Résumé
Objectif
Aider les fournisseurs de soins obstétriques, y compris les médecins de famille, infirmières praticiennes, sages-femmes et obstétriciens, à renseigner les patientes sur les risques liés à l’usage de cannabis durant la grossesse et le post-partum, et sur son lien avec les nausées et les vomissements durant la grossesse.
Sources d’information
Une recherche a été effectuée dans les banques de données Ovid MEDLINE à l’aide de diverses combinaisons des mots-clés anglais pregnancy, cannabis, lactation et cannabinoid hyperemesis. Les articles pertinents ont été étudiés, et d’autres sources ont été relevées dans la liste de références de ces articles.
Message principal
L’exposition in utero au cannabis est liée à des conséquences prolongées sur le développement neurologique, qui persistent au début de l’âge adulte. Le cannabis ne doit pas être utilisé pour traiter les nausées et les vomissements durant la grossesse, et son usage prolongé serait lié au syndrome cannabinoïde.
Conclusion
Aucun niveau de consommation de cannabis n’est sécuritaire durant la grossesse et l’allaitement. Il faut renseigner les femmes enceintes quant aux risques liés à l’exposition in utero et les encourager à s’abstenir de consommer durant la grossesse et l’allaitement.
Maintenant que le cannabis est légalisé au Canada, et de plus en plus dans le monde, notre ignorance concernant son innocuité chez les femmes enceintes et qui allaitent est criante.
Le cannabis est la drogue illégale la plus souvent consommée durant la grossesse1. Les taux auto-rapportés de consommation durant la grossesse oscillent entre 2 et 5 %; il s’agit cependant probablement d’une sous-estimation. Dans une étude ayant porté sur les conséquences de l’exposition prénatale au cannabis et à l’alcool sur la réussite scolaire, Goldschmidt et coll.2 ont examiné la fréquence de l’usage simultané de cannabis et d’alcool durant la grossesse. Dans leur étude, 14 % des femmes ont rapporté une forte consommation de cannabis (c.-à-d. fumaient au moins 1 joint par jour) au premier trimestre de la grossesse, comparativement à 5,3 et 5,0 % aux deuxième et troisième trimestres de la grossesse, respectivement. Les facteurs de risque de l’usage continu étaient le célibat, le faible revenu, la faible scolarité ou la présence d’un partenaire qui consommait aussi du cannabis1,3. Les femmes qui font usage de cannabis durant la grossesse ont plus tendance à consommer de l’alcool, du tabac et des drogues illégales, ce qui pourrait avoir des effets additifs ou synergiques1,4. En outre, des études ont montré que les cannabinoïdes traversent facilement le placenta5 et sont présents dans le lait maternel6, ce qui expose le fœtus et le nouveau-né.
Description de cas
Julie est une femme nullipare de 23 ans qui en est présentement à sa 18e semaine de gestation. Jusqu’ici, sa grossesse est exempte de complication. Elle vous consulte à votre bureau pour un problème urgent de douleur abdominale diffuse ainsi que des nausées et des vomissements réfractaires. Les investigations, y compris les analyses sanguines et les examens d’imagerie, ne révèlent rien de particulier. À l’anamnèse, elle admet avoir accru sa consommation de cannabis la semaine dernière pour soulager ses symptômes croissants de nausées. Les nausées et les vomissements ne lui ont pas causé de problème au premier trimestre. Vous vous demandez si sa consommation de cannabis contribue au tableau clinique.
Sources d’information
Une recherche a été effectuée dans les banques de données Ovid MEDLINE à l’aide de diverses combinaisons des mots-clés anglais pregnancy, cannabis, lactation et cannabinoid hyperemesis. Les articles pertinents ont été étudiés, et d’autres sources ont été relevées dans la liste de références de ces articles. Il ne s’agit pas ici d’une revue systématique complète de la littérature, mais plutôt d’une revue clinique des articles pertinents publiés à ce jour.
Message principal
Dans l’ensemble, la littérature scientifique est dépourvue de recherche de bonne qualité sur l’usage de cannabis durant la grossesse et le post-partum. Pour des raisons évidentes, il n’existe aucune étude à répartition aléatoire et contrôlée portant sur l’usage de cannabis durant la grossesse, et beaucoup d’études n’excluent pas ni ne contrôlent l’usage de plusieurs substances. Le recours aux mesures auto-rapportées qui sous-estimeraient la prévalence de l’usage de drogues durant la grossesse, et la puissance en tétrahydrocannabinol (THC) dans les produits du cannabis, qui s’accroît depuis les 10 dernières années, pourraient tenir lieu de facteur de confusion. Finalement, comparativement aux femmes qui ne consomment pas, les femmes enceintes qui font usage de cannabis sont souvent plus maigres et moins scolarisées, ont un revenu de ménage plus faible, et elles ont moins tendance à prendre de l’acide folique7,8.
Il convient de noter que 3 études de cohorte longitudinales et prospectives importantes en cours ont donné un aperçu des effets à court et à long terme de l’exposition in utero aux produits du cannabis (Tableau 11,2,9–11): l’étude OPPS (Ottawa Prenatal Prospective Study)9, l’étude MHPCD (Maternal Health Practices and Child Development)2,10 et l’étude GenR (Generation R)1,11. Ces 3 études ont recruté des femmes enceintes, puis ont suivi leur enfant jusqu’à la petite enfance (GenR), l’adolescence (MHPCD) et le début de l’âge adulte (OPPS). Ils ont tous été contrôlés en fonction du sexe, de l’ethnicité, du milieu de vie, du statut socio-économique de la mère, de l’exposition prénatale à l’alcool et au tabac et de l’usage actuel de drogue par la mère. Le Tableau 2 présente un résumé des conclusions de ces études1,2,9–11.
Tableau 1.
CARACTÉRISTIQUE | OPPS9 | MHPCD2,10 | GENERATION R1,11 |
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Année du début de l’étude | 1978 | 1982 | 2001 |
Population | Race blanche, classe moyenne principalement | Grandement afro-américaine (57 %) et célibataire (71 %), avec faible SSÉ | Cohorte multiethnique; SSÉ légèrement plus élevé par rapport aux femmes n’ayant pas rempli le questionnaire ou l’ayant rempli partiellement |
Recrutement | Participation volontaire après avoir vu des affiches dans les cliniques de soins prénataux et avoir reçu de l’information des fournisseurs de soins prénataux | Recrutées activement dans une clinique de soins prénataux des quartiers centraux de la ville au 4e ou 5e mois de la grossesse | Inscrites en raison de leur résidence dans la zone à l’étude, avec date prévue de l’accouchement durant le recrutement. Recrutées en début de grossesse jusqu’à l’accouchement |
Population exposée au cannabis et taille de l’échantillon total, n/N | 78/698 | 307/763 | 220/7531 |
Usage de plusieurs drogues | Oui : tabac (21 %) et alcool (76%) | Oui : alcool (65 %), tabac (53 %), cocaïne (3,6 %) et autres drogues illégales (8,6 %) | Oui : alcool (31 %), tabac (39 %) et autres drogues (4,5 %) |
Méthode de collecte des données pour déterminer l’usage de cannabis | Entrevues répétitives, principalement au domicile des femmes, chaque entrevue étant menée par la même intervieweuse formée | Entrevues standardisées | Questionnaires d’auto-évaluation |
Catégorisation de l’exposition au cannabis | Non-usage, usage léger (≤ 1 joint/sem.), usage modéré (2–5 joints/sem.) ou usage fréquent (> 5 joints/sem.) | Selon la MJJ : usage léger (0–0,4 MJJ), modéré (0,5–1 MJJ) ou fréquent (> 1 MJJ) | Non-usage, usage occasionnel (mensuel), modéré (hebdomadaire) ou fréquent (quotidien) |
Mesures de l’usage de cannabis | Chaque trimestre | Premier, deuxième et troisième trimestres, et 8 mois, 18 mois et 36 mois post-partum | Avant la grossesse, en début de grossesse et en fin de grossesse |
Taux de rétention | À 22 ans, seuls 49 (63%) membres du groupe exposé au cannabis participaient toujours | Sur l’échantillon total, 636 (83 %) étaient suivis à 10 ans, 580 (76 %) à 14 ans et 608 (80 %) à 22 ans | Le taux de suivi de l’échantillon total à 6 ans dépassait les 80 % pour la plupart des mesures |
Limites |
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MHPCD—Maternal Health Practices and Child Development, MJJ—moyenne de joints par jour, OPPS—Ottawa Prenatal Prospective Study, SSÉ—statut socio-économique, THC—tétrahydrocannabinol.
Tableau 2.
CATÉGORIE | OPPS9 | MHPCD2,10 | GENERATION R1,11 |
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Âge gestationnel et poids à la naissance |
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Néonatale |
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Nourrisson |
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Préscolaire |
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Âge scolaire |
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Adolescents et jeunes adultes |
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MHPCD—Maternal Health Practices and Child Development, OPPS—Ottawa Prenatal Prospective Study.
Résultats néonataux.
Le faible poids à la naissance et les séquelles neurologiques à long terme sont au nombre des résultats néonataux proposés de l’exposition in utero au cannabis12.
Poids à la naissance : Un grand nombre d’études ayant porté sur l’usage de cannabis durant la grossesse se penchent sur la croissance fœtale. Les résultats sont contradictoires; certaines études montrent en effet un faible poids à la naissance et d’autres ne montrent aucun effet. Parmi les études prospectives d’envergure, seule GenR a montré une baisse statistiquement significative du poids à la naissance, associée à l’usage de cannabis tout en contrôlant en fonction du tabagisme. Ce résultat était proportionnel à la dose, et les femmes qui avaient continué à consommer du cannabis durant la grossesse ont montré une réduction moyenne de 277 g du poids à la naissance comparativement à 156 g chez les femmes qui n’avaient consommé qu’en début de grossesse11,13. Une méta-analyse menée récemment par Gunn et coll. a donné lieu à une différence groupée moyenne du poids à la naissance de 100 g, ce qui est comparable aux estimations antérieures14. On ne s’entend toujours pas pour dire si cette différence est pertinente sur le plan clinique, mais elle révèle certainement un effet sur le fœtus. D’autres scientifiques ont suggéré qu’avec la puissance croissante du THC, l’ampleur de la différence entre les femmes qui consomment et celles qui ne consomment pas pourrait augmenter11.
Neurodéveloppement : L’information relative aux effets du cannabis sur le neurodéveloppement et la santé mentale est probablement la plus grande contribution des études OPPS, MHPCD et GenR. L’exposition in utero à la marijuana a été liée à un syndrome semblable au sevrage chez les nouveau-nés, qui est démontré par le fait que les nouveau-nés sursautent et tremblent plus facilement, et ont de la difficulté à s’habituer à la lumière15. Au sein de la population de l’étude GenR, des comportements plus agressifs et des déficits de l’attention ont été observés dès 18 mois15,16. À l’âge préscolaire, des difficultés de raisonnement verbal et visuel, l’hyperactivité, des déficits de l’attention et l’impulsivité ont fait surface dans les populations des études OPPS et MHPCD et ont persisté durant les années scolaires15,17. À 10 ans, des symptômes de dépression et d’anxiété se sont révélés et ont prédit l’usage précoce de cannabis et une moins grande réussite à l’adolescence et au début de l’âge adulte2,10,18–22.
Bien que ces résultats laissent penser que la marijuana n’est pas sans méfaits potentiels, ces études sont limitées en ce qui a trait à leur capacité à contrôler plusieurs facteurs environnementaux et socioéconomiques. En outre, certains résultats n’ont pu être reproduits infailliblement entre les études de cohorte, ce qui pointe vers une relation complexe entre les effets de la marijuana sur le neurodéveloppement. Par exemple, dans les études OPPS et MHPCD, la population d’âge préscolaire obtenait des scores inférieurs aux tests de la mémoire et du raisonnement verbal, un résultat qui n’a pas été reproduit dans l’étude GenR15,17. D’autres études sont nécessaires pour produire davantage d’information et de clarté quant aux effets du cannabis sur le cerveau en développement, mais pour le moment, il ne semble pas que l’usage de cannabis durant la grossesse pointe vers un phénotype précis pouvant être reproduit de façon fiable.
Risques pour la mère.
Les risques pour la mère associés à l’usage de marijuana sont liés à la méthode de consommation et au potentiel toxicomanogène de la drogue. Quelque 8 % des personnes qui font l’essai de la marijuana deviendront dépendants du cannabis13. Le trouble de consommation du cannabis, à l’instar des autres troubles de consommation de drogues, se caractérise par une mauvaise maîtrise de soi, des difficultés sociales, une consommation risquée, la tolérance et le sevrage, comme le définit le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5e édition. Les programmes thérapeutiques sont limités et aucune méthode ne s’est avérée supérieure aux autres. Cela dit, un traitement, n’importe lequel, semble être mieux qu’aucun traitement, et lorsque des programmes ambulatoires sont offerts, il faut les utiliser23. Outre la substitution du THC, aucune pharmacothérapie ne s’est avérée efficace pour soulager les symptômes de sevrage13. Les options de réduction des méfaits consistent à utiliser les vaporisateurs ou les produits comestibles plutôt que les joints (ce qui réduit le risque carcinogène chez la mère, mais pas le risque chez le fœtus), à éviter de fumer à l’intérieur ou en présence d’enfants, et à utiliser les doses décroissantes prescrites d’un cannabinoïde synthétique13.
Nausées et vomissements durant la grossesse.
Les propriétés antiémétiques des produits du cannabis sont reconnues du public et sont même représentées dans les films hollywoodiens et autres médias populaires. La croyance veut que le cannabis soit « naturel », qu’il soit une « plante » et qu’il puisse donc être utilisé en toute sécurité contre les nausées et les vomissements24. Il n’est pas surprenant d’apprendre que les femmes enceintes qui ont accès à des produits du cannabis en aient rapporté l’usage pour traiter les nausées et les vomissements durant la grossesse25,26. Dans une enquête menée auprès de femmes qui consommaient des produits du cannabis à des fins médicales, 77 % ont rapporté des nausées et des vomissements durant la grossesse et 68 % ont rapporté consommer du cannabis précisément à cette fin. La plupart des femmes enceintes qui consomment du cannabis contre les nausées et les vomissements (92 %) l’ont trouvé « efficace » ou « extrêmement efficace»26. Paradoxalement, l’usage de marijuana avant la grossesse est lié à plus de rapports de nausées et de vomissements25. Pour ajouter à la confusion, le syndrome cannabinoïde, un syndrome de douleur abdominale épisodique, de nausées et de vomissements chez les usagers chroniques de cannabis est de plus en plus reconnu en milieu clinique. Ainsi, la relation entre les produits de cannabinoïde et les nausées durant la grossesse semble être complexe et jusqu’à maintenant nébuleuse.
Le syndrome cannabinoïde est grandement décrit dans les séries de cas et les petites études rétrospectives des publications de médecine d’urgence (Encadré 1)27–29. Les épisodes de douleur abdominale diffuse, de nausées et de vomissements apparaissent habituellement soudainement et persistent 24 à 48 heures. Ils sont souvent précédés d’une phase prodromique constituée de nausées croissantes, ce qui pousse l’usager à consommer plus de cannabis27. Les symptômes du syndrome cannabinoïde sont souvent soulagés par une douche chaude28. Le syndrome cannabinoïde serait grandement sous-diagnostiqué et surinvestigué, et il est réfractaire aux antiémétiques classiques29–31. Les traitements efficaces proposés sont la crème de capsaïcine topique (appliquée sur l’abdomen toutes les 4 heures), l’halopéridol et les benzodiazépines, quoique la résolution définitive exige de mettre un terme à l’usage de cannabis27,30,31. Il serait justifié d’envisager un diagnostic de syndrome cannabinoïde chez les patientes enceintes pour lesquelles les nausées et les vomissements sont atypiques et difficiles à traiter.
Encadré 1. Caractéristiques du syndrome cannabinoïde.
Les caractéristiques suivantes sont associées au syndrome cannabinoïde :
Consommation prolongée de marijuana
Nausées, vomissements, douleur abdominale d’apparition soudaine
Symptômes soulagés par douches chaudes
Épisodes qui persistent habituellement de 24 à 48 h
Données tirées de Richards27, Simonetto et coll.28 et Hernandez et coll.29
Lorsque les produits du cannabis sont utilisés pour le traitement, leur profil d’effets indésirables est plus important que celui des autres traitements, de plus, les données d’innocuité sont insuffisantes. Vu le potentiel d’effets sur le développement neurologique, le cannabis n’est pas recommandé dans le traitement des nausées et des vomissements durant la grossesse, et il faut encourager les femmes enceintes à s’abstenir d’en consommer23,26,32.
Post-partum.
Le tétrahydrocannabinol est une molécule liposoluble excrétée dans le lait maternel en quantités modérées. Chez les personnes qui consomment beaucoup et depuis longtemps, le rapport lait:plasma peut atteindre 8:1, et les métabolites du cannabis se trouvent dans les selles et l’urine du nourrisson, ce qui laisse penser qu’il serait absorbé et métabolisé par le nourrisson33. Les études animales ont laissé penser que l’exposition au cannabis durant l’allaitement aurait des répercussions sur le neurodéveloppement semblables à celles découlant de l’exposition in utero9. Les études chez les humains sont rares et généralement restreintes. En 1990, une étude de cohorte prospective menée par Astley et Little a révélé que l’exposition du lait maternel au THC durant le premier mois de vie était associée à une hausse moyenne (ET) de 14 (5) points à l’Échelle de développement de Bayley à 1 an34. L’effet indésirable était toujours présent après avoir contrôlé en fonction du tabagisme, de l’usage d’alcool et de l’usage de cocaïne par la mère durant la grossesse et l’allaitement. Les résultats ont cependant été confondus par l’usage de marijuana par la mère au premier trimestre, et on n’a alors pas pu établir quelle exposition était responsable de l’effet observé. Vu la petite taille des échantillons des études à ce jour et l’absence d’études plus récentes, la rareté des données nous empêche de tirer des conclusions fiables sur les risques liés à l’usage de cannabis chez les femmes qui allaitent. Alors que l’Academy of Breastfeeding Medicine préconise de réfléchir mûrement aux risques et aux bienfaits de l’allaitement dans le contexte d’un usage modéré et prolongé de marijuana, elle reconnaît également que les données « ne sont pas suffisantes » pour recommander d’éviter l’allaitement durant l’usage de marijuana35.
Les risques liés à l’exposition à la fumée secondaire du cannabis et aux soignants aux facultés affaiblies sont d’autres éléments dont il faut tenir compte. L’exposition à la fumée secondaire du cannabis est un facteur de risque indépendant du syndrome de mort subite du nourrisson36. Étant donné que l’allaitement protège le nourrisson contre ce syndrome, il est justifié de soupeser minutieusement les risques et les bienfaits de l’allaitement durant l’usage de cannabis. À tout le moins, il faut conseiller aux femmes qui allaitent de fumer à l’extérieur du domicile et de changer leurs vêtements avant de prendre leur bébé.
Finalement, bien qu’aucune étude n’ait porté sur le sujet, la capacité de la mère à prendre soin de son enfant lorsque ses facultés sont affaiblies pourrait être compromise en raison de l’effet du cannabis sur l’humeur et le jugement10. Les répercussions possibles sur l’intervention des services de protection de l’enfance dépendent de l’évaluation d’éléments tels que le réseau de soutien, l’usage abusif d’autres drogues et l’importance de l’usage de cannabis. En soi, l’usage de cannabis n’est pas une indication pour que les services de protection de l’enfance interviennent, et des discussions sur un ton punitif pourraient causer d’autres préjudices, tels que l’abandon des soins prénataux.
L’évaluation de la dépendance, l’éducation en matière des risques liés à l’usage de marijuana, l’évaluation de la volonté d’arrêter de consommer et une discussion sur les options de réduction des méfaits mentionnés ci-dessus sont les piliers des interventions dont nous disposons. Même si les ressources communautaires composant avec le trouble de consommation de marijuana sont pour l’heure rares au pays, la situation pourrait changer dans les prochaines années compte tenu de la légalisation de la marijuana. Récemment, la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada a créé d’excellents outils éducatifs en ligne, dont des sites Web interactifs, des vidéos et des affiches traitant de l’usage de marijuana durant la grossesse et l’allaitement. Ce sont des ressources utiles vers lesquelles nous pouvons diriger nos patientes qui pourront explorer ces sujets et préoccupations plus en profondeur37.
Résolution du cas
Julie est hospitalisée pendant 48 heures pour recevoir des liquides intraveineux et des antiémétiques. Ses symptômes sont réfractaires à la plupart des interventions durant son hospitalisation, sauf aux douches chaudes, où elle passe le plus clair de son temps. Après 48 heures, ses symptômes disparaissent et elle demande son congé.
Avant de recevoir son congé, on lui explique la sécurité du cannabis et sa contribution à son tableau clinique, et on lui remet l’information suivante :
Le cannabis est une plante complexe qui contient plus de 400 composés chimiques qui passent de la mère à l’enfant durant la grossesse et dans le lait maternel après l’accouchement.
L’usage de cannabis durant la grossesse est lié à un syndrome de « sevrage » chez le nouveau-né et pourrait rendre le bébé plus irritable.
L’exposition dans l’utérus pourrait avoir des effets à long terme sur le développement du cerveau et la santé mentale de l’enfant.
L’usage prolongé de cannabis peut entraîner le syndrome cannabinoïde, qui cause douleurs abdominales, des nausées et des vomissements souvent soulagés par des douches chaudes. Ces symptômes durent de 24 à 48 heures. La seule façon d’y mettre un terme est d’arrêter de consommer du cannabis.
Il existe d’autres options pour traiter les nausées et les vomissements durant la grossesse, dont la sécurité et l’efficacité sont éprouvées, et ces options ont moins d’effets indésirables. Si les nausées et les vomissements sont difficiles à endurer durant la grossesse, consultez votre fournisseur de soins de grossesse.
Conclusion
L’exposition in utero au cannabis est liée à des conséquences prolongées sur le développement neurologique, qui persistent au début de l’âge adulte. Les risques associés à l’usage de cannabis chez la mère sont liés à la méthode de consommation (p. ex. joints, produits comestibles) et au potentiel toxicomanogène de la drogue. Il faut renseigner les femmes enceintes quant à ces risques et les encourager à s’abstenir de consommer. Il faut offrir des options de réduction des méfaits aux femmes qui sont incapables de mettre fin complètement à leur consommation. Le tétrahydrocannabinol est excrété dans le lait maternel et serait associé à une perturbation possible du développement moteur à 1 an chez les nourrissons ayant été exposés au cannabis durant l’allaitement; ces données dont toutefois limitées.
La relation entre le cannabis et la nausée durant la grossesse est complexe et nébuleuse. Les femmes qui consomment du cannabis durant la grossesse le trouvent souvent efficace, mais l’usage prolongé serait lié au syndrome cannabinoïde. Il existe d’autres traitements sûrs et efficaces des nausées et des vomissements devant être utilisés en première intention.
Points de repère du rédacteur
▸ L’exposition in utero au cannabis est liée à des conséquences prolongées sur le développement neurologique, qui persistent au début de l’âge adulte. Il faut renseigner les femmes enceintes quant à ces risques et les encourager à s’abstenir de consommer.
▸ Les risques associés à l’usage de cannabis chez la mère sont liés à la méthode de consommation et au potentiel toxicomanogène de la drogue. Il faut offrir des options de réduction des méfaits aux femmes qui sont incapables de mettre fin complètement à leur consommation.
▸ La relation entre le cannabis et la nausée durant la grossesse est complexe et nébuleuse. Bien que les femmes qui consomment du cannabis durant la grossesse le trouvent souvent efficace, l’usage prolongé serait lié au syndrome cannabinoïde, un état caractérisé par des épisodes aigus de douleur abdominale, de nausées et de vomissements. Il existe d’autres traitements sûrs et efficaces des nausées et des vomissements qu’il faudrait utiliser en première intention.
▸ Le tétrahydrocannabinol est excrété dans le lait maternel. Les données chez l’humain ont laissé croire à une perturbation possible du développement moteur à 1 an chez les nourrissons ayant été exposés au cannabis durant l’allaitement; ces données sont toutefois limitées.
Footnotes
Collaborateurs
Les deux auteurs ont contribué à la revue de la littérature, à son interprétation et à la préparation du manuscrit aux fins de soumission.
Intérêts concurrents
Aucun déclaré
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Cet article a fait l’objet d’une révision par des pairs.
The English version of this article is available at www.cfp.ca on the table of contents for the February 2020 issue on page 98.
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