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Canadian Journal of Psychiatry. Revue Canadienne de Psychiatrie logoLink to Canadian Journal of Psychiatry. Revue Canadienne de Psychiatrie
. 2019 Aug 21;65(3):184–192. [Article in French] doi: 10.1177/0706743719870513

Vulnérabilité au Trouble Bipolaire: La Piste de la Vitamine D

Bipolar disorder vulnerability: The vitamin D path

Manel Naifar 1,2, Manel Maalej Bouali 3,, Wassim Guidara 1, Ahmed Slim Ellouze 3, Khalil Jmal 1,2, Sana Omri 3, Meriam Messedi 1, Lobna Zouari 3, Aida Elleuch 1,2, Mohamed Maalej 3, Khansa Chaabouni 1,2, Nada Charfi 3, Mouna Turki 1,2, Ben Thabet Jihène 3, Fatma Ayadi 1,2
PMCID: PMC7019462  PMID: 31434497

Abstract

Objectifs :

L’étiopathogénie du trouble bipolaire (TB) demeure non encore bien élucidée. Récemment, il a été prouvé que la 25-hydroxy-vitamine D(25OHD) a un rôle anti-inflammatoire et neuroprotecteur.

Nos objectifs étaient de mesurer les concentrations plasmatiques de la 25OHD chez des patients atteints de TB en décompensation aigue et de les comparer à celles de patients souffrant de schizophrénie (SCZ) ou de trouble schizo-affectif (TSA) et à celles de témoins sains

Méthodes :

Il s’agissait d’une étude transversale de type cas-témoins qui a inclus des patients de sexe masculin hospitalisés pour une décompensation de leur maladie et chez qui les diagnostics de TB, SCZ, ou de TSA ont été retenus selon les critères du (DSM-5). Le groupe témoin a été constitué de sujets sains non apparentés, appariés selon l’age et le sexe.

Résultats :

La concentration de la 25OHD était significativement plus élevée uniquement chez les patients atteints de TB par rapport aux témoins. la 25OHD était aussi corrélée positivement à l’échelle PANSS (r = 0.282, p < 0.001) et aux différents scores de l’échelle MOCA (r = 0.326, p = 0.006) ainsi qu’aux dimensions concernant la capacité d’abstraction, d’attention et la mémoire .

A l’analyse multivariée, la décompensation aigue du TB était liée de manière indépendante à l’élévation de la 25OHD plasmatique (p = 0.012; OR = 1.157, [1.032 -1.297]).

Conclusion :

Notre étude a montré que la décompensation aigue des TB était associée à une élévation de la synthèse de la 25OHD plasmatique. Toutefois, la pertinence du dosage de la vitamine D comme biomarqueur de cette maladie mérite d’être vérifiée par d’autres études.

Keywords: vitamine D, CRP ultrasensible, trouble bipolaire, schizophrénie, biomarqueur

Introduction

Le trouble bipolaire (TB) est un des troubles mentaux les plus sévères que l’OMS situe au sixième rang des pathologies les plus invalidantes.1 Des progrès considérables ont été réalisés dans la compréhension de sa physiopathologie et son traitement. Pourtant, trop nombreux sont encore les patients qui n’en bénéficient pas, faute d’un diagnostic précoce.2 En effet, la prévalence du trouble bipolaire serait encore largement sous-estimée au profit de celles de la schizophrénie et de la dépression unipolaire.2

L’identification de biomarqueurs pour ce trouble pourrait être d’un grand apport pour le dépistage et la prévention.3

Des études épidémiologiques et expérimentales récentes ont permis d’identifier de nombreux sites d’action de la vitamine D (25-hydroxy-vitamine D: 25OHD), dont en particulier les système musculaire, cardiovasculaire, immunitaire et, tout récemment sur le système nerveux central (SNC).4,5

La 25OHD et sa protéine porteuse, la vitamin D Binding protein (VDBP), ont été impliquées dans la physiopathologie de certaines maladies neurodégénératives comme la sclérose en plaque, et de certains troubles psychiatriques tels que la dépression.6,7 Dans une étude récente menée par Petrov et al. en Amérique du nord, les taux plasmatiques de ces deux marqueurs étaient plus élevés chez des patients suivis pour trouble bipolaire (TB) par rapport à des témoins.8 Vu que la latitude compte parmi les facteurs qui déterminent le taux de vitamine D,9 il serait intéressant de reproduire cette étude dans d’autres zones géographiques, notamment la région MENA (Middle East-North Africa: MENA) qui constitue l’une des zones où les taux de vitamine D sont les plus bas.10 A ce sujet, certains auteurs11 ont fait remarquer qu’aucun des guidelines disponibles concernant les taux sériques recommandés et la supplémentation de vitamine D ne s’est basé sur une revue systématique rigoureuse dans la région MENA. Ils se sont plutôt basés sur des avis d’experts et des revues d’études occidentales. Selon ces études, l’évaluation du statut vitaminique D est aisément réalisée par le dosage de la forme circulante, de réserve, qui est la 25-hydroxy-vitamine D plasmatique.12 La concentration optimale recommandée de 25OHD par un panel d’experts, depuis 2010, est de de 30 ng/mL à 70 ng/mL (75 à 175 nmol/L). Au-dessous de ce seuil, l’hypovitaminose D est alors retenue.1214

Dans ce travail, nous nous sommes proposés de mesurer les concentrations plasmatiques de la 25OHD chez des patients tunisiens atteints de TB en décompensation aigue et de les comparer à celles de patients souffrant de SCZ ou de trouble schizo-affectif (TSA) décompensés ainsi qu’à celles d’une population de témoins sains.

Méthodes

Notre étude était transversale, de type cas-témoins. Elle a été menée durant 26 mois (Juin 2016 – juillet 2018) à Sfax en Tunisie, au service de psychiatrie C du Centre Hospitalo-Universitaire (CHU) HédiChaker à Sfax, en collaboration avec le Laboratoire de Biochimie du Centre Hospitalo-Universitaire Habib Bourguiba à Sfax, en Tunisie.

  • – Patients

Critères D’inclusion

L’étude a porté sur des patients de sexe masculin qui ont été hospitaliés pour une décompensation de leur maladie et chez qui les diagnostics de TB, SCZ, ou de TSA ont été retenus selon les critères du Diagnostic And Statistical Manual Of Mental Disorders, 5ème édition (DSM-5).15,16

Ont été exclus de cette étude:

  • ■ Les patients ayant reçu un médicament psychotrope durant les trois mois précédant l’hospitalisation.

  • ■ Les patients ayant des antécédents d’accident vasculaire cérébral ou un traumatisme crânien, et ceux atteints de déficience intellectuelle ou une démence.

  • ■ Les patients en état d’agitation extrême ayant nécessité la mise immédiate sous traitement antipsychotique avant le prélèvement biologique.

Nous avons retenu pour l’étude exhaustivement les 100 premiers malades qui remplissaient les critères requis.

Pour chaque patient, une fiche préétablie au cours d’une entrevue individuelle a été remplie. Elle comportait des items relatifs:

  • ■ à certaines données sociodémographiques;

  • ■ aux antécédents personnels et familiaux;

  • ■ à certaines caractéristiques de la maladie;

  • ■ à l’examen physique.

  • – Témoins

Des témoins « en bonne santé physique et mentale », non apparentés, ont été choisis après avoir réalisé un entretien psychologique et un examen clinique. Les témoins ont été appariés avec les patients selon l’âge et le sexe.

Outils Psychométriques

⋄ Evaluation de la sévérité des symptômes psychotiques

Elle a été réalisée à l’aide de l’échelle Positive and Negative Syndrome Scale (PANSS).17 Elle permet de calculer les scores de trois dimensions syndromiques: échelle des symptômes positive (en 7 items), échelles des symptômes négatifs (en 7 items) et échelle de psychopathologie générale (en=16 items).

⋄ Evaluation de la manie

Elle a été réalisée à l’aide de l’échelle de manie de Bech et Rafaelsen (MAS).18 Elle comprend 11 items coté chacun de 0 à 4 avec un score total de 0 à 44. Selon l’étude de Bech P et al.19, on a divisé l’échelle MAS en deux catégories selon le score total comme suit:

  • ■ Episode maniaque d’intensité modérée: MAS ≤ 21.

  • ■ Episode maniaque d’intensité marquée à sévère: MAS > 21.

⋄ Evaluation de la dépression

Elle a été réalisée à l’aide du « Montgomery-AsbergDepression Rating Scale » (MADRS).17

L’échelle comporte 10 items cotés de 0 à 6. Le patient est considéré:

  • * Sain: si score < 6 points;

  • * En dépression légère: si score entre 7 et 19 points;

  • * En dépression moyenne: si score entre 20 et 34 points;

  • * En dépression sévère: si score > 34 points.

⋄ Evaluation cognitive

Elle a été réalisée à l’aide du Montreal Cognitive Assessment (MoCA).17 Le temps d’exécution est de dix minutes approximativement. un score supérieur ou égal à 26 est considéré normal.20

Exploration Biologique

A l’admission, chaque patient a bénéficié d’un prélèvement sanguin après au moins 12 heures de jeûne, avant tout traitement antipsychotique, à 8 h du matin. Si l’état du patient nécessitait une contention chimique durant la période précédant le prélèvement, dans ce cas une benzodiazépine (diazépam ou clonazépam) était prescrite de façon ponctuelle.

Les différents dosages ont été effectués au laboratoire de Biochimie du CHU Habib Bourguiba, Sfax.

Le bilan biologique a compris un:

  • – Bilan métabolique

Le bilan métabolique comportait: glycémie, acide urique (AUR), lactate déshydrogénase (LDH), créatine phosphokinase (CPK), urée, créatinine, Aspartate Aminotransférase (ASAT), Alanine Aminotransférase (ALAT), protidémie totale (PT), calcémie, phosphorémie, phosphatase alcalines (PAL), triglycéridémie (TG), cholestérol total (CT), high densitylipoprotein cholestérol (HDL-C), lowdensitylipoprotein cholestérol (LDL-C) et la protéine C réactive ultrasensible (CRP us).

Le LDL-C a été estimé par la formule de Friedewald21:

LDL-C(mmol/l) = CT–(HDL-C+TG/2.2) en mmol/l (si TG ≤4.56 mmol/l).

La clairance de la créatinine (CCR) a été calculée par la formule de Modification of Diet in RenalDisease (MDRD)22 pour estimer le débit de la filtration glomérulaire (DFG):

DFG = 175 x Créatinine -1,154 x âge -0,203 (mL/min)

La fonction rénale est considérée comme normale lorsque le DFG ≥ 90 mL/min

Les échantillons ont été rapidement acheminés au laboratoire, centrifugés et conservés à – 20°C. Le plasma a été conservé à -20°C jusqu’au jour de dosage.

Le dosage des différents paramètres biochimiques a été réalisé sur COBAS C 6000 (module C501), Roche Diagnostics, Allemagne.

  • – Dosage de la 25OH D plasmatique

Le dosage de la 25OHD plasmatique a été effectué par technique électrochimiluminescence (ECLIA), Cobas 6000, Roche®

L’analyse Statistique

L’analyse statistique a été réalisée avec le logiciel: Statistical Package for Social Science (SPSS) de Windows (version 20.0).

Les variables quantitatives ont été exprimées en moyennes ± écart type, comparées par le test de Student pour les échantillons non appariés, et corrélées par le test de Pearson si la distribution est gaussienne. Les comparaisons de groupes multiples ont été réalisées par le test ANOVA complété, en cas de résultat significatif, par une étude post HOC (test de Tukey).

On a considéré que lorsque l’effectif était grand (n ≥ 30), la variable suit la loi normale.23 Le seuil de 0,05 a été utilisé pour juger la significativité des tests statistiques. Les variables qualitatives ont été exprimées sous forme de fréquences et de pourcentages. Elles ont été analysées par le test de Khi2 ou par le test exact de Fisher chaque fois que l’un des effectifs est faible.

L’étude multivariée a été réalisée par le test de régression logistique binaire. L’adéquation du modèle final a été vérifiée selon le test de Hosmer et Lemeshow. Les résultats du risque ont été exprimés par les Odds Ratio ajustés (OR) avec leurs intervalles de confiance à 95% (IC 95%). La différence était considérée comme significative si p < 0,05.

Résultats

Cent patients ont été inclus dans l’étude: 45 cas de SCZ, 34 cas de TB (type 1, n = 30; type 2, n = 3; non spécifié, n = 1) et 21 cas de TSA (type bipolaire, n = 19; type dépressif, n = 3).

Tous les patients ont été admis suite à une décompensation aigue de leur trouble qui a nécessité leur hospitalisation, c’est-à-dire soit des troubles graves du comportement soit un risque suicidaire élevé. Par rapport aux témoins, la plupart des patients étaient d’origine rurale, de niveau socio-économique plus bas, moins scolarisés, moins actifs sur le plan professionnel et leur soutien familial était moins bon (Tableau 1). En particulier, l’origine rurale était plus fréquente chez les patients atteints de schizophrénie (44%; n = 20) que chez ceux souffrant de trouble bipolaire (32%; n = 11, Tableau S1).

Tableau 1.

Caractéristiques Sociodémographiques Chez les Patients par Rapport aux Témoins.

Caractéristiques sociodémographiques Patients
N=100
Témoins
N=100
P
Age moyen 35.21 ± 11.08 33.09 ± 9.48 0.147
Origine géographique Rurale 38 (38%) 0 <0,001
Urbaine 55 (55%) 100 (100%)
Non précisé 7 (7%) --
Statut marital Non marié 84 (84%) 51 (51%) <0,001
Marié 16 (16%) 49 (49%)
Soutient familial Bon 69 (69%) 100 (100%) <0,001
Mauvais 22 (22%) 0
Non précisé 9 (9%) --
Niveau socio- économique Bas 59 (59%) 1 (1%) <0,001
Moyen 27 (27%) 92 (92%)
Elevé 3 (3%) 7 (7%)
Non précisé 11 (11%) --
Niveau scolaire Non scolarisé 15 (15%) 0 <0,001
Primaire 33 (33%) 17 (17%)
Secondaire 33 (33%) 18 (18%)
Universitaire 19 (19%) 65 (65%)
Statut professionnel Actif 32 (32%) 96 (96%) <0,001
Inactif 68 (68%) 4 (4%)

L’âge moyen des patients était de 35,47 ± 11,32 ans avec des extrêmes de 18 ans et 70 ans. Il n’y avait pas de différence significative concernant l’âge entre l’ensemble des patients et les témoins (Tableau 2).

Tableau 2.

Profils Anthropométrique et Métabolique des Groupes Étudiés.

Paramètres  SCZ
n = 45
TB
n=34
TSA
n=21
Témoins
n=100
p
Age (ans) 37,38 ± 11,28 37,03 ± 12,62 28,86 ± 5,82 32,83 ± 9,62 0.371
IMC (Kg/m2) 22,83 ± 4,42 22,59 ± 4,66 22,94 ± 5,78 23,81 ± 2,35 0,363
Glucose (mmol/L) 4,63 ± 0,92 5,20 ± 1,01 5,00 ± 1,27 5,31 ± 0,81 0,393
CT (mmol/L) 3,77 ± 0,71a 3,55 ± 0,73b 3,94 ± 0,53c 4,25 ± 0,94 <0,001
TG (mmol/L) 1,11 ± 0,58 0,93 ± 0,37 0,85 ± 0,25 1,17 ± 0,61 0,059
HDL-C (mmol/L) 1,14 ± 0,43 1,19 ± 0,27 1,18 ± 0,39 1,12 ± 0,27 0,792
LDL-C (mmol/ml) 2,14 ± 0,65a 1,92 ± 0,70b 2,36 ± 0,51 2,65 ± 0,76 <0,001
Urée(µmol/L) 4,62 ± 1,66 4,33 ± 1,25 4,98 ± 2,12 5,07 ± 1,38 0,351
Créatinine (µmol/L) 66,37 ± 14,85a 70,20 ± 13,58b 70,23 ± 8,30c 76,83 ± 11,09 <0,001
CCR (mL/min) 136,32 ± 46,64a 123,78 ± 26,57b 140,79 ± 35,22c 109,52 ± 19,39 <0,001
ASAT (UI/L) 33,74 ± 23,54a 35,24 ± 23,23b 32,71 ± 16,00c 22,21 ± 6,92 <0,001
ALAT (UI/L) 18,72 ± 14,01 21,57 ± 20,82 22,49 ± 16,94 20,66 ± 11,13 0,706
CPK (UI/L) 790,97 ± 1015,11a 961,41 ± 1167,16b 793,90 ± 798,20c 167,05 ± 132,69 <0,001
LDH (UI/L) 253,74 ± 124,43 238,82 ± 119,52 284,95 ± 219,30c 205,99 ± 73,74 0,014
CRP us (mg/L) 6,28 ± 16,45 8,87 ± 17,04b 6,28 ± 17,44 1,77 ± 1,86 0,012
AUR (µmol/L) 282,5 ± 67,8a 299,1 ± 49,9 270,0 ± 72,3c 316,2 ± 64,2 0,004
PT (mg/ml) 67,75 ± 8,99a 68,87 ± 7,17 65,09 ± 10,00c 72,31 ± 9,91 <0,001
Calcémie (mmol/L) 2.19 ± 0.26a 2.29 ± 0.22 2.27 ± 0.24 2.33 ± 0.14 0.007
Phosphorémie (mmol/L) 0.96 ± 0.17a 1.02 ± 0.23 1.04 ± 0.17 1.07 ± 0.16 0.014
PAL(UI/L) 75.8 ± 29.5 68.67 ± 19.4 67.8 ± 1.9 67.4 ± 15.3 0.198
25OHD (ng/mL) 22.4 ± 10.7 26.43 ± 11.14 b 23.39 ± 9.82 19.87 ± 7.19 0.005

a: différence significative entre Témoins et SCZ, b: différence significative entre Témoins et TB, c: différence significative entre Témoins et TSA, IMC: indice de masse corporelle, AUR: acide urique, LDH: lactate déshydrogénase, CPK: créatine phosphokinase, ASAT: Aspartate Aminotransférase, ALAT: Alanine Aminotransférase, PT: protidémie totale, PAL: phosphatase alcalines, TG: triglycéridémie, CT: cholestérol total, HDL-C: high densitylipoprotein cholestérol, LDL-C: lowdensitylipoprotein cholestérol, CRP us: protéine C réactive ultrasensible.

Les comparaisons des paramètres anthropométriques et métaboliques entre les différentes populations de notre étude sont résumées dans le Tableau 2. Il n’y avait pas de différence significative entre les différents groupes et entre les malades et les témoins concernant l’IMC, la glycémie, le taux de TG ou HDL-C.

Les taux de CT, du LDL-C, de l’AUR et des PT étaient significativement plus bas chez les patients par rapport aux témoins (Tableau 2). La CRP us était plus élevée chez l’ensemble des malades par rapport aux témoins et significativement plus élevée chez les bipolaires comparativement aux témoins (Tableau 2) .

La concentration de la 25OHD était significativement plus élevée chez les patients atteints de TB par rapport aux témoins (Tableau 2). Elle était significativement plus élevée chez les patients en épisode maniaque d’intensité marquée à sévère (en se basant sur le score MAS > 21; n = 12) par rapport à ceux en épisode maniaque modéré (score MAS ≤21; n = 13) (25OHD: 31.16 ± 7.46 ng/mL vs 23.8 ± 11.9 ng/mL, p = 0.041; Figure 1A). Par contre, il n’y avait pas de différence significative entre les bipolaires en épisode maniaque (n = 29) et ceux en épisode dépressif (n = 5) (25OHD: 26.19 ± 8.85 ng/mL vs 26.93 ± 12.9 ng/mL, p = 0.840). Les patients en épisode maniaque avaient des taux de CRP us plus élevés par rapport aux patients en épisode dépressif (7.43 ± 11.04 mg/L vs 2.90 ± 3.96 mg/L, p = 0.435, Figure 1B).

Figure 1.

Figure 1.

A: Variation de la concentration de la 25OHD et de la CRP us chez les patients TB en épisode manique modéré par rapport à ceux en épisode maniaque modéré à intense selon l’échelle de manie de Bech et Rafaelsen (MAS); B: Variation de la concentration de la CRP us chez les patients TB à l’admission selon la nature de l’épisode maniaque ou dépressif.CRP us: CRP ultrasensible, 25OHD: vitamine D, SCZ: schizophrénie, TB: trouble bipolaire, TSA: trouble schizoaffectif.

La 25OHD était aussi corrélée positivement à l’échelle PANSS (r = 0.282, p < 0.001, Tableau 3) et aux différents scores de l’échelle MOCA (Tableau 3) ainsi qu’aux dimensions concernant la capacité d’abstraction (r = 0,245; p = 0,041), d’attention (r = 0.256, p = 0.032) et la mémoire (r = 0,242; p = 0.04, Tableau 3).

Tableau 3.

Matrice de Corrélation des Paramètres Métaboliques, de la Vitamine D et les Différentes Échelles Psychométriques Chez la Population D’étude.

Age (ans) IMC (kg/m2) CRP us (mg/L) 25OHD (ng/mL) Abstraction Attention Mémoire PANSS MOCA
Age (ans) r
p
IMC (kg/m2) r 0,228*
p 0,004
CRP us (mg/L) r 0,048 0,006
p 0,498 0,939
25OHD (ng/mL) r 0,026 −0,012 −0,019
p 0,732 0,884 0,800
Abstraction r −0,017 0,052 −0,112 0,245*
p 0,883 0,713 0,339 0,041
Attention r 0,182 0,153 −0,143 0,256* 0,487**
p 0,115 0,275 0,222 0,032 <0.001
Mémoire r −0,042 0,194 −0,095 0,242* 0,523** 0,483**
p 0,721 0,164 0,419 0,040 <0.001 <0,001
PANSS r 0,032 −0,214* 0,085 0,282** −0,223 −0,287* −0,238*
p 0,661 0,007 0,240 <0.001 0,056 0,013 0,042
MOCA r 0,098 0,185 −0,165 0,326* 0,661** 0,830** 0,767** −0,208
p 0,401 0,184 0,157 0,006 <0,001 <0,001 <0,001 0,076

IMC: indice de masse corporel, 25OHD: vitamine D, CRP us: protéine C réactive ultrasensible. MoCA: Montreal Cognitive Assessment, PANSS: Positive and Negative Syndrome Scale,

En utilisant la régression logistique binaire et en choisissant comme variable dépendante la décompensation aigue au cours du TB et comme covariables: l’âge, le niveau socio-économique, le niveau éducationnel, la consommation de tabac, la consommation d’alcool, la concentration plasmatique de la CRPus et la 25OHD, la survenue d’une décompensation aigue a été liée d’une manière indépendante au niveau socio-économique, au niveau éducationnel et à la concentration plasmatique en 25OHD (Tableau 4).

Tableau 4.

Régression Logistique Binaire Étudiant L’association Entre la Décompensation Aigue au Cours du TB et la Concentration Plasmatique de la Vitamine D.

Variable OR ajusté IC 95% p
Age 1,038 [0,969 -1.12] 0,290
Niveau socio-économique 357.38 [5.093-25077.4] 0.007
Niveau éducationnel 3.340 [0.342-32.65] 0,300
Consommation de tabac 3.166 [0,543-18.447] 0.200
Consommation d’alcool 95.92 [8.336-1103.74] < 0.001
25OHD 1.157 [1.032 -1.297] 0,012
CRPus 1.281 [0.936 -1.753] 0,122

OR: odds ratio, IC: intervalle de confiance 95%, 25OHD: vitamine D, CRP us: protéine C réactive ultrasensible.

Discussion

Notre étude a montré que la décompensation aigue du TB était associée à un état inflammatoire à bas grade et à une élévation de la synthèse de la 25OHD plasmatique par rapport aux témoins sains.

Plusieurs pistes étiopathogéniques du TB ont récemment enrichi la littérature, dont la piste immuno-inflammatoire.24

Des études récentes ont montré, chez des patients souffrant de dépression bipolaire, une élévation anormale des taux d’interleukines, de chémokines et de molécules d’adhésion cellulaires qui, par leurs effets, pourraient induire une altération de la barrière hématoencéphalique, du renouvellement des cellules gliales et des neurotransmetteurs (comme la noradrénaline ou la sérotonine), et une perturbation de la transduction du signal synaptique, à côté de la dysrégulation de l’axe hypothalamo-hypophysaire.25

Les cytokines les plus étudiées dans ce sens sont l’IL1, IL6 et le TNF-α.26 Nous n’avons pas dosé ces marqueurs de l’inflammation, mais plutôt la CRP us. Cette dernière était, tout comme la vitamine D, significativement plus élevée chez les patients souffrant de TB par rapport aux témoins, avec une cinétique évolutive comparable à celle de la vitamine D. A ce sujet, T. Huang et F.C. Lin ont rapporté que les patients maniaques avaient des moyennes de CRPus plus élevées que les patients présentant un épisode dépressif majeur et que les témoins.27 Dickerson F et al, ont trouvé une corrélation entre les taux de CRP et la sévérité de l’épisode maniaque mesurée par l’échelle YMRS28

Bulut M et al. ont relevé que la CRP us était significativement plus élevée chez les patients en état manique réfractaire par rapport aux patients répondeurs au traitement et par rapport à des témoins.29

La CRP us à l’admission pourrait être considérée donc dans ce contexte comme biomarquer pronostique interessant permettant de renseigner sur la sévérité de la maladie et orienter ainsi la prise en charge.

Au cours des phénomènes neuroinflammatoires, Spach et Hayes ont souligné que les macrophages activés étaient capables de produire de la vitamine D active dans le SNC.30 Actuellement, il a été démontré que la vitamine D exerce une action hormonale neurostéroïde au niveau du SNC.31

La vitamine D possède des propriétés anti-inflammatoires et neuro-protectrices.32 Ces propriétés seraient tributaires de la diminution de l’expression des cytokines inflammatoires.33,34

Dans notre étude, nous avons trouvé des taux de vitamine D plus élevés chez les malades par rapport aux témoins, avec une différence significative pour les patients bipolaires (Tableau 2). Ce résultat soulève la question de son rapport avec l’origine géographique; puisque l’origine rurale, où l’exposition au soleil serait plus importante,9 était plus fréquente chez les patients que chez les témoins (Tableau 1). La réponse à cette question peut être fournie par la comparaison entre les patients atteints de schizophrénie et les bipolaires: l’origine rurale était plus fréquente chez les premiers que chez les seconds (Tableau S1); alors que les taux de vitamine D chez les schizophrènes n’étaient pas significativement plus élevés que chez les témoins (Tableau 2). Ainsi, l’origine géographique ne suffit pas pour expliquer la différence des taux de vitamine D entre les patients, en particulier les bipolaires, et les témoins de notre étude.

Une association entre un niveau socio-économique bas et une baisse du taux de vitamine D a été rapportée dans la littérature.9 Une telle association n’a pas été retrouvée dans notre étude.

Nous avons relevé, chez nos patients, des corrélations positives entre le taux de vitamine D et le score global de l’échelle MOCA ainsi que les scores des dimensions relatives à l’abstraction, à l’attention et à la mémoire. Ce résultat rejoint celui rapporté dans la littérature concernant l’identification de récepteurs hormonaux pour la vitamine D (VDR) au niveau des neurones et des cellules gliales de l’hippocampe, de l’hypothalamus, du cortex et du sous-cortex, qui sont des régions cérébrales impliquées dans le fonctionnement cognitif.35

Récemment, Petrov et al. ont trouvé des taux de VDBP, qui est la protéine de transport de la vitamine D, significativement plus élevés chez les patients TB d’origine afro-américaine par rapport aux sujets de « race blanche ».8 Concernant cette protéine, il est établi que le complexe 25OHD-VDBP ne peut pas passer la barrière hémato encéphalique.36 Cependant, selon une étude récente,37 en cas de pathologies neuro inflammatoires, la VDBP peut passer au LCR et elle a été proposée comme biomarqueur pronostique de la sclérose en plaque.37 La VDBP aurait un rôle épurateur: elle permettrait d’épurer les fibres d’actines et des débris cellulaires accumulés lors des processus de neurodégénerescence et empêcherait de ce fait leur aggrégation et polymérisation.37 Dans le TB, Calabrese et al. ont montré qu’il existait également une perturabtion du cytosquelette et une polymérisation des fibres d’actines.38

Certes, la vitamine D peut avoir un effet neuroprotecteur. Cependant, Altunsoy et al. ont souligné que la dose neuroprotectrice de vitamine D n’était pas encore connue, et ce d’autant plus que le SNC serait capable de convertir la 25OHD en calcitriol et que le taux sérique de 25OHD pourrait retentir sur la synthèse de vitamine D active au niveau du cerveau.39 Ceci soulève la question de l’étendue des effets positifs de la 25OHD sur le SNC.

Les résultats de l’étude de Golan et al.40 relativisent l’effet positif de la vitamine D sur le SNC. Ces auteurs ont étudié 40 patients suivis pour sclérose en plaques. Leur objectif était d’évaluer les effets d’une supplémentation en vitamine D sur la secrétion de mélatonine. Ils leur ont donné une supplémentation de vitamine D comme suit: forte dose (4370 UI/jour) pour 19 patients et faible dose (800 UI/jour) pour 21 patients. Ils ont surveillé l’évolution des taux sériques de vitamine D et des taux du métabolite urinaire nocturne de la mélatonine: le 6-sulphatoxy-mélatonine (6-SMT). Après trois mois, ils ont constaté que les taux sériques de 25OHD ont augmenté et ceux de 6-SMT ont diminué significativement pour le groupe de supplémentation à forte dose, mais pas pour celui de supplémentation à faible dose de vitamine D. Ils ont alors émis l’hypothèse que la 25OHD pourrait apporter « un message de lumière » à la glande pinéale qui, par conséquent, diminuerait la synthèse de mélatonine.

Cette hypothèse nous parait intéressante au regard de nos résultats. En effet, la vitamine D et la mélatonine sont lumière-dépendantes et ont en commun certaines propriétés immunomodulatrices.40 Des mécanismes homéostatiques pourraient exister entre ces deux médiateurs au niveau du SNC.40 En effet, les récepteurs VDR sont exprimés dans plusieurs régions du cerveau.35 En outre, la 1 α-hydroxylase, enzyme responsable de la formation de la vitamine D active, est présente particulièrement dans le noyau supra-chiasmatique de l’hypothalamus,41 le « pacemaker » circadien, à travers lequel des informations photiques sont transmises de la rétine jusqu’à la glande pinéale. Cette glande secrète la mélatonine selon un modèle circadien dans les conditions d’obscurité alors que la lumière inhibe sa production. La sensibilité de la mélatonine à la lumière est un endophénotype circadien qui a été proposé comme utile dans le TB, et ce d’autant plus que cette sensibilité est plus fréquente chez ceux ayant une forte charge génétique pour ce trouble.42 Kennedy et al. ont trouvé que les taux de mélatonine étaient plus bas chez les patients bipolaires que chez les témoins, et ceci indépendamment de la nature de l’épisode thymique. Ils ont émis l’hypothèse que la production diminuée de mélatonine serait un marqueur-trait et non pas un marqueur-état du trouble bipolaire.43

Ainsi, le modèle physiopathologique du TB qu’on propose est comme suit: le primum movens serait la survenue d’un état inflammatoire. En réponse à cela, l’organisme va augmenter la synthèse de vitamine D. Cette dernière, au delà d’un certain seuil, va envoyer un message de lumière à la glande pinéale. Vu la sensibilité de la mélatonine à la lumière chez les patients souffrant de ce trouble,42 il y aurait une baisse de la secrétion de cette hormone. Ce modèle semble adapté aux caractéristiques cliniques de l’épisode maniaque où les prodromes les plus classiques correspondent à la diminution du besoin de sommeil.44

Points Forts et Limites de L’étude

Points forts de l’étude:

  • – Il s’agit de la première étude qui évalue le taux plasmatique de 25OHD chez des patients suivis pour trouble bipolaire en Afrique du nord

  • – Les patients inclus étaient en arrêt de tout traitement psychotrope depuis au moins trois mois. Ainsi, les perturbations biologiques retrouvées chez eux reflètent de manière fidèle les modifications physiopathologiques dans le trouble bipolaire.

  • – Le ratio témoins/patients bipolaires dans notre étude est presque égal à trois, ce qui constitue un bon ratio. En effet, plus le ratio témoins/patients se rapproche de quatre, moins les résultats seront biaisés.45

Limite:

  • – La secrétion de mélatonine n’a pas été étudiée (le 6-sulphatoxy-mélatonine).

Conclusion

Notre étude a montré que la décompensation aigue du TB était associée à un état inflammatoire à bas grade et à une élévation de la synthèse de la 25OHD plasmatique. Toutefois, la pertinence du dosage de vitamine D comme biomarqueur de cette maladie mérite d’être étudiée de façon plus approfondie.

Comme perspectives d’avenir, nous proposons de doser le 6-sulphatoxy- mélatonine, les cytokines proinflammatoires et la VDBP chez la population d’étude comparativement aux témoins.

Supplemental Material

870513_Supplement - Vulnérabilité au Trouble Bipolaire: La Piste de la Vitamine D

870513_Supplement for Vulnérabilité au Trouble Bipolaire: La Piste de la Vitamine D by Manel Naifar, Manel Maalej Bouali, Wassim Guidara, Ahmed Slim Ellouze, Khalil Jmal, Sana Omri, Meriam Messedi, Lobna Zouari, Aida Elleuch, Mohamed Maalej, Khansa Chaabouni, Nada Charfi, Mouna Turki, Ben Thabet Jihène and Fatma Ayadi in The Canadian Journal of Psychiatry

Footnotes

Declaration of Conflicting Interests: The author(s) declared no potential conflicts of interest with respect to the research, authorship, and/or publication of this article.

Financement: Ce travail de recherche a été financé par l’unité de recherche 12ES17, Faculté de Médecine de Sfax, Université de Sfax. Cette unité de recherche est financée par le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique en Tunisie.

Remerciements: Les auteurs remercient le personnel paramédical, du service de psychiatrie « C » du CHU HédiChaker à Sfax et du laboratoire de biochimie du CHU Habib Bourguiba à Sfax en Tunisie, pour avoir veillé à ce que les analyses sanguines soient réalisées conformément aux recommandations.

Supplemental Material: Supplemental material for this article is available online.

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Associated Data

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Supplementary Materials

870513_Supplement - Vulnérabilité au Trouble Bipolaire: La Piste de la Vitamine D

870513_Supplement for Vulnérabilité au Trouble Bipolaire: La Piste de la Vitamine D by Manel Naifar, Manel Maalej Bouali, Wassim Guidara, Ahmed Slim Ellouze, Khalil Jmal, Sana Omri, Meriam Messedi, Lobna Zouari, Aida Elleuch, Mohamed Maalej, Khansa Chaabouni, Nada Charfi, Mouna Turki, Ben Thabet Jihène and Fatma Ayadi in The Canadian Journal of Psychiatry


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