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. 2015 May 7;2015(472):25–33. [Article in French] doi: 10.1016/S1773-035X(15)30110-6

Rôle des animaux vertébrés dans l’épidémiologie des zoonoses

The place of vertebrates in the epidemiology of zoonoses

François Moutou a,*
PMCID: PMC7140274  PMID: 32288820

Summary

Zoonoses, to be distinguished here from human diseases with an animal origin, represent a large quantity of pathological entities the corresponding pathogens of which are regularly shared between human beings and many different vertebrates species. Working on selected examples and situations, whatever the contamination routes and the facilitating reasons, puts into light a real rarity of a direct transmission from the animal reservoir to human beings. On the opposite, the diversity and the possible severity of some of the sanitary consequences, quite often in relation to human behaviours, must be stressed. On a practical point of view, it seems more adapted to try first to improve the control of pathogens diffusion within human populations after a contamination than to try to start to work first on the reservoir, be it domestic or wild, the potential source of these pathogens, but following routes quite difficult to anticipate. The relationship between biodiversity and health is discussed.

Keywords: Zoonoses, human beings, reservoir, vertebrates, epidemiology, biodiversity

1. Introduction

Les zoonoses représentent un groupe particulier de maladies infectieuses et transmissibles, englobant également tout un ensemble de maladies parasitaires. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en donne la définition suivante : « On appelle zoonose toute maladie ou infection qui est transmissible naturellement depuis les animaux vertébrés vers l’espèce humaine et vice-versa ». Nous considérons ici que le mot « naturellement » s’oppose à « expérimentalement » et à « exceptionnellement ». Il s’agit des maladies dont les agents sont capables de circuler assez librement entre plusieurs espèces de vertébrés, dont l’espèce humaine. La liste peut donc en être assez longue, mais elle est surtout variable selon les auteurs. En effet, la simple façon de les dénommer peut faire varier leur nombre. Si l’on écrit, par exemple, « salmonelle » au singulier ou « salmonelles » au pluriel en additionnant les dizaines de souches pathogènes connues, on n’arrivera pas au même bilan. L’énumération sera également bien différente si l’on distingue, ou non, les zoonoses proprement dites des maladies humaines dues à des microorganismes issus du monde animal et secondairement adaptés à notre espèce.

L’importance du monde animal dans l’histoire et dans l’épidémiologie des maladies humaines ne doit pas représenter une surprise. Si l’on compare l’espèce humaine à la diversité des seuls primates (une parmi environ 400 espèces), ou des seuls mammifères (une parmi environ 5 500 espèces) ou de l’ensemble des vertébrés (une parmi quelques dizaines de milliers d’espèces), on augmente régulièrement le dénominateur. Il n’est pas facile pour autant de calculer comment évolue la probabilité d’y croiser un microorganisme potentiellement pathogène pour notre espèce. Les liens phylogénétiques qui relient les espèces entre elles remontent plus ou moins loin dans le passé et peuvent jouer un rôle en termes de réceptivité et de sensibilité à de nombreux microorganismes. Ce paramètre « temps » serait à prendre en compte pour étudier l’histoire des zoonoses mais nous limiterons cet article au temps présent. Le lecteur pourra se reporter à un autre texte pour la question de l’histoire des maladies infectieuses de l’homme [1].

À cela s’ajoute le fait que différentes espèces sont chassées et consommées, ou élevées et côtoyées par les humains pour de nombreuses raisons. Quelques autres vivent à nos côtés sans y avoir vraiment été invitées, étant alors qualifiées d’anthropophiles ou de synanthropes. Ceci augmente d’autant les contextes d’exposition aux microorganismes et parasites des unes et des autres, multipliant ainsi les probabilités de croiser un grand nombre de cycles épidémiologiques. D’une part la diversité des pratiques alimentaires, depuis la chasse jusqu’à l’élevage, avec des modes de consommation variés, place l’espèce humaine dans de nombreuses chaînes de contamination possibles. D’autre part, et à une toute autre échelle, la probabilité de partager entre espèces des récepteurs cellulaires susceptibles de représenter des portes d’entrée efficaces pour divers microorganismes ou parasites est élevée, au-delà même des seuls primates. Pourtant, c’est bien une richesse qu’il faut voir dans la biodiversité, certainement pas une menace [2]. L’enjeu est toujours d’apprendre à vivre ensemble, le plus grand défi étant d’ailleurs de vivre ensemble alors que nous sommes plus de 7 milliards d’êtres humains en ce début de XXIe siècle, siècle qui devrait voir la population mondiale croître encore au moins de 1 ou 2 milliards d’individus.

Faut-il donc aborder les risques sanitaires selon les groupes zoologiques des réservoirs de pathogènes, selon les voies de contamination ou les causes favorisantes, selon les types de maladies ou de microorganismes et parasites concernés ? L’ambition est de pouvoir illustrer la plus grande diversité possible des situations qui peuvent exister. Il faut donc aussi pouvoir trier entre les situations classiques, les situations nouvelles émergentes à surveiller ou avec de simples accidents aléatoires et sans conséquence prévisible. C’est pourquoi, dans le présent article, nous discutons d’abord de quelques définitions afin de permettre de fixer le langage. Les exemples de risques zoonotiques qui illustrent notre propos sont regroupés par voie de contamination ou par causes favorisantes selon trois grands schémas possibles de contamination : voie orale et alimentation, contact et voisinage, ainsi que via les vecteurs hématophages. Dans tous les cas, des activités humaines variées sont susceptibles de favoriser l’exposition.

Certains de ces exemples sont plus détaillés dans les articles suivants de ce même numéro, et des tableaux présentés à la fin de la seconde partie de ce numéro spécial apporteront des données synthétiques et panoramiques sur une bonne partie de l’ensemble des possibles. Précisons enfin que même si, par définition, une zoonose peut circuler dans les deux sens possibles, animaux vers humains et humains vers animaux, la majorité des microorganismes qui nous concerne ici se transmet des animaux vertébrés infectés vers un être humain.

2. Commentaires à propos de quelques définitions

2.1. Notion de « zoonose »

Au-delà de la définition de « zoonose » donnée par l’OMS, déjà rapportée, on peut distinguer « zoonose » de « maladie humaine d’origine animale » à partir des deux exemples suivants : rage et rougeole.

La rage, traitée en détail dans un article de ce même numéro, est l’exemple type d’une zoonose au sens strict du terme. En effet, il n’y a pas de cas humain sans un contact, une exposition, avec un animal porteur d’un virus du genre Lyssavirus et de la famille des Rhabdoviridés. Le plus souvent, l’animal est un chien domestique. Sans soin, sans prise en charge des individus contaminés, les phénomènes morbides sont les mêmes, quelle que soit l’espèce de mammifère et se terminent par la mort. Les chauves-souris sont néanmoins à considérer à part comme expliqué dans l’article correspondant.

En ce qui concerne la rougeole [3], on admet aujourd’hui que le virus responsable (Morbillivirus de la famille des Paramyxoviridés) est l’adaptation à l’espèce humaine du virus de la peste bovine. Ce virus des bovins provient peut-être de l’aurochs (Bos primigenius), disparu au XVIIe siècle, et ancêtre de tous les bovins domestiques. L’aurochs a été domestiqué il y a environ huit millénaires, au moins au Proche-Orient, donnant alors les bovins sans bosse, et du côté de la vallée de l’Indus où il a donné les bovins à bosse ou zébus. On peut donc dire que la rougeole est une maladie humaine d’origine animale. L’expérience des deux derniers siècles sur la lutte contre la peste bovine, lourde maladie de l’élevage, permet d’affirmer que ce n’était alors pas une zoonose. Les conditions du passage, ancien, d’un virus à l’autre et d’une espèce à l’autre, ne se sont sans doute pas renouvelées. La peste bovine a été officiellement éradiquée de la planète en 2011 [4], ce qui est loin d’être le cas de la rougeole. Il ne s’agit que de la deuxième éradication volontaire d’un agent microbien et de la maladie associée, après celle de la variole et de son virus à la fin des années 1970.

La distinction entre ces deux notions est surtout utile dans le cas de l’étude de l’histoire et de l’origine des maladies [1]. Comme déjà évoqué, le sujet concerne les zoonoses et nous nous plaçons dans le temps présent. Ces deux exemples permettent néanmoins de proposer une voie d’approche pour essayer de connaître les différents rôles possibles des animaux vertébrés dans l’épidémiologie des zoonoses.

2.2. Notions de « réservoir » et de « vecteur »

Si les animaux vertébrés peuvent représenter une source de contamination pour l’espèce humaine, c’est qu’ils jouent le rôle de réservoir pour ces divers agents pathogènes, parasites compris. Néanmoins, source et réservoir ne sont pas exactement synonymes. Il peut y avoir source sans la fonction biologique de réservoir, mais le réservoir est toujours la source. Une définition de « réservoir » a été proposée il y a quelques années par [5] : « One or more epidemiologically connected populations or environments in which pathogens can be permanently maintained and from which infection is transmitted to the defined target population ». Le réservoir peut donc être défini comme des populations ou des environnements reliés épidémiologiquement entre eux, dans lesquels les agents pathogènes sont maintenus de façon pérenne et à partir desquels l’infection est transmise à la population cible définie. Cette définition générale doit être reprécisée dans chaque cas de figure, en fonction des espèces, des agents pathogènes et des écosystèmes considérés. Evoquer l’environnement signifie que le réservoir peut posséder un compartiment non vivant, c’est-à-dire un élément de l’habitat des espèces en cause. On peut citer par exemple le terrier des rongeurs réservoir de la bactérie de la peste (Yersinia pestis)( figure 1 ). Dans ce cas, la bactérie ne se multiplie pas ou peu. Dans d’autres cas, le microorganisme peut se multiplier dans le réservoir environnemental. C’est le cas de Yersinia pseudotuberculosis qui est un germe tellurique. À l’inverse, le bacille du charbon bactéridien (Bacillus anthracis) ne se multiplie pas dans le sol mais, sous la forme de spores, il se trouve dans un état de résistance extrêmement efficace. Un autre point à relever dans la définition est le fait que l’espèce réservoir peut être la même que l’espèce cible et donc être réceptive et sensible à l’agent pathogène. Lors de l’arrivée de la rage vulpine en France en 1968, certains discutaient du fait que le renard roux (Vulves vulpes) puisse être le réservoir de la rage dite vulpine puisqu’il mourrait de la maladie ( figure 2 ). Selon la définition proposée plus haut [5], la population de renards est bien le réservoir même si les individus meurent de la maladie. Les mécanismes épidémiologiques reliant renards malades, virus de la rage et renards sains assurent le maintien de la rage dans le temps et dans l’espace même si les individus disparaissent.

Figure 1.

Figure 1

Chien de prairie (Cynomys sp.). Ce rongeur nord-américain est l’un des réservoirs connus de la bactérie de la peste.

Crédit photo Christophe Bulliot.

Figure 2.

Figure 2

Renard roux (Vulves vulpes). L’Europe occidentale a été confrontée à la rage du renard pendant une trentaine d’années.

Crédit photo François Moutou.

Le réservoir peut ou non inclure le ou les vecteurs qui transmettent l’agent pathogène responsable de la maladie. Pour l’OMS et certains parasitologues, les vecteurs ne peuvent être que des arthropodes hématophages chez lesquels les microorganismes subissent des transformations indispensables à leur cycle biologique. Les épidémiologistes envisagent une définition plus large avec des vecteurs qui incluent également les mollusques, mais aussi des supports inanimés capables de transporter l’agent pathogène sans qu’une partie de son cycle biologique ne s’y déroule. Ces notions de réservoirs et de vecteurs sont déclinées de manière plus détaillée dans certains ouvrages [6].

L’exemple de la fièvre jaune illustre à la fois le cas général et une exception. Naturellement présent en Afrique tropicale, l’agent de cette maladie, le virus du genre Flavivirus et de la famille des Flaviridés, est hébergé par différentes espèces de primates non humains [7]. Quelques espèces de moustiques font le lien avec l’espèce humaine. Les singes africains, réceptifs mais non sensibles, représentent bien le réservoir. Le virus a malheureusement été introduit en Amérique tropicale lors de la colonisation du Nouveau Monde par les Européens via l’intermédiaire du sinistre commerce triangulaire (Europe-Afrique-Amérique). Les singes sud-américains, qui ont évolué indépendamment des singes africains depuis au moins le milieu de l’ère tertiaire, se sont avérés réceptifs et sensibles au virus. Ils meurent de la maladie, et les mortalités constatées chez eux représentent d’ailleurs un signal d’alerte pour les populations humaines les plus proches. Les zones forestières touchées ne doivent plus être visitées ou que par des personnes correctement vaccinées. Dans le cas américain, on considère que le véritable réservoir du virus est représenté par les moustiques ou que les moustiques font partie du réservoir.

3. Contamination favorisée par voie orale et alimentaire

3.1. Considérations générales

Comme les mammifères sont hétérotrophes, ils doivent consommer des éléments organiques issus d’autres espèces vivantes. Les espèces prédatrices, insectivores, piscivores, carnivores, ou même nécrophages s’exposent de ce fait aux microorganismes et aux parasites présents dans leurs proies ou avalés avec leur nourriture qui serait souillée. Il y a longtemps que le parasitisme par voie alimentaire existe, probablement depuis les débuts de la vie [8]. Comme les herbivores sont également parasités, le plus souvent via leur nourriture souillée, on comprend que les parasites et les agents microbiens ont vraiment investi tous les réseaux trophiques. Au niveau évolutif, on peut remarquer que le système immunitaire adaptatif apparaît avec les vertébrés à mâchoires (Gnathostomes). Le reste du règne animal ne dispose que du système immunitaire inné. Il est difficile de croire qu’il ne s’agit que d’une coïncidence [9]. Faire le lien avec le risque parasitaire par voie orale est tentant.

Dans l’espèce humaine, faire baisser le risque de contamination n’est sans doute pas la seule raison pour laquelle les aliments sont cuits, mais c’en est une parmi d’autres ( figure 3 ). Le fait est que, en étant omnivore, l’espèce humaine s’est exposée depuis longtemps à des parasites de prédateurs et d’herbivores. L’étude fine de certains cycles parasitaires aboutit à considérer l’espèce humaine comme la source de contamination de certaines espèces animales après les avoir domestiquées, et non le contraire. Ce serait le cas des cestodes du genre Taenia de l’homme retrouvés sous forme larvaire chez les bovins et les porcins [10].

Figure 3.

Figure 3

Préparation culinaire traditionnelle à base de viande et sang frais de porc destinée à être mangé crue (région de Mae Muang Luang/Chang Mai, Thaïlande du Nord). Ce type d’aliment peut exposer à diverses contaminations (hépatite E, toxoplasmose, trichinellose, cysticercose…).

Crédit photo Marc Desquesnes.

De nombreux parasites digestifs, ou ayant un mode de contamination par voie orale, sont rencontrés à la fois dans l’espèce humaine et chez divers vertébrés, avec des échanges possibles. Ces parasites sont globalement bien maîtrisés dans certains pays mais sont encore présents dans d’autres. Des mouvements de population, quels qu’en soient les motifs, y compris les voyages touristiques, peuvent les faire apparaître loin de leurs régions géographiques d’origine. La possibilité de voir s’installer de nouveaux cycles parasitaires en dehors de leurs zones de présence naturelle illustre une des questions liées aux espèces exotiques possiblement envahissantes. Il semble vraiment difficile d’anticiper le futur d’une introduction : extinction sans suite, maintien à bas bruit, explosion et envahissement rapides ou différés. La nécessité, ou non, d’hôtes intermédiaires dans le cycle évolutif peut compliquer la tâche de certains parasites et favoriser les espèces introduites par rapport aux espèces indigènes. Cela a été bien étudié à la suite du rempoissonnement des récifs hawaïens au milieu du XXe siècle par des poissons issus des îles Marquises [11]. Les poissons introduits se sont trouvés avantagés par rapport aux derniers poissons résidents car les hôtes intermédiaires des parasites des poissons introduits n’étaient pas présents à Hawaï. L’absence d’hôtes intermédiaires compétents pour leurs parasites a entraîné peu à peu leur disparition. Les nouveaux poissons n’avaient plus d’énergie à dépenser contre des parasites. Ce cas de figure a existé avec l’espèce humaine lorsqu’elle a conquis de nouveaux territoires non encore habités. La poursuite du peuplement humain s’est terminée par l’apport progressif des parasites et des divers hôtes intermédiaires nécessaires aux différents cycles là où les conditions d’environnement le permettaient.

3.2. Trichinelloses

La diversité et la complexité des cycles parasitaires commencent à être assez bien connues. Des nématodes comme les trichines (Trichinella spp.) ont poussé leur spécialisation assez loin en ne cyclant qu’entre mammifères et sans phase libre dans l’environnement. Aujourd’hui, dans ce cas, le risque est maîtrisé en élevage mais subsiste dans la faune sauvage, qu’il s’agisse du sanglier (Sus scrofa) ou des carnivores sauvages ( figure 4 ). Pour la santé humaine, le contrôle associé correspond à des pratiques culinaires adaptées en aval lorsque de la viande de sanglier est consommée, fraîche ou après conservation. En Europe, le plus simple serait de ne pas consommer de viande de carnivores sauvages. Bien que cela ne soit pas fréquent, le renard, qui est classé comme espèce de gibier chassable en France, est parfois consommé. Il n’y a pas de raison de chercher à intervenir sur ce réservoir. Les derniers cas publiés de contamination humaine en France liés à de la viande de carnivore correspondent à une importation illégale, puis à une consommation de viande d’ours noir américain (Ursus americanus) chassé légalement au Canada [12].

Figure 4.

Figure 4

Sanglier (Sus scrofa). Des cas humains de trichinellose sont régulièrement diagnostiqués chez des consommateurs de viande de sanglier.

Crédit photo François Moutou.

3.3. Encéphalopathie spongiforme bovine

L’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), plus connue sous le nom de maladie de la vache folle, présente une forme épidémiologique particulière. Dans tous les cas, les animaux se sont contaminés par voie alimentaire à partir d’un aliment commun, les farines de viande et d’os (FVO) jusqu’à leur interdiction définitive en 2000. On parle d’une anazootie dans ce cas de figure, c’est-à-dire de la contamination des bovins à partir d’une même source alimentaire mais sans transmission horizontale entre animaux, de vache malade à vache saine. Le schéma est donc bien différent de celui d’une épidémie. Les cas humains ont été consécutifs à la consommation de divers organes issus de bovins contaminés et infectieux. On peut aussi parler d’anadémie dans ce cas. L’anazootie et l’anadémie correspondantes, originaires du Royaume-Uni, auront duré une vingtaine d’années et provoqué une profonde crise de confiance entre les consommateurs, les producteurs de viande et les pouvoirs publics. Les conséquences en termes de biologie sont également importantes. L’agent infectieux incriminé, appelé prion, pour « protéine infectieuse », pose quelques questions fondamentales encore actuellement débattues [13]. Comme on n’a pas encore trouvé d’acide nucléique à son niveau, le prion pourrait modifier les mécanismes connus de transmission d’informations génétiques qui pourraient alors se réaliser sans la présence démontrée d’ADN.

3.4. Cas du SRAS

Un autre cas assez démonstratif a émergé avec l’épisode du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) dû au coronavirus SRAS-CoV fin 2002 et début 2003 dans le sud de la Chine [14]. La voie de contamination comme les facteurs facilitants restent délicats à bien cerner. Peu après le début de l’épisode, on en est venu à la conclusion que les premières contaminations humaines avaient eu lieu à partir de civettes palmistes masquées (Paguma larvata), petits mammifères carnivores de la famille des Viverridés et consommés en Chine du Sud ( figure 5 ). Les premières personnes contaminées n’ont pas été des éleveurs, ni des chasseurs, ni des marchands, ni même des consommateurs, mais les cuisiniers de restaurants les proposant sur leurs menus. Mais quel mode de contamination était en cause : voie orale, inhalation, contact ? La contamination interhumaine a pris le relais avec un nombre important de transmissions nosocomiales des personnels soignants dans les divers hôpitaux locaux. Il ne semble pas que le nombre de patients directement contaminés et infectés par des civettes parmi les 8 000 cas recensés dans le monde soit très élevé. On est très vite passé de la situation « zoonose » à une situation « maladie humaine d’origine animale » dans ce cas. Tous les virus identifiés chez des animaux étaient des « SRAS-like », différents du virus pathogène pour l’homme.

Figure 5.

Figure 5

Civette (Paguma larvata). L’élevage de la civette palmiste masquée a pu contribuer à l’émergence du SRAS.

Crédit photo François Moutou.

Les études ultérieures ont montré que l’ancêtre possible ou probable du virus du SRAS était présent chez diverses espèces de chauves-souris asiatiques, espèces chez lesquelles on n’avait jamais recherché de coronavirus auparavant, ni en Asie, ni ailleurs ( figure 6 ). L’analyse de l’épidémie permet d’exclure une contamination directe à partir du réservoir chiroptères et indique que les civettes ont probablement joué le rôle de vecteur vers l’espèce humaine, vecteur au sens épidémiologique. Encore aujourd’hui, il n’est pas possible de savoir quand le passage chauve-souris - civette a eu lieu, ni où le passage d’une forme non ou très faiblement pathogène du virus vers une forme hautement pathogène pour l’homme s’est effectué [15]. La notion de réservoir se complique puisque le « vrai » virus du SRAS n’a été retrouvé que chez des malades humains. Les chiroptères hébergent des ancêtres potentiels de formes pathogènes et les civettes une forme plus proche du virus pathogène humain mais néanmoins distincte.

Figure 6.

Figure 6

Chauve-souris (Cynopterus sp.). Le réservoir du coronavirus du SRAS est probablement à rechercher chez diverses espèces de chauves-souris.

Crédit photo François Moutou.

4. Contamination favorisée par contact ou par voisinage

En étudiant attentivement le cas du SRAS, on peut se demander à nouveau quelle est la vraie voie de contamination, quelle en est la véritable cause favorisante. Comme déjà évoqué, la catégorisation des voies de transmission des microorganismes et des parasites entre vertébrés, espèce humaine comprise, est en partie artificielle. L’essence même de la vie est d’être inventive et ne pas se laisser cataloguer trop facilement. Voici d’autres exemples concernant des virus, des bactéries, des parasites qui vont permettre de préciser « contact » et « voisinage ». Le contexte de chaque schéma épidémiologique apporte des éléments qui seront repris dans la discussion.

4.1. Cas des Hantavirus des rongeurs

Les Hantavirus, Bunyaviridés responsables des formes cliniques graves de fièvres hémorragiques à syndrome rénal chez l’homme, peuvent entrer dans cette catégorie [16]. Il s’agit de virus largement représentés à la surface du globe par des souches ou des « espèces » différentes, toujours hébergées naturellement par des espèces particulières de rongeurs, espèces distinctes selon les régions. En France et en Europe, la souche Puumala est la plus présente, portée par un rongeur forestier, le campagnol roussâtre (Myodes glareolus). Bien que largement présente en France, cette espèce de rongeur ne transmet le virus pratiquement que le long de la frontière belge dans le massif des Ardennes. Excrété par les urines du rongeur, le virus survit très bien dans les poussières accumulées là où séjournent ces micromammifères, sous un tas de bois par exemple. En ramassant les dernières bûches, une personne peut créer un aérosol de microparticules. Si le virus s’y trouve, la personne peut alors se contaminer en inhalant des poussières virulentes. En conséquence, dans un local auquel les campagnols auraient accès en zone d’endémie, une maison forestière par exemple, il ne faut pas balayer mais aspirer le jour où l’on fait le ménage.

4.2. Cas de virus Poxviridés de rongeurs

Deux exemples proches, associés à des rongeurs de compagnie, ont concerné des virus de la même famille que celui de la variole humaine, d’où leur importance. Début 2010, plusieurs cas de lésions cutanées à cowpox, infection causée par un virus du genre Orthopoxvirus, famille des Poxviridés, ont été signalés chez des propriétaires de rats de compagnie (Rattus norvegicus) issus du même éleveur en Europe centrale et distribués dans diverses animaleries d’Europe occidentale [17]. Les lésions étaient localisées sur les joues ou sur le cou des patients, les personnes portant volontiers leur rat sur l’épaule, au contact de leur peau.

Quelques années auparavant, un premier épisode assez sérieux avait eu lieu aux États-Unis à la suite de l’importation légale au Texas de 800 rongeurs sauvages africains, de plusieurs espèces, issus du Ghana et également destinés au commerce des animaux de compagnie [18]. Dans ce cas-là, le virus identifié était le monkeypox, autre Orthopoxvirus de la même famille des Poxviridés, probablement plus à craindre que le cowpox. Ces animaux étaient entrés aux USA sans contrôle sanitaire particulier. La voie de transmission du virus des rongeurs africains aux humains est assez intéressante à expliquer. Le virus est passé par des chiens de prairie (Cynomys spp.) nord-américains en vente dans les mêmes animaleries et contaminés au contact des rongeurs africains d’une cage à l’autre. Les chiens de prairie sont des rongeurs (groupe des écureuils fouisseurs/terrestres) assez populaires comme animaux de compagnie ( figure 1 ). Le virus a circulé dans les points de vente proposant au public les deux groupes de rongeurs. Les chiens de prairie ont exprimé la maladie et en sont morts, ce qui a permis d’identifier le virus alors qu’il n’a jamais été possible de l’isoler à partir des rongeurs africains examinés a posteriori. Les lésions observées chez les personnes touchées étaient cutanées et liées à la manipulation de leurs chiens de prairie.

Depuis la disparition de la variole humaine, le virus responsable du monkeypox est surveillé par l’OMS en Afrique car ce virus est assez proche de celui de la variole. Les générations humaines actuelles les plus jeunes, non vaccinées contre la variole, pourraient s’avérer réceptives et sensibles à ces autres virus Poxviridés, naturellement rencontrés chez des rongeurs et des primates non humains. À ce jour, les cas restent heureusement sporadiques [19]. Les animaleries représentent ainsi de nouveaux « laboratoires ». Elles permettent la mise en contact d’espèces de continents différents et offrent à leurs microorganismes et parasites des possibilités d’échanges et de recombinaisons impensables dans les conditions naturelles. Comment anticiper toutes les conséquences possibles ?

4.3. Maladie due au virus Ebola

On peut encore citer le cas du virus Ebola, du genre Filovirus et de la famille des Filoviridés [19]. Il semble bien que le virus se transmette par contact direct avec un animal virulent, un grand singe, chimpanzé ou gorille, trouvé mort par exemple. Tous les fluides d’un individu malade sont virulents. Le cadavre reste virulent durant environ 48 h. Le risque doit être moindre lors de la consommation de viande de faune sauvage, appelée « viande de brousse », surtout si celle-ci a subi différents traitements tels que fumage (« boucanage ») ou cuisson. Le virus n’est pas si résistant. On remarque d’ailleurs que s’il est toujours délicat de tracer le véritable cas primaire, l’évolution de chaque épidémie s’explique ensuite, malheureusement, par de nombreux contacts interhumains, entre parents, avec du personnel soignant, mais que le retour vers le réservoir sauvage ne semble pas vraiment nécessaire pour entretenir l’épidémie. L’importance de l’épidémie de 2014-2015 en Afrique de l’Ouest (Guinée, Libéria, Sierre Leone) s’explique malheureusement beaucoup plus par des problèmes de logistique, d’organisation, de mauvaises structures locales que par des difficultés liées au virus ou à son épidémiologie [20].

4.4. Sida et VIH

L’histoire de l’émergence des lentivirus responsables du syndrome de l’immunodéficience acquise (sida) chez l’homme commence à être mieux cernée et les divers virus décrits sont peu à peu associés à quelques espèces de primates non-humains africains [21]. Les virus humains VIH-1 et VIH-2 s’avèrent clairement issus de lentivirus simiens, les SIVs, qui semblent globalement bien supportés par les espèces de singes infectées, ce qui n’est pas le cas des VIHs chez l’homme. Ainsi, les virus VIH-1 des groupes M (responsable de la pandémie actuelle de sida) et N (quelques rares cas connus) seraient issus de SIVs de chimpanzés, ceux des groupes O (épidémique) et P (rarissime) de SIVs de gorilles (eux-mêmes issus de SIVs de chimpanzés), et VIH-2 de virus SIV de mangabey [21, 22]. Le contexte et le moment de ces passages inter-espèces, de ces adaptations à l’espèce humaine, font encore l’objet de nombreuses études. Aujourd’hui, le sida est néanmoins une maladie humaine qui s’entretient sans repasser par le réservoir animal.

4.5. Leptospirose

La leptospirose est une maladie bactérienne de répartition cosmopolite, présente en France, dont l’agent, Leptospira interrogans (avec de multiples sérovars, tous potentiellement pathogènes pour l’homme), est hébergé dans le rein de nombreux rongeurs qui constituent le principal réservoir. Elle existe aussi chez d’autres groupes de mammifères sauvages et domestiques, parmi lesquels le chien, le porc et les ruminants [23]. Les leptospires sont excrétées par les urines des sujets infectés et résistent parfaitement dans l’eau ou un environnement humide. Elles ne traversent pas une peau saine mais peuvent pénétrer au travers d’une écorchure, d’une érosion cutanée ou d’une morsure, d’une muqueuse ou d’une peau qui a longtemps séjourné dans l’eau. La leptospirose, considérée comme une maladie d’origine hydrique, est souvent une zoonose professionnelle, mais parfois aussi liée aux loisirs. En effet, comme les rongeurs amphibies sont particulièrement concernés par le portage de ces bactéries, l’eau de baignade dans laquelle humains et rongeurs nagent représente une source possible de contamination. Par ailleurs, les conséquences du changement climatique sur l’usage de l’eau peuvent modifier les courbes d’incidence et de prévalence de cette maladie [24].

5. Contamination par vecteur hématophage

L’exemple du paludisme peut illustrer à la fois la diversité des situations rencontrées ainsi que les évolutions possibles [25, 26]. Classiquement, quatre espèces du genre Plasmodium sont actuellement associées à l’espèce humaine : P. falciparum, P. malariae, P. ovale, P. vivax. Cependant, la réalité pourrait être plus complexe car dans certaines régions d’Asie du Sud-Est, les diagnostics effectués sur frottis ne permettaient pas de distinguer certaines espèces de parasites issus des primates non humains avec ceux des humains. C’est ainsi que Plasmodium knowlesi est régulièrement confondu avec P. malariae et le paludisme zoonotique associé probablement bien sous-estimé. Le développement des outils de biologie moléculaire dans les laboratoires d’analyse devrait réduire les erreurs diagnostiques. Il semble que pour l’instant, il n’existe pas de transmission d’homme à homme de P. knowlesivia les anophèles, parasite qui reste bien strictement zoonotique avec un réservoir constitué de plusieurs espèces de primates asiatiques ( figure 7 ). Il en est de même avec P. cynomolgi des singes asiatiques qui a pu être confondu en microscopie chez l’homme avec P. vivax. Par ailleurs, les deux espèces de plasmodium qui existent chez les singes américains, P. simium et P. brasilianum, seraient des descendants de P. vivax, installé dans le Nouveau Monde après l’arrivée des Européens et des esclaves africains en Amérique tropicale. Dans ce cas, ce sont les humains qui ont été à l’origine de la contamination des singes par l’intermédiaire des moustiques locaux. Enfin, de récentes études de phylogénie parasitaire ont conclu que P. falciparum serait le descendant d’un plasmodium de gorille qui se serait « humanisé ». Dans ce cas-là, le parasite du gorille n’est plus un agent de zoonose aujourd’hui, mais il est à l’origine de l’espèce strictement humaine qu’est devenu P. falciparum.

Figure 7.

Figure 7

Macaque crabier (Macaca fascicularis). Présent le long des rivages d’Asie du Sud-Est, le macaque crabier héberge un plasmodium (P. knowlesi) qui peut contaminer l’espèce humaine.

Crédit photo François Moutou.

6. Discussion

Dans un premier temps, la complexité et la diversité des situations, l’imbrication des voies de contamination possibles et de leurs causes favorisantes brouillent l’analyse. Pourtant la lecture fine de chaque épisode met presque à chaque fois en avant un épisode ponctuel de passage du réservoir sauvage vers l’espèce humaine, le plus souvent via un intermédiaire.

Une maladie classique de l’élevage comme la brucellose (bactéries du genre Brucella) devait préexister chez les ruminants sauvages avant l’époque néolithique. L’espèce humaine a donc dû y être confrontée d’abord autour de la manipulation des carcasses des animaux chassés, puis au contact des premiers troupeaux domestiques. Plusieurs décennies de lutte ont permis de s’en débarrasser en Europe à la fin du XXe siècle. En France, un épisode complexe qui a débuté fin 2011 avec un cas humain, suivi d’un deuxième cas humain puis d’un cas dans un troupeau bovin au printemps 2012, a débouché sur la mise en évidence d’un réservoir sauvage insoupçonné jusque-là, les bouquetins des Alpes (Capra ibex). Les bouquetins ont dû héberger la bactérie depuis au moins l’année 1999, date du dernier foyer domestique dans cette vallée. Une seule transmission semble avoir eu lieu des bouquetins aux bovins mais, via le lait du troupeau contaminé, le reblochon au lait cru fabriqué sur place a pu infecter deux consommateurs. Le contrôle de ce réservoir sauvage inattendu, du fait entre autres de son statut d’espèce protégée, pose des problèmes particuliers pour sa maîtrise ( figure 8 ). On ne peut aborder de la même manière la brucellose dans un troupeau bovin et dans une harde de bouquetins [27].

Figure 8.

Figure 8

Chèvre domestique et bouquetin (Capra ibex) dans les Alpes. Le contact entre ces deux espèces peut expliquer leur contamination réciproque par divers microorganismes pathogènes et zoonotiques.

Crédit photo Jean-Marie Gourreau.

Depuis 2012, le nouveau coronavirus (CoV) qui circule au Proche-Orient et responsable du MERS (Middle-East respiratory syndrome) en est un bon exemple [28]. Il s’agit d’un nouveau coronavirus dont l’ancêtre semble également se trouver chez différentes espèces de chauves-souris, comme dans le cas du SRAS. Les raisons de son évolution et les voies de passage vers l’espèce humaine sont toujours hypothétiques. Le dromadaire (Camelus dromedarius) pourrait jouer le lien entre les chauves-souris et les cas humains, mais les « raisons » de cette émergence ne sont pas encore explicitées. La transition depuis les virus présents chez les chauves-souris jusqu’au MERS-CoV humain n’est toujours pas comprise. Ceci complique d’autant les mesures préventives que l’on peut proposer aux populations apparemment exposées. Pourquoi un coronavirus, pourquoi au Proche-Orient, pourquoi à partir de 2012, pourquoi le dromadaire ? Le passage vers le dromadaire est-il ancien ou récent ? S’agit-il des bonnes questions ?

Que dire de l’histoire partagée, espèce humaine - espèces animales, des influenzavirus ? H1N1, H3N2, H5N1, H5N8, H7N7, H7N9, la liste des émergences plus ou moins réussies n’en finit pas de s’allonger depuis le seul début du XXIe siècle. Selon que l’approche sera médicale, épidémiologique ou virologique, les points de vue seront probablement assez différents. À ce jour rien de comparable avec la grande épidémie qui a sévi au début du XXe siècle ne s’est produit. Faut-il s’y attendre, s’y préparer ? Les conditions actuelles sont-elles trop différentes ? Comment savoir ? Mais là aussi, où est le risque ? Les oiseaux hébergent la diversité connue des influenzavirus [29, 30]. Il devient presque possible aujourd’hui, avec les outils de la biologie moléculaire, de retracer l’histoire de n’importe quelle souche identifiée, depuis une sortie du réservoir aviaire vers un mammifère, homme ou porc par exemple. C’est important mais ce n’est pas encore suffisant pour, à l’inverse, prétendre prévoir, anticiper, un nouveau passage inter-espèce, ni les conséquences sanitaires possibles. Les questions posées sont de deux ordres. Quelle est la probabilité qu’un virus quitte le réservoir animal vers l’espèce humaine ? Cette probabilité n’est jamais nulle mais paraît faible au vu des événements passés. Quelles sont les conséquences d’un tel passage vers l’espèce humaine ? Elles sont peu prévisibles a priori, mais l’influence de facteurs anthropiques peut modifier les paramètres épidémiologiques. Les impacts sanitaires, économiques, sociaux, sociétaux en dépendent. Or les comportements humains sont encore plus délicats à anticiper et à modéliser que les paramètres épidémiologiques classiques. Faut-il insister sur la probabilité, jamais nulle, de l’échappement d’une souche microbienne depuis le réservoir vertébré, ou doit-on chercher à mieux maîtriser les conséquences sanitaires évidentes de la mondialisation ? Faut-il considérer l’espèce humaine seulement comme une victime ou faut-il la considérer comme un acteur majeur des cycles épidémiologiques qui la concernent ?

Dans certains cas, la meilleure connaissance du réservoir animal vertébré ne modifie pas considérablement les enjeux sanitaires associés. La mise en évidence de l’importance des chiroptères dans la diversité et l’ancienneté des Lyssavirus, même l’existence d’un nombre important d’espèces réservoirs sauvages chez les mammifères terrestres à la surface de la planète, ne change pas le fait que plus de 99% des cas humains de rage sont liés à des morsures de chiens domestiques [31]. L’urgence est donc, dans ce cas, soit d’améliorer la prise en charge des personnes exposées, soit de mettre sous contrôle le réservoir canin, soit probablement d’agir aux deux niveaux, mais pas de n’agir qu’au niveau des réservoirs sauvages. Dans le cas du SRAS il y a 10 ans, fallait-il craindre les virus hébergés par les chiroptères ou l’élevage et la consommation de civettes ? Dans le cas de l’épidémie de grippe aviaire à H5N1 ces dernières années, fallait-il craindre les migrations des oiseaux sauvages ou le commerce international mal maîtrisé des poulets de consommation ? Rappelons qu’environ 10% de la production mondiale de poulets de consommation voyagent entre pays et continents. Dans le cas du virus Ebola aujourd’hui, faut-il craindre le réservoir sauvage, quel qu’il soit, le commerce et la consommation de viande brousse, ou les guerres civiles qui détruisent le tissu social, les administrations, la confiance intra-humaine de pays entiers ? Dans le cas des poxvirus, faut-il craindre l’arrivée d’un succédané de la variole à partir d’un réservoir animal ou le commerce international et non maîtrisé des animaux exotiques de compagnie ?

7. Conclusion

Et si le véritable enjeu était d’apprendre, enfin, à vivre ensemble ? Le rôle des vertébrés dans l’épidémiologie des zoonoses est peut-être simplement de permettre le maintien d’une large population microbienne et parasitaire, capable d’évoluer et de faire face aux diverses pressions évolutives rencontrées dans les divers écosystèmes habités. Il ne faut pas non plus se méprendre sur le terme « rôle » qui pourrait sous-tendre une intention qui, bien sûr, n’existe pas. Les vertébrés n’entretiennent pas ces microorganismes et ces parasites juste pour pouvoir les transmettre à l’espèce humaine ! Alors, doit-on considérer biodiversité et santé comme des amies ou comme des ennemies ?

La diversité des microbes ne peut se comprendre qu’au sein d’une biodiversité tout aussi vaste d’hôtes vertébrés, mais également invertébrés, champignons, végétaux, espèces et individus. Une notion intéressante et importante actuellement débattue est celle du « rôle » possible de cette double biodiversité, parasites au sens large et hôtes, dans la « dilution » des souches pathogènes, ce qui se traduirait par un effet positif de cette même biodiversité sur la santé à l’échelle de la planète [32 et voir aussi 33 pour une lecture critique]. D’une part, le rythme actuel d’érosion de la biodiversité est tel que si jamais cette hypothèse avait un certain fondement, elle ne pourrait être démontrée qu’a contrario, ce qui représenterait une bien maigre consolation. D’autre part, imaginer que l’espèce humaine serait extérieure aux écosystèmes qu’elle habite au point de ne pas agir sur les cycles épidémiologiques qu’elle y croise serait irresponsable.

Les questions posées n’ont certainement pas comme réponse oui ou non, blanc ou noir. Raison de plus pour chercher des réponses nuancées, responsables et communes entre les diverses médecines humaines et animales.

Déclaration d’intérêts :

l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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