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. 2014 Feb 18;2014(459):29–39. [Article in French] doi: 10.1016/S1773-035X(14)72362-7

Sources et devenir des micro-organismes pathogènes dans les environnements aquatiques

Sources and fate of pathogenic microorganisms in aquatic environments

Julia Baudart a,b,*, Nathalie Paniel a,b
PMCID: PMC7140293  PMID: 32288818

Résumé

Un grand nombre d’infections humaines d’origine hydrique sont causées par des micro-organismes qu’il s’agisse de virus, de bactéries ou encore de protozoaires. Ces micro-organismes sont soit naturellement présents dans les environnements aquatiques, soit transférés au sein de ces derniers via des sources d’origine fécale. Ils séjournent dans ces environnements pendant un temps plus ou moins long avant de contaminer un nouvel hôte. Les environnements aquatiques sont soumis à une forte variabilité de leurs paramètres physicochimiques et abritent une vaste communauté microbienne plus ou moins adaptée à ces changements environnementaux. Ainsi les interactions entre les micro-organismes, qu’ils soient pathogènes ou non, sont nombreuses et certaines d’entre elles sont encore aujourd’hui méconnues. L’objectif de cet article est de présenter les interactions connues entre certains micro-organismes pathogènes et le milieu naturel en abordant notamment la diversité des sources de contamination, leur contribution dans la pollution microbiologique des milieux aquatiques, et le devenir des pathogènes dans des environnements notamment au travers des stratégies de survie que certains sont capables de développer.

Mots clés: Pathogènes, environnements aquatiques, sources de contamination, compostage, interactions, antibiotiques, viable mais non cultivable

1. Introduction

L’eau est un élément indispensable à la vie sur terre. La terre, dont 71 % de la surface est occupée par les océans et les mers, est majoritairement couverte par des eaux salées (97,2 % de l’hydrosphère terrestre). La part représentée par les eaux douces n’est que de 2,8 % et seule une infime fraction est exploitable par l’Homme. Quelle que soit son origine, marine ou continentale, l’eau sert à la fois de ressource (apports alimentaires, loisirs, usages industriels et agricoles…) mais aussi de cadre environnemental ou patrimonial (habitat) et supporte un certain nombre d’usages et d’activités humaines. Dans ces environnements, la composante microbienne est diversifiée ; elle est représentée par des virus, des bactéries, des protozoaires, des algues unicellulaires ou encore des champignons microscopiques qui en interagissant entre eux et avec leur environnement jouent un rôle majeur dans le fonctionnement de ces écosystèmes. Cependant, ces écosystèmes peuvent contenir des micro-organismes qui sont susceptibles de provoquer des maladies plus ou moins graves chez l’Homme (tableau I ). Ainsi les environnements aquatiques exploités par l’Homme et pour l’Homme – qu’ils soient marins ou continentaux – sont assujettis à une haute surveillance de leur qualité microbiologique. Les maladies transmises par l’eau constituent l’un des problèmes de santé majeur des pays en voie de développement. En effet, les nombreuses épidémies signalées depuis 2000 montrent que les agents pathogènes transmis notamment par l’eau potable demeurent un problème récurrent. Ainsi, les diarrhées infectieuses liées à l’eau provoquent à elles seules chaque année 3 millions de décès dans le monde selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé). Ces problèmes sanitaires n’échappent pas aux pays membres de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). L’amélioration de la qualité des eaux exploitées à des fins d’alimentation ou d’usage humain est encore aujourd’hui un enjeu majeur de santé publique y compris dans les pays industrialisés. Cette amélioration concerne les eaux potables et leurs réseaux, les eaux de surface continentales, les nappes phréatiques exploitables mais également les eaux marines de plus en plus sollicitées pour l’alimentation, l’usage récréatif ou encore la production aquacole.

Tableau I.

Principaux micro-organismes pathogènes de sources aquatiques.

Groupe Pathogènes Maladies
Virus Adénovirus Diarrhées, infections des yeux, maladie respiratoire
Astrovirus Diarrhées
Calicivirus Diarrhées
Entérovirus (polio, echo, coxsackie) Méningite, paralysie, rougeurs, fièvre, myocardite, maladie respiratoire, diarrhées
Réovirus Maladie respiratoire, entérite
Rotavirus Diarrhées
Virus hépatite A et E Hépatite
Virus de Norwalk Diarrhées
Bactéries Campylobacter Diarrhées
Escherichia coli (certaines souches) Diarrhées
Legionella Pneumonie, autres infections
respiratoires
Mycobacterium tuberculosis Tuberculose
Salmonella Fièvre typhoïde, diarrhées
Shigella Diarrhées, dysenteries
Vibrio cholerae Diarrhées
Yersinia enterocolitica Diarrhées
Cyanobactéries Anabaena Diarrhées,carcinogènes
Aphanizomenon Diarrhées,carcinogènes
Microcystis Diarrhées
Protozoaires Cryptosporidium Diarrhées
Entamoeba histolytica Dysenterie amibienne
Giardia intestinalis Diarrhées
Naegleria Méningoencéphalite
Helminthes Ascaris lumbricoides Ascaridiose
Necator americanus Ankylostome
Schistosoma mansoni Schistosomiase ou bilharziose (complications affectant le foie, la vessie et le gros intestin).
Taenia saginata Ténia du boeuf
Trichuris trichiura Trichuriasis trichocéphale

Ce chapitre est destiné à apporter un éclairage original sur l’écologie des micro-organismes pathogènes dans les écosystèmes naturels. C’est une vaste notion qui aborde notamment la problématique des interactions existant entre les micro-organismes pathogènes et leur environnement.

2. Voies de transmission à l’Homme

Un agent pathogène est un organisme qui présente des mécanismes favorisant la colonisation directe ou indirecte d’un hôte pour se multiplier en son sein. Cette colonisation conduit à l’altération graduelle de certains organes, à la fragilisation de certaines barrières, la conséquence étant le développement d’une infection qui peut conduire à la mort de l’hôte. Les agents responsables d’infections peuvent être des pathogènes primaires ou spécifiques et des pathogènes opportunistes. Les premiers sont responsables de maladies chez un hôte sain quelles que soient les défenses immunitaires de ce dernier. Toutefois, dans certains cas, l’agent pathogène peut ne pas générer d’infection chez l’organisme hôte, que l’on considère alors comme un porteur sain asymptomatique. Chez les animaux, le portage asymptomatique peut être fréquent. Ces derniers constituent alors de véritables réservoirs qui jouent un rôle important dans la dissémination vers les milieux naturels d’agents pathogènes comme par exemple les salmonelles [1]. Lors de phases cliniques, un porteur symptomatique peut excréter jusqu’à 108 à 1010 salmonelles par gramme de matières fécales (tableau II ) et un porteur sain peut excréter entre 107 à 109 salmonelles par gramme de matières fécales. Dans le cas des salmonelles, ce portage sain a été mis en évidence au sein d’élevages aviaires mais aussi chez d’autres espèces animales telles que les bovins. Les raisons de ce portage sain ne sont pas pleinement connues, mais pourraient être liées entre autres à des caractères génétiques du porteur et à son alimentation. Les pathogènes opportunistes sont quant à eux présents dans l’environnement ou dans la flore commensale (intestinale, cutanée, voies respiratoires, génitales…) de l’hôte. Ils se distinguent des pathogènes primaires par la colonisation d’hôtes fragilisés (immunodépression, grossesse, personnes âgées, autres pathologies sous-jacentes, etc.). Ainsi, la pathogénicité de ces organismes ne s’exprime que si les conditions offertes par leurs hôtes leurs sont favorables.

Tableau II.

Niveau d’excrétion des salmonelles en fonction de l’hôte.

Hôte Sérotype Niveau d’excrétion Durée de l’excrétion
Mouton Salmonella Typhimurium inconnu 71 jours
Salmonella Dublin 103–105 UFC/g de fèces 400 jours
Porc Salmonella Typhimurium 106 UFC/g de fèces pendant les deux premières semaines puis 104 UFC/g de fèces 5 mois
Salmonella Choleraesuis 102-103 UFC/g de fèces 12 semaines
Poulet Salmonella Enteritidis 101-107 UFC/g de caecum 24 semaines
Salmonella Gallinarum Niveau bas ---
Salmonella Typhimurium 101-105 UFC/g de fèces 87 jours
Souris Salmonella Typhimurium 108-1010 UFC/g de fèces 125 jours
Homme Salmonella Typhi 106-1010 UFC/g de matières fécales 40 ans

Extrait de [1]

Dans les environnements aquatiques, les micro-organismes pathogènes, qu’ils soient spécifiques ou opportunistes, peuvent faire partie intégrante de la communauté microbienne naturelle. C’est le cas par exemple des légionelles, des vibrios et des amibes, qui sont des germes autochtones aux milieux naturels. Dans d’autres cas, ils peuvent être transmis aux milieux naturels via les rejets de matières fécales d’un hôte infesté ou d’une eau polluée par des matières fécales d’origine humaine ou animale (pathogène allochtone aux milieux naturels). Les pathogènes présents dans les systèmes hydriques sont transmis à l’Homme par différentes voies telles que, les voies cutanées et conjonctivales, les voies respiratoires, la voie orale ou bien digestive. Le franchissement de la barrière cutanée par un pathogène est généralement favorisé par l’apparition d’une plaie. Ces infections sont souvent bénignes mais peuvent s’aggraver dans le cas de plaies profondes et d’infections liées à des pathogènes primaires comme Staphylococcus aureus. D’autres exemples peuvent être énoncés, comme les larves infestantes de la bilharziose qui peuvent pénétrer dans l’organisme humain par voie transcutanée lors d’un bain dans une eau contaminée. Cette voie d’infection concerne également les micro-organismes présents dans l’eau de mer, notamment certaines micro-algues planctoniques qui produisent des toxines provoquant des sensations de brûlures et de démangeaisons, c’est le cas par exemple, du dinoflagellé Ostreopsis ovata qui produit de la palytoxine.

Le passage des pathogènes par les voies respiratoires est dû à l’inhalation des micro-organismes présents dans l’air (bioaérosols). Les aérosols générés par les douches, les Spa, les fontaines décoratives ou encore les tours aéroréfrigérantes sont à l’origine de certaines infections respiratoires comme la fièvre de Pontiac – forme bénigne de la légionellose – ou la maladie du légionnaire, correspondant à la légionellose proprement dite. Ces infections sont causées par les bactéries du genre Legionella. Les systèmes d’épandage, la proximité de bassins d’aération de stations d’épuration [2] ainsi que la présence de plateformes de compostage à ciel ouvert constituent d’autres sources d’aérosols pouvant représenter un danger pour la santé humaine.

Parmi les voies d’entrée dans l’organisme humain, la voie digestive constitue de loin la voie la plus importante, que ce soit par l’ingestion d’une eau contaminée ou encore par la consommation d’un animal ou de fruits ou légumes consommés crus et contaminés par l’eau environnante polluée. La contamination de l’eau a pour origine, dans la majorité des cas, les matières fécales qui contiennent des micro-organismes pathogènes d’origine entérique. Leur mode de transmission suit donc une voie oro-fécale. C’est le cas du protozoaire Entamoeba histolytica, un agent responsable de la dysenterie amibienne dans les pays tropicaux, qui est liée à l’ingestion d’eau de boisson polluée ou par la consommation d’aliments souillés par des matières fécales. Il en est de même pour Giardia lamblia et Cryptosporidium, deux protozoaires responsables de gastro-entérites dont la transmission s’effectue via des eaux et des aliments souillés. D’autre part, la consommation, notamment crue, de mollusques bivalves filtreurs comme les huîtres et les moules peut être à l’origine de toxi-infections alimentaires. En effet, ces mollusques sont capables de filtrer plusieurs litres d’eau par heure pour subvenir à leur alimentation essentiellement constituée de phytoplancton. Ce mode alimentaire conduit en la bioaccumulation non sélective de l’ensemble des microorganismes (bactéries, virus ou protozoaires) présents à de faibles concentrations dans l’eau environnante. Ces mollusques constituent donc des réservoirs transitoires de germes potentiellement pathogènes pour l’Homme. Un bilan édité par l’InVS (Institut de veille sanitaire) a permis de démontrer que – sur la période 1996–2005 – 32 % des TIAC (toxi-infection alimentaire collective) où des virus entériques ont été détectés ou suspectés étaient liées à la consommation de coquillages [3].

3. Origine des contaminants microbiens dans l’environnement aquatique

Les pathogènes d’origine hydrique peuvent exister à l’état naturel dans les environnements aquatiques. C’est le cas des bactéries appartenant au groupe des cyanobactéries, aux genres Legionella, Aeromonas, ou encore des espèces Pseudomonas aeruginosa, Burkholderaia pseudomallei, qui sont présentes dans les eaux douces, les lacs et les rivières, alors que les espèces du genre Vibrio sont davantage inféodées aux environnements marins et estuariens. D’autres pathogènes présents initialement dans les matières fécales d’origine humaine ou animale sont transférés vers les eaux de surface via différentes sources de pollution. Ces pollutions sont généralement définies en fonction de la connaissance ou non de leur point de rejet. Ainsi on distingue les pollutions ponctuelles qui sont facilement localisables, des pollutions dites diffuses qui sont plus difficilement identifiables et donc localisables. Les pollutions ponctuelles incluent les rejets d’eaux usées domestiques traitées ou non traitées par les stations d’épuration, les rejets d’eaux industrielles, les rejets directs d’effluents d’élevage ou encore les rejets d’eaux de ruissellement urbains collectés par un réseau d’assainissement séparatif. Les pollutions diffuses sont soit d’origine humaine comme par exemple, les eaux d’infiltration provenant de systèmes d’assainissement autonomes, les fuites de réseaux d’assainissement, soit d’origine animale via les animaux sauvages et le bétail [4]. Les pollutions diffuses se répartissent généralement sur des aires géographiques plus étendues que les pollutions ponctuelles. Elles participent, notamment en période de pluie, via le ruissellement, le lessivage des sols et la percolation des eaux au transfert de micro-organismes d’origine entérique vers les milieux récepteurs comme les fleuves, les rivières, les nappes phréatiques ou les eaux littorales dont les usages peuvent être divers. Si les pollutions ponctuelles sont aisément détectables et que des solutions peuvent être proposées pour maîtriser et réduire l’impact des rejets dans l’environnement, il n’en est pas de même pour les pollutions diffuses qui sont difficilement identifiables. Par ailleurs, la mobilisation des sources participant aux pollutions diffuses s’avère fortement dépendante des conditions hydrologiques et météorologiques, ce qui rend encore plus difficile la localisation de leur point ou zone de rejet et rend impossible leur maîtrise. Leur contribution dans les apports de pathogènes apparaît aujourd’hui très largement sous-estimée notamment dans le cas des bassins ruraux. Les sources précitées constituent globalement les principales sources de micro-organismes pathogènes contaminants les systèmes hydriques. Cependant, on ne peut omettre d’autres sources comme les sources telluriques représentées par les sols ou les composts qui peuvent alimenter les systèmes hydriques en contaminants bactériens par infiltration, ruissellement ou lessivage des sols contaminés. Les sols présentent généralement une grande diversité de micro-organismes dont certains naturellement présents peuvent être pathogènes pour l’Homme comme les espèces appartenant aux genres Clostridium (C. perfringens, C. tetani, C. botulinium), Bacillus (B. anthracis), Nocardia ou encore Mycobacterium (M. tuberculosis). D’autres peuvent avoir été introduits après épandage de boues de station d’épuration, de composts ou via l’arrosage avec des eaux issues des plates-formes de compostage. L’épandage agricole des boues de station d’épuration, des composts ou lisiers, est une voie d’élimination des sous-produits de l’épuration et de l’élevage très répandue en France et en Europe, en raison de leur forte valeur agronomique (fertilisant et amendement). Ainsi 50 à 60 % des boues de station d’épuration produites en France sont éliminées par la voie de l’épandage agricole. Mais il faut cependant noter que les boues urbaines ne représentent qu’environ 2 % des produits épandus en agriculture alors que les déjections animales en représentent 94 %. Parce que les boues comme les déjections animales contiennent des agents pathogènes, l’épandage des produits bruts peut constituer une source potentielle de contamination des végétaux destinés à l’alimentation humaine mais aussi contaminer par infiltration les réservoirs hydriques exploités par l’Homme.

Le compostage est un processus aérobie qui facilite et accélère la transformation des matières organiques fermentescibles par de nombreux micro-organismes naturellement présents dans les matières à composter. Ce processus s’accompagne d’un dégagement de chaleur important, de production de gaz carbonique (CO2), d’ammoniac et d’eau. Le processus aboutit alors à la formation d’un résidu de matière organique humifié, stabilisé, déshydraté, désodorisé appelé compost. Durant le compostage, les changements de température au sein du compost induisent des modifications dans la composition et l’activité des communautés microbiennes (figure 1 ) et favorisent l’élimination des micro-organismes pathogènes. La phase initiale du compostage correspond à la phase mésophile durant laquelle prédominent les micro-organismes mésophiles (se développent à des températures situées entre 24 et 45°C). Toutefois, cette phase se caractérise par une montée rapide en température du compost qui inhibe le développement des micro-organismes thermosensibles. Au cours de la phase thermophile, les températures dépassent 45°C et évoluent en général entre 50 et 70°C, mais peuvent atteindre et dépasser les 80°C ; seuls les micro-organismes thermorésistants (les bactéries pour l’essentiel) survivent. La phase de refroidissement est l’étape de transition entre la phase thermophile et la phase de maturation. Lorsque la matrice est refroidie, le compost frais entre en phase de maturation jusqu’à l’obtention d’un compost mature. Lorsque le processus de compostage est mené à bien, le compost est alors considéré comme hygiénisé. De nombreuses études se sont intéressées à la dynamique de bactéries pathogènes durant le processus de compostage et ont pu mettre en évidence par exemple, la croissance de Salmonella en début de phase thermophile dans le cas de compostage de boues et d’ordures ménagères [5] ou encore une reprise de croissance de la population des entérocoques au cours de la phase de refroidissement [6]. Par ailleurs, dans certains cas, le compost peut être à nouveau contaminé au cours de son stockage, lors de sa manipulation, lors de son arrosage ou par le biais d’animaux [7]. Dans ce cas, l’utilisation de compost recontaminé en tant que matière fertilisante peut être à l’origine de la contamination des matières végétales par des micro-organismes pathogènes [8]. Déportes et al. [9] ont inventorié les pathogènes humains potentiellement présents dans les déchets bruts de boues de stations d’épuration et des déchets ménagers (tableau III ). Pour exemple Salmonella spp. et L. monocytogenes sont fréquemment détectés dans les déchets utilisés en compostage (les boues, les matières fécales et les ordures ménagères). Salmonella spp. contamine 60 à 100 % des échantillons issus de déchets verts, des mélanges de boues et de déchets verts ainsi que 40 % des échantillons provenant des mélanges d’ordures ménagères grises (terme qui fait référence à la couleur du conteneur utilisé par les collectivités pratiquant la collecte sélective). Le dénombrement des pathogènes dans ces déchets se situe entre 1 et 100 UFC/g [5, 10]. Du fait de ce risque microbiologique, des micro-organismes indicateurs de l’efficacité du processus de compostage ont été définis. Au sein des bactéries retenues par les normes françaises, Enterococcus faecalis est un des micro-organismes indicateurs utilisés pour évaluer le pouvoir hygiénisant du compostage. De plus, des paramètres physicochimiques permettant de contrôler l’efficacité du compostage ont été définis, comme la température, qui agit sur l’inactivation des pathogènes.

Figure 1.

Figure 1

Relations entre paramètres physico-chimiques (température, pH humification/minéralisation), phases de compostage et dynamique microbienne.

D’après [18].

Tableau III.

Micro-organismes pathogènes présents dans les boues de stations d’épuration et dans les déchets ménagers.

Virus Bactéries Champignons Protozoaires Helminthes
Adenovirus Arizona hinshawii Aspergillus fumigatus Acanthamoeba Ancylostoma duodenale
Astrovirus Aeromonas spp. Candida albicans Balantidium coli Ascaris lumbricoides
Calicivirus Bacillus anthracis C. guiillermondii Blastocystis hominis Diphyllobothium latum
Coronavirus Bacillus cereus C. krusei Cryptosporidium parvum Echinococcus granulosus
Coxsachivirus Brucella sp. C. tropicalis Dientamoeba fragilis Echonococcus multilocularis
Echovirus Campylobacter perfringens Cryptococcus neoformans Entamoeba histolityca Enterobius vermicularis
Enterovirus Campylobacter jejuni Epidermophyton sp. Giardia intestinalis Hymenolepis nana
Mixovirus Citrobacter sp. Geotrichum candidum Isospora belli Necator americanus
Parvovirus Clostridium botulinum Microsporum sp. Naegleria fowleri Strongyloides stercoralis
Poliovirus Escherichia coli (souches pathogènes) Phialophora richardsii Sarcocystis spp. Taenia solium
Reovirus Klebsiella spp. Trichosporon cutaneum Toxoplasma gondii Taenia saginata
Rotavirus Leptospira interrogans Tricophyton sp. Toxocara cati
Virus hépatite A Listeria monocytogenes Toxocara canis
Virus hépatite E Mycobacterium pseudotuberculosis Trichuris trichura
Virus influenza Pasteurella pseudotuberculosis
Virus de Norwalk Proteus sp.
Providencia sp.
Pseudomonas aeruginosa
Salmonella spp.
Serratia sp.
Shigella spp.
Staphylococcus aureus
Streptococcus spp.
Vibrio parahaemolyticus
Vibrio cholerae
Yersinia enterocolica

D’après [9].

Toutefois, un phénomène lié à la cultivabilité des microorganismes peut être à l’origine de leur absence de détection dans l’environnement comme dans les composts. Certaines bactéries perdent leur capacité à se développer sur milieux gélosés sélectifs suite à une exposition à des stress environnementaux, et ce malgré un maintien de leur activité métabolique. Ces bactéries sont alors considérées comme viables non cultivables (VNC). Sous cette forme, les micro-organismes peuvent persister sur de longues périodes. L’entrée en état VNC peut être considérée comme une stratégie de survie des bactéries face à des conditions environnementales défavorables. Dans les composts, notamment lors de la manipulation des andains (retournements), des bioaérosols sont générés. Le passage des micro-organismes à l’état de bioaérosol induit chez certains l’état VNC qui peut être assimilé à une forme de persistance [11]. Une forte concentration en micro-organismes VNC dans les bioaérosols peut générer un risque allergique voire même toxique car, après inhalation, ces micro-organismes peuvent retourner à leur état viable et contaminer l’hôte [11]. Ces états VNC dans les bioaérosols peuvent ainsi contaminer les surfaces, les sols, les matériels de travail, les personnels et les animaux se situant à proximité. La présence de pathogènes à l’état VNC dans l’environnement représente donc un problème de santé publique non négligeable. Un risque de transfert des bactéries VNC des composts à l’Homme par voie directe (contact) et par voie indirecte (contamination aéroportée) existe. Outre les sources elles-mêmes, les conditions météorologiques et notamment les précipitations, jouent un rôle très important dans la mobilisation des sources de pathogènes et leur transfert dans les environnements aquatiques. Des pluies intenses et soutenues engendrent généralement un engorgement des réseaux d’assainissement notamment dans le cas de réseaux de collecte unitaire qui véhiculent un mélange d’eau pluviale et d’eaux usées vers les stations d’épuration. Cet engorgement présente un risque de dysfonctionnement des ouvrages épuratoires ; ce risque peut être réduit en opérant des surverses de réseaux ou des by-pass à l’entrée de la station d’épuration. Ces surverses et by-pass représentent néanmoins un transfert direct d’effluents non-traités vers les milieux récepteurs. Le lessivage des sols ou des zones d’épandage agricoles en période de pluie favorisent aussi la transmission des germes à partir des sources diffuses. Par ailleurs, les contaminants microbiens en provenance de rejets ponctuels s’accumulent dans les lits des rivières et des fleuves et peuvent par conséquent être mobilisés en période de crue par la remise en suspension des sédiments contaminés du lit. Ainsi les crues jouent un rôle déterminant dans le processus de la contamination, notamment des eaux littorales. Par exemple en région méditerranéenne, il a été montré que les flux annuels représentés par le rejet d’un fleuve côtier pouvaient atteindre jusqu’à 6,9 1012 UFC pour les salmonelles et que les événements de crues contribuaient après la mobilisation des sources ponctuelles et diffuses de pollution, au transfert de plus de 95 % des apports vers la zone côtière sur la période annuelle d’étude [12]. De plus, les processus de sédimentation des flux particulaires qui sont associés aux flux de contaminants microbiens en période de crue favorisent également le stockage des contaminants dans les sédiments marins proches de l’embouchure, constituant à leur tour un réservoir environnemental pouvant contaminer la colonne d’eau lors des processus de remise en suspension en zone littorale.

4. Interactions micro-organismesenvironnement

Dans les environnements aquatiques, les micro-organismes pathogènes qu’ils soient autochtones ou allochtones évoluent au sein d’une communauté microbienne abondante et souvent très diversifiée comprenant entre autres des virus, d’autres bactéries mais également des protozoaires et d’autres organismes. Ils sont également exposés à une pression environnementale qui peut dans certains cas favoriser leur occurrence ou au contraire inhiber leur croissance ou leur survie en dehors de l’hôte primaire.

Dans le milieu naturel, le devenir des micro-organismes pathogènes est régi par les facteurs biotiques et abiotiques. Les facteurs biotiques sont déterminés par la présence, au voisinage d’un organisme, d’organismes de la même espèce ou d’espèces différentes, qui exercent sur lui une concurrence, une compétition, une prédation, un parasitisme, et en subissent à leur tour l’influence. Ces facteurs sont opposables aux facteurs abiotiques qui sont représentés par les phénomènes physicochimiques listés ci-après. (I) La température est un facteur important. Les basses températures favorisent la survie des agents pathogènes par réduction des coûts énergétiques. L’optimum thermique qui permet la croissance des agents pathogènes primaires entériques est proche de 37°C. De ce fait, dans l’environnement, leur capacité de reproduction est fortement réduite voire inhibée, sauf dans le cas d’une modification ponctuelle de la température d’un écosystème. Cette modification peut être induite par les activités anthropiques qui génèrent des conditions favorables aux développements de certaines espèces pathogènes pour l’Homme. (II) La lumière, lorsqu’elle est naturelle, est un facteur d’auto-épuration du milieu naturel. Les radiations UV-B (290 < λ < 320 nm) et UV-A (320 < λ < 400 nm) ont un effet bactéricide ou bactériostatique sur de nombreux agents pathogènes en leur causant des dommages cellulaires directs ou indirects dont certains sont irréversibles. (III) Les éléments nutritifs organiques. Leurs présences en fortes concentrations sont nécessaires pour permettre la multiplication de la plupart des agents pathogènes hétérotrophes. De ce fait, les agents pathogènes sont moins compétitifs vis-à-vis de la microflore autochtone environnementale, davantage adaptée à un environnement pauvre en éléments nutritifs. (IV) La salinité : de nombreuses espèces pathogènes sont halotolérantes et survivent dans des eaux saumâtres et marines dont la salinité se rapproche de celle rencontrée dans le tube digestif. (V) La sédimentation est un facteur d’élimination et de stockage des agents pathogènes au sein de l’environnement aquatique. (VI) Le dernier facteur abiotique abordé ici est le pH qui dans l’environnement est relativement stable, mis à part dans les zones de pollution très spécifiques.

Au-delà des facteurs intrinsèques d’un écosystème, l’Homme peut, par son mode de vie, induire une pression de sélection positive ou négative à l’encontre des microorganismes, qu’ils soient pathogènes ou non. Depuis ces soixante dernières années, la quantité d’antibiotiques produits et consommés est en pleine expansion, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’environnement et le monde microbien. En effet, les antibiotiques sont très largement utilisés en milieu médical, vétérinaire ou agronomique (comme facteurs de croissance) et une partie échappe aux traitements effectués en station d’épuration. La France est le deuxième consommateur européen d’antibiotiques avec 1 011 tonnes au cours de l’année 2010 pour le domaine vétérinaire soit environ deux fois plus que pour le domaine humain. Les voies d’entrée dans les environnements aquatiques naturels se font via les rejets des stations d’épuration, d’effluents hospitaliers, de déchets agricoles ou encore les épandages sur les sols agricoles de boues ou de compost [13, 14]. Ces pollutions aux antibiotiques peuvent exercer une pression de sélection qui augmente la prévalence des résistances aux antibiotiques dans le cas d’agents infectieux trouvant leur origine dans les environnements naturels. Actuellement, l’une des difficultés majeures pour comprendre l’acquisition de multi-résistances chez certaines souches est de savoir si cette dernière peut résulter d’une pression environnementale ou si elle provient uniquement d’une sur-utilisation des antibiotiques en santé humaine et animale. Une récente étude réalisée par Tello et al. [15] a montré que les sédiments des rivières, les lisiers de porcs, les fumiers, et les sols de certains élevages contenaient des antibiotiques à des concentrations susceptibles d’inhiber la croissance de plus de 60 % des populations bactériennes appartenant à des genres potentiellement pathogènes. Ces résultats soulignent que les concentrations en antibiotiques retrouvées dans ces environnements peuvent être suffisamment élevées pour exercer une pression de sélection sur les bactéries d’intérêt médical et favoriser leur prévalence. Certains environnements seraient donc susceptibles de constituer des « hot spot » pour le développement de souches résistantes et des efforts sont aujourd’hui nécessaires pour réduire l’apport d’antibiotiques dans l’environnement en limitant l’utilisation et / ou en améliorant le traitement des déchets liquides et solides rejetés.

Hormis la question de la résistance aux antibiotiques acquise par certaines bactéries dans l’environnement, qui constitue un domaine extrêmement sensible en termes de santé publique, d’autres interactions de nature plus biologique peuvent promouvoir la survie voire la multiplication de bactéries pathogènes en dehors de l’hôte. Les interactions avec les protozoaires libres en sont un exemple. Ce domaine d’investigation est relativement récent. Parmi les protozoaires libres, les amibes sont très certainement les plus étudiées en raison de leur rôle connu depuis longtemps d’« amplificateur » de Legionella, un genre bactérien impliqué dans diverses infections respiratoires dont certaines peuvent être mortelles. Les amibes sont des habitants de nombreux écosystèmes terrestres comme les sols et les systèmes hydriques qu’ils soient naturels ou artificiels. Certaines amibes sont pathogènes pour l’Homme et les animaux, et peuvent être responsables de diverses infections dont les plus graves sont des kératites amibiennes, des encéphalites granulomateuses voire dans certains cas des amibiases cutanées. Les amibiases sont cependant des infections peu fréquentes et ne constituent pas un domaine prioritaire en termes de santé publique. Les amibes libres se nourrissent de micro-organismes présents sur les surfaces, dans différents environnements et aussi à l’interface entre l’air et l’eau. Par conséquent, les amibes interagissent avec de nombreux micro-organismes, qu’ils soient des virus, des bactéries ou des champignons. Les amibes jouent un rôle essentiel comme prédateurs de microorganismes et contribuent également au recyclage des nutriments. Toutefois des relations amibe-bactérie de type bénéfique ont été décrites pour un certain nombre de bactéries pathogènes. Ces dernières sont capables d’échapper à la phagocytose par l’amibe pour s’internaliser à l’instar d’un « cheval de Troie ». L’amibe joue alors un rôle protecteur, favorisant la survie des bactéries face à un environnement qui leur est défavorable comme une exposition aux biocides, un environnement pauvre en substances nutritives ou encore un stress radiatif. Dans d’autres cas, les bactéries peuvent présenter une réplication intra-amibienne, se multipliant jusqu’à la lyse de l’amibe qui les héberge. Ainsi, l’aptitude de certaines bactéries à résister à la prédation amibienne et - parallèlement - de certaines amibes à supporter la croissance intracellulaire bactérienne, offre un avantage écologique à certaines bactéries pathogènes dont la survie peut être prolongée dans l’environnement [16]. Une liste non exhaustive des interactions bénéfiques entre les amibes et les bactéries est présentée dans le tableau IV . Cette liste révèle que ce processus d’échappement à la prédation par les amibes est très largement répandu chez de nombreuses bactéries pathogènes pour l’Homme.

Tableau IV.

Interactions des bactéries pathogènes avec les amibes, pour lesquelles une survie ou une multiplication intra-cellulaire (IC) ou intra-kystes (IK) a pu être mise en évidence.

Bactéries Survie IC Multiplication IC Survie IK Bactéries Survie IC Multiplication IC Survie IK
Aeromonas caviae x Mycobacterium avium x x
Aeromonas hydrophila x Mycobacterium bovis x x
Aeromonas veronii x Mycobacterium chelonae x x
Bacillus cereus x x Mycobacterium fortuitum x x x
Brevundimonas diminuta x x Mycobacterium gordonae x x
Burkholderia cepacia x x Mycobacterium kansasii x x x
Burkholderia pseudomallei Mycobacterium leprae x
Campylobacter coli x Mycobacterium malmoense x x
Campylobacter hyointestinalis x Mycobacterium marinum x x x
Campylobacter jejuni x Mycobacterium mucogenicum x x
Campylobacter lari x Mycobacterium peregrinum x x
Chlamydophila pneumoniae x Mycobacterium porcinum x x
Citrobacter freundii x Mycobacterium scrofulaceum x x
Coxiella burnetii x Mycobacterium simiae x x
Edwardsiella tarda x x Mycobacterium smegmatis x x
Enterobacter cloacae x x Mycobacterium szulgai x x
Escherichia coli x Mycobacterium ulcerans x
Francisella tularensis x x Mycobacterium xenopi x x
Helicobacter pylori x Pasteurella multocida x
Klebsiella oxytoca x Porphyromonas gingivalis x
Klebsiella pneumoniae x Prevotella intermedia x
Legionella anisa x Pseudomonas aeruginosa x
Legionella feeleii x Pseudomonas alcaligenes x
Legionella hackeliae x Ralstonia pickettii x
Legionella longbeachae x Rothia dentocariosa x
Legionella oakridgensis x Serratia plymuthica x
Legionella pneumophila x x Shigella dysenteriae x
Legionella micdadei x x Shigella sonnei x
Listeria ivanovii x Staphylococcus aureus x
Listeria monocytogenes x x Streptococcus pneumoniae x
Listeria seeligeri x Vibrio cholerae x x
Listeria welshimeri x Yersinia enterocolitica x
Morganella morganii Yersinia pestis x
Mycobacterium abscessus x x

D’après [16].

Les amibes ne constituent pas les seuls hôtes intermédiaires ou vecteurs biologiques de bactéries pathogènes ; d’autres organismes constituant le zooplancton et le phytoplancton montrent aussi des associations avec certaines bactéries pathogènes. Ces associations ont été particulièrement étudiées dans le cas de la dissémination de Vibrio cholerae, l’agent du choléra [17, 18]. Ce pathogène peut être associé de façon épisodique à un large éventail d’organismes marins ou d’eau douce comme les cyanobactéries (Anabaena variabilis), les diatomées (Skeletonema costatum), les algues vertes filamenteuses (Rizoclonium fontanum), les jacinthes d’eau (Eichornia crassipes), les arthropodes (Gerris spinolae) et les crabes bleus (Callinectes sapidus) mais également les oeufs de chironomes retrouvés en masse dans les bassins de décantation (figure 2 ). Ces organismes et microorganismes aquatiques offrent au pathogène une niche riche en nutriments qui favorise leur survie, et peuvent dans certains cas élargir la distribution géographique du pathogène [19]. Des données récentes indiquent qu’une association particulière entre les copépodes, une sous-classe de crustacés du zooplancton, et les vibrions pourrait exister. Cette association est liée à la capacité des vibrions à s’attacher spécifiquement aux copépodes et à exploiter la chitine de ces petits crustacés comme source de carbone, d’azote et d’énergie, favorisant la survie et éventuellement la multiplication du Vibrio dans l’environnement. Les travaux de Lipp et al. [17] ont mis en évidence qu’un seul copépode pouvait contenir 104 à 106 UFC de V. cholerae. Ces abondances apparaissent critiques dans la mesure où la dose infectieuse chez des individus sains est de 108–1011 UFC, et qu’elle peut être réduite à 103-106 UFC chez un individu affaibli (perte de l’efficacité de la barrière gastrique ou ingestion d’aliments protégeant les pathogènes de l’acidité gastrique par exemple). D’autres réservoirs environnementaux de V. cholerae, représentés notamment par des poissons d’eaux douces ou marines, ont été récemment mis en évidence par Senderovich et al. [20]. L’étude a révélé d’importantes quantités de V. cholerae dans l’intestin de ces animaux, pouvant atteindre 5.103 UFC par gramme de contenu intestinal pour l’espèce Sarotherodon galilaeus (espèce péchée et élevée notamment en Afrique). La présence de V. cholerae au sein de la flore intestinale des poissons pourrait être liée à leur mode alimentaire qui consiste en la consommation de copépodes et de larves de chironomes qui hébergent potentiellement le pathogène. Un état symbiotique entre les poissons et V. cholerae peut être une autre hypothèse expliquant la présence du pathogène au niveau intestinal. En effet, V. cholerae est capable de secréter des enzymes extracellulaires (protéases et chitinases) qui peuvent faciliter la digestion de macromolécules par le poisson hôte.

Figure 2.

Figure 2

Réservoirs potentiels de V. cholerae en milieu aquatique.

Extrait de [18].

5. Détection des microorganismes dans l’environnement

La détection et l’identification des micro-organismes d’intérêt médical constituent deux étapes essentielles à l’établissement d’un diagnostique microbiologique de la qualité des eaux. Les micro-organismes les plus recherchés pour établir un diagnostique sanitaire de la qualité d’une eau sont les germes indicateurs d’une contamination fécale qui incluent les Escherichia coli et le groupe des entérocoques intestinaux (i.e. d’origine entérique). Les germes tests étant présents en plus grand nombre dans les environnements contaminés par les matières fécales, ils sont utilisés pour estimer la présence potentielle de l’ensemble des germes pathogènes d’origine entérique (bactéries, parasites, virus…) plus fortement dilués dans le milieu récepteur. Si l’utilisation des germes tests reste appropriée pour établir une contamination du milieu par les matières fécales, il est clairement admis aujourd’hui que la relation entre ces témoins de contamination fécale et certains pathogènes est variable. Par ailleurs, plusieurs pathogènes bactériens naturellement présents dans les environnements aquatiques ne sont pas associés aux fèces humains ou animaux et les indicateurs usuels de pollution fécale ne permettent pas de prévoir leur abondance dans l’eau, ce qui est notamment le cas des légionelles et de certaines espèces de vibrios non cholériques.

Les méthodes normalisées de détection et d’énumération des germes indicateurs d’une contamination fécale ainsi que celles qui sont utilisées pour la recherche des microorganismes pathogènes sont basées sur la recherche de critères biochimiques spécifiques au genre bactérien ou à l’espèce après une mise en culture des échantillons. Toutefois, ces procédures sont très longues (24–48 h dans le cas des témoins de contamination fécale, 72 h-96 h dans le cas des salmonelles et jusqu’à 10 jours dans le cas des légionelles) ce qui constitue une limite à l’établissement d’un diagnostique rapide de la détection d’une contamination fécale ou de la présence de microorganismes pathogènes. Ces délais incompressibles d’analyse retardent les mesures qui pourraient être prises pour réduire les pollutions. Par ailleurs, ces méthodes sont peu adaptées à l’énumération des bactéries dans les environnements en raison de la perte rapide de la cultivabilité des bactéries [21, 22]. Il est communément admis que dans l’environnement et sous l’effet de stress liés à l’utilisation d’un désinfectant ou s’exerçant naturellement dans les environnements, les bactéries perdent leur capacité à être cultivées sur un milieu de culture tout en maintenant certaines fonctions cellulaires actives. Cet état a donné naissance au concept de germes VNC (viables non cultivables). L’évolution des cellules vers l’état VNC après une exposition à un ou plusieurs stress, a été largement démontrée pour un grand nombre d’espèces et de genres bactériens pathogènes pour l’Homme comme en témoigne la liste présentée dans le tableau V . Les principaux facteurs de stress qui ont été identifiés sont la carence nutritionnelle, la température, les ultra-violets, les stress oxydatifs et une forte salinité.

Tableau V.

Pathogènes bactériens capables d’entrer dans un état viable mais non cultivable.

Aeromonas hydrophila Helicobacter pylori Serratia marcescens
Aeromonas salmonicida Klebsiella aerogenes Shigella dysenteriae
Agrobacterium tumefaciens Klebsiella pneumoniae Shigella flexneri
Burkholderia cepacia Klebsiella planticola Shigella sonnei
Burkholderia pseudomallei Legionella pneumophila Streptococcus faecalis
Campylobacter coli Listeria monocytogenes Vibrio alginolyticus
Campylobacter jejuni Mycobacterium tuberculosis Vibrio anguillarum
Campylobacter lari Mycobacterium smegmatis Vibrio campbellii
Cytophaga allerginae Pasteurella piscicida Vibrio cholerae
Enterobacter aerogenes Pseudomonas aeruginosa Vibrio harveyi
Enterobacter cloacae Pseudomonas syringae Vibrio mimicus
Enterococcus faecalis Ralstonia solanacearum Vibrio parahaemolyticus
Enterococcus hirae Rhizobium leguminosarum Vibrio shiloi
Enterococcus faecium Rhizobium meliloti Vibrio vulnificus (types 1 & 2)
Erwinia amylovora Salmonella enterica Xanthomonas campestris
Escherichia coli (dont les entérohémorragiques) Salmonella Typhi Xanthomonas axonopodis pv. citri
Francisella tularensis Salmonella Typhimurium

D’après [22].

Une fraction relativement importante des cellules n’est donc pas détectable par les méthodes normalisées utilisées pour les analyses microbiologiques classiques. La caractérisation des états cellulaires VNC est le résultat du développement de nouvelles méthodologies empruntées à la biologie moléculaire et cellulaire. Ces méthodologies permettent la détection de constituants ou de fonctions cellulaires à l’aide de sondes rendues fluorescentes (par des fluorochromes ou des fluorogènes) par des outils d’observation directe de la fluorescence émise à l’échelle cellulaire (microscopie à épifluorescence, cytométrie en flux, cytométrie en phase solide) [21]. La plupart des études ayant contribué à la découverte des états VNC ont été réalisées sur des populations cellulaires monospécifiques, pour des densités cellulaires relativement importantes (généralement de l’ordre de 106-107 cellules/mL) et pour des conditions de stress contrôlées. Cependant, dans les écosystèmes aquatiques, ces conditions d’études sont rarement rencontrées. En effet, dans les eaux de surface et dans les eaux potables, les micro-organismes d’origine entérique sont exposés à une très forte dilution dans le milieu récepteur (e.g. 0-10 coliformes cultivables/100 mL dans les eaux potables, 1 à 10 salmonelles cultivables/litre dans les eaux de surface) ainsi qu’à une pression environnementale multifactorielle. Par ailleurs, ils sont associés à une microflore naturelle abondante et très diversifiée qui, en interagissant avec le pathogène, peut promouvoir sa survie. Les résultats des études expérimentales sont donc difficilement transposables au comportement in situ des cellules du pathogène. On ne connaît donc que très peu de choses quant à l’existence des états VNC en milieu naturel pour les pathogènes humains. Le développement de nouvelles technologies permettant de mettre en évidence in situ ces cellules VNC pour un pathogène donné et de les quantifier constitue un axe de recherche essentiel pour évaluer la part que représente ces états dans les milieux naturels et apporter un complément à l’évaluation du risque sanitaire [23], [24], [25].

6. Conclusions

Les micro-organismes pathogènes pour l’homme, présents dans les écosystèmes hydriques sont principalement représentés par des virus, des bactéries et des protozoaires. Ils sont extrêmement diversifiés et proviennent de multiples sources de contamination. Certains sont naturellement présents dans ces écosystèmes hydriques et participent à leur fonctionnement, d’autres y sont introduits par le biais de rejets anthropiques. Dans les milieux aquatiques, l’ensemble des micro-organismes subit une pression environnementale multifactorielle de nature abiotique mais aussi biotique. Toutefois, certains pathogènes échappent à la pression environnementale et sont capables de survivre en dehors de l’hôte primaire pendant un temps plus ou moins long augmentant le risque de contamination d’un nouvel hôte. L’étude des interactions entre les micro-organismes et leur environnement in natura est un axe de recherche en pleine expansion qui doit permettre de comprendre le rôle des facteurs environnementaux dans la régulation des populations de micro-organismes pathogènes dans les systèmes hydriques, ainsi que leur rôle dans l’expression de la virulence. Les résultats de cette connaissance devraient aider à mieux prédire les risques sanitaires mais également aider à proposer de nouvelles actions dans le but de réduire l’occurrence des pathogènes dans le système hydrique exploité ainsi que de réduire les risques de transmission à l’Homme.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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