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. 2010 Jul 22;2010(423):63–68. [Article in French] doi: 10.1016/S1773-035X(10)70561-X

Changement de tropisme des coronavirus

Variation of coronavirus tropism

Astrid Vabret a,, Fabien Miszczak b
PMCID: PMC7140254  PMID: 32288811

Résumé

Le tropisme d’un virus se définit comme l’ensemble des cellules cibles et permissives à ce virus. Le connaître permet de déterminer le ou les organes cibles, ainsi que la ou les espèces animales pouvant être infectées. Le changement de tropisme permet aux virus d’évoluer, notamment en leur permettant de franchir la barrière d’espèce et de s’installer chez un nouvel hôte. Les coronavirus représentent un très large groupe de virus infectant de nombreuses espèces animales. Ces virus à ARN sont dotés d’un potentiel évolutif important, et leur histoire comporte plusieurs exemples de changement de tropisme ayant pour conséquence soit l’émergence d’une nouvelle maladie (coronavirus associé au SRAS, coronavirus respiratoire du porc), soit une nouvelle expression de l’infection (péritonite infectieuse fatale du chat et du furet).

Keywords: Tropisme, virus, entrée, évolution, moléculaire, barrière d’espèce, émergence


“Ce qui m’intéresse, c’est quand on a l’impression qu’il ne se passe absolument rien, c’est à ce moment-là qu’en regardant au microscope et au ralenti je vois des choses vivantes qui apparaissent énormes”.

Nathalie Sarraute, « Nathalie Sarraute, qui êtes-vous ? » Entretien avec Simone Benmussa, Lyon, La Manufacture, 1987, p. 108.

1. Introduction

Le mot « tropisme » est utilisé le plus souvent dans le domaine de la biologie. Il désigne chez les plantes notamment, une croissance orientée dans l’espace sous l’influence d’une excitation extérieure. Pour les microorganismes, il est défini comme leur affinité pour un tissu ou un organe donné. En dehors de la biologie, il prend un sens figuré et plus mystérieux, et correspond à la force obscure poussant un phénomène à prendre une certaine orientation (dictionnaire Larousse). Parler du tropisme nous invite donc à parler de changement, d’évolution, d’adaptation à des conditions extérieures et nouvelles. Le changement de tropisme des virus peut avoir des conséquences importantes en terme de pathogénicité et d’émergence de nouvelles maladies, nous en verrons quelques exemples chez les coronavirus. Ce changement de comportement viral ne s’accompagne pas toujours de grandes variations « visibles » dans la structure même du virus, les tentatives de compréhension font nécessairement aborder l’infiniment petit, l’échelon moléculaire.

2. Tropisme viral et évolution

De façon générale, le tropisme d’un virus définit l’ensemble des cellules dites « cibles », cellules sensibles et permissives à l’infection par ce virus. Rappelons brièvement les règles de multiplication de ces agents. Les virus n’appartiennent pas au monde qui se multiple en se divisant (comme les cellules ou les bactéries), mais à celui qui se multiplie en se répliquant. La réplication virale correspond à la fabrication d’un nombre de copies plus ou moins fidèles du virus original. Elle a lieu à l’intérieur des cellules. Ainsi, le virus est fonctionnellement un parasite intracellulaire absolu et obligatoire. La réplication est un phénomène cyclique et amplificateur, se déroulant en plusieurs étapes. La première est l’entrée du virus dans la cellule cible. Cette phase débute par l’attachement de la particule virale (forme extracellulaire du virus ou virion) à la surface de la cellule cible via l’interaction d’une protéine de surface du virion avec une molécule présente à la surface de la cellule (protéine ou sucre). Parfois, l’interaction fait intervenir plusieurs protéines cellulaires, alors appelées récepteurs et corécepteurs. L’attachement se fait par affinité. Les récepteurs cellulaires sont des molécules naturellement présentes sur les cellules, elles ont un rôle physiologique. Le virus, en s’attachant à ce récepteur, détourne ainsi le fonctionnement cellulaire normal. Cette interaction est dynamique, elle entraîne des changements conformationnels des molécules et a pour objectif l’entrée du virus dans le cytoplasme. Le virus devient alors la cellule infectée, il détourne à son profit le fonctionnement de la cellule qui produit les nouveaux virions en pièces détachées (expression des protéines virales, et copie du génome). La dernière phase du cycle consiste dans l’assemblage des différentes protéines virales, l’encapsidation du génome, et la maturation des particules virales qui deviennent infectieuses, sont libérées dans le milieu extracellulaire et peuvent aller infecter d’autres cellules cibles. Il s’agit là d’un cycle réplicatif complet, avec production de nombreux virus permettant la diffusion de l’infection. Si toutes les étapes du cycle de réplication sont importantes pour le succès de l’infection virale, ce sont les phases initiales de reconnaissance, d’attachement et d’entrée du virus dans la cellule qui sont les déterminants majeurs du tropisme. Connaître les cellules cibles d’un virus nous permet de savoir où sont les lieux privilégiés de la réplication virale, de définir le ou les organes cibles, de définir le caractère systémique ou non de l’infection (avec présence de virémies). Le tropisme viral permet de mieux comprendre la symptomatologie clinique et sa physiopathologie, de connaître les voies d’entrée et d’excrétion virales, et donc les sites de prélèvements potentiels à des fins diagnostiques.

Prenons un peu de recul, et envisageons l’infection virale non plus à l’intérieur d’un organisme animal, mais au sein d’une espèce animale. Il existe en microbiologie une règle de spécificité d’espèce. Ainsi, un virus infecte un hôte d’une espèce donnée. Qu’est-ce que l’espèce ? N. Delesalle dit d’elle que n’importe quel biologiste sérieux explosera de rire avant de s’effondrer en larmes si vous lui demandez de définir ce mot-clef. C’est dire avec humour qu’il y a encore débat, néanmoins il propose la définition suivante : ensemble de populations interfécondes et génétiquement isolées d’un point de vue reproductif… [1]. Cette notion de barrière d’espèce rend donc compte de la spécificité de la relation « hôte-virus », elle est le gage d’une protection naturelle contre les virus dits « étrangers », par le biais de l’immunité innée notamment. Cependant, cette barrière n’est pas étanche, et on sait maintenant que les franchissements de barrières d’espèces sont nombreux, même si peu aboutissent à une émergence réussie. Ces franchissements correspondent en partie à des changements de tropisme du virus, qui acquièrent la possibilité de reconnaître un récepteur à la surface de cellules d’un organisme autre que son hôte habituel.

Avant d’aborder plus en avant la présentation des coronavirus, quelles sont les propriétés virales permettant le changement de tropisme, et donc l’évolution ? L’étude de l’évolution des virus est une science assez récente, qui s’est développée avec l’apparition des outils moléculaires et bioinformatiques. Elle fait intervenir les mêmes mécanismes que les études de génétique des populations. Ainsi, la diversité et le haut niveau de variabilité existant dans une population virale permettent la sélection de variants d’adaptation (théorie darwinienne). Les virus à ARN notamment présentent une diversité importante ; la source majeure de variation est le processus même de réplication. Ce processus permet en particulier l’introduction de nombreuses mutations de façon aléatoire le long du génome lors de sa copie (taux de mutations intrinsèque élevé). Ainsi, au cours de la multiplication, de nombreux « individus virus » variants sont produits (copies plus ou moins fidèles du virus original). Il en résulte une population qui a une structure hétérogène, composée de sous-populations comportant des variants proches génétiquement les uns des autres, et évoluant ensemble. Cette structure correspond au concept de quasi-espèces. Elle permet au virus de disposer d’un éventail de variants pouvant répondre aux exigences d’un nouvel environnement par sélection d’un des leurs. Cette diversité est une stratégie d’optimisation, une sorte d’assurance-vie, avec une dimension supérieure. Les populations virales produites lors des infections, notamment les infections chroniques ou persistantes où la réplication est prolongée dans le temps, sont souvent de très grande taille, avec un nombre fantastique « d’individus virus », qui détermine un degré quasi infini de diversité, lui-même permettant de nombreuses possibilités d’évolution.

L’autre processus créateur de diversité est la recombinaison génétique, ou échange de matériel génétique entre deux ou plusieurs virus infectant la même cellule. La recombinaison permet une redistribution de la variabilité existante entre les virus. Elle intervient particulièrement dans l’évolution des virus dont le génome est une molécule d’ARN de polarité positive, comme les coronavirus dont nous parlerons plus loin. Pour d’autres virus, la redistribution de la variabilité génétique fait intervenir d’autres processus tels que le réassortiment, pour les virus dont le génome ARN est segmenté en plusieurs fragments. La pandémie grippale de 2009, due au virus influenza A H1N1v – nouveau variant – illustre bien ce propos, ce virus étant un triple réassortant aviaire, humain, et porcin.

3. Coronavirus

Les coronavirus forment un groupe important de virus infectant les mammifères et les oiseaux. Le genre « coronavirus » a été créé en 1967, il doit son nom à l’aspect en couronne de ces virus enveloppés et a regroupé, à partir de ces critères morphologiques, des virus animaux connus depuis les années 1930. Actuellement, il existe plusieurs dizaines de coronavirus identifiés, leur spectre d’hôte est très étendu. Ils sont répartis en trois groupes différents nommés 1, 2, et 3, la nomenclature a été récemment actualisée, ces groupes se nomment désormais alpha-, beta- et gamma-coronavirus ( tableau I ). L’homme est infecté par 5 coronavirus (HCoV) différents : les HCoV 229E et OC43, identifiés dans les années 1960, les HCoV NL63 et HKU1, identifiés en 2004 et 2005, et enfin le coronavirus associé au syndrome respiratoire aigu sévère ou SARS-CoV, identifié en 2003. L’avènement de la pandémie du SRAS en 2003 est un événement marquant dans l’histoire des coronavirus. Jusque-là marginalisés comme agents infectieux peu pathogènes chez l’homme, responsables essentiellement du rhume, les coronavirus ont connu un vif regain d’intérêt dans les communautés médicale et scientifique. Avant le SRAS, les coronavirus étaient surtout des virus d’intérêt vétérinaire, on connaissait les coronavirus infectant les espèces animales domestiques (chien, chat), les animaux de laboratoires (souris, rat, lapin), et les animaux d’élevage (bovins, porcs). Ainsi, après 2003, de nombreux coronavirus ont été identifiés, notamment, chez des espèces animales sauvages, en particulier des oiseaux (groupe 3) et chez les chiroptères (SARS-like CoV), révélant ainsi la diversité de ces virus ubiquitaires, et les origines possibles des virus émergents à partir de cet important réservoir animal [2].

Tableau I.

Différentes espèces de coronavirus, hôtes respectifs, et type de maladies associées.

Groupe Virus acronyme Hôte Infections respiratoires Infections entériques Autres
1
HCoV-229E
Homme
x
?
?
HCoV-NL63
Homme
x


TGEV, PRCoV
Porc
x
x

PEDV
Porc

x

FECoV / FIPV
Chat

x
x
CCoV
Chien

x

Bat-CoV
Chiroptères



2a
HCoV-OC43
Homme
x
?
?
HCoV-HKU1
Homme
x


BCoV
Bovins Élan, girafe, buffle, alpaga, chien
x
x

BCoV-like

x

ECoV
Equins

x

MHV
Souris
x
x
x
HEV
Porc


x
SDAV
Rat


x
2b
SARS-CoV
Homme
x
?
?
SL- CoV (SARS-like-CoV)
Civettes, chauvesouris
?


3 IBV
Poules
x

x
TCoV
Dinde
x


Autres Oie, canard, pigeons x

Pour certains coronavirus, le cadre pathologique n’est pas connu (SL-CoV), ou controversé (HCoV) [2].

À l’intérieur de l’organisme, les coronavirus ont un tropisme triple, respiratoire, entérique, et neurologique. L’expression clinique des infections à coronavirus est variée selon le tropisme dominant du coronavirus chez l’hôte qu’il infecte : infections respiratoires, infections entériques, infections démyélinisantes. Enfin, certains coronavirus sont responsables d’infections systémiques, avec notamment une atteinte hépatique, comme le virus de l’hépatite murine ou MHV.

Afin de comprendre comment interviennent les changements de tropisme chez ces virus, il est nécessaire de décrire grossièrement leur mécanisme d’entrée. Les coronavirus sont des particules virales enveloppées. Elles portent à leur surface de grandes protéines appelées « S ». Les autres glycoprotéines d’enveloppe sont la protéine M, la protéine E et, pour les coronavirus du groupe 2a, l’hémaglutinine-estérase HE ( figure 1 ). La protéine S joue un rôle primordial dans les premières étapes du cycle viral : elle est responsable de l’attachement du virion à la cellule cible et de la fusion membranaire. Par ailleurs, elle est la cible principale de la réponse immunitaire cellulaire et humorale et induit la formation d’anticorps neutralisants [3]. De ce fait, comme la plupart des protéines de surface, elle présente des régions hypervariables, lui permettant d’échapper à la pression immunitaire, et, le cas échéant, de pouvoir élargir son tropisme cellulaire. La protéine S des coronavirus possède une faible activité hémagglutinante et se lie aux acides sialiques. Cependant, l’entrée dans les cellules cibles semble requérir l’interaction avec un récepteur protéique spécifique. Ainsi, des récepteurs cellulaires sont identifiés pour certains coronavirus : molécule CEACAM1 pour le virus de l’hépatite murine MHV, aminopeptidase N (APN) pour plusieurs coronavirus du groupe 1 (HCoV-229E, coronavirus porcins TGEV et PRCV, coronavirus canins et félins), la molécule ACE2 pour HCoV-NL63 et le SARS-CoV [3, 4]. Les interactions entre protéine S et récepteur semblent complexes, et de nombreuses données restent incomprises : le site de liaison de S à son récepteur (RBD : receptor binding domain) est localisé dans différentes régions de la protéine selon l’espèce de coronavirus, le clivage de S en deux sous-unités, nécessaire au bon déroulement de l’entrée, est variable selon le coronavirus et le type cellulaire, le rôle de la liaison aux acides sialiques n’est pas déterminé (corécepteur ?) [4], [5], [6]. Certaines données expérimentales sont inattendues : malgré des séquences en amino-acides conservées au niveau de la protéine S des HCoV 229E et NL63, ces deux coronavirus humains utilisent des récepteurs différents (APN et ACE2, respectivement) ; par ailleurs, le SARS-CoV utilise le même récepteur cellulaire que NL63 alors que les séquences S sont éloignées. L’apparente plasticité de la protéine S permettrait aux coronavirus de s’adapter à différents récepteurs protéiques ou à des récepteurs hétérologues dans différentes espèces, et serait un atout pour émerger chez de nouveaux hôtes.

Figure 1.

Figure 1

Représentation schématique tridimensionnelle du coronavirus

La protéine de surface HE, uniquement présente chez les coronavirus du groupe 2, est rarement représentée.

D’après Holmes et al.

Certains coronavirus du groupe 2 sont caractérisés par l’existence d’une protéine de surface supplémentaire HE, possédant une activité hémagglutinante et acétyl-estérase. Le gène codant cette protéine est caractéristique de ces CoV (groupe 2a), cependant son expression en protéine est très variable [7], [8], [9]. Les propriétés biologiques de cette protéine restent obscures. Elle reconnaît les récepteurs cellulaires contenant des acides sialiques et induit la formation d’anticorps neutralisants. Elle aurait ainsi une fonction de protéine d’attachement et d’initiation de l’infection, additive à celle de la protéine S. Cependant, sa fonction principale serait l’activité acétyl-estérase. De nombreuses interrogations existent sur le déroulement in vivo des premières étapes du cycle de réplication pour ces CoV. La protéine HE a requis peu d’attention, probablement parce qu’elle serait « accessoire », et aussi parce qu’elle n’est pas présente chez les CoV les plus étudiés jusqu’à présent, dont le SARS-CoV. Des récepteurs protéiques cellulaires, en plus de la liaison aux acides sialiques, ont été décrits pour un certain nombre de coronavirus. Mais certains, comme les coronavirus bovins et le HCoV OC43, utiliseraient seulement un acide sialique, le même que celui utilisé par le virus de la grippe C. Les acides sialiques correspondent au nom générique donné à une grande famille de monosaccharides à 9 carbones, chargés négativement, et représentant les résidus terminaux des glycoconjugués. Ce sont des récepteurs idéaux car ils sont nombreux et facilement accessibles. Cependant, ils permettent aussi la liaison des virus aux cellules non permissives, aux composés sialysés solubles, ou aux mucines sialysées de la barrière muqueuse. Toutes ces liaisons, ajoutées à l’agrégation des virus entre eux, entraînent une possible perte d’infectivité. C’est pour contrecarrer ces effets que quelques virus enveloppés à ARN se sont dotés d’enzymes ayant une activité de destruction des récepteurs associés aux virions (activité RDE pour receptor destroying enzyme). Pour tous les CoV du groupe 2a étudiés jusqu’à présent, la liaison de la protéine S à un acide sialique correspond avec le substrat préférentiel de HE. La protéine HE permettrait donc un usage optimal des acides sialiques comme facteurs d’attachement. Le mode d’entrée des CoV exprimant la protéine HE serait alors proche de celui adopté par les virus influenza A et B, et la balance fonctionnelle décrite entre hémagglutinine et neuraminidase HA/NA pourrait également exister entre S et HE [3, 5, 10, 11] Les coronavirus qui utiliseraient uniquement les acides sialiques pour entrer dans la cellule auraient une plus grande facilité à franchir la barrière d’espèce, les Anglo-Saxons les qualifient de « lax ». Le coronavirus OC43 humain et les coronavirus bovins sont génétiquement si proches que l’hypothèse de franchissements de barrières d’espèces fréquents alimentant de part et d’autre les épidémies dans les deux espèces est avancée.

4. Exemple de changement de tropisme chez les coronavirus

Nous allons présenter trois exemples de changement de tropisme des coronavirus, ayant conduit à des émergences de nouveaux virus : le premier est l’émergence du SARS-CoV, le deuxième est l’émergence du coronavirus porcin respiratoire dans les années 1980, et le dernier l’émergence de variants des coronavirus entériques du chat et du furet, responsables d’une pathologie granulomateuse du péritoine.

4.1. Émergence du SARS-CoV en 2003 dans la population humaine

Fin novembre 2002, un nouveau coronavirus appelé SARS-CoV a émergé chez l’homme dans la région de Canton, en Chine, puis a diffusé rapidement dans de nombreux pays. Ce virus a été baptisé ainsi lors de son identification en avril 2003, car il est responsable chez l’homme d’infections respiratoires hautes et basses évoluant 1 fois sur 5 environ vers un syndrome de détresse respiratoire aigu. Le taux de mortalité global est de 11 %, mais atteint 50 % chez les sujets de plus de 65 ans. Cette pandémie a touché environ 8 000 personnes dans le monde. La transmission interhumaine de ce virus a été stoppée en juillet 2003, soit 8 mois après son émergence, du fait de mesures sanitaires drastiques [12, 13].

De nombreuses études ont été menées à la recherche du réservoir animal du SARS-CoV. Rapidement, l’hypothèse d’un réservoir animal a été retenue. Les premières données sérologiques provenant de la province de Canton ont montré une séroprévalence significativement plus élevée chez les personnes travaillant au contact des animaux, notamment sur les marchés vivants. Rappelons que ces marchés hébergent pour une période limitée de nombreuses espèces animales ne partageant pas la même écologie dans les conditions naturelles ou les conditions d’élevage, ils constituent donc pour les virus une interface favorable au franchissement interspécifique. La principale cible animale identifiée a été la civette Paguma Larvata [14, 15]. Ces animaux supportent la réplication d’un coronavirus proche du SARS-CoV et appelé SARS-like ou SL-CoV, sans symptôme apparent, et pourraient constituer le réservoir animal naturel ou un réservoir animal intermédiaire amplificateur. Ces animaux, vivant dans leur habitat naturel, ou en élevage, sont vendus sur les marchés surtout pour la consommation de leur viande. Plusieurs génomes complets de SL-CoV provenant de civettes ont été séquencés. Leur comparaison avec les séquences de SARS-CoV humains montrent, sur environ 30 000 nucléotides, un total de 212 positions de variation, dont 209 dans une région codante protéique (73 de ces 209 sont silencieuses) [16]. Les séquences de SARS-CoV du début de l’épidémie sont proches des séquences de SL-CoV des civettes, en particulier l’existence d’une séquence de 29 nucléotides, qui a ensuite disparu lors de l’adaptation du virus à l’homme (délétion de 29 nt) [17]. Au cours de l’évolution du SARS-CoV, la mutation du résidu aminoacide 487 (de serine chez la civette en thréonine chez l’homme) de la protéine S semble avoir contribué de façon importante à l’adaptation du SARS-CoV au récepteur humain ACE2 : elle permet en effet une affinité importante de la liaison entre le récepteur ACE2 et la protéine S (structure en boucle sur le versant protéine S, et petite poche hydrophobe sur le versant ACE2) ( figure 2 ). Ainsi, la qualité de l’attachement de la protéine S du SARS-CoV sur son récepteur humain est dépendante d’un seul acide aminé sur les plus de mille qui la composent.

Figure 2.

Figure 2

Schéma représentant l’activité du récepteur ACE2 du SARS-CoV en fonction des mutations observées sur la protéine S du SARS-CoV.

A : l’interface de liaison entre le récepteur ACE2 et la protéine S du SARS-CoV (souche humaine de l’épidémie 2002-2003) fait intervenir une structure en boucle sur le versant viral, et une petite poche hydrophobe sur le versant récepteur. B : 2 substitutions en amino-acides (T487S et N479K) sur la protéine S du SL-CoV (souche de civette) réduit considérablement l’activité du récepteur. C : il s’agit de la protéine S d’une souche SARS-CoV de 2003-2004, responsable d’une infection peu grave. La mutation T487S est présente, ainsi qu’une mutation L472P, qui réduisent l’activité de liaison du récepteur. D : le récepteur ACE2 du rat ne possède pas la poche hydrophobe permettant une liaison efficace avec la protéine du SARS-CoV

D’après Holmes KV. Structural biology. Adaptation of SARS coronavirus to humans. Science 2005.309;(5742):1822-3.

Certaines chauves-souris du genre Rhinolophus ont récemment été identifiées comme le réservoir naturel de SL-CoV. Les différences clefs entre souches humaines et de civettes d’une part, et les souches de chauve-souris sont concentrées dans la protéine S, qui détermine le spectre d’hôte et le tropisme tissulaire [15].

4.2. Émergence du coronavirus porcin respiratoire (PRCV) dans les élevages de porcs

Il existe quatre coronavirus infectant l’espèce porcine : TGEV, PRCV, PHEV, et PEDV qui sont les acronymes pour virus de la gastro-entérite transmissible, coronavirus porcin respiratoire, virus porcin de l’encéphalite hémagglutinante, et virus de la diarrhée épidémique porcine. La gastro-entérite transmissible du porc est une virose connue depuis les années 1940. Il s’agit d’une maladie très contagieuse, atteignant les animaux de tous les âges, mais ayant une particulière gravité chez le porcelet de moins de 2 semaines, avec une mortalité proche de 100 %. Le virus se multiplie dans les cellules des villosités de l’intestin grêle. L’infection est responsable d’une importante atrophie villositaire et d’une diarrhée par malabsorption. Son tropisme est donc essentiellement entérique, même si le TGEV est capable de se multiplier aussi dans le tractus respiratoire supérieur. Jusque dans les années 1980, la gastro-entérite transmissible a évolué sous forme endémique en France et en Europe, avec un taux d’infection atteignant 30 % dans les élevages. Puis, les réseaux de surveillance vétérinaire en Europe ont noté une augmentation importante de la prévalence des anticorps anti-TGEV dans les élevages sans augmentation parallèle de la pathologie évocatrice. Rapidement, a été isolé le PRCV à partir d’échantillons respiratoires d’animaux sentinelles. Le PRCV a diffusé rapidement dans l’ensemble des pays européens, en étant responsable d’une pathologie respiratoire discrète, et immunisant les élevages contre le TGEV. La caractérisation du PRCV a montré qu’il s’agit de l’émergence spontanée d’un variant du TGEV présentant de multiples délétions, dont une large délétion en phase (pas de décalage du cadre de lecture) de 672 nucléotides dans le gène codant la protéine de surface S. Le récepteur protéique principal de TGEV est l’aminopeptidase N ou APN, la protéine S se lie aussi à des acides sialiques, corécepteurs qui confèreraient à ce virus son tropisme dominant pour les cellules entériques. TGEV et PRCV partagent la même séquence nucléotidique en dehors de cette large délétion dans le gène S, et des délétions dans le gène ORF3 codant une protéine non structurale de fonction inconnue. Une des conséquences biologiques de ces modifications est le changement de tropisme du virus qui, d’entérique pour le TGEV, est devenu respiratoire pour le PRCV [18], [19], [20]. Soulignons que dans ce cas, l’émergence d’un variant a été bénéfique pour l’hôte. L’infection respiratoire à PRCV est peu symptomatique, sa transmission respiratoire est facile et efficace, et elle permet l’acquisition d’une immunité croisée avec le TGEV, maladie entérique d’évolution grave chez le porcelet.

4.3. Changement de tropisme chez les coronavirus du chat et du furet

Les coronavirus félins sont au nombre de deux : le virus entérique FCoV et le virus de la péritonite infectieuse FIPV. Les coronavirus entériques félins sont très répandus, la séroprévalence des anticorps anti-FECoV est estimée à 80 % dans les élevages de chats, et à 50 % chez les chats domestiques. La symptomatologie est peu bruyante, et la possibilité d’infections persistantes peu ou non symptomatiques, avec excrétion prolongée de virus dans les selles a été montrée. Dans ce contexte d’infections persistantes, certains auteurs ont mis en évidence une population virale ayant une distribution en quasi-espèce, et permettant donc potentiellement la sélection d’un variant. Ce mécanisme est proposé pour expliquer la sélection de variants de FECoV par le système immunitaire, appelés FIPV. Ce virus cause une péritonite infectieuse fatale, caractérisée par une granulomatose inflammatoire périvasculaire disséminée touchant les séreuses (péritoine notamment). Les variants dans ce modèle ont acquis la possibilité d’infecter les macrophages, ce changement de tropisme est lié notamment à une dizaine de mutations dans une région de 582 aminoacides de la protéine S [21], [22], [23].

En 2006, a été identifié un coronavirus entérique chez le furet, appelé FRECV, responsable de troubles digestifs, à type de diarrhée, avec un taux de mortalité < 5 %. Deux ans plus tard, en 2008, Garner et al. ont décrit un coronavirus à diffusion systématique chez le furet, appelé FRSCV [24]. Ce virus est responsable d’une pathologie proche de la péritonite infectieuse du chat. Rapidement, la question a été de savoir si FRSCV est un variant de FRECV, émergeant par mutation, et conduisant à l’acquisition d’un phénotype systémique virulent. AG Wise, dans une étude récente publiée en 2009, a montré que ces deux virus FRECV et FRSCV sont génétiquement proches, avec des différences significatives au niveau du gène S. Dans ce cas, le changement de tropisme et l’acquisition du caractère systémique ne seraient pas dus à la sélection d’un variant muté, mais seulement à la co-circulation de souches entériques et systémiques [25].

5. Conclusion

Ces différents exemples décrits chez les coronavirus illustrent le changement de tropisme viral et ses conséquences possibles sur le devenir du virus et de son hôte. L’entrée dans la cellule constitue, avec le système immunitaire, un des plus grands défis pour le virus, qui doit sans cesse trouver de nouvelles ressources (hôtes non immunisés, extension ou modification des organes cibles, extension du spectre d’hôte). Afin de comprendre les mécanismes de ces changements de tropisme, l’étude des interactions cellule-virus au moment de l’entrée virale est indispensable, tant sur le versant viral que cellulaire.

Conflit d’intérêt : aucun

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