Avec plus d’un million de patients dépistés et 65 000 décès déclarés en ce début avril, la maladie Covid-19 liée au nouveau Coronavirus SARS-CoV-2 continue sa chevauchée à travers le monde. Elle est apparue fin 2019 sans crier gare et dans l’indifférence relative dans la ville de Wuhan en Chine. Nous avons tous été surpris par son arrivée si rapide jusqu’en Europe alors que lors des épisodes précédents (SARS en 2002 et MERS en 2015), l’infection liée à d’autres membres de la même famille était limitée à l’Asie et au Moyen-Orient. Ces anciennes épidémies étaient les premiers coups de semonce mais la recherche d’un traitement ou d’un vaccin ne s’est alors pas développée de façon efficace. Ces deux anciennes infections semblaient pourtant plus graves avec une mortalité importante mais il était plus facile de dépister les patients infectés, d’où leur confinement au sein de zones géographiques bien délimitées. Par le passé, l’humanité avait connu des pandémies virales comme la grippe espagnole avec ses 50 millions de morts en 1918 et la crainte d’un nouvel épisode a toujours persisté. Cependant, l’excès de précautions des autorités sanitaires en 2009 pour une possible épidémie H1N1 ne s’est pas révélé justifié et nous avons par la suite progressivement baissé la garde en pensant que les chaînes d’approvisionnement de matériels médicaux seraient maintenues en cas de problème sanitaire aigu et grave. Ce fut une première erreur.
Nous vivons la première pandémie liée à un virus autre que celui de la grippe. Comme pour toute guerre, surtout asymétrique, il faut d’abord identifier l’adversaire, surtout quand il est de « taille », ubiquitaire, invisible et paraissant faussement inoffensif. Sur le plan taxonomique, l’agent viral fait partie de l’Ordre des Nidovirales, de la famille des Coronaviridae et du genre Betacoronavirus. Il s’agit de virus à ARN simple brin à polarité positive. Son génome mesure une trentaine de kb (l’un des plus grands chez les virus à ARN) et son diamètre est de près de 125 nm. Il s’agit d’un virus enveloppé, ce qui constitue son talon d’Achille avec une résistance dans le milieu extérieur de seulement quelques heures à quelques jours dépendant du type de support, des conditions de température et d’humidité. L’origine de son apparition reste aujourd’hui controversée même s’il a été isolé en culture et que son génome a pu être séquencé. Il est probable que le virus ait une origine animale avec comme ancêtre probablement un virus de chauve-souris ayant muté chez le pangolin. Il a pu s’adapter secondairement à l’homme. La rupture de la barrière inter-espèce en fait toute la dangerosité. La durée d’incubation est de 5 à 6 jours en moyenne. Le virus semble utiliser l’enzyme de conversion de l’angiotensine. II pour entrer dans les cellules de l’appareil respiratoire avec des conséquences inflammatoires possiblement auto-immunes que l’on pourrait observer lors de la phase secondaire de l’infection.
Le nombre de porteurs asymptomatiques semble très élevé (25 à 50 %) avec une possibilité de transmission forte et rapide en moins d’une semaine. Même si son taux de létalité reste faible (dénominateur exact inconnu), sa contagiosité demeure élevée, en tout cas supérieure à celle de la grippe. La gestion de l’épidémie en Asie ne nous a pas permis d’évaluer son risque à temps afin de nous préparer à son arrivée en Europe. Beaucoup d’experts ont pensé initialement qu’il s’agissait d’une « simple grippe » mais malgré les similitudes cliniques grossières, les deux infections sont différentes. Le tractus pulmonaire est bien sûr la voie finale commune et la détresse respiratoire aiguë sévère peut être observée dans les deux cas. En France, la grippe touche entre 2 à 7 millions de personnes et provoque environ 10 000 morts chaque hiver. Cependant, la grippe devient menaçante principalement chez les personnes âgées ou celles ayant une comorbidité importante. De plus, contrairement au Covid-19, un vaccin existe contre la grippe avec une bonne efficacité. Le SARS-CoV-2 est plus pernicieux car même s’il touche des personnes d’âges similaires, la détresse respiratoire peut entraîner des complications nécessitant une prise en charge réanimatoire chez des patients plus jeunes avec un risque nettement plus élevé de décès. Les facteurs de risque de maladie grave en dehors de l’âge semblent être l’hypertension artérielle, le diabète, la surcharge pondérale et les différentes formes d’asthme. C’est pour ces raisons que l’OMS a déclaré l’urgence de santé publique de portée internationale le 30 janvier et la pandémie depuis le 11 mars. Le taux de létalité à l’échelle mondiale est actuellement de 3,4 % mais il faut attendre la fin de la pandémie pour faire le bilan définitif.
Le Covid-19 sera surtout dévastateur par la désorganisation globale des systèmes de soins qu’il provoque avec des durées de séjour en réanimation de 2 à 3 semaines et un engorgement important des places disponibles pour prendre en charge des patients infectés mais également ceux souffrant d’autres pathologies. Les maladies ophtalmologiques semblent être des victimes collatérales de l’infection par les retards diagnostiques et thérapeutiques que nous ne manquerons pas d’observer dans les semaines et mois à venir. En attendant, les rares armes à notre disposition pour mener la première phase de cette bataille sont le confinement, la distanciation sociale et les mesures barrières.
“Ne combattez jamais l’adversaire sur son terrain. Baissez-vous et cachez-vous, et frappez-le ensuite, lorsqu’il n’est pas en position de vous dominer…” Maréchal Tito
Déclaration de liens d’intérêts
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Footnotes
Retrouver la première publication de cet article https://www.sfo-online.fr/actualites/lennemi-invisible-regards-croises-de-lophtalmologie.
