27 infirmières d’Afrique ont pris part au groupe de discussion. Une analyse de contenu a révélé des similitudes en matière d’inconfort personnel face au sujet de discussion et au fait de ne pas se sentir prêt à en discuter avec les patients. Des différences marquées ont été notées entre les deux échantillons en ce qui a trait aux obstacles reliés à la culture et aux traditions. Les infirmières d’Afrique ont mentionné que des obstacles culturels importants, de la stigmatisation et de la discrimination influencent les discussions sur la sexualité avec les patients atteints de cancer, contrairement à leurs homologues du Canada.
INTRODUCTION
Le diagnostic et le traitement du cancer peuvent entraîner d’importantes répercussions sur la qualité de vie d’une personne, provoquant plusieurs changements sur les plans physique, émotionnel, psychologique, spirituel et pratique (Fitch, Page et Porter, 2008; Katz, 2016). Les changements corporels et les altérations fonctionnelles du système, pour ne nommer que ceux-là, peuvent troubler l’image corporelle et l’estime personnelle en plus de nuire à la fertilité et au fonctionnement sexuel. Bref, c’est toute la dimension sexuelle d’une personne qui peut être compromise.
La sexualité contribue grandement à la qualité de vie et constitue une dimension fondamentale de l’être humain (Organisation mondiale de la santé, 2002; Shell, 2002). Définie au sens large, la sexualité englobe l’identité, les rôles et l’orientation sexuels, l’érotisme, le plaisir et l’intimité (Bober et Varela, 2012; Park, Norris et Bober, 2009). Véritable fondement de l’identité pour plusieurs, la sexualité favorise les sentiments d’intégrité personnelle, d’adaptabilité et de résilience qui permettent de mieux s’adapter dans la vie (Redelman, 2008). Les intérêts en matière de sexualité varient beaucoup d’une personne à une autre et peuvent être modifiés par l’âge, les relations, la maladie et les circonstances de la vie (Bianchi, 2018).
Un nombre croissant de travaux décrivent l’impact du cancer sur la sexualité (Bedell et al., 2017; Hordern, 2008; Jackson, Wardle, Steptoe et Fisher, 2016; Rossen, Pedersen, Zachariae et von der Maas, 2012). Les premiers écrits se concentraient surtout sur les aspects mécaniques du dysfonctionnement physique qui découlaient des changements physiques observés après le traitement. Mais le sens subjectif de la sexualité et la complexité de la vie sexuelle pendant la maladie sont aussi de mieux en mieux compris (Perz et al., 2014; Ussher et al., 2015; Varela, Zhou et Bober, 2013). Depuis les premiers travaux axés sur le cancer du sein (Meyerowitz, Desmond, Rowland, Wyatt et Ganz, 1999) et les cancers gynécologiques (Andersen, Woods et Copeland, 1997), la littérature s’est diversifiée pour s’intéresser à plusieurs autres populations (Fitch, Miller, Sharir et McAndrew, 2010; Mercadante, Vitrano et Catania, 2010; Reese, Shelby et Abernethy, 2011; Reese, Shelby, Keefe, Porter et Abernethy, 2010) et aux répercussions du cancer sur la sexualité et la qualité de vie (Thierney, 2008).
Les soins holistiques impliquent de porter attention à toutes les facettes d’un individu, y compris sa sexualité (Institute of Medicine, 2007). Toutefois, les besoins en matière de sexualité demeurent souvent insatisfaits, ce qui accentue la détresse émotionnelle (Harrison, Young, Price, Butow, et Solomon, 2009; Jackson et al., 2016: Reese, Bober et Daly, 2017). Les patients ont déploré le fait que les préoccupations de nature sexuelle ne sont pas toujours prises en compte pendant leurs rencontres avec les médecins et les infirmières (Fitch, Beaudoin, Johnson, 2013; Lindau 2011). De plus en plus clairement, il ressort que les discussions entre les patients et les fournisseurs de soins de santé à propos des problématiques sexuelles sont plutôt rares, plus particulièrement dans les services ambulatoires achalandés (Candoza et al., 2016; Katz, 2005; Reese et al., 2017), et ce même si l’on sait que les patients veulent en discuter (Flynn et al., 2012; Park, Norris et Bober, 2009).
OBJECTIFS
Cette étude a été entreprise en vue d’améliorer la compréhension du dialogue qui se produit entre professionnels en oncologie et patients atteints de cancer en matière de sexualité. Nous prévoyions que la démarche permette de cerner les obstacles limitant le dialogue entre les patients et les fournisseurs de soins de santé et de fournir des pistes sur les façons de surmonter ces barrières dans des milieux cliniques achalandés. Des points de contact au Canada et au Zimbabwe ont permis d’explorer cette question dans deux contextes géographiques différents.
MÉTHODOLOGIE
Étant donné la nature exploratoire du travail et la volonté de recueillir les points de vue sur le sujet, un devis descriptif qualitatif a été utilisé. Au Canada, des entrevues individuelles semi-structurées détaillées ont été réalisées avec les fournisseurs de soins de santé, alors qu’au Zimbabwe, le groupe de discussion est l’approche qui a été retenue.
RECRUTEMENT ET COLLECTE DE DONNÉES
Au Canada, une approche d’échantillonnage de commodité choisi à dessein a été mise de l’avant pour recruter les participants dans une clinique de consultations externes polyvalente. Après avoir annoncé que l’étude démarrait, l’auxiliaire de recherche a approché le personnel clinique de chaque groupe de maladie disponible et intéressé par l’étude. Le recrutement s’est poursuivi jusqu’à ce que des personnes dans l’échantillon forment un groupe représentatif des types de cancer retrouvés et des traitements utilisés dans la population. Les personnes qui ont accepté de participer ont été soumises à une entrevue semi-structurée (d’une durée variant entre 45 et 80 minutes) avec la coordonnatrice de la recherche, qui maîtrise bien les méthodes qualitatives. Le guide d’entretien a été élaboré aux fins de l’étude afin d’élucider différents sujets: savoir si les discussions sur la sexualité faisaient partie de leur pratique clinique, définir ce qui était perçu comme un problème sexuel (la définition de sexualité n’était pas présentée préalablement), nommer les obstacles à tenir ces discussions avec les patients et proposer des solutions pour surmonter ces obstacles. Les entrevues étaient enregistrées sur bande sonore et transcrites mot pour mot.
Au Zimbabwe, les fournisseurs de soins de santé qui participaient à une formation sur le cancer étaient invités à participer à une séance portant sur la sexualité et le cancer. La séance a commencé par une courte présentation à propos du cancer et de la sexualité. Par la suite, en petits groupes de 4 ou 5, les participants ont échangé autour de la question suivante: quels sont les obstacles aux discussions sur la sexualité avec les patients et leurs familles, dans votre milieu clinique? Les membres du groupe ont noté l’essentiel de leur discussion sur des affichettes, en plus d’en faire le compte rendu oral devant le groupe. Une personne était chargée d’enregistrer ces exposés et la discussion de groupe qui a suivi. La discussion en grand groupe consistait à proposer des solutions aux obstacles mentionnés. La séance complète, d’une durée d’une heure, était animée par les deux auteures de la présente publication.
ANALYSE
Les transcriptions textuelles des entrevues réalisées au Canada ont été soumises à une analyse standardisée du contenu (Denzin et Lincoln, 2000) une fois toutes les entrevues terminées. Les transcriptions étaient lues dans leur intégralité en prenant dans la marge des notes sur le contenu. Une fois les impressions sur les données d’entrevue partagées, des codes et des définitions de catégories de contenu ont été créés. L’ensemble des transcriptions ont ensuite été codées en fonction des catégories de contenu, par une même personne (MF). Puis, une révision des données codées par deux collègues canadiens expérimentés dans le domaine et l’auteure principale a permis de comparer les réponses des participants, en plus de faire ressortir des perspectives ou des thèmes communs. Ces perspectives communes ont été recensées avant de procéder à l’analyse des données recueillies en Afrique.
Toutes les notes prises dans le cadre de la séance de discussion en Afrique ont aussi été soumises à un processus similaire d’analyse de contenu et ont permis d’attirer l’attention sur les thèmes principaux. Les notes ont été revues dans leur intégralité avant de définir les catégories de codage. Toutes les notes ont été codées une à une par la même auteure (MF) en utilisant les catégories établies. Les perspectives et thèmes importants ont été considérés séparément. Ces perspectives ont été révisées par la coauteure et coanimatrice de la séance qui demeure en Afrique. Les similitudes et les différences relevées dans l’ensemble des données ont enfin été consignées pour constituer la base des résultats présentés ci-dessous.
RÉSULTATS
Échantillon
L’échantillon de participants du Canada (N=34) était composé d’infirmières (n=12), d’oncologues (n=11), de travailleurs sociaux (n=6) et de radiothérapeutes (n=5). Bien que chacun n’ait individuellement participé au traitement que de 3 ou 4 types de cancer, l’ensemble de l’échantillon reflète bien tous les types de cancer. L’échantillon des participants d’Afrique (N=27) était formé d’infirmières (n=22) et de spécialistes en radiologie (n=5). Tous les praticiens des deux échantillons étaient expérimentés au chapitre des soins oncologiques.
Thèmes
L’analyse des entrevues et conversations a fait ressortir six thèmes, avec de fortes similitudes entre les deux échantillons. Chacun d’entre eux sera brièvement décrit ci-après et des citations exemplifiant ces thèmes sont données dans les tableaux 1 et 2.
Tableau 1.
Thèmes portant sur le cancer et la sexualité
Thèmes portant sur la sexualité et les patients atteints de cancer | Points de vue des fournisseurs de soins de santé du Canada | Points de vue des fournisseurs de soins de santé d’Afrique |
---|---|---|
L’ampleur des répercussions du cancer et de son traitement sur la sexualité d’une personne dépend du siège de la maladie. |
Si les patients atteints d’un cancer à la prostate n’en parlent pas, alors je le fais, parce que le traitement peut affecter la sexualité. Je n’en parle jamais avec les patients avec atteinte du système nerveux central; ils sont déjà si durement touchés par la maladie. J’aborde le sujet avec toutes mes patientes atteintes du cancer du col utérin, mais jamais avec celles qui ont le cancer du sein, parce qu’elles reçoivent uniquement de la radiothérapie. |
Les infirmières constatent les répercussions du traitement, mais peu de patients parleront de sexualité. C’est un tabou culturel d’en parler. Certaines cultures et religions interdisent de parler de sexualité. |
La sexualité n’est pas considérée comme étant une priorité pour les patients atteints de cancer, particulièrement durant les phases de diagnostic et de traitement. |
Je crois que les patients veulent traiter le cancer d’abord et avant tout. Je n’aborderais aucun sujet relatif à la sexualité avec des patients atteints d’un cancer à la tête ou au cou. Ils sont bien trop malheureux pour penser à leur sexualité. Lorsque vous ne pouvez pas manger ni avaler et que vous avez de la difficulté à respirer, la dernière chose à laquelle vous pensez, c’est à faire l’amour. |
Le médecin/l’infirmière doit voir plusieurs patients. Il/elle préfère donc se concentrer sur la maladie que sur les problèmes sexuels. |
Si la sexualité devient une préoccupation pour les patients atteints de cancer, cela se manifestera à la fin du traitement. |
Ce n’est pas un problème pour le patient sous traitement; c’est plutôt un problème avant et après le traitement. C’est la dernière chose à laquelle les patients pensent au début; ils se concentrent uniquement sur le diagnostic et le traitement. Ça se présente plus tard. |
Les patients sont gênés d’exprimer quoi que ce soit au sujet de la sexualité. Ils ont honte de parler de leurs problèmes sexuels et craignent d’être pointés du doigt. |
Le plus souvent, les discussions sur la sexualité se déroulent le dans le cadre des discussions entourant le consentement éclairé avant l’opération, le traitement ou lorsque le patient pose une question précise sur le sujet. | Je parle aux jeunes hommes atteints d’un cancer des testicules de la banque de sperme et de fertilité, mais je parle rarement de leur situation avec eux. | Avant certaines opérations, un partage d’informations s’impose. Mais les infirmières sont si occupées qu’il n’y a pas de temps ni d’environnement propice pour permettre aux patients de parler. La plupart des hôpitaux sont surpeuplés. Pas de temps ni d’intimité. Et les patients ont beaucoup de choses à faire lorsqu’ils viennent à l’hôpital, comme les prises de sang et la radiologie. |
Les personnes atteintes de cancer qui ont des difficultés ou des préoccupations de nature sexuelle s’adresseront d’ellesmêmes à un professionnel de la santé. |
Je crois que les patients partageront leurs inquiétudes. J’attends qu’ils me parlent de leurs préoccupations. |
Les patients ne font pas confiance aux infirmières. Ils craignent qu’elles ne parlent d’eux à d’autres personnes ou à leurs familles alors ils préfèrent ne pas partager les détails de leur vie privée. |
Tableau 2.
Thèmes portant sur les obstacles aux discussions sur la sexualité avec les patients atteints de cancer et les solutions potentielles
Perspectives à propos des discussions sur la sexualité | Professionnels de la santé au Canada | Professionnels de la santé en Afrique | ||
---|---|---|---|---|
Perspectives décrites | Exemples de commentaires | Perspectives décrites | Exemples de commentaires | |
Pourquoi les patients atteints de cancer trouvent-ils difficile de parler de leurs problèmes sexuels? | Les facteurs suivants ont été nommés: âge, culture, sujet privé/personnel, gêne, sexe, langue, le cancer prend toute la place, confiance et relation avec le professionnel, temps, orientation sexuelle, relation entre les partenaires, rôle perçu du professionnel |
Il n’est pas approprié, dans certaines cultures, d’aborder ce sujet… et les croyances peuvent être difficiles à surmonter… c’est un sujet tabou pour beaucoup. Les patients plus jeunes sont plus aptes à aborder le sujet. Ils semblent plus ouverts et à l’aise, alors que c’est l’inverse pour la plupart des aînés. Il est probable qu’une femme trouve plus difficile d’en parler avec un médecin homme. C’est peut-être la même situation pour un homme avec une femme médecin. Si le problème est relié à un abus sexuel, le sujet est difficile à aborder. Si la personne est homosexuelle, c’est difficile. On peut vivre des malaises à cause de la langue et du besoin d’un interprète… par exemple, demander à un fils de traduire pour sa mère à propos de l’utilisation d’un dilatateur. |
Les facteurs suivants ont été soulignés: Pour des raisons de culture/tradition et de religion, le sujet est tabou Manque de connaissances, de compétences et de vocabulaire sur le sujet Temps/charge de travail Manque d’intimité Honte ou peur Gêne Âge, sexe Attitude Relation avec le partenaire |
Pour la plupart de nos habitants, la sexualité est un sujet tabou Le milieu culturel du patient ne lui permet pas de parler de ces choses avec une autre personne Religion – la sexualité est perçue différemment pour un chrétien qu’un musulman. Alors parfois la discussion avorte en chemin. Le patient ressent de la gêne/honte à exprimer ses problèmes sexuels Peur: les patients croient que tous les problèmes sexuels relèvent de la prostitution, de l’adultère et de la débauche, ce qui est honteux aux yeux des autres. Si vous intervenez auprès de patients âgés, plus vieux que vous ou du sexe opposé, ils peuvent ne pas vouloir en parler. Lorsque le patient est agressé sexuellement par son/sa partenaire, il cesse rapidement de verbaliser sur ce qui s’est vraiment produit Sexe – un patient de sexe masculin peut être inconfortable de discuter avec une infirmière ou une femme médecin |
Pourquoi les professionnels de la santé trouvent-ils difficile de discuter des problèmes sexuels? | Les facteurs suivants ont été nommés: Temps, charge professionnelle et achalandage dans la clinique, priorité aux soins, inconfort personnel, manque de formation et d’expérience, intimité dans la clinique, rôle perçu, motivation |
Je pense que notre propre inconfort face au sujet est l’une des raisons [qui fait qu’il est difficile d’en parler]. Notre éducation et notre expérience personnelle également. Nous sommes là pour vaincre la maladie et c’est là la priorité… neuf fois sur dix le personnel ne pense même pas aux autres aspects si le patient n’en parle pas. Nous n’avons vraiment pas le temps de nous asseoir et de parler seul à seul avec un patient pendant une demi-heure. Tellement de choses arrivent en même temps. D’abord la pression de finir à temps, puis les patients qui attendent très longtemps. Je pense que l’on peut se sentir anxieux de ne pas avoir les réponses. C’est difficile d’engager la discussion quand on ne sait pas forcément quoi répondre après. Je ne me sens vraiment pas bien outillée pour intervenir, pas seulement parce que nous manquons de temps, mais aussi parce que je ne me sens pas pleinement qualifiée ni assez informée pour m’en occuper. Il faut un espace privé pour parler de ces choses-là. La clinique n’est pas toujours le meilleur endroit. |
Les facteurs suivants ont été soulignés: Culture/tradition Manque de connaissances, de compétences et de vocabulaire sur le sujet Temps/charge de travail Pas perçu comme un sujet prioritaire Manque d’intimité Attitude |
Les médecins eux-mêmes ne savent pas que ces questions doivent être abordées Les infirmières sont jeunes et la plupart des patients sont plus vieux Temps: les infirmières sont si occupées qu’il n’y a pas de temps ni de moment propice pour permettre au patient de parler; la plupart des hôpitaux sont surpeuplés. Pas de temps ni d’intimité. C’est un sujet privé; s’il n’y a ni endroit ni intervenant pour s’occuper du patient de manière privée, alors la discussion est reportée Peur de mettre le patient mal à l’aise. Le médecin/l’infirmière doit voir plusieurs patients. Il/elle préfère donc se concentrer sur la maladie que sur les problèmes sexuels. Les infirmières sont très occupées sur les lieux de travail en raison de la pénurie de personnel. Le manque de connaissance des infirmières pour guider la discussion à ce sujet. Manque de mots appropriés pour discuter de problèmes sexuels. |
Suggestions pour gérer les discussions sur la sexualité avec les patients atteints de cancer |
Établir des normes de soins pour que chaque patient soit informé des répercussions de son traitement sur la sexualité. Veiller à ce que l’information décrive les effets indésirables du traitement sur divers aspects de la sexualité. L’évaluation de base des patients devrait comprendre des questions sur les préoccupations sexuelles et sur l’intérêt de la personne à obtenir de l’aide à ce sujet. Le personnel doit vérifier régulièrement auprès des patients si leurs inquiétudes de nature sexuelle ont changé. Prévoir des ressources éducationnelles sur la sexualité pour les patients des cliniques. Demander au personnel de se concentrer sur la sexualité dans le cadre de la pratique courante. Offrir au personnel des programmes de formation sur la sexualité (évaluation et interventions). Élaborer une liste de ressources pour guider les patients de manière appropriée. |
Demander à une personne du même groupe culturel de discuter avec le patient Apposer des affiches sur les murs de la clinique Demander à une personne du même sexe et du même âge de parler avec le patient Organiser des séances d’enseignement avec des personnes du même groupe d’âge et du même sexe Lors des discussions, mettre l’accent sur la santé Privilégier une approche éducative Offrir des programmes de formation au personnel |
L’ampleur des répercussions du cancer et de son traitement sur la sexualité d’une personne dépend du siège de la maladie.
Tous les participants ont reconnu que la sexualité représente une dimension importante de l’être humain et étaient conscients que le traitement du cancer peut affecter la sexualité. Pour les cancers du sein, gynécologiques et de la prostate, les répercussions étaient évidentes pour tous. Cependant, pour les autres types de cancers (système nerveux central, lymphome, intestins, tête et cou, etc.), les participants étaient d’avis que le sujet de la sexualité n’était pas abordé aussi souvent, même si ceux qui interviennent auprès de ces autres patients sont conscients de l’impact potentiel.
La sexualité n’est pas considérée comme étant une priorité pour les patients atteints de cancer, particulièrement durant les phases de diagnostic et de traitement.
La plupart des participants présumaient que la sexualité n’était pas une priorité pour les patients durant les phases de diagnostic et de traitement du cancer. Ils pensaient que les patients ressentaient trop d’anxiété face à leur diagnostic, se sentaient trop malades et occupés à gérer les symptômes occasionnés par le traitement pour penser à leur vie sexuelle. De plus, ils croyaient que le sujet n’était pas non plus une priorité pour les professionnels de la santé pendant cette période. Ces derniers sont occupés à planifier les examens diagnostiques, à s’assurer que le bon diagnostic est fait et à orchestrer les traitements. C’est une période très occupée et le nombre croissant de patients nécessitant des soins empêche d’aborder un sujet qui n’est pas perçu comme important à ce moment.
Si la sexualité devient une préoccupation pour les patients atteints de cancer, cela se manifestera à la fin du traitement.
Les participants étaient d’avis que les patients se concentraient davantage sur la sexualité après leur traitement, une fois de retour à la maison et prêts à regagner leur ancienne vie. Pour certains, la situation se gérerait aisément et il n’y aurait pas de problème pour les relations intimes. Cependant, lorsqu’une personne vit des difficultés sur le plan sexuel et ressent de l’angoisse face à la situation, cela ressort à la fin des traitements.
Le plus souvent, les discussions sur la sexualité se déroulent dans le cadre des discussions entourant le consentement éclairé avant l’opération, le traitement ou lorsque le patient pose une question précise sur le sujet.
Dans la pratique, une constante en matière de discussions sur la sexualité est ressortie dans les deux échantillons et porte sur le consentement éclairé préalable au traitement du cancer. Pour certaines opérations liées au cancer (p. ex. gynécologique, prostate), les discussions entourant le consentement éclairé comprenaient la mention de sujets comme la libido, la sécheresse vaginale et l’impuissance. Cependant, les discussions portant sur l’impact quotidien de ces changements ou la façon de les gérer n’étaient pas nécessairement détaillées. Les participants ont aussi mentionné que les discussions abordant ces répercussions pouvaient avoir lieu si le patient soulevait certains points ou éprouvait des difficultés les amenant à questionner de lui-même son professionnel de la santé.
Les personnes atteintes de cancer qui ont des difficultés ou des préoccupations de nature sexuelle s’adresseront d’elles-mêmes à un professionnel de la santé.
Au Canada, les participants considéraient que les patients soulèveraient la question de la sexualité et poseraient des questions s’ils vivaient des difficultés. Nombre d’entre eux laissaient donc l’initiative de cette conversation au patient au lieu d’aborder d’emblée le sujet. En revanche, les participants interrogés en Afrique étaient d’avis que les patients n’étaient pas vraiment susceptibles d’aborder la question, même s’ils vivaient des difficultés. La principale raison pour expliquer le phénomène résiderait dans la gêne et la honte qu’ils pourraient ressentir à propos de leur situation. Bien souvent, en Afrique, les problèmes sexuels sont associés à l’infidélité et à la prostitution. De plus, les patients se méfient beaucoup des professionnels de la santé en ce qui a trait au respect de la vie privée et craignent que leurs intervenants ne racontent leurs problèmes sexuels à d’autres personnes.
Plusieurs facteurs influencent la tenue ou l’absence de discussions sur la sexualité.
Tous les participants s’entendaient pour dire que les discussions sur la sexualité étaient difficiles pour les professionnels de la santé comme les patients et que cela dépendait de plusieurs facteurs (voir le tableau 2). Il était évident que les pratiques de chacun des professionnels de la santé concernant les discussions sur la sexualité variaient considérablement et qu’elles étaient étroitement liées au confort personnel de l’individu face au sujet, à sa philosophie de soins, à la perception de son rôle et au degré de préparation sur le sujet (y compris l’éducation, la formation professionnelle et la confiance personnelle). Très peu des participants avaient reçu un enseignement formel en matière de sexualité. Finalement, personne n’a décrit de politique ou énoncé explicitement les attentes quant à la façon dont ce sujet devait être traité dans leur milieu clinique.
Une différence majeure dans les obstacles à discuter de sexualité dans les deux milieux réside dans l’influence de la culture et des traditions. Bien que les participants du Canada aient nommé la culture comme étant un facteur, les participants d’Afrique ont davantage souligné l’influence des pratiques traditionnelles, de la religion et de la perception communément répandue que la sexualité est taboue. La peur d’être humilié et pointé du doigt exerce une forte influence sur les patients africains. Pour cette raison, les participants pensaient que les patients préféraient passer outre le sujet au lieu de demander de l’aide s’ils avaient des problèmes sexuels.
Solutions envisagées
Les participants ont tous affirmé que les discussions sur la sexualité avec les patients atteints de cancer devaient avoir lieu; qu’il fallait créer des occasions d’aborder la façon dont les changements peuvent les toucher personnellement. Ils ont également décrit différentes approches pouvant servir à éduquer les patients et les familles à cet égard. Toutefois, ils ont aussi été très clairs quant à l’idée d’adapter les approches à la culture et à la sensibilité locale quant au sujet, ainsi qu’au sexe, à l’âge et à la langue. Fixer des attentes claires pour la pratique est aussi ressorti comme une solution importante. Les membres du personnel doivent comprendre clairement leur rôle et ce que l’on peut attendre d’eux pour les discussions portant sur la sexualité.
DISCUSSION
Cette étude a été entreprise afin d’en apprendre davantage sur les obstacles qui nuisaient aux discussions sur la sexualité avec les patients atteints de cancer. Étant donné la nature des traitements employés pour lutter contre le cancer, il faut savoir que tous les types de cancer peuvent entraîner des changements qui affecteront la sexualité d’une personne. En contrepartie, la sexualité n’est pas un sujet abordé systématiquement avec les patients atteints de cancer (Candoza et al., 2016; Katz, 2005; Reese et al., 2017).
Au Canada comme en Afrique, les participants ont révélé des similitudes d’opinion quant à l’importance de parler sexualité et des facteurs qui peuvent influencer la tenue ou l’absence de discussions à ce sujet. En effet, divers facteurs personnels et liés au milieu de travail ont été décrits comme ayant une influence sur ces discussions. Plus précisément, les praticiens se sentent mal préparés pour engager la discussion, et les milieux de pratique achalandés et le manque d’intimité contrecarrent leur intention d’aborder un sujet si délicat. Il semble qu’il faille améliorer la préparation éducative et mieux définir les attentes liées au rôle. L’établissement de normes de soins des patients et de normes sur le travail attendu des professionnels de la santé en matière de discussions sur la sexualité serait utile pour préciser les attentes. Bien qu’ils devraient être adaptés pour des contextes locaux, des modèles de ces exemples sont disponibles (ACIO/CANO, 2006; CAPO, 2012).
La notion de discussion sur la sexualité avec les patients a été étudiée dans des contextes nord-américains, confirmant le besoin des patients à ce sujet (Fitch, Beaudoin et Johnson, 2013; Flynn et al., 2012; Park, Norris et Bober, 2009). Toutefois, malgré leur besoin de parler de sexualité, les patients s’attendent bien souvent à ce que ce soit les professionnels de la santé qui soulèvent la question et amorcent la discussion (Bianchi, 2018). À tout le moins, ils devraient dire à leurs patients qu’il n’y a rien de mal à parler de leurs préoccupations. En Afrique, il serait important d’explorer la problématique directement avec les patients afin de déterminer le réel besoin de tenir ces discussions, et leurs préférences en matière d’approche, étant donné les multiples tabous culturels et restrictions entourant le sujet.
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