Abstract
La grippe de l’enfant est fréquente mais passe souvent inaperçue. Les formes gravissimes ou létales sont en revanche exceptionnelles.
Observation. – Nous rapportons une observation de décès brutal d’un enfant de 23 mois chez lequel le virus Influenza A a été isolé postmortem par polymerase chain reaction (PCR) dans le poumon et dont les lésions anatomopathologiques étaient celles décrites dans la grippe maligne.
Conclusion. – Devant un tableau de décès non expliqué voire une mort subite du nourrisson ou du jeune enfant, les causes infectieuses en particulier virales doivent être cherchées soigneusement avec recherche virale par PCR recommandée, les autres techniques pouvant rester négatives.
Mots-clé: mort subite, Myxovirus influenzae A, enfant
Abstract
Influenza A virus infections are common in childhood and infancy and are often underdiagnosed while serious or letal forms are rare.
Case-report. – We describe a case of sudden death in a two-year-old boy. Pathologic findings at autopsy were consistent with Myxovirus influenzae A virus infection and the virus was isolated by post mortem PCR.
Conclusion. – In the case of sudden death in infants, especially if pathologic findings are compatible with a viral infection, PCR may allow identification of the causative virus.
Keywords: death, sudden; child; influenza A virus
La grippe de l’enfant passe souvent inaperçue. Cependant, il existe des formes rares et gravissimes, létales en dehors de tout contexte favorisant 〚1〛, touchant particulièrement les deux extrémités de la vie.
Observation
Un enfant de 23 mois, premier enfant de la fratrie, sans antécédents particuliers, est né à terme, de développement normal, sans maladie pulmonaire chronique. En janvier 2000 pendant l’épidémie de grippe, il a présenté durant plusieurs jours une rhinopharyngite avec fébricule. Le troisième jour, il a eu un épisode de vomissements et de diarrhée. Il était alors apyrétique. Son comportement était habituel, il avait joué et ne s’était pas plaint. Le lendemain, il apparaissait abattu et il est devenu rapidement obnubilé. Les parents ont appelé le médecin traitant qui a constaté une hypothermie à 36,5 °C et une tachycardie. Il n’y avait pas de difficulté respiratoire ni de raideur méningée. Son état était jugé suffisamment sérieux et inhabituel pour demander un transfert vers l’hôpital le plus proche. Brusquement, vers 11 heures, l’enfant a présenté un arrêt cardiorespiratoire brutal durant le transport. La réanimation réalisée a été inefficace. L’autopsie a été réalisée 48 heures plus tard. Les seules anomalies macroscopiques étaient des poumons congestifs très lourds (320 g) et une splénomégalie (60 g, sans débord). En microscopie il existait des lésions diffuses de tout l’arbre respiratoire. La plus remarquable, et qui expliquait le décès, était l’alvéolite hémorragique majeure diffuse aux deux champs pulmonaires réalisant une inondation alvéolaire (figure 1) . Il n’y avait pas de membrane hyaline ni d’inflammation alvéolaire. Un infiltrat mononucléé peu abondant était présent dans le tissu interstitiel péribronchique. Il existait un infiltrat inflammatoire majeur de tout le tractus laryngotrachéal (figure 2) avec polynucléaires neutrophiles, congestion, suffusions hémorragiques et érosions muqueuses. Le tissu myocardique était le siège d’un infiltrat lymphocytaire. L’examen neuropathologique montrait des lésions discrètes et localisées associant un infiltrat mononucléé des méninges de la base et une encéphalite caractérisée par un infiltrat mononucléé dans quelques espaces de Virchow de la protubérance et de l’hippocampe (figure 3) . Il existait en outre un œdème important et des altérations neuronales de caractère hypoxique aigu. Il n’y avait pas de réaction gliale. Ce tableau anatomopathologique était très en faveur d’une maladie infectieuse aiguë vraisemblablement virale.
Les prélèvements à visée bactériologique des fosses nasales, de la gorge, du larynx et du poumon, ainsi que l’examen du liquide céphalorachidien étaient négatifs. Les recherches virales sur les prélèvements ORL et pulmonaires étaient négatives par les techniques d’immunofluorescence et de culture cellulaire (Myxovirus influenzae A et B, Myxovirus parainfluenzae 1, 2, 3, virus respiratoire syncytial, adénovirus, virus de la rougeole, virus des oreillons, coronavirus 229E).
Une recherche par polymerase chain reaction (PCR) a été réalisée selon une procédure précédemment décrite, pour les virus influenza A et B, para-influenza 3, virus respiratoire syncytial et adénovirus sur des prélèvements de poumon et de foie congelés lors de l’autopsie 〚2〛. La PCR était positive pour le virus influenza A sur le prélèvement de poumon. En revanche, elle était négative sur le foie. Ceci faisait rattacher à une infection à virus influenza A les constatations anatomopathologiques d’alvéolite hémorragique massive responsable du décès et les lésions d’encéphalite discrètes expliquant l’obnubilation.
Commentaires
La grippe de l’enfant comporte des signes généraux classiques 1, 2, 3 : fièvre, rhinopharyngite et toux. Des vomissements, parfois incoercibles, et une diarrhée peuvent exister chez l’enfant de moins de cinq ans et le nourrisson. Des complications dues au virus lui-même sont fréquentes : otite moyenne aiguë, laryngite, bronchiolite, pneumonie. Les complications graves sont principalement respiratoires du fait du virus, d’une surinfection en particulier à Haemophilus influenzae ou par l’existence d’une maladie préexistante : asthme, cardiopathie congénitale, immunodépression, mucoviscidose 〚3〛. Dans l’étude de Richard et al. 〚4〛 qui regroupait dix enfants de 15 jours à sept ans (âge moyen : 34 mois) ayant nécessité une hospitalisation en réanimation, le tableau était une insuffisance respiratoire, avec syndrome de détresse respiratoire aiguë qui avait abouti dans deux cas au décès. Des convulsions fébriles ont été rapportées, voire des syndromes méningés sans réelle méningite 〚1〛. La fréquence des signes neurologiques se situait entre 15 et 20 % 〚5〛. Cette symptomatologie est essentiellement celle de la grippe A qui est la plus pathogène et donne les épidémies étendues. Brouard et al. 〚5〛 ont montré que l’âge moyen d’infection par le virus Influenza A chez l’enfant était de 20,9 mois. L’incubation est courte et la grippe est très contagieuse. Le virus se fixe sur les cellules épithéliales du tractus respiratoire entraînant une réaction inflammatoire de la muqueuse, une destruction de l’épithélium et une hypersécrétion de mucus.
Dans une étude épidémiologique, Nelson et al. 〚6〛 ont montré une association entre mort subite du nourrisson et infection par virus Influenza A.
Les études de Drescher et al. et de Zink ont repris des cas autopsiques de grippe à partir d’une série de morts brutales non expliquées de l’adulte et de l’enfant 7, 8 : le virus grippal a été mis en évidence dans 20 % des cas même en période interépidémique. Les lésions autopsiques ont été comparées à celles décrites depuis la pandémie de 1918 7, 9, 10 : ces lésions morphologiques sont peu connues et essentiellement respiratoires. L’examen macroscopique trouve un tractus respiratoire rouge et des poumons lourds avec des pétéchies. Les lésions microscopiques prédominent au niveau pulmonaire et comportent une alvéolite hémorragique dans 98 % des cas, très souvent associée à un infiltrat mononucléé interstitiel et à une congestion ; mais il existe rarement un infiltrat à polynucléaires en dehors des surinfections. Des membranes hyalines, du fait du caractère lésionnel de l’œdème, responsable d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë, peuvent s’y ajouter. Au niveau du larynx et de la trachée, il existe une réaction inflammatoire à polynucléaires neutrophiles dans 93 % des cas, des érosions de la muqueuse et des suffusions hémorragiques de la paroi. D’autres lésions ont été signalées : des lésions discrètes de péricardite ou de myocardite, un œdème et un infiltrat mononucléé méningé.
Un large spectre d’atteinte du système nerveux central a été rapporté avec les virus Influenza A 11, 12. Les signes principaux comprennent la somnolence, un syndrome parkinsonnien transitoire et des encéphalites de deux types : aiguës virales ou postvirales apparaissant à distance. Le virus Influenza A a un tropisme cérébral très sélectif pour certains groupes de neurones. Les lésions cérébrales sont morphologiquement discrètes. Dans l’observation de Takahashi et al. 〚12〛 où les prélèvements ont été faits rapidement postmortem, le virus a été mis en évidence par PCR dans le cerveau, le poumon et le foie fournissant des arguments pour une propagation virale hématogène. Il n’y avait pas de méningite à l’analyse du LCR.
Dans le diagnostic de la grippe, l’utilisation de la PCR a permis d’augmenter d’environ un tiers les résultats positifs par rapport aux techniques conventionnelles d’immunofluorescence et de culture 〚13〛. Ceci est d’autant plus vrai en période postmortem, car le taux de détection virale par ces techniques conventionnelles est très diminué. Cet outil semble intéressant à utiliser pour rechercher les virus Influenza dans le LCR lorsque surviennent des manifestations encéphalitiques, car la culture virale peut être négative 14, 15.
Il apparaît donc important de réaliser des recherches virales dans toute mort subite en apparence inexpliquée et surtout des virus Influenza quand il existe une alvéolite hémorragique diffuse. Si cette atteinte pulmonaire explique le décès, son origine virale doit être mise en évidence car ceci permet de rassembler des observations qui restent exceptionnelles et d’insister sur les mesures de prévention chez le jeune enfant.
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