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editorial
. 2020 Apr 6;2020(163):74–75. [Article in French] doi: 10.1016/j.meddro.2020.04.001

Covid-19, comment gérer un autre Titanic ?

Covid-19: How to deal with a new Titanic?

Philippe Biclet 1
PMCID: PMC7144883

Si le Titanic avait navigué à pleine capacité, soit avec 3547 passagers et membres d'équipage, ce sont seulement 33% des personnes qui auraient pu prendre place à bord des canots existants. Le triage des patients, en médecine de guerre, de catastrophe ou d’urgence est un élément majeur d’efficacité. Il vise à prioriser, mais en sous entendant que chacun sera traité au mieux selon ses besoins ; cette approche le plus souvent évacue la contrainte du manque de ressources. Le service de santé britannique, NHS, a été le premier à aborder le sujet avec franchise [1]. Des scores prédictifs, Glasgow, activities of daily living (ADL, échelle de Katz), et d’autres plus récents incluant la capacité d’activités élaborées chez des sujets âgés (conduite automobile par exemple), ont été développés et utilisés pour diriger les patients âgés se présentant aux urgences soit dans des services aigus, soit dans des services de gériatrie dont la qualité de soins est différente et offrant des pronostics inférieurs.

Notre pays s’est jusqu’à présent refusé à aborder l’orientation des malades avec la même franchise. L’épidémie actuelle aura-t-elle comme conséquence de nous préparer à affronter cette problématique avec transparence ?

Saisi par le gouvernement à l’occasion de la pandémie de Covid-19, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu le 13 mars 2020 un avis par lequel il abordait le problème délicat de la priorisation des soins dans une situation de rareté des ressources sanitaires, en particulier : lits de réanimation, de disponibilité des respirateurs : « Ainsi lorsque les biens de santé ne peuvent être mis à la disposition de tous du fait de leur rareté, l’équité qui réclame une conduite ajustée aux besoins du sujet se trouve concurrencée par la justice au sens social qui exige l’établissement de priorités parfois dans de mauvaises conditions et avec des critères toujours contestables : la nécessité d’un tri des patients pose alors un questionnement éthique majeur de justice redistributive, en l’occurrence pouvant se traduire par un traitement différencié des patients infectés par le SARS-CoV-2 et ceux atteints d’autres pathologies.« [2].

Le CCNE précise, faut-il le rappeler, que les choix retenus devront être expliqués et respecter le principe de dignité de la personne et d’équité. Pouvait-il affirmer autre chose ? Certes non ! Répond-il aux interrogations des soignants ? Nous ne le pensons pas. Les cellules éthiques de soutien dont le CCNE prône la mise en place auront-elles comme mission élargie non seulement l’accompagnement psychologique des soignants mais l’aide aux décisions difficiles sur des cas ponctuels, ce n’est pas précisé.

L’avis 106 du CCNE auquel fait référence l’avis de mars 2020 : « questions éthiques soulevées par une possible pandémie grippale », dans son chapitre IV 3 répond très incomplètement aux questions posées en s’appuyant sur le système de répartition des greffes d’organe mis en place par l’Agence de biomédecine : priorité aux nouvelles générations, rejet du tirage au sort, critère d’efficacité prospective (il vise à favoriser tout à la fois, ceux pour lesquels l’absence de type de soins serait le plus préjudiciable et ceux qui pourraient le plus bénéficier du meilleur soin), ces principes s’inscrivent bien naturellement dans le cadre éthique général qui vise aussi à assurer une égalité d’accès non pas aux traitements mais à la décision de délivrer des traitements aux personnes socialement vulnérables, détenus, handicapés qui pourraient être les premiers oubliés dans un contexte d’épidémie. L’avis 106 recommande de s’appuyer sur une pluralité de critères éthiques en refusant le recours à un critère absolu et d’assurer une bonne compréhension de la démarche de «rationnement» par une communication forte et une transparence totale vis-à-vis de la société. Traitant des droits et des devoirs des catégories professionnelles prioritaires, le CCNE souligne que la priorité particulière accordée aux personnes appartenant à un groupe que la société considère comme devant être protégé avant les autres est une priorité collective pour la protection de chacun et pas une valeur individuelle pour tel ou tel.

Cet avis 106, publié le 5 2 2009 , a nourri les recommandations mises en place par l’Agence de biomédecine, il vaut mieux parler de procédures en raison de leur caractère contraignant, appliquées à l attribution des greffons des différents organes et dans leur dimension territoriale (nationale pour ce qui concerne les situations de super urgence par exemple pour les transplantations hépatiques).

La situation épidémique actuelle pour laquelle il apparaît que le système de soins est débordé ou sur le point de l’être et qu’il faut recourir à un choix entre le soin optimal, pas nécessairement gage de survie, et un soin dégradé, avec une espérance de survie faible et une absence de soins en dehors de soins d’accompagnement doit bien entendu bénéficier des réflexions que nous avons rappelées.

Il est clair cependant que nous sommes confrontés à des problèmes bien différents de ceux posés par les transplantations d’organes, en raison :

  • du contexte épidémique, voire pandémique, qui crée des tensions dans le système de soins telles que la réflexion sereine est impossible ;

  • d’un nombre très important de patients pour lesquels le même type de soins est indispensable : l’accès à la réanimation et à un appareil de ventilation ;

  • d’une durée de prise en charge des cas lourds de l’ordre de deux à trois semaines ;

  • d’un contexte d’urgence, voire d’extrême urgence pour l’assistance ventilatoire.

Plusieurs institutions outre Atlantique ont proposé des schémas de prise en charge des patients face à une moindre disponibilité des soins, appuyés sur des recommandations éthiques [3]. Ces schémas ont l’avantage d’être précis et orientés vers le contexte épidémique.

Il en est ainsi : la survie à court terme est appréciée au moyen du score sequential organe failure assesment (SOFA) ; un patient avec un score SOFA 10 sera par exemple toujours priorisé par rapport à un patient ayant un score SOFA 13. Le moment dans le cycle de la vie est un élément controversé : il intervient dans un deuxième temps pour prioriser des patients ayant le même score : ainsi les enfants et les adultes d’âge inférieur à 50 ans seront inscrits dans le premier groupe, les adultes dont l’âge s’échelonne entre. 50 et 69 ans feront partie du deuxième groupe [4].

D’autres éléments de réflexion peuvent être retrouvés dans une contribution récente [5]. Trois critères de décision sont étudiés et comparés :

  • maximisation des bénéfices : à égalité sauver le plus grand nombre de vies contre sauver le plus grand nombre d’années de vie : même priorité ;

  • traiter de manière juste : premier arrivé, premier servi : refus ; sélection randomisée : acceptée ;

  • favoriser les groupes de sujets ayant apporté ou devant apporter des bénéfices à la collectivité (par exemple les soignants) : choix accepté mais seulement par rapport à des groupes ayant le même pronostic.

Un point délicat a été soulevé : le retrait de certains patients de la ventilation assistée, même entreprise depuis plusieurs jours, alors que celle-ci peut apporter un bénéfice supérieur à des patients nouveaux arrivants de meilleur pronostic ; cette conduite choquante est acceptée et ne doit pas être assimilée à une action mortifère. La sélection randomisée qui peut prendre la forme d’un tirage au sort (lottery) est considérée comme éthiquement admissible lorsque le décideur est confronté à un choix entre deux patients de gravité et de classement identiques. Dans le cas d’essais thérapeutiques, les participants seront favorisés ce qui peut constituer un stimulus pour les autres.

De manière générale, l’ensemble des recommandations présentées par les différentes instances internationales s’inspirent de la doctrine utilitariste qui privilégie l’utile sur le juste. L’utilitarisme ne s’intéresse pas au caractère moral d’une action mais à ses conséquences : est-elle utile ou plus utile au bien être, individuel certes mais surtout collectif. Ainsi, le sacrifice d’une minorité peut parfaitement être accepté s’il bénéficie à la collectivité. Abrités par la doctrine utilitariste, les soignants peuvent s’épargner des états d’âme et supporter de prendre des choix qui heurtent leur conscience. En fait, par son pragmatisme, l’utilitarisme est seul à permettre la décision – surtout lorsque celle-ci doit être prise dans l’urgence sans s’engluer dans un débat moral insoluble. On comprend donc que les soignants peuvent s'inscrire dans cette démarche a priori choquante mais à condition que les schémas décisionnels aient été bien balisés préalablement.

Déclaration de liens d’intérêts

L'auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références

  • 1.Wittenberg R., Sharpin L., McCormick B., Hurst J. Centre for Health Service Economics and Organisation; Oxford, UK: 2014. Understanding emergency hospital admission of older people. Report, 6.http://eprints.lse.ac.uk/60622/ [Google Scholar]
  • 2.Crozier S., Delfraissy J.F., Delmas-Goyon P., Duée P.H., Hédon C., Worms F., et al. Comité consultatif national d’éthique; Paris: 2020. Covid-19. Contribution du comité consultatif national d’éthique: enjeux éthiques face à une pandémie.https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/reponse_ccne_-_covid-19_def.pdf [Google Scholar]
  • 3.Frakt A. The New York Times; 2020. Who should be saved first? Experts offer ethical guidance. [Google Scholar]
  • 4.Daugherty Biddison E.L., Faden R., Gwon H.S., Mareiniss D.P., Regenberg A.C., Schoch-Spana M., et al. Too many patients… A framework to guide statewide allocation of scarce mechanical ventilation during disasters. Chest. 2019;155(4):848–854. doi: 10.1016/j.chest.2018.09.025. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]
  • 5.Emanuel E.J., Persad G., Upshur R., Thome B., Parker M., Glickman A., et al. Fair allocation of scarce medical resources in the time of Covid-19. N Engl J Med. 2020;10 doi: 10.1056/nejmsb2005114. [DOI] [PubMed] [Google Scholar]

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