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. 2019 Jul;65(7):e321–e324. [Article in French]

Enseigner la prise de décision partagée

Une compétence essentielle

Guylène Thériault 1,, Neil R Bell 2, Roland Grad 3, Harminder Singh 4, Olga Szafran 5
PMCID: PMC6738479  PMID: 31300447

L’objectif des soins de santé est d’améliorer les issues cliniques des patients. Pour y parvenir, il est important de favoriser chez les apprenants la capacité de fournir des soins centrés sur le patient. La promotion de soins de santé pertinents pour les patients, à l’aide d’outils comme la prise de décision partagée, peut engendrer des issues cliniques positives1. En tant qu’enseignants et cliniciens, les médecins doivent apprendre à changer leur optique en favorisant les données portant sur des issues pertinentes pour les patients au lieu de celles axées sur la maladie. Ceci permet d’offrir des soins qui comptent vraiment. D’abord et avant tout, les décisions en matière de santé doivent avoir du sens pour le patient.

La prise de décision partagée est « une approche par laquelle, lorsque vient le temps de prendre une décision, les cliniciens et les patients partagent les meilleures données disponibles tout en encourageant les patients à examiner les différentes options, afin d’en arriver à une décision conforme aux préférences des patients »2. Il faut non seulement partager l’information, mais aussi guider les patients dans leurs efforts pour donner un sens à cette information. Il est important de pouvoir comprendre les valeurs et les préférences des patients et de leur transmettre l’information de façon claire, particulièrement lorsqu’il y a un certain équilibre entre les bénéfices et les préjudices potentiels.

La prise de décision partagée est liée aux soins de santé fondés sur des données probantes et à la médecine à fardeau minimal (Minimally Disruptive Medicine ou MDM). La médecine à fardeau minimal se définit comme des soins offerts par des « professionnels qui travaillent avec les patients et les proche-aidants pour concevoir des soins qui font progresser les objectifs des patients en réduisant le plus possible l’empreinte du système de soins sur leur vie »3. L’enseignement de la prise de décision partagée est lié à ces concepts. En fait, un des outils pour réaliser la quatrième étape de la pratique des soins fondés sur des données probantes, soit l’application des données probantes dans la pratique, est la prise de décision partagée. Il y a plus de 10 ans, cette étape se définissait par une variété de tâches : individualiser les données probantes, expliquer les options, susciter les préférences et envisager l’impact des täches exigées sur le patient4. La « prise de décision partagée » et la « médecine à fardeau minimal » sont des outils permettant la prestation de soins véritablement fondés sur des données probantes.

Ces concepts devraient former la nouvelle norme de soins. Même si ce n’est pas encore une réalité universelle, il ne sert à rien d’attendre avant d’enseigner la prise de décision partagée. Ce concept fait partie intégrante du rôle de communicateur des compétences CanMEDS.5

Données probantes et pratiques exemplaires

Dans l’enseignement de la prise de décision partagée, comme dans tout autre domaine des soins de santé, les médecins doivent prêter attention aux connaissances, aux attitudes et aux compétences des apprenants. Si l’accent est souvent mis sur les compétences, les autres éléments sont également importants.

L’enseignement doit favoriser la connaissance du but et des principes de la prise de décision partagée. Certains apprenants ne connaissent pas la prise de décision partagée et exercent comme s’ils devaient prendre toutes les décisions. Bien que cela puisse être vrai pour certains aspects des soins (p. ex., dans certaines situations urgentes), plusieurs autres aspects des soins devraient inclure la prise de décision partagée, par exemple pour les décisions liées au dépistage, aux médicaments prophylactiques, aux soins non urgents et aux différentes approches qui présentent des bénéfices et préjudices potentiels différents (p. ex., les symptômes ménopausiques peuvent être traités par l’exercice, les produits naturels ou différents médicaments). Le fait de mettre constamment l’accent sur les possibilités de prise de décision partagée aidera les apprenants à reconnaître la valeur pratique de cette approche.

Il n’y a pas de meilleure façon d’enseigner la prise de décision partagée. Les compétences de base requises pour la prise de décision partagée comprennent les aptitudes en communication des risques, la détermination des préférences des patients et la clarification des valeurs des patients. L’utilisation d’outils précis d’aide à la décision est susceptible d’accroître l’adoption de la prise de décision partagée dans la pratique6 ; par conséquent, l’enseignement de l’utilisation de ces outils devrait faire partie du curriculum.

L’un des obstacles à la prise de décision partagée, souvent mis de l’avant, est la croyance que les patients veulent que l’on décide pour eux. Pour y remédier, les médecins devraient discuter régulièrement avec les apprenants des questions relatives à l’autodétermination des patients. Ceci peut être intégré dans toute présentation, peu importe le sujet. Par exemple, après avoir passé en revue l’investigation et le traitement d’un patient diabétique, vous pouvez proposer un cas clinique simple et demander à vos étudiants de fournir un plan. Vous sensibilisez ensuite graduellement vos apprenants à des aspects particuliers de la vie de ce patient (par exemple, sa conjointe est en soins palliatifs, il vient de perdre son emploi, etc.) Par la suite, demandez aux apprenants de réfléchir à la façon dont les données probantes peuvent maintenant être considérées à la lumière de ces informations. Le but ultime est que les étudiants reconnaissent l’importance des valeurs et des préférences du patient dans la prise de décision (Encadré 1)7.

Encadré 1. Exemple d’une conclusion d’une discussion sur le diabète : Ce cadre peut être utilisé pour divers exposés sur différents sujets.

Concluez en disant...

Vous avez appris quels sont les médicaments que nous pouvons offrir à un patient atteint de diabète, mais...

Posez-leur la question...

Selon vous, qu’est-ce qui devrait guider le choix des médicaments ?

Les apprenants peuvent soulever les points suivants ; si ce n’est pas le cas, assurez-vous d’en parler.

Preuve de l’efficacité

  • Essayez de stimuler l’apprentissage par la réflexion : Efficacité envers quelles issues cliniques ?

  • Mettez de l’avant le concept de résultats axés sur le patient et le fait que divers résultats pourraient être pondérés différemment par différents patients.

Couverture des médicaments ou autres aspects de l’accessibilité

  • Faites-les réfléchir : Le coût est un problème, mais peut-il y en avoir d’autres ?

  • Donnez des exemples s’ils n’y pensent pas d’emblée (p. ex., obstacles physiques, géographiques ou culturels à l’accès aux soins).

  • Faites le lien avec la notion de fardeau des soins (voir la médecine à fardeau minimal).

Valeurs et préférences

  • Donnez-leur un exemple en leur montrant un outil d’aide à la décision facilitant la prise de decision partagée face au prochain médicament contre le diabète (p. ex., outil d’aide à la décision de la clinique Mayo7).

  • Selon le temps, la taille de votre classe et le niveau des apprenants, invitez-les à participer à un jeu de rôle sur le choix d’un médicament contre le diabète.
    • -Une façon amusante de le faire est de donner des rôles comportant des problèmes précis.
    • - Vous pouvez ensuite guider les apprenants à réfléchir sur la façon dont les gens peuvent faire des choix différents en fonction de leurs circonstances de vie.

L’autre obstacle souvent cité est que la prise de décision partagée prend du temps. En fait, l’effet médian sur la durée de la consultation n’est que de 2,5 minutes de plus8. Le jeu de rôle est très intéressant et formatif dans l’enseignement de la prise de décision partagée, car il aide les apprenants à acquérir les compétences nécessaires. Lorsque vous utilisez des scénarios de jeux de rôle, n’hésitez pas à chronométrer les discussions et à faire remarquer à vos apprenants que l’interaction était significative et pas si longue.

La prise de décision partagée devrait faire partie du programme d’études des soins fondés sur des données probantes. Chaque séance devrait se conclure par une discussion sur ce que l’information pourrait signifier pour les patients et comment l’expliquer au prochain patient qui fera face à un problème similaire (cette étape d’une approche des soins fondés sur des données probantes est souvent oubliée). Un simple exercice consiste à demander aux apprenants de créer un outil d’aide à la conversation, puis de réfléchir à la façon dont ils ont hiérarchisé et structuré l’information qu’ils ont choisi d’incorporer à leur outil.

La prise de décision partagée comprend plusieurs étapes (Encadré 2)911. Certains enseignants ont utilisé, comme outil pédagogique, des cartes aide-mémoire dont les apprenants peuvent se servir. D’autres ont utilisé ces étapes pour fournir une rétroaction structurée.

Encadré 2. Étapes de la prise de décision partagée.

  1. Reconnaitre qu’il y a une décision à prendre

  2. Présenter les options et les solutions de rechange :
    • Évitez l’effet de cadrage*
    • Évitez d’imposer vos propres valeurs
    • Utilisez des outils d’aide à la prise de décision appropriés
  3. Discuter des risques potentiels et des avantages de chaque option :
    • Utilisez des chiffres en risque absolu
    • Utilisez des dénominateurs similaires pour les avantages et les préjudices potentiels
    • Utilisez des nombres entiers naturels (p. ex., 1 personne sur 100 au lieu de 1 %)
  4. Discuter des valeurs et des préférences du patient à la lumière de cette information.

  5. Discuter des effets des différentes options sur la vie quotidienne et les objectifs du patient.

  6. Offrir de l’information sur des questions précises qui pourraient encore être nécessaires pour aider le patient à réfléchir.

  7. Déterminer les préoccupations du patient et clarifier sa compréhension.

  8. Concevoir un plan et organiser un suivi au besoin

*L’effet de cadrage consiste à présenter l’information d’une manière qui peut influer la perception de la valeur des diverses options ou des avantages et préjudices potentiels.

D’après : l’Agency for Healthcare Research and Quality9, Mincer et al10 et Wexler11.

Conclusion

La prise de décision partagée est une compétence qui peut être enseignée12,13. Pour qu’elle soit intégrée dans la pratique, elle doit être une part intrinsèque à tout enseignement, et non seulement un programme d’études autonome. Comme pour tout autre sujet, l’utilisation d’activités multimodales est probablement plus efficace pour l’apprentissage. L’encadré 3 propose diverses suggestions d’activités14.

Encadré 3. Activités pour l’enseignement de la prise de décision partagée.

Jeu de rôle

  • Répartissez les apprenants deux par deux, l’un étant le patient, l’autre le clinicien

  • Vous pouvez aussi choisir des groupes de 3 avec un apprenant en tant qu’observateur ; cette personne pourrait faire rapport sur des points précis

Pratiquez l’utilisation des aides à la décision

  • Faites un jeu de rôle ou une présentation à un groupe.

  • Demandez à différents groupes d’utiliser différents outils.

Pratiquez la clarification des valeurs

  • Demandez aux apprenants d’identifier des valeurs et des préférences, à partir d’un scénario particulier

  • Faites un exercice écrit ou un jeu de rôle, ou jouez le rôle du patient et demandez aux apprenants de vous poser des questions

  • Favorisez une réflexion sur les questions les plus utiles et sur les raisons pour lesquelles elles le sont

  • Discutez de la difficulté d’accepter une décision qui pourrait ne pas refléter nos propres valeurs

Demandez aux apprenants de créer un outil d’aide à la conversation ou un outil d’aide à la décision

  • Utilisez un outil vide (p. ex., « Drug Fact Box ») et fournissez aux apprenants les renseignements dont ils ont besoin (p. ex., un tableau de RxFiles)

  • Discutez de ce qu’ils ont mis en évidence dans leur outil et pourquoi

  • Fournissez une rétroaction structurée à l’aide de certains des critères de qualité pour les outils d’aide à la décision comme ceux de l’International Patient Decision Aids Standards Collaboration14

Discutez de l’effet de cadrage

  • Demandez aux apprenants d’essayer diverses façons de présenter l’information (pourcentages, nombre nécessaire à traiter, risque relatif, etc.) et invitez-les à réfléchir

Utilisez des vidéos

  • Soulignez des étapes de la médecine fondée sur des données probantes à partir d’un exemple vidéo

  • Regardez une vidéo de l’interaction d’un apprenant avec un patient en particulier

Utilisez les étapes de la prise de décision partagée d’une manière structurée pour fournir une rétroaction

  • Intégrez ces étapes dans les formulaires de rétroaction quotidiens ou hebdomadaires de vos apprenants

Abordez l’enseignement formel

  • Demandez que l’information soit présentée en risques absolus dans les différentes activités

  • Essayez d’inclure une réflexion sur ce que l’information discutée pourrait signifier pour les patients à la fin de chaque cours (sinon la plupart)

Conseils pour l’enseignement

  • ▸ Il faut s’attaquer à certains mythes et obstacles pour que les apprenants adoptent la prise de décision partagée dans la pratique. Intégrez des messages précis dans l’enseignement formel et informel.

  • ▸ L’utilisation de jeux de rôle aidera les apprenants à se sentir en confiance dans leurs capacités de prise de décision partagée. C’est une partie essentielle de l’enseignement de la prise de décision partagée, mais il existe aussi d’autres outils.

  • ▸ Demandez aux apprenants de vous dire quand ils rencontreront un patient avec qui ils discuteront d’un problème particulier (p. ex., dépistage ou médication préventive). Écoutez-les attentivement et fournissez-leur une rétroaction structurée en suivant les étapes de la prise de décision partagée.

  • ▸ Essayez de ne pas limiter votre enseignement à la connaissance de problèmes de santé particuliers. Bien que ce soit toujours important, assurez-vous d’intégrer la prise de décision partagée dans les discussions de cas.

Occasion d’enseignement est une série trimestrielle publiée dans Le Médecin de famille canadien, coordonnée par la Section des enseignants du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC). La série porte sur des sujets pratiques et s’adresse à tous les enseignants en médecine familiale, en mettant l’accent sur les données probantes et les pratiques exemplaires. Veuillez faire parvenir vos idées, vos demandes ou vos présentations à Dre Viola Antao, coordonnatrice d’Occasion d’enseignement, à viola.antao@utoronto.ca

Footnotes

Outils et ressources

Le Médecin de famille canadien -La prévention en pratique : www.cfp.ca/content/by/section/Prevention%20in%20Practice

Tutoriel de soutien à la décision d’Ottawa de l’institut de recherche de l’hôpital d’Ottawa : https://decisionaid.ohri.ca/ODST/index-f.php

Association of American Medical Colleges “Shared Decision-Making Toolkit: Train-the-Trainer Tools for Teaching SDM in the Classroom and Clinic”: www.mededportal.org/publication/9413

Outil d’aide à la décision pour les patients de l’Hôpital d’Ottawa : https://decisionaid.ohri.ca/francais/index.html

O’Connor, Stacey et Jacobsen. Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa et Université d’Ottawa. « Guide personnel d’aide à la décision (Ottawa) (GPDO) pour la prise de décisions en matière de santé ou de services sociaux. » : https://decisionaid.ohri.ca/francais/docs/GPDO.pdf

Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs : https://canadiantaskforce.ca/?lang=fr

International Patient Decision Aids Standards Collaboration Criteria for Judging the Quality of Patient Decision Aids : http://ipdas.ohri.ca/IPDAS_checklist.pdf

Intérêts concurrents

Aucune déclarée

Cet article donne droit à des crédits d’autoapprentissage certifiés Mainpro+. Pour obtenir des crédits, rendez-vous sur www.cfp.ca et cliquez sur le lien Mainpro+.

The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the July 2019 issue on page 514.

Références

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