Préambule
La pandémie de COVID 19 impacte l’activité de chirurgie oncologique, directement et indirectement.
Les patients atteints de cancer sont plus à risque d’infection du fait de l’immunosuppression secondaire au cancer et aux traitements (chimiothérapie, chirurgie). En cas d’infection COVID 19, les patients atteints de cancer ont plus de risque d’évolution péjorative que les patients indemnes de cancer [1]. Il faut donc à tout prix éviter l’infection COVID 19 pour les patients atteints de cancer.
Les limites des recommandations COVID 19
Toute recommandation en chirurgie oncologique dans le contexte COVID 19 doit permettre de se rapprocher le plus possible de la qualité de la prise en charge chirurgicale habituellement recommandée. Cependant la période COVID 19 impose une réflexion concernant l’allocation responsable des ressources sanitaires en période de pandémie [2]. Ces recommandations de bonnes pratiques sont soutenues par des avis d’expert et non par des publications spécifiques dont le niveau de preuve ne peut être élevé car le calendrier est court.
Les recommandations COVID 19 de la SFCO ont pour objet de :
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protéger les patients et les personnels soignants ;
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fournir aux chirurgiens oncologues un guide de bonnes pratiques dans ce contexte d’épidémie ;
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réduire le flux d’interventions pour libérer le personnel et les lits ;
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réduire les risques de besoin de réanimation ou de produits sanguins pour autre chose que l’épidémie.
Pour chaque situation, ces recommandations représentent un compromis entre le risque d’opérer en période de COVID 19 et le risque oncologique de retarder ou d’annuler la prise en charge chirurgicale. Ce compromis conduit à privilégier l’option limitant au maximum le recours à la chirurgie pour réduire les passages et séjours en milieu hospitalier (par exemple, privilégier l’imagerie ganglionnaire à la chirurgie ganglionnaire…) dans chaque situation où il existe des options avec ou sans chirurgie.
Quelle que soit la situation (curative ou palliative), il est essentiel que soit consignée clairement par écrit dans le dossier, la décision médicale partagée d’engagement d’une éventuelle réanimation en cas de complication postopératoire ou d’infection à COVID lors de l’hospitalisation. Cette précision devra être envisagée avec l’équipe de réanimation qui pourrait prendre en charge le patient en amont de la prise en charge chirurgicale et inscrite dans le dossier patient.
Dans le contexte actuel, ces recommandations sont à adapter aux réalités locales de la pandémie, aux recommandations des Agences Régionales de Santé et, bien sûr, ces recommandations sont vouées à être évolutives et seront mises à jour à chaque fois que ce sera pertinent.
Il est important de préciser qu’il n’est pas recommandé d’arrêter toute activité de chirurgie oncologique mais de l’adapter au contexte de pandémie.
Les risques liés au COVID
Selon les connaissances établies au moment de la publication de cet article la transmission virale se fait essentiellement par les gouttelettes de salive. Ce qui justifie, pour les personnes a priori non infectées, la recommandation d’éloignement d’un mètre minimum entre chaque personne et la recommandation du port de masque.
Le virus peut rester sur des surfaces, a priori plusieurs heures. On peut donc l’avoir transitoirement sur les mains, les gants et s’infecter en portant les mains à la bouche ou sur le visage. Ceci justifie le lavage régulier des mains. Il faut retirer ses gants sans toucher les surfaces qui ont été au contact avec l’extérieur. Il ne faut pas toucher son masque.
Dans tous les cas les gestes barrières de protection sont fondamentaux.
Les patients infectés par le COVID 19 et en détresse respiratoire restent intubés et ventilés en moyenne 2 à 3 semaines. Ce qui est, avec le grand nombre de patients, un des facteurs d’augmentation de l’occupation des lits de réanimation et de dépassement des capacités [3].
Il convient donc de rechercher les symptômes (fièvre, toux, myalgies, frissons, expectoration, anosmie, dysgueusie) afin de pouvoir identifier les patients qui nécessitent une prise en charge diagnostique et thérapeutique, et donc un confinement, avant d’entrer dans la prise en charge oncologique. Un dépistage systématique préopératoire immédiat (la veille de l’intervention) par TDM thoracique est proposé par certaines équipes.
Il est très important de sanctuariser les services de traitement du cancer en général et les services de chirurgie oncologique en particulier, dans des zones indemnes de COVID 19.
Recommandations générales
Patients testés COVID 19 :
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décaler la chirurgie du cancer, sauf situation d’urgence ;
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privilégier la prise en charge de l’infection par le COVID 19 ;
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ré-envisager la prise en charge oncologique une fois l’infection COVID 19 traitée.
Patients non testés COVID 19 : les patients non testés COVID 19 sont en fait des patients pour qui on ne connaît pas le statut COVID. Soit les patients sont asymptomatiques et peuvent entrer dans la filière de soins. Soit les patients sont symptomatiques et, en dehors de contexte urgent, retournent au domicile avec tous les conseils de gestes barrière, de repos, d’antipyrétique, pour ne revenir dans la filière de soins que dans les 15 jours afin de limiter les risques qu’ils soient toujours contaminants. Cette remarque évoluera avec l’ouverture éventuelle de l’accès aux tests :
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•diagnostic :
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∘limiter au maximum la chirurgie diagnostique,
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∘privilégier le recours aux biopsies par endoscopie ou radiologie interventionnelle ;
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∘
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•consultation préopératoire :
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∘limiter la consultation au patient seul sans accompagnant et privilégier la téléconsultation chaque fois que possible afin de limiter la mobilisation des patients,
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∘recueillir les directives anticipées avant toute prise en charge,
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∘déterminer les comorbidités qui participent aux risques de recours à la réanimation,
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∘déterminer les risques de consommation de produits sanguins et leurs dérivés ;
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∘
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Réunion de Concertation Pluridisciplinaire.
Concernant l’organisation de la RCP, prendre les précautions vis-à-vis de l’infection pendant la RCP, port de masque, éloignement, voire privilégier la RCP virtuelle par visioconférence chaque fois que possible :-
∘envisager les alternatives à la chirurgie (imagerie, marqueurs) :
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–pour l’évaluation de la résécabilité,
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–pour le bilan d’extension locorégionale,
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–pour le bilan ganglionnaire ;
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∘envisager la possibilité de traitements d’attente permettant de décaler l’acte chirurgical, discuter l’indication de traitement néoadjuvant permettant, soit de retarder la chirurgie, soit de l’éviter : exemples :
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–hormonothérapie néoadjuvante en cas de cancer du sein infiltrant avec récepteurs hormonaux fortement positifs,
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–chimiothérapie néoadjuvante des cancers avancés de l’ovaire,
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–radiothérapie néoadjuvante des cancers du rectum des patients éligibles,
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–prolongation de l’intervalle d’attente post-radiothérapie néoadjuvante des cancers du rectum ;
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∘en cas de comorbidités, de projet de chirurgie complexe, longue, envisager la pertinence de l’indication opératoire dans le contexte COVID 19 avec les anesthésistes-réanimateurs de l’équipe de réanimation qui serait potentiellement sollicitée. Il faut avoir à l’esprit qu’une éventuelle infection COVID 19 chez ce type de patient dans le mois qui suit la chirurgie entraîne une forme sévère dans les 2 tiers des cas [4]. Il convient d’envisager la possibilité de traitement d’attente ou de simple report ;
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∘
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•bloc opératoire :
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∘pour toute chirurgie des voies aérodigestives supérieures, il faut utiliser les masques FFP2 pour le personnel en salle dès lors qu’il s’agit de patients suspects d’infection pulmonaire mais non testées COVID 19 ;
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∘
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•chirurgie initiale à visée curative (exérèse de la tumeur) : chaque alternative thérapeutique évoquée doit être validée en RCP et consignée par écrit dans le dossier patient :
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∘il faut distinguer deux situations différentes en termes de risque oncologique :
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–soit retarder la chirurgie curatrice entraîne un risque de perte de chance de guérison : La chirurgie curatrice doit alors être maintenue,
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–soit retarder de quelques semaines (4 à 6 semaines) la chirurgie curatrice n’entraîne pas de perte de chance : il convient alors de retarder la chirurgie curatrice,
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–toutes ces décisions doivent être validées en RCP ;
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∘le risque de transfert en réanimation doit être évalué et le cas échéant validé avec l’équipe de réanimation censée prendre en charge le patient,
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∘en cas de projet chirurgical nécessitant un transfert en réanimation, envisager les alternatives en termes de traitement néoadjuvant,
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∘les indications de chirurgie d’évaluation doivent être pondérées et mises en balance avec l’imagerie, la radiologie interventionnelle, de façon à limiter les passages au bloc opératoire et les hospitalisations,
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∘les indications de traitements combinés, comme la CHIP, ou innovants comme la PIPAC (Pressurized IntraPeritoneal Aerosol Chemotherapy) ou Chimiothérapie intrapéritonéale pressurisée par aérosols, doivent être ré-envisagées en cas d’alternatives ou reportées,
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∘en cas de chirurgie endoscopique (cœlioscopie, thoracoscopie, cœlioscopie ou thoracoscopie robot-assistée, endoscopie digestive, gynécologique, ORL, pulmonaire), il existe un risque d’aérosolisation du virus, il faut donc limiter au maximum toute fuite de gaz et protéger le personnel en salle [5], [6] :
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–favoriser les basses pressions de pneumopéritoine,
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–utiliser les trocarts à ballonnet, pour limiter les fuites,
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–utiliser des aspirateurs de fumée munis de filtres (HEPA),
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–éviter toute extériorisation de pneumopéritoine ou pneumothorax (fuites aux changements de trocarts, à l’insertion de nouveaux trocarts, à l’exsufflation, fuites vaginales lors de l’hystérectomie voie basse). Il ne faut absolument pas créer de fuite de gaz pour améliorer la visibilité mais aspirer le gaz,
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–exsufflation en fin de cœlioscopie par aspiration. Il est totalement interdit de réaliser l’exsufflation libre,
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–porter des masques type FFP2 pour les chirurgiens, anesthésistes, IADE (infirmier-ère anesthésiste diplômé(e) d’état) , IBODE (infirmier-ère de bloc opératoire diplômé(e) d’état) dans la salle ainsi que des lunettes de protection ;
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∘on peut envisager de décaler à la fin de la pandémie une prise en charge chirurgicale simple, d’un cancer peu agressif, localisé non ou pauci-symptomatique, sans autre alternative thérapeutique chez un patient âgé ou à risque ;
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•chirurgie de rattrapage ou palliative :
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∘hors contexte urgent, ce type de chirurgie doit être remis en question au prorata de la balance bénéfice/risque ou au moins reporté ;
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•chirurgie de reconstruction esthétique ou fonctionnelle :
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∘en cas de chirurgie de reconstruction primaire, associée au geste curatif dans le même temps opératoire, il faut envisager la possibilité de la maintenir. C’est parfois complètement indispensable ;
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∘en cas de chirurgie de reconstruction secondaire, différée, ce type de chirurgie doit être décalé à la fin de la pandémie ;
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•modalités d’hospitalisation :
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∘ambulatoire :
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–modalité à privilégier chaque fois que possible en conservant les critères de sécurité de l’ambulatoire comme le fait que le patient ne soit pas seul à domicile au soir de l’intervention ;
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∘conventionnelle :
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–les visites sont à interdire,
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–réduire au maximum la durée de l’hospitalisation notamment par l’anticipation de la sortie ;
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∘USC (Unitésde Surveillance Continue):
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–pas de visite,
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–les transferts en réanimation doivent avoir été anticipés avant l’intervention (validation de l’indication opératoire) et rediscutés avec l’équipe de réanimation. Une des caractéristiques de la période de pandémie est justement le très faible accès aux réanimations notamment dans les zones géographiques fortement impactées. Cet aspect doit impérativement être anticipé et envisagé avec les réanimateurs ;
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∘fin de vie :
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–ré-examiner la question des visites au cas par cas avec l’ensemble de l’équipe ;
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•postopératoire :
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∘en cas de suites postopératoires simples, privilégier la téléconsultation;
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∘en cas de visite postopératoire indispensable, limiter la consultation au patient sans accompagnant. ;
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•anatomie pathologique :
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∘prévenir les collègues anatomopathologistes en cas de patient COVID 19 suspect ou COVID prouvé s’il y a manipulation de pièce fraîche,
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∘quel que soit le statut COVID du patient, d’une manière générale, les pièces fraîches sont à risque et doivent être manipulées avec précaution ;
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•surveillance des patients traités :
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∘privilégier la téléconsultation pour les patients asymptomatiques et bilans de suivi (imagerie, marqueurs) non suspects,
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∘en cas de signes manifestes de récidive, le patient devra être vu et sa prise en charge envisagée ;
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•recherche clinique :
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∘suivi des patients inclus :
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–privilégier la téléconsultation ;
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∘nouvelles inclusions :
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–arrêter les nouvelles inclusions dans le contexte de l’épidémie.
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∘
Impact psychologique du COVID 19 pour les patients et les équipes soignantes
Dans ce contexte particulier, il convient de prendre en compte l’angoisse des patients, de leurs proches et des équipes soignantes.
Il faut accompagner ces mesures par des explications qui les justifient. Le contexte de pandémie COVID 19 fait apparaître une part encore plus importante que d’habitude de communication avec les patients, leur entourage mais aussi bien sûr avec le personnel soignant.
Il est nécessaire de considérer le soutien psychologique des équipes dont l’adaptation des plans de soins des patients peut être déroutante.
La période actuelle amène aussi à envisager avec les équipes et les patients, des questions éthiques générées par ces parcours de soins impactés par le contexte de pandémie COVID 19.
Cette importance particulière de l’information doit amener les équipes à organiser une stratégie spécifique d’accès à l’information : numéro vert, téléconsultation, réunions régulières d’équipe, recherche des situations de souffrance psychologique…
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Remerciements
Pour leurs conseils et leur relecture : Bozec Alexandre, Dupré Pierre-François, Houvenaeghel Gilles, Krakowski Ivan, Labbe Denis, Lambaudie Eric, Leblanc Eric, Narducci Fabrice, N’go Charlotte, Pomel Christophe, Roux Alexandre, Verhaeghe Jean-Luc.
Références
- 1.Wenhua L. Cancer patients in SARS-CoV-2 infections: a nationwide analysis in China. Lancet. 2020;21:335–337. doi: 10.1016/S1470-2045(20)30096-6. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 2.Emanuel E.J. Fair allocation of scarce medical resources in the time of COVID 19. NEJM. 2020 doi: 10.1056/NEJMsb2005114. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 3.Grasselli G. Critical care utilization for the COVID-19 outbreak in Lombardy, Italy: early experience and forecast during an emergency response. JAMA. 2020 doi: 10.1001/jama.2020.4031. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
- 4.Shi Y. Host susceptibility to severe COVID-19 and establishment of a host risk score: findings of 487 cases outside Wuhan. Crit Care. 2020;24(1):108. doi: 10.1186/s13054-020-2833-7. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]
- 5.Royal College of Obstetricians and Gynaecologists and British Society for Gynaecological Endoscopy . 2020. Joint RCOG/BSGE Statement on gynaecological laparoscopic procedures and COVID-19.https://www.bsge.org.uk/news/joint-rcog-bsge-statement-on-gynaecological-laparoscopic-procedures-and-covid-19/ [in press] [Google Scholar]
- 6.Zheng M.H. Minimally invasive surgery and the novel coronavirus outbreak: lessons learned in China and Italy. Ann Surg. 2020 doi: 10.1097/SLA.0000000000003924. [DOI] [PMC free article] [PubMed] [Google Scholar]