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. 2008 Nov 7;15(12):1781–1793. [Article in French] doi: 10.1016/j.arcped.2008.09.020

Organisation de la réanimation en situation de pandémie de grippe aviaire

Organization of intensive care in situation of avian flu pandemic

B Guery 1,, B Guidet 2, S Beloucif 3, D Floret 4, C LeGall 5, P Montravers 3, C Chouaid 6, PH Jarreau 7, B Régnier 2
PMCID: PMC7127334  PMID: 18995996

Résumé

La survenue probable d’une pandémie grippale liée au virus H5N1 va entraîner un afflux massif de patients à l’hôpital, notamment en réanimation. Ce texte, rédigé par des experts des 7 sociétés savantes les plus impliquées, rappelle les principes généraux de l’organisation des hôpitaux en situation pandémique. Les points particuliers concernant la réanimation concernent le risque majeur de débordement et la nécessité imposée pas les autorités de tutelle d’un doublement de la capacité d’accueil. La réanimation pédiatrique semble particulièrement exposée, les jeunes enfants, particulièrement les petits nourrissons, devant être les plus affectés par les formes graves de grippe aviaire, dans le contexte actuel de pénurie relative de lits de réanimation pédiatrique. Il est donc proposé que les enfants de plus de 20 kg soient admis en réanimation adulte. Il est souhaitable que les unités de réanimation néonatales restent à basse densité virale. Les services de réanimation mixtes (néonatale et pédiatrique) pourraient n’accueillir que les enfants. La baisse de la capacité d’admission en réanimation néonatale devrait amener à s’interroger sur une limitation des admissions de grands prématurés en situation de crise. Le doublement des capacités d’admission en réanimation pédiatrique pourrait se faire grâce à l’utilisation des unités de soins continus, des salles de réveil et le renforcement par du personnel, médical et non médical, libéré par les déprogrammations d’activités. Ces personnels seraient encadrés par les personnels habituels des unités. Des actions de formations spécifiques sont à mettre en œuvre pour les personnels destinés à renforcer les unités de réanimation.

Mots clés: Pandémie, Grippe aviaire, Réanimation

1. Introduction

En 1997, le premier cas d’infection par le virus H5N1 était décrit à Hong Kong et 18 cas ont été confirmés avec une origine tracée jusque dans la province de Fujian en Chine. Les cas suivants ont été individualisés à partir de 2003, de façon assez sporadique. En 2004, une série de 10 cas au Vietnam a fait évoquer la possibilité d’une transmission interhumaine. Dans les mois qui suivirent, des cas ont été décrits en Asie du Sud-Est, Chine, Turquie, Iraq, Égypte… De façon parallèle l’épizootie s’est elle aussi propagée, précédant l’apparition de cas humains et ce malgré une politique relativement agressive visant à éliminer les foyers individualisés. Au 10 septembre 2007, le nombre de cas total s’élevait à 328 avec 200 décès, l’évolution du nombre de cas entre 2003 et 2008 témoignant surtout de l’extension de l’épizootie (fig. 1) . L’évolution de l’épizootie et des cas humains est disponible sur le site de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) (http://www.who.int). Au niveau international, la prise de conscience des dangers inhérents à cette pandémie fut rapide, ce d’autant que cette menace faisait suite à la pandémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SARS) du à un coronavirus émergent. En France, la réponse institutionnelle a été déclinée par l’élaboration d’un plan « grippe aviaire ». Le plan français de préparation à une pandémie aviaire comporte un guide pour l’organisation des soins (avril 2006, réactualisé en mars 2007). Le risque de pandémie a été intégré à d’autres catastrophes avec la rédaction des « plans blancs élargis » en septembre 2006. L’ensemble du dispositif a été adossé à une base législative avec la loi du 5 mars 2007 relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur.

Figure 1.

Figure 1

Nombre de cas et de décès de grippe aviaire H5N1 entre 2003 et 2007 (mis à jour du 25 juillet 2007).

Le guide pandémie grippale énonce des principes organisationnels des filières des patients grippés et non grippés. Chaque région et chaque établissement de santé (ES) doit maintenant réfléchir à leur mise en œuvre. Si la filière des patients médicaux pose déjà un certain nombre de problèmes pratiques pour la plupart des ES, l’accueil des patients relevant de la réanimation risque lui de devenir un souci majeur en raison d’une probable inadéquation entre le nombre de places disponibles et la quantité de patients nécessitant ces structures 1, 2. Plusieurs études se sont intéressées au mode de présentation de la pathologie à partir des différents cas recensés dans la littérature. Les conclusions montrent que les patients atteints d’infection à H5N1 nécessitent, soit à l’admission, soit rapidement après celle-ci, le transfert dans une structure de réanimation 3, 4. Sur la base de plusieurs modélisations il a été estimé qu’il convenait de prévoir un doublement des capacités de réanimation. Pour ces raisons, la direction de l’hospitalisation et de l’offre des soins (DHOS) a suscité une réflexion des sociétés savantes afin d’établir un cahier des charges de mise en œuvre de l’organisation des services de réanimation en situation de pandémie grippale. Les recommandations suivantes sont issues de ce travail qui a regroupé la Société de réanimation de langue française, la Société de pathologie infectieuse de langue française, la Société de pneumologie de langue française, la Société française d’anesthésie-réanimation, le Groupe francophone de réanimation et urgences pédiatriques, la Société française de médecine d’urgence et la Société française de néonatalogie.

L’éventualité de l’apparition d’une pandémie de grippe aviaire pose la question de la préparation à un risque faible mais avec des conséquences considérables. Les évènements à basse probabilité sont souvent traités comme s’ils étaient impossibles. Il est de notre devoir, pour des situations difficiles qui arriveront un jour ou l’autre, d’espérer le mieux mais de se préparer au pire. Par ailleurs, cette réflexion est extrapolable à d’autres situations que la pandémie grippale (risque nucléaire, crises sanitaires de grande ampleur…).

Les éléments pris en compte pour cette réflexion sont dérivés de publications relatives à quelques rares expériences (le SARS, notamment) et à des recommandations élaborées par d’autres pays. Par ailleurs, les données issues de modélisations épidémiologiques ont été intégrées. L’accès à la réanimation, comme la mise à disposition de vaccins ou des antiviraux, pose le problème de la répartition des ressources rares et soulève des questions éthiques délicates qui doivent être anticipées en prenant en compte les principes d’équité et de justice. Les données scientifiques disponibles et les simulations publiées suggèrent l’efficacité des mesures de prévention [5] qui devront clairement être prioritaires.

2. Organisation des filières hospitalières

Elle repose sur l’intégration de différentes interventions ayant comme point commun la nécessité d’établir des critères d’admission dans une structure de réanimation. Ces critères seront évolutifs en fonction de la phase pandémique et des ressources disponibles 5, 6. Pour la clarté de l’exposé nous appellerons les malades suspects de grippe « les patients grippés ». Les principes généraux, à préciser pour chaque groupe de patients, seraient :

  • pour les patients non grippés :

  • la déprogrammation (hors urgence) des patients,

  • la prise en compte des urgences (triage spécifique des patients qui, à ce moment précis, peuvent être admis en réanimation). Les modalités d’admission en réanimation de ces patients non grippés sont décidées, comme maintenant, de manière conjointe par le médecin référent du patient et le médecin réanimateur 7, 8 ;

  • pour les patients grippés :

  • la sélection en amont, avant l’hospitalisation autant que possible ou au service d’admission des urgences (SAU), par des médecins formés pour les grippés, ainsi que pour les malades proposés mais ne présentant pas les critères d’admission,

  • la décision de limitations ou d’arrêt de traitements actifs (LATA) pour les patients déjà hospitalisés en réanimation.

Ainsi, les flux de patients et la charge thérapeutique en réanimation résulteront principalement de décisions en amont de l’hôpital (rôle de la médecine de ville, du service d’aide médicale urgente [SAMU], premiers secours…), à l’admission en réanimation (tri effectué à l’entrée de l’hôpital) et enfin en réanimation (LATA, mutation dans des structures intermédiaires ou hospitalisation conventionnelle). La capacité d’admission en réanimation, secteur haute densité virale (HDV), dépendra de nombreux facteurs (cf. infra).

Pour les patients ou les soignants se présentant avec un syndrome fébrile respiratoire, l’orientation se fera par défaut vers une filière HDV. Cela risque potentiellement de se faire au détriment de la personne elle-même si elle est atteinte d’une pathologie non grippale (exemple d’une pneumonie bactérienne classique), mais se justifie au regard de la collectivité pour préserver le secteur de basse densité virale (BDV). Ce point reste à moduler et est susceptible d’évolution si des tests diagnostiques rapides, sensibles et spécifiques de grippe à virus H5N1 devenaient disponibles.

2.1. Principes d’organisation des soins hospitaliers : filières de soins des patients en période de pandémie de grippe aviaire

Des principes généraux doivent être appliqués par l’ensemble des établissements pour organiser leurs filières de soins en situation de pandémie grippale. La mise en application de ces filières, par delà les principes généraux, intègrera des données de structures locales et régionales. La multiplicité des situations possibles impose à la cellule de crise de chaque établissement d’adapter cette organisation en fonction des situations rencontrées.

L’objectif en période de pandémie est que l’hôpital ne prenne en charge que les patients les plus graves. Les soins aux patients les moins gravement malades seront dispensés en dehors de l’hôpital. Les patients non grippés, dont le pronostic vital peut être engagé et qui ne présentent pas de symptômes de grippe, doivent pouvoir être gérés et pris en charge sans risque d’être contaminés.

2.2. Finalité des soins en période de pandémie et principes généraux concernant l’organisation des soins intensifs en période d’afflux massif

Les principes généraux énoncés ci-dessous conditionnent l’organisation des soins à mettre en œuvre au plan général et plus spécifiquement en réanimation. En situation de crise, l’objectif principal est que les ressources de l’hôpital, qui sont limitées, aillent au plus grand nombre de personnes afin d’optimiser le bénéfice pour la collectivité.

Concernant les soins de réanimation, l’hôpital doit donner la priorité à des soins qui répondent aux critères suivants :

  • des interventions qui selon les experts permettent d’améliorer la survie ;

  • des interventions peu consommatrices de ressources matérielles ou humaine 8, 9.

Concernant la « sélection » à l’admission en réanimation, en cas d’afflux massif de patients, il est généralement admis que les ressources disponibles doivent pouvoir bénéficier au plus grand nombre (principe éthique de l’utilitarisme) de patients, grippés ou non grippés, de façon équitable [10].

Ce processus de sélection (dénommé « triage » en médecine militaire ou de catastrophe) des patients doit reposer sur des principes nationaux en conformité avec les fondements éthiques de notre société 9, 10, 11 et avoir été réfléchi au niveau de l’hôpital. Ce triage doit notamment être effectué par des professionnels de santé expérimentés et sur des critères objectifs. Les critères d’aide à la décision devront avoir été validés par les professionnels (sociétés savantes) et des représentants de la société (décideurs, politiques, associations…) avec l’aide d’éthiciens et de sociologues. Quand les capacités traditionnelles d’accueil des patients graves sont dépassées, les soins de réanimation peuvent devoir être dispensés dans des locaux habituellement non prévus à cet effet, mais qui auront été identifiés au préalable.

Les soins intensifs spécialisés (pneumologie, gastroentérologie et surtout cardiologie) prendront en charge les patients relevant de leur discipline mais non grippés. Les patients grippés relevant des soins intensifs seront orientés vers la réanimation HDV. Pour chaque pathologie, il faut considérer à la fois la densité virale et la gravité du patient. Les contraintes locales nécessitent donc une appropriation par chacun des ES.

Des estimations des flux de patients ont été tirées des modélisations de l’institut de veille sanitaire (InVS) et, pour la réanimation, des center for disease control (CDC) (FluSurge). Pour un taux d’attaque moyen de 25 % de la population, pendant 2 vagues de 10 semaines chacune, il est prévu plus de 15 000 000 de cas, environ 460 000 hospitalisations et 85 000 décès. Environ 15 % des hospitalisés pourraient nécessiter une réanimation dont la moitié une ventilation artificielle, soit respectivement près de 70 000 séjours et 35 000 patients sous ventilation artificielle.

La prise en compte de ces simulations pourrait conduire à la proposition décrite dans le Tableau 1 et prenant en compte la gravité des patients, (absente, faible, moyenne ou élevée) et la suspicion ou non d’une grippe (relevant des secteurs HDV ou BDV).

Tableau 1.

Orientation des patients en fonction de la gravité et de la suspicion de grippe.

Non grippé/BDVa Grippé/HDVb
Gravité
Absente Domicile Domicile (95 %)
Faible Salle Salle
Moyenne USI/USC/salle réveil (SSPI) USC
Élevée Réanimation Réanimation (15 % des 5 % hospitalisés, dont 50 %ventilés)
a

Basse densité virale.

b

Haute densité virale.

2.3. Organisation hospitalière en situation de pandémie grippale

Les plans blancs permettent aux autorités d’organiser le système de soins afin de répondre à une crise sanitaire. Une annexe pandémie grippale y a été adjointe afin de répondre à la problématique de contagiosité (2 secteurs HDV et BDV dans les ES) et à une crise prolongée de plusieurs semaines ou mois. Ce plan prévoit qu’une cellule de crise supervise l’organisation de chaque ES. En situation de pandémie grippale cette cellule de crise a pour mission :

  • d’organiser les soins de l’établissement ;

  • d’assumer la communication interne et externe ;

  • d’assurer la fonction logistique de l’établissement ;

  • de veiller à la constitution d’une cellule d’aide à la décision médicale ;

  • de sécuriser l’hôpital par rapport à l’extérieur mais aussi dans son enceinte afin de préserver l’intégrité des filières mises en place.

2.4. Évaluation du nombre de lits nécessaires par hôpital et par secteur avec niveaux de montée en charge : évaluation des capacités de réanimation

Sur la base des simulations de l’InVS (et du modèle FluSurge pour la réanimation), chaque région devrait estimer les flux de patients et en envisager la répartition parmi les ES. Cette planification complexe devrait être coordonnée sous l’autorité des préfets des 7 zones de défense. Dans l’immédiat il est demandé aux ES d’envisager sur la base de la population de son territoire de santé, de l’offre de soins et de ses capacités de lits, d’envisager les flux de patients qu’ils pourraient prendre en charge. Ces simulations locales devraient concerner les hypothèses actuellement retenues avec un taux d’attaque moyen de 25 %, une durée moyenne de séjour (DMS) d’environ 10 jours, une évolution dans le temps en 2 vagues avec environ 1/3 des patients pendant la première vague s’étalant sur 10 semaines et 2/3 des patients pendant la seconde vague de durée analogue. La cinétique de l’épidémie devrait faire considérer 3 niveaux successifs de montée en charge, avec 20 % de la population cible à accueillir immédiatement, 50 % en 2 semaines et 100 % en 5 semaines. Pour la réanimation les hypothèses déjà mentionnées devraient être appliquées à ces flux.

Ainsi au plan national, l’InVS estime que le nombre d’hospitalisations hebdomadaires pourrait être compris entre 3400 en début de pandémie à 65 000 au pic pandémique. Parmi ces hospitalisations, 15 % des patients pourraient nécessiter une admission en réanimation (dont 50 % avec ventilation artificielle). Cette simulation conduit à prévoir environ 10 000 admissions en réanimation sur une période de 2 semaines avec environ 5000 patients sous ventilation mécanique.

Selon l’estimation de la direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS) (auprès des agences régionales d’hospitalisation [ARH] en mars 2000), les capacités de réanimation adulte seraient de 5700 lits (dont près de 900 de réanimation neurochirurgicale et de chirurgie cardiaque) et celles de réanimation pédiatrique de 1064 lits (dont la moitié néonatale). Les capacités de surveillance continue seraient d’environ 3500, des unités de soins intensifs de 2400 et des salle de soins postinterventionnels (SSPI) de plus de 10 000.

Au pic de la pandémie (semaines 5–6), il a été estimé que le besoin supplémentaire de recours à la ventilation artificielle serait de l’ordre de 2500 à 7000 (selon la durée du séjour). C’est sur la base de ces simulations que le plan français a retenu l’objectif d’un doublement des capacités en réanimation.

La durée d’hospitalisation pour les patients sous ventilation mécanique n’est pas connue ni modélisée. L’optimisation de l’utilisation des capacités de réanimation suppose que tout malade ne nécessitant plus de support respiratoire, hémodynamique ou rénal puisse être transféré dans une unité plus légère (unité de soins continus, voire salle classique un peu renforcée). Il est donc essentiel d’individualiser des filières d’aval clairement identifiées permettant d’optimiser les flux de patients au sein des réanimations.

2.5. Triage des patients à l’entrée de l’hôpital

Les unités de réanimation sont actuellement occupées à 90 à 100 %, et cela est encore plus vrai pour les réanimations pédiatriques. La régulation par les centres 15, en coordination avec les médecins de ville, jouera un rôle déterminant dans l’identification et l’orientation des pathologies, grippales ou non grippales, nécessitant une hospitalisation. L’établissement de circuits courts et sécurisés pour l’accès aux services hospitaliers, dans les secteurs HDV ou BDV, voire directement en réanimation après accord du réanimateur, doit être recherché.

Inévitablement des patients se présenteront, sans régulation préhospitalière dans les hôpitaux. Un triage de ces patients devra donc être effectué à l’entrée de l’hôpital. Cette zone de tri sera unique, sécurisée et gérée par des personnels expérimentés ayant une compétence en triage [9].

Les équipes devront associer des médecins et des infirmiers d’accueil et d’orientation (IAO) ayant bénéficié d’une formation spécifique à la grippe aviaire et disposant d’algorithmes simples d’aide à la décision d’orientation vers la filière « grippe ». Les critères de triage utilisés devront inclure les formes atypiques, en particulier digestives et neurologiques. Par ailleurs, les patients les moins graves devront être réorientés vers la médecine de ville.

Certains secteurs de soins programmés qui ne peuvent être interrompus (chimiothérapie, dialyse, transfusion) organiseront par téléphone les convocations de leurs patients pour éviter leur passage par les urgences et le risque de potentielle contamination. Ces secteurs se doivent de rester le plus longtemps possible à BDV.

Quand un patient, qui se présente à l’accueil de l’hôpital, aura des critères de gravité nécessitant une hospitalisation en réanimation, le réanimateur de l’unité concernée (HDV ou BDV) sera contacté. Il ne se déplacera pour prendre en charge le patient que si des contraintes de compétence, de temps ou de difficultés éthiques d’admission en réanimation se posent aux médecins urgentistes (nécessité d’élaborer des critères simples d’admission en réanimation). Dans le cas contraire, le patient sera rapidement acheminé vers sa zone de prise en charge en réanimation via un circuit sécurisé. D’autres modes d’organisations sont envisageables en fonction des contraintes locales de chaque ES. Ces principes généraux ont pour but de guider la réflexion.

2.6. Sectorisation de l’hôpital

Outre la réorganisation en secteurs HDV et BDV, chaque hôpital devra déterminer des zones d’arrêt d’activité (ZAA). Les zones HDV seront destinées à accueillir les patients grippés. L’organisation et les précautions prises pour les patients et le personnel se fondent sur l’hypothèse que tous les patients qui s’y trouvent sont grippés.

Les zones BDV seront destinées à accueillir des patients sans symptôme de grippe. En situation de pandémie cette zone ne peut être totalement exempte de risque grippal. C’est la raison pour laquelle elle est appelée « basse densité virale ». Cette zone comportera des activités qui doivent être protégées : unités de soins intensifs cardiologiques (USIC), dialyse, obstétrique, chirurgie urgente…

Aucune règle générale ne peut être donnée concernant la sectorisation par service, étage, bâtiment ou hôpital. Cette répartition sera fonction de la configuration des lieux propre à chaque structure hospitalière et devra donc être fixée localement. Dans chacun des secteurs, il devra y avoir des lits de surveillance continue, et des lits d’hospitalisation classique.

Les ZAA sont des zones où les activités hospitalières seront arrêtées progressivement (voir paragraphe déprogrammation). Les personnels paramédicaux et médicaux seront redéployés vers des zones à HDV et BDV. Il est recommandé de réserver ces lits pour créer des secteurs d’hébergement pour les personnels qui seraient conduits à rester à l’hôpital.

2.7. La sectorisation des circuits

Le circuit des patients grippés et non grippés devra faire l’objet d’un plan de circulation sous forme d’un document et d’une signalétique spécifique au sein de l’hôpital. Cette dernière sera au mieux en cohérence à l’échelon national (logos, expressions, couleurs…), ce qui permettra aux médias principaux (télévision, radio) de préparer le public à leur reconnaissance avant même qu’il ne soit arrivé à l’hôpital. Concernant les patients de réanimation, leur déplacement sera limité au maximum, notamment pour les patients grippés. Au mieux, les services d’imagerie, ainsi que leurs personnels seront sectorisés en HDV et BDV.

À défaut de pouvoir sectoriser les services prestataires d’examens complémentaires, il conviendra de réserver des plages horaires aux patients grippés et non grippés, en assurant un nettoyage et une décontamination adaptés entre ces 2 périodes.

Le circuit des visiteurs sera sectorisé et fera l’objet d’une signalétique particulière. La présence du public au sein de l’hôpital sera limitée au strict minimum, y compris en réanimation.

2.8. Le plan de déprogrammation

Les simulations « pandémie » dont on dispose, tant en France qu’à l’étranger, impliquent (même si le principe de base est de garder à domicile les patients grippés sans signe de gravité) le redéploiement du maximum de moyens hospitaliers, humains, structurels et d’équipements vers la prise en charge des malades infectés. La déprogrammation de certaines activités est donc déterminante. Une réflexion a aussi été engagée sur les sorties anticipées de patients hospitalisés qui sont de nature à libérer rapidement un nombre substantiel de lits. Cette disposition a été utilisée (et est prévue) dans le cadre des plans blancs.

Les principes et critères des hospitalisations pouvant, sans risque ni préjudice notable, être différées de 10 à 12 semaines, restent à préciser. Un travail important reste à faire sous l’égide des pouvoirs publics avec la collaboration des sociétés savantes. Il conviendra en particulier de garantir l’homogénéité et la cohérence des décisions pour chaque spécialité et entre les différentes spécialités.

La pertinence des moyens ainsi redéployables devra également être prise en compte au regard des besoins en situation de pandémie. Enfin, une information des personnes concernées devra être organisée en amont de la survenue d’une pandémie.

Pour les patients non grippés, le recours à des investigations, soins ou surveillance ne pouvant être reportés, qu’ils soient urgents ou programmés mais non différables, impliquera une anticipation et une organisation précises. En particulier des critères préétablis devront être connus des personnels effectuant le triage et, pour les admissions programmées, un entretien téléphonique préalable devrait permettre de s’assurer que le patient n’est pas « grippé » et qu’il peut donc être admis en secteur BDV.

Pour la réanimation, c’est a priori la déprogrammation de certaines activités chirurgicales qui serait de nature à réduire l’activité de réanimation BDV et de récupérer ainsi des capacités de réanimation, SSPI et d’anesthésiologie.

3. Organisation de la réanimation

3.1. Considérations générales

Sur la base d’expériences de catastrophes sanitaires et d’épidémies, des principes d’organisation de la réanimation ont été proposés 10, 14. Si l’hôpital ne dispose pas de service de réanimation, le transfert des patients nécessitant une réanimation est prévu et organisé. Chaque hôpital, en fonction des estimations de patients à prendre en charge, doit avoir prévu un plan progressif de recrutement de lits de réanimation : immédiatement mobilisables (prise oxygène, air, scopes, ventilateurs) ou potentiellement mobilisables (après redéploiement des locaux, du matériel et du personnel) compte tenu des déprogrammations.

D’emblée 2 secteurs de réanimation devront être mis en place (HDV et BDV). Ils devront être physiquement séparés. Le personnel sera affecté à un seul secteur et il ne doit pas y avoir d’échange de personnel entre ces 2 secteurs. Le ratio nombre de lits de réanimation sur nombre de lits de surveillance continue devra être de 2/1. Le recensement des respirateurs de l’hôpital et du personnel compétent en réanimation devra avoir été fait pour redéploiement des moyens techniques et humains selon les normes. Le recensement des respirateurs (de réanimation, de bloc opératoire, de transport) dans l’ensemble des structures hospitalières d’un territoire de santé ou d’une région devra être fait afin de les redéployer dans les secteurs de réanimation. Les patients admis en secteur HDV resteront durant tout leur séjour en aigu dans le secteur grippé (soins intensifs, soins continus, puis soins standard). Néanmoins, pour ceux dont l’évolution aura été favorable, la phase contagieuse commençant 48 h avant les symptômes et persistant 8 j après au maximum, il pourra être envisagé un passage dans le secteur BDV au terme de cette période.

Des données suggèrent que la ventilation non invasive (VNI), mais aussi l’oxygénothérapie au masque, favoriseraient l’aérosolisation et le risque de transmission virale. Même si ce risque, pour les personnels notamment, reste mal connu, il a paru raisonnable de déconseiller le recours à la VNI en période de pandémie. Le système de ventilation des locaux de réanimation HDV devra être revu avec l’équipe opérationnelle d’hygiène. Le tri des déchets devra être précisé.

Les mesures de protections devront être parfaitement codifiées dans les services HDV et tout particulièrement dans les services de réanimation. Des fiches mises à la disposition de tout le personnel, concernant les procédures de protection du personnel, complèteront la formation théorique et pratique reçue auparavant. Les visites ne seront pas autorisées ou fortement limitées dans les secteurs HDV mais aussi BDV afin de limiter le risque d’introduction de la grippe dans les secteurs BDV. En raison du caractère humainement difficile à accepter de cette mesure, des communications par webcam, réseau de télédiffusion ou communications téléphoniques entre les familles et les patients ou le personnel soignant pourraient être envisagées.

Les services d’aval de la réanimation devront être fléchés notamment pour les patients en secteur HDV qui resteront dans ce secteur de soins dans la mesure du possible. Les personnels seront dédiés aux secteurs HDV ou BDV. Il ne devrait pas y avoir d’échange de ces personnels entre les 2 secteurs de réanimation (voir le chapitre répartition du personnel et les quotas de patients/personnel en situation de pandémie).

3.2. Facteurs limitant l’augmentation des capacités des réanimations

La réorganisation en 2 secteurs de réanimation HDV et BDV prendra en compte les structures existantes, l’architecture et les contraintes locales. Cette nouvelle organisation devra intégrer plusieurs facteurs limitants.

3.2.1. Personnel non médical

Il est estimé que 30 à 50 % du personnel ne sera pas au travail, soit du fait de la maladie elle-même, soit du fait des difficultés de transport ou de garde d’enfants. Étant donné que le plan national prévoit le doublement des capacités de réanimation, il faudra envisager de faire appel à des infirmières sans compétence spécifique en réanimation, à la double condition d’un encadrement par une infirmière expérimentée et, d’avoir bénéficié d’une courte formation.

3.2.2. Personnel médical

Le personnel médical devrait pouvoir faire face, pendant une courte période, à une augmentation du nombre de lits. Le personnel spécialisé peut réaliser les gestes spécifiques de réanimation (intubation, mise en place de voies veineuses centrales, mise en place de suppléance d’organes : ventilation artificielle, hémodialyse, prise en charge d’un état de choc). On peut imaginer l’aide de médecins non-spécialistes en réanimation pour la réalisation des prescriptions et des suivis d’observation médicale. Il ne paraît pas raisonnable de proposer une formation courte de 24 h à la réanimation mais, en revanche et comme pour tout personnel, une formation aux règles d’hygiène en période épidémique est indispensable.

Pour les personnels médicaux et non médicaux il conviendra de prévoir le renfort par ceux qui ont eu une expérience relativement récente de réanimation. Cette disposition est prévue par la loi de mars 2007 instaurant le corps sanitaire de réserve.

3.2.3. Locaux

Il faudra disposer de locaux équipés de fluides médicaux, de pièces suffisamment vastes.

3.2.4. Gestion des flux des autres malades

Il faudra considérer le flux des malades de réanimation non atteints par la grippe. La gestion de ces malades est souvent oubliée dans les périodes de catastrophe (comme l’ont rappelé les évènements survenus lors du cyclone Katrina et lors du tsunami récent).

3.2.5. Matériel

Dans chaque hôpital, le parc de respirateurs devra être évalué. Il est indispensable de disposer de respirateurs « haut de gamme » car certains patients risquent de souffrir de formes graves de détresse respiratoire (syndrome de détresse respiratoire aiguë). Le ratio respirateurs haut de gamme sur milieu de gamme devrait se situer vers 1/1. Le nombre total de respirateurs devra être égal au nombre total de lits de réanimation ouverts. Ainsi, si la capacité d’une réanimation est multipliée par 2, il faudra mobiliser des respirateurs d’autres services. Une réflexion ministérielle est en cours dans le but de compléter les parcs de respirateurs en fonction de l’existant (l’acquisition de 600 respirateurs a été envisagée dès 2007). Les choix, la répartition et la localisation de ces nouveaux équipements devra prendre en compte l’homogénéité des parcs existants ainsi que les projets de coordination régionale. Ces nouveaux équipements ne devraient pas être stockés mais intégrés aux parcs des ES. Il faudra que l’unité de réanimation dispose de systèmes d’aspiration clos, de dispositifs de monitorage et de stocks de consommables.

S’il est souhaitable d’éviter de réaliser des aérosols (risque viral), en revanche, l’administration d’oxygène à fort débit au masque à haute concentration sera probablement nécessaire et impossible à éviter. L’ensemble de ces éléments incite à recommander pour les procédures à haut risque (intubation, fibroscopie bronchique, …) le port d’un masque FFP3. Les masques FFP2 sont recommandés pour les soins courants. Les masques chirurgicaux sont destinés aux patients et ne devront en aucun cas être utilisés pour la protection des personnels [12].

3.2.6. Permanence des soins, gardes

Si l’hôpital se dote de 2 secteurs de réanimation HDV et BDV, il faudra envisager un doublement des équipes afin d’assurer la permanence des soins sur place et limiter les mouvements de personnels au sein de l’hôpital. Il semble raisonnable de proposer, pour le personnel paramédical, le passage systématique en journées continues de 12 h. Le fait d’avoir 2 équipes de 12 h plutôt que 3 équipes de 8 h permet de limiter le nombre de transmissions et de réduire le nombre de jours où l’infirmière se déplace depuis son domicile. Si ce passage en journées de 12 h paraît indispensable en réanimation et en surveillance continue, il semble important, pour les mêmes raisons, d’envisager les possibilités d’extension de cette mesure à l’ensemble de l’hôpital.

4. Personnel médical et paramédical

Il s’agit du problème le plus difficile.

4.1. Formation

La formation minimale du personnel médical et paramédical repose sur 2 aspects :

  • une formation en infectiologie :

  • la formation « pandémie » des personnels de santé (initiée par le ministère de la Santé et actuellement en cours dans les ES),

  • la formation personnal protective equipement (PPE, protection personnelle),

  • la formation spécifique « éclair » qui est à réaliser dès le début de la pandémie ;

  • une formation en réanimation :

  • la ventilation mécanique (réglages…),

  • l’abord des voies respiratoires,

  • les urgences vitales, médicaments cardiovasculaires,

  • le monitorage minimal.

La formation éclair est basée sur 6 éléments :

  • le contrôle de l’environnement (aire de décontamination, habillage…) ;

  • la protection individuelle ;

  • l’hygiène des mains ;

  • la gestion des prélèvements ;

  • les gestes à risque ;

  • les mesures contrôle.

L’information sur les risques sanitaires et l’hygiène fait l’objet d’un arrêté récent (mars 2006) approprié à la situation et va mobiliser les centres d’enseignement des soins d’urgence (CESU) pour former l’ensemble des personnels et professionnels de santé (attestation de formation aux gestes et soins d’urgence)1 .

4.2. Personnels paramédicaux

La situation actuelle des ES se caractérise par un flux tendu des personnels avec une forte rotation et des difficultés de recrutement. Ce problème est particulièrement significatif en réanimation en raison de sa haute technicité. Par ailleurs, les formations à l’intégration et la formation continue sont laissées à l’initiative des services. La marge de manœuvre, pour faire face à un afflux de patients est donc quasi inexistante. Nos propositions de préparation à une pandémie supposent, dans les ES dotés de secteurs de réanimation, une centralisation de l’information, et l’identification de référents avec un niveau de formation élevé jouant le rôle de relais et mobilisables dès les premiers cas de transmission interhumaines. Nous croyons que cette organisation doit être anticipée au maximum et doit fortement impliquer les équipes de réanimation. Le redéploiement de ressources humaines vers la réanimation repose prioritairement sur une réaffectation des personnels des blocs opératoires et SSPI et des personnels ayant travaillé en réanimation depuis moins de 3 ans.

Le personnel non permanent sera affecté à des soins de base : mesure des constantes vitales, nursing, administration de médicaments hors sédation et traitements vasoactifs ou cardiotropes. Le taux d’encadrement minimum est de 1 infirmière de réanimation pour 2 à 3 infirmières non spécialisées. Ces équipes soignantes mixtes devront permettre de respecter le ratio soignants/patients de 1 IDE pour 2 patients (il faut en effet intégrer la gravité attendue des patients, pour la plupart sous assistance respiratoire, avec parfois d’autres défaillances d’organe). Par ailleurs, les mesures de prévention de la transmission de la grippe induiront une augmentation de la charge de travail. Il pourrait être envisagé une délégation des taches IDE pour les aides soignants (AS) travaillant déjà en réanimation. Une infirmière référente sera uniquement dédiée au contrôle des mesures de PPE pour le personnel médical et paramédical.

Concernant les AS, leur risque de contamination est le plus élevé 13, 14. Leur formation devra être complète, équivalente à celle des infirmières. Ils sont responsables de l’environnement avec une attribution spécifique des surfaces et équipements à nettoyer. Dans ces conditions, le ratio de 1 AS pour 4 patients devra être respecté.

4.3. Personnel médical

Comme pour les infirmières, il sera envisagé des binômes, constitués d’un médecin réanimateur senior associé à un médecin non réanimateur, pour environ 8 à 10 patients.

La répartition des taches sera :

  • non réanimateur : management général ;

  • réanimateur : ventilation, voies aériennes et coordination des non réanimateurs.

Un poste sera dédié à la coordination-communication.

Il sera nécessaire d’obtenir, avant la période pandémique, une standardisation maximale de la prise en charge du patient de réanimation (protocoles écrits). Le corps médical de réserve pourrait comprendre : d’anciens réanimateurs, des urgentistes (si possible), des anesthésistes (arrêt des blocs programmés) et de « jeunes retraités ».

Une réflexion sur l’articulation avec les structures privées semble souhaitable car la déprogrammation permettra de libérer des postes d’anesthésistes-réanimateurs dans ces structures pouvant éventuellement être redéployés vers le secteur public.

4.4. Durée de travail

La pandémie est inscrite dans la durée. Il sera ainsi conseillé de ne pas réaliser plus de 3 à 4 jours de travail consécutifs avec une durée quotidienne limitée à 12 h pour l’ensemble des acteurs médicaux et de l’équipe soignante. Un support psychologique est à envisager dès le départ (sur ce point, voir aussi proposition sur le temps de travail infirmier, chap B2.6).

5. Spécificités pédiatriques

Si le profil épidémiologique de la grippe aviaire est analogue à celui de la grippe épidémique, les enfants devraient être massivement affectés. C’est en effet chez les enfants d’âge scolaire que le taux d’attaque de la grippe est le plus élevé.

Les formes graves devraient affecter très majoritairement les jeunes enfants. C’est en effet dans la tranche d’âge 0 à 1 an que le risque d’hospitalisation est le plus élevé, classiquement équivalent à celui des adultes à risque [15]. En réanimation, dans l’enquête récente réalisée en Californie [16], les enfants de moins de 2 ans représentent 75 % des admissions [17]. C’est dans la tranche d’âge 0 à 6 mois (qui représente 25 % des admissions en réanimation pour grippe) que la mortalité est la plus élevée.

La carence en lit de réanimation pédiatrique risque d’être encore plus marquée que pour les lits de réanimation adulte. Les enfants de plus de 20 kg peuvent être pris en charge dans le secteur adulte. Cela suppose de disposer de respirateurs mixtes utilisables pour les enfants. La réanimation pédiatrique pour les petits enfants est très spécifique. Il faudra donc mobiliser les secteurs de néonatalogie et les anesthésistes pédiatriques en SSPI, libérés par la déprogrammation d’activités chirurgicales.

5.1. État des lieux en réanimation pédiatrique et néonatale

Une enquête récente de la DHOS a répertorié 1064 lits de réanimation néonatale et pédiatrique. Parmi ceux-ci, 580 sont dédiés à la réanimation néonatale et 484 à la réanimation pédiatrique dont 312 dans des réanimations pédiatriques exclusives et 172 dans des réanimations mixtes, néonatales et pédiatriques.

La répartition se caractérise par de fortes disparités régionales : les capacités d’admission (néonatal et pédiatrie) vont de 0 (Corse) à 15, 7 (Guyane, Réunion) lits pour 100 000 enfants de moins de 15 ans. En France métropolitaine, la capacité va de 3, 7 (Picardie) à 13,7 (Ile de France) lits par 100 000 enfants de moins de 15 ans. À quelques exceptions près, les lits de réanimation pédiatrique sont localisés dans les villes de centre hospitalo-universitaires (CHU).

5.2. Le doublement de la capacité en lits de réanimation pédiatrique

Cet objectif amène à discuter des places respectives de la réanimation néonatale et pédiatrique.

5.2.1. Place de la réanimation néonatale

Elle représente plus de la moitié des capacités de lits en réanimation et est actuellement essentiellement consacrée à la prise en charge des prématurés et notamment des « grands prématurés ». Rien ne permet de penser que cette activité diminuerait pendant la période pandémique. Toutefois, une réflexion éthique devra être menée quant aux limites de prise en charge des prématurés de très petit poids de naissance dans une situation de « médecine de catastrophe ».

La fragilité des prématurés vis-à-vis des infections et des maladies respiratoires fait que la logique voudrait que les unités de réanimation néonatale soient protégées et ne reçoivent pas d’enfants grippés. Cependant :

  • des mères grippées vont accoucher, notamment de prématurés (du fait de la grippe) potentiellement contaminés ;

  • le personnel sera susceptible d’introduire le virus grippal dans les unités ;

  • dans les réanimations mixtes, néonatales et pédiatriques, il sera difficile de séparer les nourrissons et enfants potentiellement grippés des nouveau-nés. Les décrets de janvier 2006 avaient pour objectif de favoriser la séparation de ces 2 types d’activité. Il conviendrait que les pouvoirs publics accélèrent l’application de ces décrets.

Au total, il semble logique que les unités ou services de réanimation néonatale exclusive restent dédiés à la prise en charge des nouveau-nés prématurés a priori non grippés. Dans un contexte de carence d’effectifs et de moyens liés à la pandémie, les pouvoirs publics pourraient décider de limiter l’accès aux soins des très grands prématurés. Les unités ou services de réanimation mixte pourraient alors voir tout ou une partie (si une séparation efficace, au sens hygiénique du terme peut être mise en place) de leur capacité en lits reconvertie en réanimation pédiatrique. Les médecins et le personnel sont a priori compétents pour s’occuper d’enfants plus grands, y compris dans la partie normalement dédiée à la réanimation néonatale puisqu’il s’agira de prendre en charge, pour l’essentiel, des petits nourrissons présentant une pathologie respiratoire, familière aux néonatologues.

5.2.2. Comment doubler les capacités d’accueil en réanimation pédiatrique ?

Ce doublement pose des problèmes de locaux, de personnel et de matériel.

Bien que la concentration des services de réanimation pédiatrique dans les villes de CHU impose des transferts, il n’est pas réaliste d’imaginer la création de novo d’unités de réanimation pédiatrique dans les hôpitaux qui en sont dépourvus. On ne voit pas en effet qui les ferait fonctionner. Si les pédiatres des hôpitaux généraux peuvent être utilisés en renfort de services de réanimation existants, on ne voit pas comment ils pourraient créer, mettre en place et faire fonctionner une activité qui ne leur est pas familière.

Les problèmes de locaux devront être résolus en fonction des possibilités locales et la réflexion sur cette problématique doit être anticipée. Il conviendrait que sans tarder les établissements concernés réalisent des simulations de doublement de capacité.

Les pistes pour aboutir à un doublement de capacité sont représentées par :

  • l’augmentation des capacités existantes : ouverture de lits éventuellement fermés ou non ouverts, adjonction de pôles supplémentaires dans les salles techniques ou locaux adjacents aménageables actuellement dédiés à d’autres activités. Dans la mesure où dans les réanimations ou zones de HDV les malades seront tous infectés, il n’est pas choquant d’aggraver la promiscuité, par exemple en mettant 2 nourrissons dans une chambre dont la surface le permet ;

  • la transformation des lits de surveillance continue en lits de réanimation. Les décrets de janvier 2006 ont crée la surveillance continue pédiatrique. À ce jour, la création des ces lits de surveillance continue n’est qu’embryonnaire. Il conviendrait que les pouvoirs publics incitent les hôpitaux à créer rapidement ces lits de surveillance continue, sans attendre le délai des 5 années de mise aux normes ;

  • l’utilisation des salles de réveil rendues disponibles grâce à la déprogrammation d’activités chirurgicales non urgentes.

Une des difficultés sera la séparation entre zones HDV et BDV. Dans les villes où existent plusieurs unités ou services de réanimation pédiatrique, il semble logique de dédier chaque unité soit aux grippés soit aux non grippés, par analogie avec le plan proposé pour les adultes. Lorsqu’il n’existe qu’une structure de réanimation pédiatrique, cette séparation sera plus délicate. On proposerait volontiers de dédier aux grippés les structures existantes et d’affecter les lits ouverts en dehors de l’unité à la prise en charge des non grippés.

5.2.3. Les personnels médicaux

Les ratios médecins/malades, pour le jour et la nuit, retenus pour les services de réanimation adulte, sont transposables à la réanimation pédiatrique. Comme chez les adultes, la réanimation pédiatrique fonctionnera avec des permanents du service encadrant des juniors (internes) et des médecins extérieurs.

La maquette du diplôme d’études spécialisées (DES) en pédiatrie comporte l’obligation d’effectuer au moins 1 semestre de néonatologie/réanimation néonatale et 1 semestre de réanimation pédiatrique. De ce fait, les chefs de clinique de pédiatrie ainsi que les « jeunes praticiens hospitaliers » ont effectué, au cours de leur internat, au moins 2 semestres de réanimation et certains d’entre eux participent d’ailleurs aux gardes de réanimation pédiatrique. Un certain nombre de ces médecins, libérés par l’arrêt des activités programmées, pourra renforcer les services de réanimation pédiatrique, en commençant par ceux qui participent déjà aux gardes de réanimation. Les internes ayant effectué leurs 2 semestres de réanimation (dont certains participent aux gardes de réanimation en tant que « seniors ») pourront également constituer un renfort, de même que les anesthésistes-réanimateurs des blocs opératoires pédiatriques, libérés par la déprogrammation. Dans les unités de réanimation mixtes, reconverties en réanimation pédiatrique, les médecins habituellement dédiés à la réanimation des nouveau-nés feront de la réanimation pédiatrique.

5.2.4. Le personnel paramédical

Il s’agit là d’un point crucial. Les hôpitaux devront répertorier les infirmières ayant travaillé en réanimation pédiatrique et affectées à d’autres services, qui viendront en renfort du personnel existant. Comme pour les médecins, des personnels extérieurs au service et non formés spécifiquement à la réanimation pédiatrique pourront venir renforcer les équipes au sein desquelles elles devront être encadrées. Seront considérées comme prioritaires pour venir travailler en réanimation pédiatrique :

  • les infirmières ayant une expérience en réanimation néonatale ;

  • les infirmières ayant une expérience en réanimation adulte ;

  • les infirmières travaillant en pédiatrie. Les hôpitaux devraient mettre en place des formations accélérées des infirmières de pédiatrie à la réanimation par une affectation par rotation pour une durée de 1 mois dans les services de réanimation pédiatrique.

5.2.5. Le matériel

Le doublement des capacités d’admission doit s’accompagner du doublement du matériel nécessaire à la prise en charge des malades. Cela concerne :

  • les moniteurs : le minimum exigible est que chaque lit soit équipé au moins d’un saturomètre et d’un appareil de mesure de pression artérielle non invasive (PNI) ;

  • les pompes et seringues électriques ;

  • les respirateurs : chaque lit de réanimation doit être considéré comme pouvant accueillir un malade à ventiler. Il convient donc que chaque service fasse un inventaire précis du nombre de respirateurs existants. Il n’est pas nécessaire que tous les respirateurs soient des respirateurs « sophistiqués ». Toutefois, les respirateurs de transport type « Osiris® » ne sont pas bien adaptés à la ventilation d’un enfant en détresse respiratoire. Un certain nombre de respirateurs pourra être récupéré à partir des blocs opératoires et des salles de réveil. Les respirateurs qui seront acquis dans le cadre de la dotation spéciale devront tous être capables de ventiler des malades de la naissance à l’âge adulte. Une augmentation des SDRA est attendue dans les services de réanimation pédiatrique. L’oscillation haute fréquence est une technique volontiers utilisée pour le traitement des SDRA chez l’enfant. L’augmentation du parc de ce type de respirateur devrait être prévue dans le cadre de la dotation spéciale. On peut également s’interroger sur l’acquisition de dispositifs supplémentaires de délivrance du monoxyde d’azote (NO).

5.3. Les enfants en service de réanimation adulte

L’admission en service de réanimation adulte des enfants de plus de 20 à 25 kg est une option raisonnable. Toutefois, il convient de prendre conscience que ce type de malades ne représente actuellement pas plus de 25 % des admissions en réanimation pédiatrique et que cette tranche d’âge devrait être peu affectée par les formes graves de grippe aviaire. Il n’est donc pas certain que cette mesure ait une grande portée. De ce fait, la réanimation pédiatrique devrait, aussi longtemps qu’elle le pourra, prendre en charge les grands enfants. Ce n’est qu’à mesure de la progression de l’épidémie que sera envisagée l’admission de ces enfants dans des services de réanimation adulte, en commençant par les plus grands. On peut prévoir que les services de réanimation adulte prenant en charge des enfants puissent bénéficier d’un soutien des pédiatres de l’hôpital. Toutefois, ces pédiatres n’auront pas, pour la plupart, de compétences en réanimation, les pédiatres ayant cette compétence étant prioritairement affectés en renfort de la réanimation pédiatrique. Concernant le personnel paramédical, il n’est pas nécessaire d’avoir des compétences pédiatriques pour prendre en charge des enfants de cet âge.

6. Aspect éthique

Les dispositions envisagées par les états pour faire face à une pandémie de grippe aviaire soulèvent de multiples questions d’ordre éthique. En France, le délégué interministériel pour la lutte contre la grippe aviaire (DILGA) a constitué un comité de pilotage dont l’objectif est d’identifier ces grandes questions afin d’engager une réflexion approfondie et de dégager des principes qui seraient soumis à une large concertation. Une analyse et une réflexion scientifique rigoureuses portant sur les projections épidémiologiques, l’impact sanitaire, les méthodes de prévention et de traitement sont des prérequis indispensables aux considérations éthiques.

Des organismes internationaux notamment l’OMS et l’European Center for Disease Prevention Control (ECDC) ont non seulement commencé à élaborer des recommandations sanitaires mais se sont attachés à envisager les grands axes des réflexions éthiques que chaque pays devra s’approprier. Les questions soulevées sont très diverses. Par exemple, les restrictions des libertés (quarantaine, isolement, cordon sanitaire), le risque de xénophobie ou de stigmatisation et d’exclusion (les pays ou groupes les plus vulnérables étant les plus à risque d’être atteints et de propager l’épidémie), la juste utilisation des ressources (en resituant le risque H5N1 dans le contexte des autres fléaux sanitaires, y compris au niveau mondial…).

À ces questions de niveau international et national s’ajoutent celles qui nous concerneront plus directement en tant que médecins et soignants en réanimation. Il s’agit tout particulièrement du devoir des soignants et du triage. La grippe est une des plus contagieuses des maladies infectieuses. Même si nous manquons de données, le risque pour les soignants doit être considéré comme important surtout dans l’hypothèse d’un virus aviaire à forte virulence. Les soignants pourraient alors légitimement faire valoir leurs devoirs envers eux-mêmes et leurs familles au regard de leurs devoirs de soins. Il faut rappeler que de nombreuses victimes du SARS ont été des soignants et qu’à la fois des comportements héroïques ou de fuite ont été observés.

Le triage a été mentionné et constituerait un défi majeur pour notre discipline. Même s’il est déjà pratiqué par les réanimateurs, à la fois à l’admission et dans le cadre des décisions de limitation ou d’arrêt des traitements, il repose sur le principe de bienfaisance individuel et a pour objectif d’éviter une obstination déraisonnable et de respecter l’autonomie de la personne. Le triage en situation de pandémie devrait reposer sur des principes différents privilégiant la collectivité et visant à maximiser le bénéfice attendu des ressources disponibles (conséquentialisme et utilitarisme). Il s’agira alors d’établir des priorité en fonction de la probabilité de succès de la réanimation, voire de critères tels que les « quantités » et « qualités » des vies qui seraient sauvées 8, 9, 11.

7. Conclusion

Ce document résulte d’un travail coopératif entre 7 sociétés savantes, à la demande du ministère, pour répondre aux questions liées à l’organisation des services de réanimation en situation de pandémie grippale. Cette réflexion, initialement destinée à faire face à la pandémie grippale, nous semble ouvrir un cadre plus large et constituer une base permettant de faire face à une crise sanitaire de grande ampleur, notamment pour une maladie infectieuse à transmission par voie aérienne. À ce stade, et considérant la rareté des données disponibles et le nombre d’hypothèses générées, il ne peut s’agir que d’un rapport d’étape, nécessairement évolutif en fonction du retour des utilisateurs, de l’épidémiologie et de l’actualité.

Nous pensons qu’il est de la responsabilité des professionnels, notamment des réanimateurs, de s’impliquer dans la planification des urgences sanitaires susceptibles de provoquer un afflux de patients graves.

Les aspects abordés sont basés sur la nécessité de répartir de façon juste des ressources rares comme la réanimation, afin d’améliorer le pronostic de survie à l’échelle de la population. Cela met en jeu une hiérarchie des priorités des soins et la proposition d’une nouvelle répartition des ressources. Si les considérations éthiques sont toujours restées présentes dans la rédaction de ce document, il est évident qu’il a fallu prioriser le bénéfice collectif aux dépens de la bienfaisance individuelle. Dans le cas spécifique de notre pays, la réflexion sur la meilleure voie à trouver, afin de garantir les principes éthiques au centre de nos valeurs et de nos pratiques, doit se poursuivre. Cette prise de conscience fait partie des éléments établissant le lien social et devra associer dans cette réflexion non seulement les professions soignantes, mais également des représentants de la société civile, des philosophes ou des spécialistes de la communication. L’élaboration d’un plan de préparation vis-à-vis d’une éventuelle pandémie grippale (et ses améliorations successives) semble un facteur décisif d’adhésion des citoyens et, à terme, d’optimisation des ressources disponibles.

Il n’est pas exclu que cette réflexion ait des points communs avec d’autres, concernant la réanimation. Les choix de santé publique liés à la maîtrise des dépenses, au vieillissement de la population, à l’accroissement des pathologies chroniques et au progrès médical, poseront, inévitablement et de façon de plus en plus aiguë, la question de la bonne utilisation des ressources et ne pourront pas ne pas impacter la réanimation.

Footnotes

1

Arrêté du 3 mars 2006 relatif à l’attestation de formation aux gestes et soins d’urgence publié le 10 mars 2006 au JO.

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Pour en savoir plus

Nous invitons les lecteurs à consulter les sites suivants :

http://www.who.int/ethic/influenza-project/en/

http://www.ecdc.eu.int

http://www.espace-ethique.org/fr/grippe.php.


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