Si vous prévoyez en fonction d’une année, plantez une graine; si c’est en fonction de 10 ans, plantez des arbres; si c’est en fonction d’un siècle, enseignez au peuple.
Confucius
Un récent sondage auprès d’omnipraticiens du Royaume-Uni révélait que la majorité d’entre eux étaient sceptiques à l’idée que la technologie puisse fonctionner aussi bien ou mieux que les humains en ce qui concerne des compétences médicales essentielles comme poser un diagnostic ou prendre des décisions quant aux patients à envoyer en consultation1. Ils doutaient encore plus de la capacité de la technologie de remplacer les médecins humains dans la prestation de soins empreints d’empathie1. Ce sont là des opinions que partagent habituellement les médecins2,3. En revanche, la plupart des répondants étaient optimistes en pensant que dans un avenir rapproché, la technologie pourrait les libérer des corvées de paperasse et des tâches administratives. S’agit-il de vœux pieux? Pourraient-ils se tromper sur toute la ligne? Les médecins de famille canadiens partagent-ils ces points de vue?
Par ailleurs, des experts en intelligence artificielle (IA) et des informaticiens croient que l’IA pourrait éventuellement faire en sorte que les médecins tels qu’on les connaît tombent en désuétude. Un expert a fait valoir que les « médecins » de l’IA du futur seront plus précis, plus fiables et complets, moins subjectifs et moins instables que les médecins humains, tout en étant compatissants4.
Lequel de ces médecins de famille du futur viendra à disparaître?
Depuis 4 ans, le Collège convoque un Forum annuel des leaders durant lequel des médecins de famille et des intervenants clés (y compris des patients) de tous les coins du pays se rassemblent pour discuter des enjeux importants relatifs à la médecine familiale. Le forum a pour but de miser sur l’expérience et la sagesse collectives du groupe pour guider le Collège. C’est un privilège pour moi, en tant que rédacteur en chef du Médecin de famille canadien, d’y participer. Le forum de cette année portait sur les effets des soins virtuels, de l’IA et de l’apprentissage automatique sur l’avenir de la médecine familiale. Le contenu et les présentations se trouvent en ligne5, mais je voulais attirer l’attention des lecteurs de la revue sur un document d’information rédigé par le Dr Ross Upshur6, de même que sur un important commentaire7 et sur la présentation d’ouverture du Dr Brian Hodges.
Que sont l’IA, l’apprentissage automatique et l’apprentissage profond? L’intelligence artificielle est un domaine où l’on cherche à utiliser des ordinateurs pour accomplir des tâches qui exigent actuellement l’intelligence humaine. L’apprentissage automatique est un domaine de l’IA qui permet aux ordinateurs d’exécuter des fonctions complexes en apprenant directement des données, des exemples et des expériences. L’apprentissage profond fait passer l’apprentissage automatique à un échelon supérieur en utilisant des algorithmes d’apprentissage automatique qui miment la façon dont les humains apprennent.
Le Dr Upshur explore les nombreuses facettes de l’IA et de la technologie, leurs répercussions potentielles et les réponses possibles de notre discipline6. D’une part, il y a les promesses de l’IA, notamment le fait que l’analyse des données massives améliorera le diagnostic et le pronostic, entraînera de nouveaux traitements, transformera et améliorera les modèles de soins et, surtout, nous libérera de nos corvées et nous reconnectera avec les racines profondes de notre profession de guérisseurs. D’autre part, il y a les dangers, c’est-à-dire que ces technologies se traduiront par la surveillance en milieu de travail, la gestion de la productivité et le chômage, et se conclura par la fin de l’existence d’un type de pratique médicale. On pourrait établir un parallèle avec la relation qui existe entre la médecine et l’industrie pharmaceutique. Bon nombre des leçons que nous avons apprises peuvent s’appliquer judicieusement à notre relation avec la technologie.
Pour le Dr Upshur, le plus important plaidoyer des médecins de famille face à l’avenir consiste à « insister sur le fait que les preuves de retombées bénéfiques des nouvelles technologies doivent provenir des milieux de la médecine familiale et non pas leur être imposées » et sur le fait que « les promesses de retombées bénéfiques émises avant qu’on ait évalué ces dernières ne devaient pas être considérées comme convaincantes »6, comme ce fut le cas, par exemple, avec l’utilisation des dossiers médicaux électroniques.
Dans son allocution, le Dr Hodges a identifié 3 aspects du travail des médecins : les compétences cognitives, techniques et de compassion7. Il a soutenu de façon convaincante que si l’IA peut remplacer ou améliorer certaines de nos compétences cognitives et techniques, nos capacités de bienveillance seront encore pertinentes. Il a insisté plus particulièrement sur l’importance de la métacognition, de la connaissance situationnelle et d’autres fonctions cognitives humaines plus élevées8 qui devront être perfectionnées durant la formation médicale prédoctorale, la résidence et, surtout, la formation continue. Pour conclure sur une note d’espoir, le Dr Upshur a souligné une importante distinction entre le médecin humain et la machine, soit la volonté du médecin humain d’accepter la responsabilité de prendre soin d’un autre être humain. Il est d’avis que « [L]a médecine est fond amentalement une initiative d’ordre moral se traduisant par des responsabilités assumées par les médecins lorsqu’ils abordent une relation médecin-patient. Ce rôle exige une acceptation de la faillibilité et de la fragilité des 2 parties »6.