Le génome de la plupart des virus a la capacité d’évoluer très vite, ce qui leur permet une adaptation rapide à divers environnements, avec comme conséquence le franchissement de barrière d’espèce et l’apparition de maladie émergente (à VIH, à Coronavirus, à virus grippal). Cette grande variabilité peut aussi se voir au sein d’une même espèce, aboutissant dans certain cas à un échappement immunitaire, avec progression plus rapide de la maladie (VIH).
Dans ce numéro spécial, nous avons réuni des articles évoquant ces changements de tropisme, à propos de maladies émergentes récentes, associées aux virus de l’immunodépression humaine (VIH, aux Coronavirus, aux virus grippaux, au virus de l’hépatite E et aux prions).
Dans un premier article, Michel Segondy commente la spécificité d’hôte et les mécanismes généraux du franchissement de la barrière d’espèce.
Dans un deuxième article, François Simon expose les découvertes récentes issues de travaux d’épidémiologie moléculaire, qui ont permis de mieux comprendre l’origine de ces virus, leur mode de diffusion dans l’espèce humaine, ainsi que de mieux analyser la physiopathologie de la maladie.
Corinne Amiel expose ensuite l’évolution des virus influenza de type A avec des changements de tropisme qui nécessitent parfois plusieurs franchissements de barrière d’espèce. C’est réellement un article d’actualité car après trois années de grippe faiblement épidémique, la France a connu cet hiver une grippe saisonnière d’intensité plus forte. Elle a en effet touché près de 3 millions de Français en 10 semaines.
Dans le quatrième article, Astrid Vabret reprend les notions générales de « tropisme viral et évolution » pour expliquer les franchissements de barrière des Coronavirus, en prenant trois exemples : le nouveau Coronavirus associé au SARS-CoV qui a émergé chez l’homme en 2003, dans la région de Canton (Chine), le Coronavirus porcin respiratoire qui a émergé en 1980, les Coronavirus entériques du chat et du furet responsables de l’émergence d’une pathologie granulomateuse du péritoine.
Vient ensuite une synthèse de Jacques Izopet sur les derniers résultats des travaux sur le virus de l’hépatite E. On sait que ce virus est très endémique dans nombre de régions d’Asie, d’Afrique et du Mexique, mais on s’interrogeait encore sur l’origine de cas d’hépatites épidémiologiquement incompréhensibles. Une première explication fut la mise en évidence de virus de l’hépatite E dans l’environnement aux États-Unis et en Europe, une seconde fut la découverte de virus chez les porcins, porteurs de souches virales génétiquement très proches de celles de l’homme.
Enfin, nous ne pouvions pas passer en revue les changements de tropisme sans évoquer les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles (ESST), plus communément appelées maladies à prions. Ces maladies ont un déterminisme qui peut être sporadique, infectieux ou génétique et sont transmissibles. Elles sont induites par des agents infectieux, agents transmissibles non conventionnels ou ATNC. Il s’agirait donc d’une protéine infectieuse que l’on a dénommée prion, sans particule nucléique, s’accumulant sous une conformation anormale, à l’origine du caractère pathogène de l’agent. Récemment, un ATNC a été mis en évidence dans une encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), également, surnommée maladie de la vache folle, dont la transmission à l’homme est avérée, La forme humaine de l’ESB ressemble à grands traits à la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Jean-Pierre Liautard expose ici la physiopathologie de cette maladie neurologique et les mécanismes expliquant sa transmission à l’homme.
Je ne résiste pas à l’envie de vous conter deux cas de franchissement de barrière : entre chien et chat (un gros chat !), et entre chien, phoque, dauphin et marsouin.
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En 1994, on constate qu’un tiers de la population des lions du parc africain de Serengeti a disparu. Parmi les félins survivants, certains ont un étrange comportement : tics grimaçants, mouvements de pattes incontrôlés… Les fauves sont en fait morts d’une maladie redoutée de tout maître de chien : la maladie de Carré (Morbillivirus), équivalent de la rougeole chez l’homme. Les lions ont-ils contracté une maladie canine, tout particulièrement via un variant du virus, comme l’ont montré des comparaisons génétiques des souches ? Explication : les chiens qui vivent dans les villages autour du parc constituent un réservoir idéal du virus. Entre ces chiens et les lions, il n’y a évidemment guère de contact direct, mais des messagers : les hyènes et les chacals qui se nourrissent dans les poubelles, comme les chiens, et partagent les repas sanglants des lions (Corinne Bensimon). L’expression latine « cave canem » (sur le mur d’une villa de Pompéi) prend pour le lion toute sa signification !
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En 1988, un grand nombre de phoques (Phoca vitulina) sont retrouvés morts échoués sur les côtes d’Europe du Nord. Un morbillivirus est isolé chez ces animaux, contaminés par l’intermédiaire de visons d’élevage, il est nommé Morbillivirus du phoque. Un virus très voisin sera ensuite isolé en Sibérie sur des phoques (Phoca sibirica), dont beaucoup meurent autour du lac Baïkal. Ce virus s’est avéré pratiquement identique à celui de la maladie de Carré du chien, et l’on pense qu’il a été transmis aux phoques par les chiens vivant sur les rivages du lac. Début 1990, d’autres Morbillivirus, proches des précédents, sont isolés sur des dauphins (Stenella coeruleoalba) échoués en Méditerranée et sur des marsouins (Phocoena phocoena) du Nord de l’Europe. Ils sont été dénommés respectivement Morbillivirus du dauphin et Morbillivirus du marsouin.
Footnotes
La coordination de ce dossier a été assurée par le Pr Jean-Claude Nicolas (Laboratoire de virologie, Hôpital Tenon, Paris).